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CHAPITRE XVIII
MASSACRE DES CHRÉTIENS D'ARBÈLE(1).

    Il est impossible que les décrets divins ne reçoivent pas leur accomplissement, et les dispositions de la Providence admirable de Dieu n'ont d'autre but que leur réalisation.
    Il permit donc que des montagnards, les Cayatchiyé (habitants des rochers élevés(2)), eussent des dissentiments entre eux. Quelques-uns allèrent trouver le roi pour se plaindre de leur émir Zaïn ed-Din Balou, qui était chargé de distribuer la solde à un corps de trois mille hommes. Le roi s'irrita contre lui et le fit enfermer dans la prison pendant un an.
    A ce propos le roi victorieux envoya à la citadelle d'Arbèle un Arabe méchant et rempli d'intentions perverses, nommé Naçr(3). Ce fut l'occasion pour cet Arabe d'accomplir le dessein qu'il avait déjà tenté de réaliser en l'an 1608 des Grecs (1297)(4). Tous les enfants d'Hagar, grands et petits, nobles et plébéiens, émirs et soldats, scribes et secrétaires, gouverneurs et conseillers, réunirent leurs efforts pour reprendre aux chrétiens la citadelle d'Arbèle et faire périr ses habitants.
    Il faut dire, il est vrai, que les habitants de la citadelle, et les autres qui étaient avec eux, avaient le coeur endurci, qu'ils avaient entièrement abandonné la voie du christianisme, qu'ils méprisaient complètement les lois divines, tournaient en dérision les moines et les prêtres et s'opprimaient mutuellement; ils transgressaient totalement les préceptes du Seigneur, de sorte qu'il n'y avait plus accès, chez eux, ni à la correction ni à l'instruction. La haine s'était accrue, la rancune s'était
emparée de leur coeur; ils s'accusaient les uns les autres; ils se maltraitaient, se frappaient, se persécutaient, se volaient, se haïssaient, se réunissaient par bandes et attaquaient les maisons des riches; en un mot, ils se permirent de commettre toutes sortes d'iniquités. Personne ne se préoccupait, personne n'avait peur de la colère véhémente ou du châtiment, [personne ne songeait que] de tels événements viennent de Dieu dont la Providence les accomplit quand elle a des raisons [pour cela].
    Ainsi, la raison pour laquelle Dieu décréta la mort contre l'homme fut la transgression du précepte. Quand on dit qu'il endurcit le coeur du Pharaon pour infliger le châtiment, et d'autres choses semblables, ce sont des figures; mais le but de la Providence doit s'entendre selon ce qui est dit à Pharaon: «Je t'ai amené pour montrer en toi ma force et pour que mon nom soit proclamé par toute la terre,» et selon cette autre parole: «Que le Seigneur endurcit le coeur de Pharaon pour qu'il ne le connaisse pas, afin de montrer sa puissance sur toute la terre(5).»
    Les mêmes choses arrivèrent au coeur des montagnards, qu'on appelait Cayatchiyé(6); les habitants de la citadelle d'Arbèle furent endurcis et privés du secours divin, pour faire connaître les propriétés de la Providence et pour enseigner les secrets de sa nature glorieuse. Mais, parce que Dieu souverainement adorable sait, avant d'amener l'homme à l'être, quel but atteindra sa volonté, il le dirige et le châtie selon la connaissance qu'il a par sa prescience(7).
    Ce Naçr dont nous avons parlé plus haut vint à la citadelle et entra dans une tour près de la porte. Il n'en sortit plus; mais il faisait venir en secret des armes, des munitions et des soldats, puis il mandait au camp que ces gens étaient des rebelles, c'est-à-dire des ennemis du roi [révoltés] à cause de leur émir qui était en prison. Plus il agissait en ce sens, plus les habitants de la citadelle montraient de malice. Mais ils ne purent lui nuire en rien. Il avait pour lui à peu près tout le peuple et l'or de tout l'islamisme; chez eux, au contraire, on ne pouvait pas même en trouver un qui voulût aider son voisin d'une obole. Il avait pour lui les conseils perfides(8) de tous les scribes et de tous les chefs, eux n'avaient pas un homme soit parce qu'ils s'enivraient de vin et perdaient leurs sens, soit à cause du grand abandon dans lequel Dieu les laissa parce qu'ils avaient fait toute sorte d'oeuvres mauvaises. Ils ne craignaient point les justes jugements ni la correction du Seigneur.
    Et de là qu'arriva-t-il?
    Des envoyés du roi, après bien des allées et venues, dirent: «Allons, chrétiens, descendez de la citadelle!» Ceux-ci n'obéirent point. Ils avaient pris la résolution absolue de résister.
    En les voyant agir ainsi, les Arabes se réjouissaient et tressaillaient d'allégresse: ils entrevoyaient que leur dessein allait recevoir son accomplissement.
    Le mal empirant, le roi adressa un ordre à un émir nommé Souti(9), qui se trouvait alors dans la contrée de Diarbekir. - Il y avait aussi un certain Hadji Dilcandi(10), frère du susdit Naçr, qui était dans la citadelle. - Il prescrivait que les Cayatchiyé sortissent de la citadelle, sinon on devait l'assiéger et la prendre de force; les troupes royales devaient être réunies pour organiser une attaque en règle.
    Le Catholique, comme il était en faveur à la cour, ne croyait pas qu'on mettrait cet ordre à exécution contre la citadelle tandis qu'il l'habitait, ni les chrétiens qu'on ferait cela tant que le Catholique était auprès d'eux.
    Ils ne se préoccupèrent ni de ce qu'il y avait lieu de faire, ni d'aller au camp exposer ce qui leur advenait. Ils se plongèrent dans le sommeil de la négligence jusqu'à ce qu'ils fussent atteints par certains événements qu'ils ne pensaient pas devoir arriver.
    Le mercredi, neuf du mois d'Adar(11) de cette année (mars 1310), pendant le carême, le fils de l'émir mentionné plus haut(12), accompagné de trois généraux, monta près du patriarche pour lui ordonner de descendre avec les chrétiens, et le menacer de l'emprisonner s'il refusait.
    Le lendemain [jeudi], on le fit, en effet, descendre de force, et dès lors la crainte et le gémissement régnèrent dans la citadelle.
    De mauvais présages se montraient.
    On conduisit le Catholique au couvent de Mar Mikael, à Tarcel(13). L'émir Souti vint le trouver avec ses troupes, les commandants de régiments, etc., et lui témoigna beaucoup d'égards. Il était souvent venu autrefois à la résidence, avait été en rapport d'amitié avec Monseigneur le Catholique et avait été traité par lui avec beaucoup d'honneur au temps du roi défunt, Cazan.
    Il dit au patriarche: «L'ordre du roi est que les montagnards descendent de la citadelle et que les autres y demeurent. Ils ne te désobéiront pas. Envoie donc un de ceux qui sont auprès de toi de ta part pour les faire descendre.»
