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LES PLUS BEAUX MADRIGAUX DE

 GIULIO CACCINI

Giulio Caccini publiait le 20 décembre 1600,   chez   Giorgio Marescotti,     à       Florence,                    "L' EURIDICE" dont la Préface nous permet d'encadrer d'une façon indiscutable la réalité esthétique et expressive de  ses MADRIGAUX qu'il publiera en 1601, chez Marescotti, et en 1614 chez  Zanobi Pignoni, à Florence, dans deux recueils qu'il indique: "LE NUOVE MUSICHE".

Voici les points essentiels de la Préface à "L' EURIDICE": « Avendo io composto in musica in stile rappresentativo la favola d'Euridice (Ayant composé en musique en style représentatif la fable [ dans l'acception latine de 'fabula', action dramatique] d'Euridice)...Vous y reconnaîtrez (il s'agit de Giovanni Bardi des Contes de Vernio) ce style que j'ai réalisé, en d'autres occasions, il y a plusieures années,…..dans l'églogue de SanazzaroItene all'ombra degli ameni faggi’…, dans d'autres de mes madrigaux d'alors: ‘Perfidissimo volto’; ‘Vedrò il mio Sol’;Dovrò dunque morire’... etc. Et c'est la manière qu'avait été suivie, (comme vous même et d'autres nobles virtuoses, au temps où fleurissait à Florence, votre Camerata, le disiez) par les anciens Grecs quand ils représentaient leurs tragédies et autres fables(‘fabulae’)».

«L'harmonie des parties qui récitent dans cette 'EURIDICE', est soutenue par une basse continue où j'ai marqué les quartes, sixtes et septièmes, les tierces majeures et mineures les plus nécessaires, laissant  pour le reste, au jugement et à l'art de qui joue, d'adapter les parties moyennes à leur lieu; j'ai, d'ailleurs, lié certaines fois les 'cordes' du 'continuo' pour que les passages des dissonances  qui y sont nombreuses, né heurtent pas l'ouïe en refrappant la même ‘corde’».

«Dans cette manière (style) de chant j'ai fait usage d'une certaine sprezzatura'  [‘rubato’ dans l'accentuation verbale] que j'ai estimée avoir de la distinction, et, par elle, j'ai bien pensé de m'être approché le plus possible au parlé naturel ».

Cette Préface à"L'EURIDICE" nous introduit dans le monde subtil de la "Mélodie", toute platonicienne, de Giulio Caccini, cette Mélodie" qui est l'expression simultanée et unifiée de la "parole", de ses "harmonies" et de ses "rythmes" que l'Artiste plasme sous l'emprise de l'émotion et qui conduit à l'expression, à la représentation, des "affetti", c'est à dire à toute la gamme sonore et à toutes les combinaisons dynamiques de la communication humaine. Et c'est justement cette communication que Caccini réalise dans son "stile rappresentativo", "style représentatif (Monteverdi dira "genere rappresentativo","parlar cantando") qui est, donc, la représentation des passions humaines, représentation qui se réalise indépendamment des jeux de la scène.Caccini est précis à ce sujet puisqu'il écrit que le style qu'il réalise dans "L'Euridice" est celui qu'il a réalisé dans ses Madrigaux. Nous sommes, donc, bien en présence d'une représentation des passions par une récitation modulée qui est le Chant en "sprezzatura"; Caccini écrit: "nella qual maniera di canto ho io usato una certa sprezzatura" et, dans sa Préface aux "NUOVE MUSICHE" (1601) "senza misura quasi favellando in armonia con la suddetta sprezzatura"

("sans mesure presque en parlant en harmonie avec la dite 'sprezzatura").»

On voit par là à quel point est fausse la manière d'exécuter les madrigaux de Caccini (comme tout autre madrigal issu de la Camerata Fiorentina ou conçu en "style" ou "genre" représentatif) comme l'on exécute un Aria ou une pièce tout simplement chantée. J’ouvre ici, une parenthèse:

