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In memoriam

Annibale Gianuario

(Tunis, 20 agosto 1911 - Montecatini Terme, 20 maggio 1991)

par

Bruno Pinchard

Annibale Gianuario avait la mémoire d'un certain son. D'où lui venait cette note unique, cette note qu'il entendait et que nous n'entendions qu'à peine et en sourdine, et qu'il aurait remué ciel et terre pour nous faire entendre?

Annibale Gianuario a remué le ciel et la terre d'Italie pour nous faire entendre le son de l'antique parole italique. Le cantus obscurior de la voix latine, ce chant certes propre à chaque langue mais qui dans la péninsule contient, en plus de son évidente aptitude au chant, toute la poésie de Virgile, de Dante, de Pétrarque ou de Leopardi. Annibale Gianuario entendait ce murmure des siècles:

e mi sovvien l’eterno,

e le morte stagioni, e la presente

e viva, e il suon di lei.

Seulement cette écoute intérieure n'avait pas chez lui la douceur du naufrage. Elle était une incitation à l'action. Quelle fut l'action et l'œuvre de l'homme dont nous célébrons aujourd'hui la disparition advenue en 1991?

Annibale Gianuario est né en 1911 à Tunis d'une mère française et d'un père italien. Violoniste ayant séjourné à Paris pendant l'entre-deux-guerres, il enseignera le chant choral au conservatoire de Florence. Mais son œuvre principale n'est pas pédagogique au sens strict. Héritier de Malipiero, le premier éditeur des .œuvres complètes de Monteverdi, il consacre tout son travail de chercheur a l'élucidation d'une question simple; quelle fut la culture de Monteverdi? C'est que la fréquentation des interprètes de la musique ancienne, déjà dans les années cinquante, mais surtout après la découverte du style dit «baroque», a rapidement persuadé Gianuario d'une évidence indiscutable: derrière les notes et les partitions de Monteverdi, telles que nous tentons de les reconstituer, il y a un esprit qu'aucune édition critique ne pourra à elle seule retrouver. Sans cet esprit, les partitions restent lettres mortes et deviennent la proie des modes changeantes; avec lui, la musique retrouve sa véritable fonction culturelle: se mettre au service de la parole des poètes et participer avec elle à la reconstruction éthique et politique de la cité.

Ces idées, qui donnent une portée morale à la musique et en font un élément fondamental dans la vie des hommes, Gianuario ne les a pas inventées. Non seulement elles guident tout la réflexion de Platon sur la musique, mais c'est Monteverdi: lui-même qui, dans ses lettres et ses préfaces, en a rappelé l'inactualité éternelle en des phrases qui constituent comme autant d'emblèmes de la pensée d'Annibale Gianuario:

"Quando fui per scrivere il pianto del Arianna, non trovando libro che mi aprisse la via naturale alla imitatione ne meno che mi illuminasse che dovessi essere imitatore, altri che Platone per via di un suo lume rinchiuso..." (Lettre à G.B. Doni du 22 octobre 1633).

Ce «lume rinchiuso» platonicien, Gianuario a tenté d'en déployer le mystère dans une œuvre importante dont certainement la Preparazione alla interpretazione della Poiesis monteverdiana, publié à Firenze en 1971 et écrit en collaboration avec la cantatrice Nella Anfuso, donne l'idée la plus synthétique. Le titre de l'ouvrage est à lui seul un programme: le long parcours culturel qui s'y effectue, depuis la rhétorique antique jusqu'aux redécouvertes de l'humanisme musical du Cinquecento, n'est pax proposé au lecteur dans le seule perspective d'une jouissance tournée vers un passé révolu, mais dans le but d'une mise en œuvre immédiate conduisant à l'interprétation adéquate des sommets de l'art du chant à la Renaissance.

Le point de vue auquel s'est placé Annibale Gianuario dans la restauration de la musique ancienne a été souvent mal compris. Son but n'a jamais été de reconstituer une musique du passé, mais de renouer avec l'esprit d'une civilisation et d'en continuer le message dans le contexte tourmenté de la modernité. L'esprit d'innovation de Monteverdi était ainsi compris en profondeur: la tâche de musicien véritablement créateur n'est pas celle de l'archéologue, elle est celle d'un artiste vivant ouvert aux suggestions de l'époque, tout en se montrant capable d'y joindre toujours la mémoire de l'antique, cette présence ancestrale qui confère aux audaces les plus résolues leur cohérence et leur véritable légitimité.

De là ces deux versants de l'activité du Maître: les colloques d'été dans les villas médicéennes de Poggio a Caiano et d'Artimino, au cours desquels les chercheurs du monde entier étaient appelés à un libre débat avec celui qui paraissait souvent l'esprit de Socrate réincarné, d'un Socrate musicien. De là encore cette pléiade de disques conçus et préfaces par Annibale Gianuario, dans lesquels madame Nella Anfuso a pu donner la mesure de son talent en interprétant dans un esprit nouveau les chef d'œuvre de l'école italienne du chant.

Pour nous ses amis et ses élèves, Gianuario restera une haute figure de l'Italie, profondément morale et noble, intransigeante sur les lois du beau et parfaitement affable et accueillante dans les circonstances de la vie. Je suis sûr qu'Annibale Gianuario arpente toujours la terrasse de la Villa de Laurent le Magnifique à Poggio a Caiano. C'est lui qui avait attiré mon attention sur la frise de céramique qui en orne le fronton: on y voyait le char de l'âme qui partait au galop vers le soleil d'immortalité.

Bruno Pinchard

Philosophe - Université de Lyon

 

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