    Dès le lendemain matin - qui était un vendredi - le Catholique fit conduire des boeufs, des moutons, et du vin à la demeure de l'émir susdit. Il lui présenta la coupe, selon l'usage des Mongols, et lui fit monter un beau cheval pour calmer ses esprits. Les Arabes qui étaient là, Hadji Dilcandi, le scheik Mohammed, gouverneur d'Arbèle, et le frère de celui-ci nommé Ahmed, murmuraient fort contre les chrétiens et aussi contre le Catholique lui disant: «Personne en dehors de toi ne les fera descendre de la citadelle.» Mais l'émir, considérant le présent qui lui avait été offert par le Catholique, ne les écoutait pas.
    Enfin, ils convinrent de leur envoyer une députation pour leur conseiller de descendre. Le Catholique envoya un des évêques qui se trouvaient près de lui, Mar 'Abdischô', évêque de Hanithâ(14);  et l'émir envoya un des commandants d'armée nommé Sati-bag, pour s'entendre avec eux et leur conseiller de descendre.
    Après s'y être rendus, après avoir parlé avec eux, avoir essayé tous les moyens de persuasion et leur avoir fait les plus belles promesses, ils ne furent ni accueillis ni écoutés. Ils rebroussèrent chemin et revinrent près de ceux qui les avaient envoyés, le samedi 14 d'Adar (mars). Dès que l'émir Souti connut la nouvelle, il se rendit près du Catholique et lui dit: «Ceux-ci sont vraiment rebelles, c'est-à-dire ennemis [du gouvernement].»
    Le Catholique leur adressa encore un second message. Il leur écrivit lui-même une exhortation à descendre, qu'il remit aux mains des évêques qu'il leur envoya, Mar Jésusabran, le métropolitain(15), Mar 'Abdischô' susnommé, avec les moines Rabban David le Reclus et Rabban Denha, directeur du couvent de Mar Mikael, à Tarcel. Ceux-ci partirent la nuit du dimanche ênhau dtê'ô1 et, dès la pointe du jour, ils entrèrent dans la citadelle et s'entretinrent avec les habitants qui se décidèrent à descendre.
    Lorsque Naçr apprit la nouvelle il éleva le signal convenu entre lui et les habitants de la ville: au moment où l'on dresserait ce signal sur le toit de la tour dans laquelle il s'êtait établi, ceux-ci devaient monter près de lui et s'organiser pour le combat.
    Les malheureux à qui l'on avait conseillé de descendre, qui se trouvaient dans l'église, en voyant les glaives qui scintillaient et les traits acérés qui tombaient sur eux, se précipitèrent non sans difficulté vers la porte de la citadelle et se mirent eux-mêmes à combattre, depuis quatre heures du jour jusqu'au soir et encore toute la nuit. Il y eut trois Arabes et douze chrétiens de tués; et si ceux-ci n'eussent jeté du feu toute la nuit sous la tour en question ils eussent été massacrés tous sans la moindre difficulté.
    A cette nouvelle, l'émir Souti et les troupes qui étaient avec lui s'empressèrent d'aller cerner la citadelle. Ils emmenèrent avec eux de force le Catholique qui pleurait. Le jour même ils arrivèrent au pied de la citadelle. Ils disaient au Catholique: «Ne les laisse pas se ranger pour le combat.»
    Dans la nuit du [dimanche au] lundi, quelques hommes descendirent de la citadelle: Dieu les délivra. Le patriarche était retenu prisonnier avec eux et les évêques de sa suite.
    Le lundi, dès le matin, l'émir Souti et les siens contraignaient Monseigneur le Catholique d'envoyer dire aux habitants de la citadelle de laisser descendre Naçr avec tout ce qu'il avait. Le Catholique envoya l'évêque Jésusabran et le moine reclus Rabban David.
    Quand les Arabes les virent, ils massacrèrent sans pitié Rabban David et frappèrent Jésusabran du glaive et du bâton; mais Dieu le délivra de leurs mains. Il s'enfuit et revint.
    Le mal s'aggrava. Le moment du châtiment arrivait et déjà les armées des Arabes et des Mongols avaient commencé à construire des terrasses d'approche et diverses machines pour une attaque en règle.
   Quant aux chrétiens qui étaient dans la ville, dès que Naçr eut levé le signal fatal, ils furent massacrés dans les rues et dans les places publiques. Beaucoup s'enfuirent et se réfugièrent dans les maisons des Musulmans; des hérauts les en firent sortir et dans la journée du lundi ils périrent sans miséricorde dans un cruel massacre.
    Quelques-uns qui étaient dans la prison de leur Qadi furent amenés et cruellement flagellés jusqu'à ce que la mort s'ensuivit. Les femmes jeunes furent dépouillées de leurs vêtements et promenées par les rues de la ville, les femmes enceintes furent éventrées, leurs enfants mis à mort et leurs cadavres jetés devant la porte de la citadelle. On envoya dire ensuite à l'émir Souti: «Envoie, émir, voir comment ils massacrent les musulmans et les jettent à la porte de la citadelle.» Lui, dans sa simplicité, les crut et leur permit de saccager les quatre églises qui se trouvaient en bas, les deux nôtres(16): celle qui est bâtie sous le vocable de Jésusabran, l'illustre martyr(17), et celle qui est construite sous le nom de Man'you(18); l'église des Jacobites, sous le vocable de Madame Marie, et l'église des Arméniens. Elles furent rasées jusqu'à terre ainsi que les maisons et les enclos des chrétiens et la résidence du siège métropolitain.
    L'émir envoya dans toute la contrée: il rassembla des hommes pour préparer l'attaque et fit descendre les Kurdes de leurs montagnes. Les chrétiens des villages ne pouvant plus se réfugier dans la ville, durent donner des sommes considérables pour l'armement et la nourriture des troupes. Une attaque vigoureuse était dirigée, jour et nuit, contre la citadelle des quatre côtés à la fois. Il y périt un grand nombre d'assiégés et d'assiégeants, de Kurdes et d'Arabes, mais pas de Mongols, car ceux-ci ne s'étaient pas approchés et se contentaient de lancer des flèches de loin. Les routes furent coupées aux chrétiens, là et en tous lieux; partout où on les voyait on leur criait: «Êtes-vous de la citadelle?» ou bien: «Ce sont des fuyards!»
    Le vertige de la mort s'emparait de chacun. Le Catholique n'obtenait point de secours en oeuvre et très peu en parole de ceux qui le tenaient. On le gardait de près pendant la nuit et de loin pendant le jour. Il ne savait pas ce qui allait lui arriver. Ses pensées étaient troublées pour lui-même et pour la citadelle. Il trouva cependant occasion d'écrire au métropolitain d'Arbèle qui s'était enfui au village de Beth Çayâdé(19). Irrité contre les habitants de la citadelle qui n'avaient pas voulu l'écouter, il s'était réfugié à Beth Çayâdé avec tout ce qu'il avait et s'était fixé en cet endroit. Le Catholique disait au métropolitain: «De quelle utilité sera ta délivrance si tu ne vas au camp?»