Monteverdi dans sa lettre à Alessandro Striggio (9 décembre l6l6) précise d'une façon inéquivocable la différence entre le parlar cantando et le cantar parlando, celui-ci étant clairement la réalisation d'un chant qui pourra appartenir au mélodrame, à l'opéra (que l'on s'entête à appeler lyrique, en oubliant le véritable sens et la véritable valeur poétique du terme "lyrique") et à toute autre expression en Aria, Cavatine, Romance» etc.; tandis que c'est dans le parlar cantando (Arianna - Orfeo de Monteverdi, par exemple, Euridice de Caccini et de Peri, Dafne de Da Gagliano, les Madrigaux de Monteverdi, Caccini, Peri, Luzzaschi, Marenzio, da Venosa et autres auteurs de Seconda Pratica) que se réalise la représentation des "affetti". Peut-être la cause première de tant de confusion a été d'appeler lyrique une réalisation qui était tout simplement un texte littéraire mis en musique (le "libretto") et chanté sur scène. On a ignoré le lyrisme (le seul authentique) des poèmes de II pratica et pour  comble de malheur on a fini par considérer, bien légèrement d'ailleurs, Arianna, Orfeo, Euridice, Dafne comme les prototypes d'un opéra ante litteram en leur affublant des interprétations propres au cantar parlardo!

Grosse confusion qui a pu amuser les galeries du monder mais qui

n'a certainement pas aidé à servir l'Art.

Je ferme cette parenthèse et je reviens à Caccini.

 

Au delà de la haute école technique

 dont Caccini lui-même nous indique et

 explique les éléments tels que la

 "messa di voce", le "gruppo", le "trillo",

 les "passaggi", etc., le "stile

 rappresentativo" vit, surtout,

 d "esclamazioni" et de "sprezzatura".

On peut dire que chaque sentiment que l'on exprime par la récitation modulée, est introduit par une exclamation et que le dynamisme  de l'expression même est marqué, dans ses phases émotives, par la variété  . des accentuations que Caccini nomme "sprezzatura" et qui donne ce Chant ."sans mesure", qui approche le plus le "parler naturel".

Deux considérations s'impose: premièrement Caccini n'admet pas la voix de fausset et cela est parfaitement logique car si le style représentatif doit réaliser la représentation des "affetti" par un Chant qui est la modulation du "parler naturel", la voix de fausset sonne creux, exactement comme sonne creux, aussi, toute voix qui, par un émission douteuse, reste fixe et sans cette vibration naturelle et subtile qui en est son expression vitale; deuxièmement Caccini enrichit et exalte le sens poétique de ses Madrigaux par des raffinements qui demandent une technique vocale exceptionnelle car il faut que ces raffinements tels que "gruppi", "trilli", "passaggi", jaillissent comme des parenthèses enivrantes qu'une savante "sprezzatura" encadre d'une façon magistrale. Ce sont des tourbillons de notes "spiccate" et refrappées en trilles sur une même note; la quintessence de l'Art vocal expressif.

Voyons ce que nous dit Caccini à ce sujet dans les Préfaces à ses "NUOVE MUSICHE" de 1601 et de 1614. Notons tout d'abord que Caccini est contraire, en grand maître du Chant qu'il est, à toute ornementation (roulades, fredons, tremblements,etc.) dont abusent les chanteurs pour épater l'auditeur. Il écrit, en effet : « ….j'ai dit plus haut que de ces longs 'passaggi' on faisait un mauvais usage et que ces 'passaggi' étaient là non parce qu'ils fussent nécessaires à la bonne manière de chanter, mais, je crois, plutôt pour caresser les oreilles de ceux qui comprennent moins ce que signifie chanter avec ‘affetto’…» D'autre part il nous dit qu'il n'avait jamais publié ses Madrigaux que les plus fameuses cantatrices et fameux chanteurs honoraient de leurs interprétations et il ajoute: « Mais maintenant que mes oeuvres sont trop souvent mal rendues et que l'on fausse l'usage et la manière d'exécuter les longs ‘passaggi’ que j'ai inventés…et aussi l’usage inconsidéré que l'on fait du ‘crescere e scemare della  voce’, des exclamations, trilles, ‘gruppi’ et des autres ornementations, j’ai été obligé de faire publier mes oeuvres (en donnant toutes les explications pour une correcte exécution) composées,..... en suivant ce principe si loué par Platon et autres philosophes qui affirmèrent que la musique n'était avant tout que la parole et le rythme et le son en dernier lieu....».

Nous avons ici la même conception de Monteverdi à propos de la II pratica et le parlar cantando et il est facile de se rendre compte, documents à l'appui, de l'absurdité de ces interprétations qui ne tiennent pas compte d'une telle vérité esthétique et, ignorant tout de la haute technique vocale nécessaire pour rendre les ornementations marquées par Caccini et autres maîtres de l'époque, inventent à tort et à travers des roucoulements et des….gargarismes pitoyables.