    Deux jours après, l'émir Souti expédia le Catholique sous escorte et le fit conduire à Beth Çayâdé.
    Le métropolitain partit, accompagné d'un jeune homme, la nuit même où la lettre lui parvint. En quatre jours il gagna Bagdad et se rendit au camp. Il fit connaître ce qui était arrivé au Catholique et aux chrétiens. Les émirs du camp étaient déjà au courant de toutes ces nouvelles, car l'émir Souti avait expédié des messagers pour faire savoir au camp tout ce qui avait été fait par lui. Le Catholique, de son côté, avait écrit à un des serviteurs de la résidence pour lui dire ce qui était arrivé. Or, celui-ci alla faire connaître et exposer la situation aux émirs et aux notables et les entretint du massacre des chrétiens. Les émirs qui n'avaient point connaissance de cette affaire en furent très affligés. Ceux qui avaient commis le crime avaient gardé le silence.
    Le métropolitain lui-même arriva en toute hâte et raconta la chose devant tous les émirs. Un édit royal fut envoyé par un messager à Souti; il renfermait ces paroles: «Tu nous exposes les choses ainsi, et le Catholique autrement. Lequel de vous deux croirons-nous et approuverons-nons?»
    Cela empêcha un peu le mal.
    Souti, en entendant ces paroles, fut contrarié et s'enflamma de colère. Il envoya chercher le Catholique et le fit amener: «Tu as écrit ainsi?» lui dit-il.
    Tout le peuple arabe vociférait contre le Catholique, et chacun criait ce qu'il voulait.
    Le Catholique répondit: «Je n'ai rien écrit, mais un tel, métropolitain de l'endroit, est allé parler en faveur de sa maison et de son diocèse.»
    On lui dit: «Maintenant, fais descendre ces rebelles, selon l'ordre du roi, ou déclare par écrit qu'ils sont révoltés.»
    Le Catholique envoya auprès des habitants de la citadelle le métropolitain de Mossoul, accompagné de [deux] jeunes gens de la résidence, pour les exhorter; mais ils eurent peur de descendre. Il y avait réellement des rebelles parmi eux et ceux-ci, craignant d'être mis à mort, persuadaient aux autres de ne pas descendre.
    Dès lors le Catholique fut malmené par Souti et les siens. Ils le tourmentaient: «Donne-nous un écrit que nous puissions envoyer et faire connaître au roi, constatant qu'ils sont rebelles.» Ils lui enlevèrent et lui prirent tout ce qu'il avait avec lui. Plusieurs de ceux qui étaient descendus de la citadelle se trouvaient près de lui: les uns furent massacrés, les autres vendus. Enfin, ils lui arrachèrent par force, ainsi qu'aux évêques qui l'accompagnaient, un écrit tel qu'ils le voulaient.
    Le jour même, l'émir envoya Hadji Dilcandi près du roi.
    Dès son arrivée, celui-ci exposa l'affaire. Un des émirs, nommé Assan Koutlouk(20), le réprimanda et blâma son audace: il connaissaît, en effet, la vérité et savait que cette lettre avait été obtenue par force; il voulut même frapper Hadji qui s'esquiva. L'émir Assan se rendit avec tous les conseillers près du roi, pour lui exposer l'affaire. Le roi rendit un édit prescrivant de rétablir la paix entre ceux de la citadelle et les Arabes, et de ne pas punir les coupables, soit d'un parti, soit de l'autre, et défendant aussi à qui que ce fût de continuer la lutte.
    Cet édit fut rendu après beaucoup de fatigues, de démarches, de peines de la part du métropolitain et de ses compagnons. Il fut remis à des messagers royaux pour être porté à Arbèle. Hadji Dilcandi s'en retourna plein de confusion et le visage couvert de honte.
    Deux disciples de la résidence accompagnèrent les messagers chargés de l'édit et parvinrent à Arbèle le jour du vendredi des Confesseurs(21). Aussitôt, le pont de la citadelle qui avait été brûlé fut rétabli. Ils firent la paix. Beaucoup de personnes descendirent de la citadelle dans la region.
    Mais, comme il a été dit précédemment, les Musulmans donnaient à Naçr ainsi qu'à son frère autant d'or qu'ils en voulaient pour faire des cadeaux. Ceux-ci rassasièrent la cupidité des envoyés qui apportèrent la lettre et leur persuadèrent de monter à la citadelle. Ils y montèrent en effet. Mais là, personne ne leur présenta un tapis pour s'asseoir, ni ne leur donna une bouchée de pain ou même une obole.
    Ces envoyés regrettèrent d'avoir fait la paix et revinrent à des desseins méchants et cruels. Ils menacèrent les jeunes gens de la résidence qui les accompagnaient. L'un d'eux s'enfuit secrètement de la porte de la citadelle et alla se réfugier à Beth Çayadé; ils le poursuivirent mais ne purent le trouver. Ils s'emparèrent de son compagnon et le gardèrent. Ces envoyés royaux coururent au village de Beth Çayâdé. Ils emmenèrent le Catholique et lui tinrent ce langage: «Ceux-ci ne descendront que sur ton ordre. Viens; écoute l'ordre du roi.»
    Quand il arriva à Arbèle, tout le peuple des Arabes se rassembla près de Souti. Ils commencèrent à attaquer violemment le Catholique. Celui-ci, à cause de la grande confiance qu'il avait dans le gouvernement, leur répondait par des paroles vives. De concert avec l'émir Souti, il réitéra aux habitants de la citadelle l'ordre de descendre. Ils devaient jurer sur l'Evangile qu'ils ne feraient aucun mal à Naçr; celui-ci devait aussi jurer, et ainsi la paix serait rétablie. Beaucoup, en effet, descendirent et jurèrent de ne pas lui faire de mal et de lui obéir selon sa volonté. Mais, lorsqu'on fut assuré qu'il montait avec trois cents hommes, on ferma de nouveau la porte, car ils avaient le coeur fourbe.
    Souti, en voyant cela, saisit tous ceux qui étaient descendus et les massacra. Le disciple de la résidence, compagnon de celui qui avait pris la fuite, fut violemment frappé pendant qu'on l'interrogeait sur son compagnon. Le Catholique lui-même put à peine le sauver. Ils s'emparèrent des juments et des mules de la résidence et de tout ce qui appartenait aux disciples et aux évêques qui l'avaient accompagné, même des vêtements. Ensuite, ils dirent insidieusement: «Nous, nous irons dans la place, au bas de la citadelle, et les notables de la ville avec toi, en haut, pour que personne ne résiste plus et ne soit plus excité au combat jusqu'à ce que le roi victorieux ait été informé.» Le Catholique, dans sa simplicité, accepta et monta à la citadelle, ignorant le piège que les Musulmans lui tendaient pour le tuer.