Voici ce que Caccini écrit à propos des "voci finte", faussets:

«….l'on choisisse un ton, dans lequel on puisse chanter à voix pleine et naturelle ("in voce piena e naturale") pour fuire les voix feintes (‘le voci finte’….Mais par les voix feintes ne peut naître aucune noblesse de bon chant: qui naîtra d'une voix naturelle commode pour toutes les cordes, que chacun pourra manier à son gré, sans se valoir de la respiration sinon pour se montrer maître de toutes les expressions (‘affetti’) les meilleures dont il faut faire usage dans ce si noble art de chanter (‘nobilissima maniera di cantare’)».Passons, après cet aperçu sur la qualité vocale, à considérer la grande valeur des indications techniques que Giulio Caccini donne pour l'interprétation et l'exécution de, .sa musique en général et de ses madrigaux en particulier. Je cite, précisément des passages du texte de la Préface aux "NUOVE MUSICHE" de 1601:« Et parce que.... on y trouve toutes les meilleures expressions (‘affetti’) dont on peut faire usage dans cette noble manière de chant, j'ai voulu les décrire, soit, pour montrer où il faut augmenter et diminuer la voix, faire les exclamations, trilles et agréments, et en somme tous les trésors de. cet art, soit pour ne pas être obligé de montrer cela dans mes oeuvres qui suivront: et pour que ça serve d'exemple pour reconnaître dans ces musiques.les mêmes lieux où ils seront le plus nécessaire selon les expressions (‘affetti’) des paroles; et parce que je nomme ‘noble manière’ de chant, cet art qui s'exprime sans se soumettre à la rigueur de la mesure, en tenant souvent les notes la moitié de leur valeur selon le sens des paroles, d'où naît ce chant en ‘sprezzatura’….».

Caccini a bien dit: «… Cet art (le Chant) ne souffre pas la médiocrité et nous devons retrouver, avec science et amour, toutes les finesses qui sont propres à son excellence. C'est cet amour qui m’a poussé à offrir ces quelques notices qui vont suivre pour montrer ce que doit faire qui professe le Chant…»

Il nous donne un exemple pour exécuter l’"exclamation"; dans ce cas, avec les paroles: "Cor mio deh non languire"

 

 

 

 

 

«…sur la première blanche pointée on peut entonner "Cor mio" en diminuant peu à peu, abaisser la noire et faire un ‘crescendo’de la voix avec un léger élan; on aura fait une exclamation très affectueuse même sur la note qui descend par degré conjoint; mais l'exclamation se révélera bien plus riche d'esprit, encore» dans la parole "deh", en raison de la note tenue qui descend par degré disjoint, et elle sera très agréable à la reprise de la sixte majeur qui (Mi - Sol d.) descend (justement) par degré disjoint».

Il est inutile d'insister sur le raffinement de cet Art du Chant tel que l'entendent Caccini et les grands Maîtres de son époque, et sur les difficultés d’émission et d'articulation qu'il faut vaincre pour réussir à varier l'expression selon le sens de chaque mot et même de chaque syllabe. Il faut réussir à coordonner tous les éléments expressifs du thème poétique dans l'esquisse représentative de la "sprezzatura" qui conduit à la "rappresentazione degli affetti", à la représentation des sentiments.

Caccini nous a montré ce qu'est l'"exclamation" qui peut être de deux genres pour imiter (imitation platonicienne) la "parole" comme manifestation réelle de l'"Idée". L'"exclamation", telle que nous l'a montrée Caccini,"peut être réalisée, dans la musique affectueuse sur toutes les blanches et noires pointées qui descendent et elle sera encore plus sensible par la présence de la note qui suit si celle-ci est de plus courte durée. Sur les "rondes", au contraire, on doit réaliser le ‘crescendo’ et ‘diminuendo’, le "crescere" et "scemare" de la voix sans exclamations, tandis que dans les Arias et les Chansons, on devra jouer seulement sur le brillant et la vivacité du Chant....». A’ propos de "Cor mio deh non languir", Caccini précise que « les premières quattre croches sur la deuxième syllabe de ‘languire’ont plus de grâce dans la deuxième croche pointée, cette grâce qui manque dans les quatre croches égales indiquées ‘par exemple’....».