    Ce jour-là, arriva près de l'émir Souti un messager de chez lui(22) pour lui dire: «Les armées de la Palestine entrent dans la région et, si tu tardes à venir, peut-être même que ta famille sera emmenée en captivité.» A l'instant même il partit ainsi que toutes les troupes qu'il avait avec lui, bien qu'il souffrit d'une maladie grave. Il ne resta au bas de la citadelle que les Kurdes et les habitants de la ville.
    Le lendemain, le combat et le massacre recommencèrent entre les deux partis. Les voies furent coupées. La faim se fit sentir dans la citadelle. Quiconque sortait pour fuir ou chercher des vivres pour les siens, était tué sans pitié.
    Le Catholique ainsi que les trois évêques qui l'accompagnaient et les disciples restés près lui, furent enfermés dans la citadelle sans vêtements, sans lit, sans provisions, sans vivres. L'épreuve devint plus dure, le trouble augmenta, la terreur s'aggrava; il ne leur resta pas un défenseur, ni un lieu de refuge, ni quelqu'un qui pût leur venir en aide en disant une parole en leur faveur.
    Quant aux envoyés, ils retournèrent au camp avec Hadji Dilcandi et exposèrent au roi que les habitants de la citadelle étaient des rebelles, que le Catholique les excitait à la révolte, qu'il avait donné des présents pour pouvoir monter à la citadelle, et là, avait ouvert les trésors et partagé l'or aux rebelles, qu'il leur avait livré des provisions de froment, des armes de guerre, des cordes et des machines, et qu'il les encourageait à se préparer au combat.
    L'irritation fut au comble dans le coeur du roi et de ses grands. Il donna de nouveaux ordres en treize exemplaires, adressés nommément aux émirs: à chacun des émirs des Kurdes, aux quatre émirs du roi des Mongols et au gouverneur du territoire d'Arbèle, prescrivant que: si quelqu'un faisait monter des vivres à la citadelle ou lui en fournissait, son village serait dévasté et massacré et, s'il possédait des terres dans la région, ses propriétés seraient confisquées et attribuées en propre au roi; de plus, on devait organiser une attaque vigoureuse pour l'honneur de la confession ismaëlite.
    Il donna à l'adresse du Catholique un édit spécial dans lequel il était dit: «Nous et nos pères, nous t'avons honoré pour que tu pries pour nous et que tu nous bénisses; mais maintenant que tu agis autrement, sache que ce qui t'arrive vient de toi-même et non pas de nous.»
    Les édits furent remis à un des officiers de la cour nommé Toghan(23) et à Hadji Dilcandi lui-même, tous deux ennemis des chrétiens, qui devaient venir à Arbèle et y accomplir leur dessein.
    Le métropolitain d'Arbèle était resté dans le camp encore trois jours après l'envoi des messagers qui partirent avec deux disciples de la résidence pour faire la paix. Il pensa: «Si les habitants de la citadelle et les Arabes font la paix, ma présence dans le camp n'est d'aucune utilité; si au contraire ils continuent les hostilités, je ne puis rien dire sans l'avis du Catholique.»
    Aussitôt, il se mit en route en toute hâte et vint au village de Beth Çayadé; à son arrivée il apprit que, ce jour-là meme, le Catholique avait été emmené avec les évèques de sa suite, comme il a été expliqué plus haut, et enfermé dans la citadelle. Tous les chrétiens étaient plongés dans la douleur, affligés, éprouvant une vraie tristesse du coeur - et non des sourcils et des paupières, comme chez certains - qui faisait fondre leur chair et dissolvait leurs os. Ils ignoraient, en effet, ce qui leur arriverait entre les mains des Arabes et [ne savaient] s'ils seraient délivrés ou non de cette persécution. Comme ceux qui sont ballotés sur la mer, au milieu des flots et des tempêtes, ils craignaient eux aussi d'être submergés dans le péril de la persécution.
    Le métropolitain ne savait que faire. Il considérait que pour retourner au camp d'où il arrivait les routes étaient coupées, qu'il n'avait pas de compagnon et ne pourrait prendre conseil du Catholique; d'un autre côté, s'il restait dans la résidence tandis que le Catholique et les évêques étaient opprimés et enlevés, les chrétiens tourmentés, il se rendrait coupable en transgressant la règle de vérité, la loi du Christ, qui dit que celui qui est pasteur, celui qui aime, doit se donner lui-même, se livrer à la mort, mépriser la vie, supporter tous les tourments pour l'amour du Christ(24). Il s'encouragea donc, prit avec lui les disciples de la résidence qui avaient fui et s'étaient cachés, et partit du village de Beth Çayadé, le soir du 6 du mois de Yar de cette année-là (mai 1310).
    Ils marchèrent nuit et jour, à travers les montagnes et les plaines, les hauteurs et les bas fonds, remplis de frayeur et craignant les embûches des ennemis, sans tente ni provisions suffisantes.
    Ils parvinrent, par la grâce de Dieu, en dix jours, à la ville de Hamadan ou ils avaient entendu dire que le roi victorieux se trouvait. Ils y entrèrent le jour même où le roi était parti pour la capitale.
    Le métropolitain et les disciples se mirent en route le lendemain pour se rendre à Soultaniyeh. Là, ils eurent connaissance des ordres donnés aux deux hommes dont nous avons parlé plus haut, Toghan et Hadji Dilcandi, qui se préparaient à partir pour aller à Arbèle. A cette nouvelle, leurs mains faiblirent, leurs genoux tremblèrent, leurs yeux répandirent des larmes sur le malheur de l'Église et sur tout ce qui était arrivé à ses enfants. Ils prirent conseil des amis du Catholique et des chrétiens pour savoir que faire. On leur répondit: «N'épargnez ni vos biens ni ceux de la résidence, autrement le Catholique est perdu et vous aussi; les églises seront dévastées et les waqfs des chrétiens seront confisqués à cause du Catholique.»
    Le métropolitain prit aussitôt avec lui la somme nécessaire et se rendit près d'un des émirs, qui avait facilement accès auprès du roi. L'émir reçut le métropolitain, le traita avec honneur, écouta ce qu'il lui dit au sujet du Catholique et des chrétiens, et lui demanda une relation de tout ce qu'il lui avait dit écrite de sa main, pour la montrer aux émirs et au roi - Dieu lui accorde la victoire! afin qu'ensuite le métropolitain puisse se présenter et exposer de vive voix ce qu'il avait écrit à chacun des émirs et des vizirs qui pourraient l'introduire devant le roi. Il fut présenté à l'émir Assan Koutlouk, à Khodja Saïd ed-Din, chef des scribes(25), à Khodja Raschid ed-Din, le vizir(26).
    Le métropolitain exposa l'affaire avec confiance en ces termes: «Monseigneur le Catholique vous salue et vous fait dire: «Vous savez, ô émirs, qu'il y a maintenant trente-cinq ans que je suis venu de l'Orient, que j'ai été placé sur ce siège par la volonté de Dieu, que j'ai servi et béni sept rois en toute patience et crainte de Dieu, surtout le père de ce roi victorieux, feu Argoun et sa mère Ourgou-Khaton, qui était chrétienne(27). Je n'ai fait de tort à personne. Je n'ai jamais rien désiré des biens du gouvernement et, si j'en ai reçu des largesses, j'ai dû les dépenser ensuite pour lui. Alors j'étais jeune. Maintenant je suis un vieillard; je n'ai ni femme, ni enfants, ni parents, ni famille. Serai-je tenté de me révolter contre le roi pour l'amour du monde ? Puis-je avoir la pensée de lui dérober quelque chose? Pourquoi donc ajoute-t-on foi aux paroles de mes ennemis contre moi? Je n'ai éprouvé aucun mal de la part de ce roi victorieux; mais, si même - ce qu'à Dieu ne plaise! - il arrivait qu'il me maltraitât, l'évangile, ce livre dont je professe la doctrine, m'ordonnerait de lui rendre le bien pour le mal; il dit, en effet(28): «Priez pour vos ennemis, bénissez celui qui vous hait», et moi, je ne puis m'écarter en rien de ce que Dieu m'a prescrit par le Christ, car celui qui transgresse un précepte se sépare de celui qui l'a posé. Je vous en prie, si le roi est persuadé que j'ai commis le mal, qu'il me fasse venir au tribunal royal et me montre exactement ce que j'ai fait qui me rende digne de la mort: alors il sera innocent de mon sang. Ne m'abandonnez pas aux mains de mes ennemis. Tel est le discours du Catholique. Les chrétiens qui sont dans la citadelle disent tous: Nous ne sommes pas des révoltés contre le roi victorieux. Mais nous sommes remplis de terreur en présence de nos ennemis, les Kurdes et les Arabes. Ils nous tuent sans pitié, et il n'y a personne qui ait pitié de nous, et nous n'avons personne qui fasse connaître au roi l'angoisse dans laquelle nous nous trouvons. Nous sommes tes serviteurs et tes sujets. Nous avons toujours payé régulièrement le tribut et l'impôt. Si le roi ordonne que nous fassions descendre les Cayatchiyé contre lesquels il est fâché, nous sommes impuissants à le faire. Si, au contraire, il ordonne que nous descendions nous-mêmes de la citadelle, qu'il envoie quelqu'un pour nous délivrer des mains de ces tyrans, et nous irons là où il voudra; car ce n'est pas pour l'agrément du lieu que nous restons ici, mais à cause de la vive crainte des Palestiniens(29) et des Kurdes. Voici que nos fils et nos filles sont conduits en captivité et que la plupart de nos hommes sont massacrés. Chacun de vous, émirs, est au courant de ces choses, et moi, le métropolitain, votre serviteur, j'en réponds et je les dis de même que je les ai écrites de ma main.»
    Les émirs accueillirent son discours et l'exposèrent au roi victorieux et miséricordieux. Celui-ci ordonna que le grand émir(30) Tchoban(31) prenne connaissance de l'affaire, qu'il fasse venir le métropolitain et s'entretienne avec lui. On le fit donc venir et il répéta tout ce qu'il avait raconté. Il ajouta même: «C'est à cause de toi que toutes ces choses nous sont arrivées.» L'émir, en effet, était lié avec l'émir des Cayatchiyé nommé Balou(32). Il accueillit favorablement le discours du métropolitain, empêcha Hadji Dilcandi de partir pour Arbèle, fit de belles promesses et désigna pour aller sur les lieux des envoyés autres que les premiers.
    Cependant, - pour ne pas allonger le discours - Hadji Dilcandi ne s'assoupit pas, ne s'endormit pas, n'accorda pas de sommeil à ses yeux; tout le peuple arabe fit comme lui. Il fit des largesses considérables aux émirs, aux grands, aux petits, aux troupes. Cette sentence fut accomplie: «Le présent obscurcit les yeux des sages dans le jugement(33).»
    Ils revinrent sur ce qui était statué et convenu. Ils s'emparèrent en cachette du métropolitain et le livrèrent à Toghan, afin ou qu'il aille faire descendre le Catholique et les chrétiens de la citadelle ou qu'on le massacre sans pitié. On le fit sortir la nuit hors de la ville et on le mena à une montagne située dans le voisinage. Personne ne savait absolument rien de lui. Les chrétiens de toutes les confessions qui s'étaient réunis dans la ville furent profondément affligés. Tous les disciples de la résidence prirent la fuite et se dispersèrent. Il ne leur restait ni aide ni assistance, en dehors des adorables miséricordes de Dieu qui agit selon sa bonté et dispose toutes choses selon ses miséricordes.
    Le métropolitain avait un frère cadet qui s'échappa, courut près de l'émir Tchoban - que sa vie soit conservée! - et lui exposa tout ce qui était arrivé. Il lui dit: «Le serviteur du grand émir, le métropolitain qui est venu hier s'entretenir avec lui au sujet de la.citadelle d'Arbèle, a été conduit de force et par ruse à Arbèle.»
    L'émir entra en fureur. Il expédia un messager et fit revenir le métropolitain délivré des mains de ces misérables. Il l'introduisit devant le roi victorieux à qui le métropolitain répéta ce qu'il avait dit au sujet du Catholique et des chrétiens. Le roi ordonna de faire venir le Catholique au camp et de faire descendre les chrétiens de la citadelle sans les molester. Il fit aussi venir Toghan, lui donna des instructions à ce sujet et lui commanda de partir pour Arbèle.
    Le grand émir et chef du Diwan, Tchoban, conduisit le métropolitain à sa demeure. Il lui écrivit plusieurs lettres pour tous les émirs des Mongols qui étaient allés faire le siège de la citadelle et pour l'émir Gaïdjak(34), gendre du défunt roi Houlaghou ancêtre de tous ces rois, recommandant de faire descendre le Catholique avec honneur, selon l'ordre royal et de faire également descendre les chrétiens sans les molester. Il dit à l'envoyé: «Si quelqu'un étend la main contre les chrétiens, ne les fais pas descendre.»
    Il congédia le métropolitain avec honneur, le confia à l'envoyé royal et lui dit: «Si les Arabes ou les Kurdes n'écoutent pas ces ordres, reste auprès du Catholique et des chrétiens et fais-le moi savoir.»
    Le métropolitain et l'envoyé se rendirent d'abord près de l'émir Gaïdjak et lui montrèrent les lettres scellées du grand émir Tchoban. Celui-ci et sa femme se réjouirent vivement de cet édit favorable au Catholique et aux chrétiens. Ce même émir Gaïdjak envoya à la citadelle cent autres de ses cavaliers mongols pour aider à l'exécution de ces mesures et il écrivit aux huit cents fantassins Kurdes placés sous ses ordres de faire descendre le Catholique.