Et nous voici au "TRILLO" et "GRUPPO" décrits par Giulio Caccini:

  

 

 

 

our Caccini le "Trillo" et le "Gruppo" sont les deux éléments techniques qui permettent de rejoindre le sommet de la haute école du Chant. Le "Trillo" s’exécute sur une seule note refrappée très vite et d'une façon absolument Egale avec une résonance très haute et avec grande souplesse. Le "Gruppo" est marqué sur deux notes et là aussi il faut frapper chaque note détachée et toujours en souplesse. Tout raidissement dénonce une

émission fausse et amène ce baragouinage vocal, ce bredouillage de sons qui est l'antithèse de l'expressivité du "Trillo" et du "Gruppo" de Caccini dont parle Mersenne et dont s'intéresse les Maîtres de Chant et les Artistes jusqu'à la fin du XVIII siècle. En effet, Pier Francesco Tosi dans son "Opinioni de' Cantori Antichi e Moderni", Bologne 1723, écrit:

...." (le Trillo) que l'on frappe d'un mouvement inégal, déplait; Le (Trillo) bêlant fait rire, car il naît dans la bouche comme le  rire, tandis que (le vrai Trillo) est fruit d'une haute résonance; celui qui est produit par deux voix en tierce, dégoûte; le lent ennuie et celui qui n'a pas de justesse, effraie » .

Nous voyons par là, l'immense importance de posséder la parfaite

technique du "Trillo" et du "Gruppo", qui est à la base de l'exécution  des "passaggi" qui, comme disait Tosi, « font le Chanteur universel, c'est à dire capable de chanter dans tous les styles », et le « passaggio pour être beau, doit être parfaitement juste, frappé, égrainé, égal, brisé et vite ».

Aujourd'hui il est bien difficile de retrouver les richesses de cette technique fouillée dont Caccini est le dépositaire le plus marquant, car il ne suffit pas de vaincre la difficulté (et c'est là, déjà, un résultat plutôt rare à obtenir); faut-il encore faire de cette difficulté vaincue le fond d'une technique sur laquelle bâtir un Chant dont on ne pourra admirer que l'expressivité exaltante et la simplicité bouleversante.

Giulio Caccini nous. en donne la mesure dans les quatre pages d'exemples qu'il nous propose dans la Préface aux "NUOVE MUSICHE" qui sont l'objet de cet enregistrement; j'en ai fourni un aperçu qui me semble assez éloquent et je terminerai cet excursus en citant un passage, toujours de Caccini, tiré de la Préface du recueil de l6l4 : « Trois sont les choses qu'il convient de savoir si l'on veut chanter avec expression, en soliste: l'expression ("lo affetto"), la variété de l'expression

("la varietà di quello") et la ‘sprezzatura’; l'expression, chez le chanteur,n’est autre que la force de notes et accents divers dans un juste équilibre du ‘piano’ et du ‘forte’; une expression des paroles et des idées

que l'on chante, capable de mouvoir les passions ("affetto") en qui écoute ». La variété dans l'expression est le passage qui se réalise d'une passion à l'autre avec les mêmes moyens (le moyen vocal) selon ce que les paroles et les idées indiquent au chanteur: et cela est à suivre attentivement pour qu'il n'arrive pas (pour ainsi dire) de représenter, de la même manière, l'époux et le veuf ». Observation très subtile; on pourrait dire:

« savoir rentrer dans le personnage ».

«La ‘sprezzatura’, est ce raffinement que l'on confère au Chant en faisant passer plusieurs  croches et doubles croches sur des cordes diverses. C'est un raffinement qui, fait en temps et lieu, en libérant le Chant d'une certaine étroitesse et sécheresse, le rend plaisant, spirituel et ample ».

"J'estime pouvoir considérer semblables aux figures et couleurs de rhétorique, dans l'éloquence (dans le cadre du parler commun), les ‘passaggi’, 'trilli' et autres ornements que l'on peut introduire, dans le Chant, pour chaque particulière expression ( ‘affetti’)....».

Je conclurai en attirant l'attention sur la réalisation de la musique du verbe que Caccini (comme tous les artistes de II pratica) obtient et que nous pouvons aisément relever dans cet enregistrement.

 "LES PLUS BEAUX MADRIGAUX DE GIULIO CACCINI", où l'Auteur réalise le "Stile rappresentativo", nous donnent une sensation palpitante de "ce cantus obscurior que Ciceron entendait dans la parole déclamée" (comme a si bien précisé Bruno Pinchard) et qui est à la base, vers la fin du XVI siècle, de la recherche poétique et musicale de la Camerata Fiorentina de Giovanni Bardi.

C'est une grosse vérité poétique, historique et esthétique, que seul un grand Art du Chant peut avoir retrouvé.

Prof. Annibale Gianuario

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