    Or, trois jours avant l'arrivée du métropolitain et de l'envoyé qui accompagnait celui-ci, Toghan avait envoyé près du Catholique et lui avait fait montrer l'ordre de descendre. Celui-ci était descendu sans tarder le vendredi vingt-six de Haziran (juin 1310), avec les évêques et les prêtres qui l'accompagnaient. Il avait obéi à l'ordre du roi.
    Toghan lui persuada de remonter de nouveau à la citadelle pour en faire descendre les chrétiens. Dans la simplicité de son coeur, il remonta et ordonna aux chrétiens de descendre. Ces malheureux obéirent loyalement aux ordres loyaux et paternels. Ils descendirent le samedi matin avec leurs fils, leurs filles, leurs épouses, au nombre d'environ cent cinquante hommes (non compris les femmes et les enfants), sans arme, sans glaive et sans couteau.
    En les voyant descendre, le peuple mauvais des Arabes devint féroce et entra en fureur. Ils tirèrent l'épée, immolèrent tous [les hommes], depuis le plus grand jusqu'au plus petit, sans pitié ni crainte et s'emparèrent des femmes et des enfants.
    Ils prirent pour prétexte: «On a lancé sur nous des flèches du haut de la citadelle.» Mais tout cela avait pour but d'effrayer le Catholique et de l'empêcher de quitter la citadelle afin de justifier l'accusation qu'ils avaient portée contre lui près du roi(35), espérant que peut-être celui-ci entrerait en fureur et ordonnerait de le mettre à mort avec tous les chrétiens.
    Le Catholique, confiant en la promesse du Christ, pleurant, se lamentant, la tristesse dans l'âme, se disposa à descendre. Il méprisait les glaives, car il pensait en lui-même: «Dans la citadelle, je mourrai de faim, j'aurai une réputation déplorable(36), et c'est là un grand malheur. Il vaut mieux pour moi obéir jusqu'à la mort. Je descendrai. Si Notre-Seigneur me sauve, ce sera un triomphe pour moi; sinon, je suis prêt à recevoir, pour le nom du Christ, la couronne du martyre.»
    Les chrétiens tombèrent à ses pièds, en pleurant et disant: «Nous ne te laisserons pas descendre.» Les évêques eux-mêmes qui l'accompagnaient parlaient ainsi. Le Catholique leur répondit: «Rien ne pourra m'empêcher de descendre; mais je ne force absolument personne à descendre avec moi; quant à celui qui veut partager mes épreuves, je ne l'en empêche pas non plus.»
    Il se sépara donc d'eux, suivi des trois évêques qui l'accompagnaient, de quelques moines et prêtres, disciples de la résidence. Ils descendirent le long du mur en marchant sur les victimes massacrées innocemment. Le Catholique voyait ses enfants le ventre ouvert et les entrailles répandues à terre, et il n'y avait personne pour les ensevelir et prendre soin de leurs funérailles! Pour lui, il se fiait à la parole de Toghan. Il pensait que celui-ci était un ami, lorsqu'en réalité il n'était qu'un faux ami.
    Alors il put dire en son coeur avec le prophète(37): «J'ai appelé mes amis et eux-mêmes m'ont trompé! Mes prêtres et mes vieillards ont dépéri au milieu de moi: ils ont cherché pour eux-mêmes la nourriture afin de sauver leur vie et ils n'en ont pas trouvé. Vois, Seigneur, comme je suis affligé, et [comme] mes entrailles [sont] troublées. Mon coeur est renversé au-dedans de moi-même, car je suis rempli d'amertume. Le glaive détruit au dehors: à la maison, la mort. On m'a entendu gémir et il n'y a eu personne pour me consoler! Tous mes ennemis ont appris mon malheur et ils se sont réjouis, car c'est toi qui m'as fait cela. Arrive le jour que tu as annoncé et qu'ils deviennent semblables à moi! Que toute la malice de ces Hagaréens paraisse en ta présence. Frappe-les comme tu m'as frappé à cause de tous mes péchés; ([traite-les] comme tu m'as traité dans mes enfants et mes bien-aimés), car mes gémissements sont abondants et mon coeur affligé.»
    Le vase d'iniquité(38) alla au-devant du Catholique en souriant, comme s'il n'avait rien fait. Il le conduisit sous sa tente, le traita avec honneur et lui présenta la coupe à genoux.
    Le Catholique lui dit: «Sont-ce là tes promesses? Est-ce ainsi que s'accomplit à notre égard l'édit royal que tu as lu, et dans lequel il était prescrit de ne pas molester quiconque descendrait, de ne pas même faire couler le sang de son nez?»
    Toghan reprit: «On a tiré des flèches de la citadelle: deux hommes ont été atteints et en sont morts.»
    Le Catholique répondit: «Il fallait mettre à mort ceux qui avaient tiré et non pas ceux qui en descendant obéissaient à l'ordre du roi.»
    Toghan se tut et ne répliqua pas un mot.
    Ces peuples maudits avaient pris la résolution de faire périr le Catholique. Toghan et Naçr, frère de Dilcandi, agissaient comme s'ils n'étaient au courant de rien, afin d'avoir une excuse. Mais le Seigneur veille sur ses élus et il envoie le salut d'où ils ignorent et d'où ils ne soupçonnent pas.
    Le métropolitain avait réfléchi et dit à l'émir Gaïdjak: «Émir, tu sais quel homme est ce Toghan! Il nous a devancés à Arbèle et je crains qu'il ne fasse du mal avant notre arrivée. Il serait bon que l'émir envoyât un de ses hommes et un des compagnons du messager qui est avec moi.»
    L'émir, sans tarder, fit cela. Il envoya un de ses hommes avec un de ceux qui accompagnaient l'envoyé. Ceux-ci arrivèrent à Arbèle le samedi même au déclin du jour, après que les malheureux avaient été massacrés. Ils allèrent saluer le Catholique et Toghan à qui ils montrèrent le document écrit, sur l'ordre du roi, par Tchoban au sujet de l'affaire du Catholique.
    A cette nouvelle, le visage de Toghan fut troublé et celui de Naçr également. Ils pâlirent et commencèrent à parler à voix basse. Or, il ne leur restait pas d'excuse, car les nouveaux venus avaient vu le Catholique. A la tombée de la nuit, Naçr et Toghan montèrent à cheval et accompagnèrent celui-ci l'espace d'un mille. Il s'en alla au village de 'Amkava(39).
    Le métropolitain et le messager qui l'accompagnait arrivèrent le dimanche 27 de Haziran (juin)(40) au matin et virent ce qui s'était passé. Ils furent vivement peinés et leur douleur fut grande. Ils furent un peu consolés par la délivrance du Catholique et des évêques qui étaient avec lui. Ils allèrent aussitôt le trouver et ils lui exposèrent l'ordre du grand émir et les dispositions de l'édit royal à son sujet. Le Catholique se réjouit et les bénit ainsi que l'émir.
    Dès le lendemain matin, le messager se rendit près de Toghan et lui demanda à monter à la citadelle. Celui-ci l'en détournait: «Ils te tueront, disait-il, car ce sont des rebelles.»
    Le messager répondit: «Qu'ils me tuent ou qu'ils me laissent vivre, je monte près d'eux.»
    Toghan ne laissa monter avec lui absolument aucune nourriture ni boisson. «Tu es venu, dit-il, pour délivrer les chrétien qui sont les adversaires de notre foi, les ennemis de notre nation. Puisque les chrétiens n'obéissent pas aux ordres du roi, nous n'obéirons pas, nous, à l'ordre de ton émir.»
    Celui-ci ne se laissa pas influencer; il monta à la citadelle, montra aux chrétiens l'ordre de l'émir et les engagea à descendre.
    Tous consentirent.
    L'envoyé descendit le soir, accompagné de trois personnes; or, l'une fut arrachée de ses mains et massacrée, les deux autres emmenées captives. Il apportait avec lui les clefs de la citadelle, qu'il remit à Toghan, et il se rendit, très triste, près du Catholique pour délibérer sur ce qu'il y avait à faire. «Ceux d'en bas, disait-il, sont nombreux et forts. Dans la citadelle il n'y a pas de vivres pour un jour et ils m'empêchent d'en faire monter. Si je fais sortir les autres, ils les enlèvent et les massacrent. Je n'ai ici aucun secours. Je ne sais que faire, si ce n'est rassembler les hommes qui sont venus avec moi et les cent cavaliers de l'émir Gaïdjak. Ils feront descendre d'abord les femmes et les enfants qu'ils conduiront dans les villages. Les hommes de guerre, moi et ceux qui m'accompagnent, nous passerons pendant la nuit et nous nous sauverons. Si quelqu'un nous attaque, nous riposterons.»
    Le Catholique répondit: «Tu sais ce que tu as à faire. Agis selon l'inspiration de Dieu.»
    Le mardi, l'envoyé remonta près de ceux [qui étaient dans la citadelle]. Il les réunit autour de lui et s'entretint avec eux. La plupart acceptèrent son conseil. Mais, comme dit le proverbe: «Du rameau sort le ver.» Certains habitants de la citadelle étaient déjà traîtres et s'étaient liés avec Naçr ed-Din. Chaque jour ils lui envoyaient dire ce qui se passait dans la citadelle.
    Quand ils virent que la plupart étaient résolus à descendre, ils le lui firent savoir. Naçr décréta aussitôt «que les habitants de la citadelle, à l'exception des montagnards, n'auraient rien à donner à personne, qu'ils ne descendent pas de la citadelle mais qu'ils soient rassurés; que les montagnards seuls paieraient les frais de route des envoyés du roi et que, s'ils le voulaient, ils pourraient descendre.»
    Sur cette parole, les habitants de la citadelle se séparèrent les uns des autres. Les montagnards descendirent, avec leurs familles, près de Naçr sans rencontrer d'obstacle; on les laissa aller au village de 'Amkava, mais le lendemain on les en tira pour les massacrer.
    Dès lors, il ne restait dans la citadelle ni chef, ni directeur, ni conseiller, ni homme instruit. L'envoyé royal était demeuré seul dans la résidence patriarcale. Bientôt il descendit et les abandonna sans secours, dans des pleurs amers et des gémissements retentissants: «Hélas! quelle heure pleine de malheurs! Hélas! quel moment triste et rempli d'affliction!» S'il restent: pas même un seul homme qui ait la force de puiser l'eau! Qui organisera le combat?
    La faim s'empara d'eux complètement. Le froment déjà épuisé se vendait huit zouz la livre(41). Qui peut trouver du sel? Ils ont déjà mangé les ânes, les chiens, les chats(42). Il ne restait plus de vieux cuirs. Ils vivaient de groumê, c'est-à-dire de graines de cotonnier(43). Les veuves tendaient la main et il n'y avait personne pour guérir leur désolation. Personne absolument pour ensevelir les défunts! Qui a la force de creuser les fosses? Qui prend pitié et qui est miséricordieux? Qui donne l'aumône? Les orphelins sont morts sur le fumier. Les uns tombèrent et se desséchèrent dans leurs demeures; d'autres se jetèrent eux-mêmes du rempart: ceux d'en bas les reçurent avec le glaive et les mirent en pièces.
    O hommes honorés que le Seigneur a méprisés! O hommes honorables que Dieu a rejetés! O peuple auquel il ne reste plus d'intercesseur! qui n'a plus de qui attendre du secours!
    Venez et voyez combien est sévère le châtiment de Notre Seigneur pour ceux qui ne se convertissent pas! Combien dur est ton bâton, ô notre Dieu! Combien tes coups sont funestes, ô notre providence! Combien cruelles sont tes verges, ô notre médecin! Tu as détourné ton visage, et la couronne est tombée de leur tête(44), et leurs joies se sont changées en deuil(45). Ils ont pleuré jour et nuit; les larmes coulaient sur leurs joues et ils n'avaient point de consolateur parmi tous leurs amis(46). Tous gémissent et demandent du pain(47); leurs yeux sont obscurcis par les larmes, leurs entrailles sont émues, leur foie s'est répandu sur la terre à cause de la ruine de leur citadelle. Les enfants et ceux qui sont encore à la mamelle ont dit à leurs mères: «Où est le pain? Où est l'huile?» Ils tombent en défaillance en leur présence comme des blessés à mort(48); ils demandent du pain et il n'y a personne pour le rompre et le leur donner. Ceux qui mangeaient voluptueusement gisent maintenant dans les rues; ceux qui avaient grandi dans la pourpre dorment sur le fumier(49). Leur visage est devenu plus noir que le charbon et ils sont méconnaissables. Leur peau s'est attachée à leurs os; elle s'est desséchée et est devenue comme du bois. Plus heureux ceux qui ont péri par le glaive que par la faim. Des femmes mangèrent leur fruit; des mains miséricordieuses firent cuire leurs enfants qui devinrent leur nourriture(50). Les enfants et les vieillards furent couchés à terre. Les vierges et les jeunes gens ont été couverts d'ignominie. Les hommes ont été immolés, et le Seigneur n'a pas eu pitié d'eux(51)! Des flèches ont pénétré leurs reins. Ils sont devenus un objet de dérision pour toutes les nations(52), car le Seigneur a accompli sa fureur, il a répandu la colère de son indignation(53); c'est pourquoi leurs observateurs ont observé en vain(54). Et dès lors ils crient avec le prophète en disant: «Nos péchés se sont dressés contre nous, notre force a été affaiblie. Le Seigneur nous a livrés à une main contre la puissance de laquelle nous ne pouvons rien(55). Il est juste le Seigneur que nous avons offensé. Entendez, peuples! et voyez notre douleur. Nos vierges et nos jeunes gens sont partis en captivité(56); nos jeunes hommes et nos hommes faits ont été massacrés. Que dire? Que nos prêtres nous ont trompés et ne nous ont pas avertis à propos de nos péchés(57)? A Dieu ne plaise! Ils nous ont exhortés, et nous n'avons pas entendu. Ils nous ont réprimandés, et nous n'avons pas prêté l'oreille. Nons les avons méprisés. Nous ne les avons pas bien accueillis. Nous n'avons pas eu pitié de nos vieillards. Nous avons opprimé les veuves. Nous avons persécuté nos pauvres. Notre iniquité est plus grande que celle de Jérusalem. Notre malice dépasse celle du temps de Noé. C'est pourquoi le Seigneur a fait tout ce qu'il a médité. Il a accompli sa parole, comme il a décrété depuis les temps anciens. Il nous a renversés! Il n'a pas eu pitié de nous! Il a réuni les ennemis autour de nous. Il a élevé au-dessus de nous l'affluence de nos oppresseurs(58). Tous nos ennemis ont ouvert leur bouche contre nous. Ils ont sifflé et grincé des dents. Ils ont vendu au loin nos enfants. Ils ont souillé nos vierges en notre présence. Ils ont insulté nos femmes devant nos yeux(59). Et ils disent: «Nous vous dévorons! Voilà le jour que nous attendions, nous l'avons trouvé, nous l'avons vu de nos propres yeux(60)!»
    Le peuple arabe monta à la citadelle avec Toghan et Naçr, le mercredi 1er de Tamouz de cette année qui était l'an 1621 des Grecs (juillet 1310).
    Ils s'en emparèrent.
    Ils tuèrent tous ceux qu'ils trouvèrent et n'épargnèrent personne. Ils saisirent tous ceux qu'ils virent. Ils pillèrent le trésor et enlevèrent les richesses. Ils précipitèrent du haut du mur les montagnards, les Cayatchiyé, qui étaient restés, tandis que ceux qui étaient en bas les recevaient avec le glaive et les achevaient. Ils vendirent pour la plupart les femmes et les jeunes filles, ou les donnèrent à tout venant et les offrirent en cadeau. En un mot, ils mirent au jour toute la malice qui était cachée dans leur coeur.
    Et nous, avec ce même prophète, disons: «Tressaillez, habitants d'Arbèle! La coupe approche aussi de vous. Vous serez affligés et agités(61) [?] et il n'y aura personne pour vous délivrer. Car le Seigneur se souviendra de ce qui a été fait à son peuple et comment son héritage a été pillé(62). Le Seigneur est bon pour quiconque espère en lui et pour celui qui le cherche(63). Il vous rendra l'angoisse du coeur. Ses coups vous poursuivront; dans sa colère il vous perdra et vous fera disparaître de sous les cieux(64), parce que vous avez détruit ses églises et que vous avez mis en pièces les brebis de son bercail. Et tous ceux qui passeront sur la route battront des mains sur vous, siffleront, branleront la tête et diront: «Voilà cette Arbèle que le Seigneur a maudite(65)!!»


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1. Cet intéressant épisode du règne d'Oldjaïtou paraît avoir été ignoré ou plutôt complètement passé sous silence par les historiens des Mongols.
2. Cfr. ci-dessus, chap. XIV, n. 3.
3. Ce Naçr était le frère de l'émir Hadji Dilcandi et jouissait d'une assez grande influence à la cour.
4. Voir plus haut, chap. XIV.
5. Cf. Exod., X,1; XIV, 4, 17.
6. Voir ci-dessus, chap. XIV, n. 3.
7. Dans les passages de ce chapitre que nous venons de traduire le texte paraît quelque peu altéré.
8. Littéralement: les conseils d'Achitophel, du nom du conseiller de David qui entra dans la conjuration d'Absalon contre son père. Cfr. II SAM., XV; I Chron., XXVII, 33.
9. Cet émir est probablement le même que D'OHSSON appelle Soutaï; il combattit contre Baïdou en faveur de Cazan, et il se distingua par ses talents militaires sous le règne de ce dernier, principalement pendant la troisième expédition en Syrie. Cfr. ci-dessus, chap. XVI, n. 10.
10. Cet émir, qui semble avoir été un des principaux instigateurs de la persécution contre les chrétiens, était un homme d'un caractère fourbe et violent. C'est lui qui exécuta le célèbre vizir Raschid ed-Din en le coupant par le milieu du corps (Cfr. ci-dessus, chap. XIV, n. 12). Lui-même fut mis à mort le 15 novembre 1317, par l'ordre de Tchoban qui avait appris que cet officier avait formé, avec d'autres émirs, le complot de lui ôter la vie. Cfr. D'OHSSON, IV, 611, 612. Dilcand est un village du canton de Simnan, dans le Khoraçan (ibid. note).
11. Lire le mercredi 11; l'auteur parle très exactement un peu plus bas du samedi 14.
12. Souti.
13. Il a déjà été question plus haut (chap. III) de ce couvent qui est simplement désigné, dans plusieurs passages des historiens, par ces mots: «Mar Mikaël dans la région d'Arbèle.» Notre auteur nous apprend qu'il ce trouvait dans le village de Tarcel, situé lui-même à moins de dix heures de marche d'Arbèle comme il est permis de déduire d'un passage qu'on lira à la page suivante. D'après cela, sachant par Bar Hébréus que le couvent se trouvait entre Mossoul et Arbèle, je crois pouvoir identifier Tar'el avec le village de Terdjilla, situé à environ 30 kilom. de Mossoul et 55 d'Arbèle. La conformité des deux noms rend cette opinion encore plus vraisemblable. - Les restes de Mar Jabalaha furent transportés dans ce couvent lorsque les Musulmans s'emparèrent de celui de Maragha. Cfr. ci-dessous, chap. XIX.
14. «Hanitha Assyriae civitas [episcopalis] sub Adiabenis metropolita de qua nihil certi comperi, nisi quod Nuhadrae proxima sit atque Maaltae: quippe trium illarum urbium unus aliquando episcopus fuit, adeoque Hanita ad provinciam Arbelae sive Adiabenes pertinuisse videtur.» LEQUIEN, Oriens Christianus, t. II, p. 1233. - Voir une ample dissertation sur le site de Hanitha, dans HOFFMANN, Auszüge aus der syrischer Akten, etc., p. 216-222.
15. Je ne sais quel était ce métropolitain. Ce n'était évidemment pas celui d'Arbèle, car il se nommait Abraham, ainsi que nous l'avons vu plus haut, et son successeur immédiat fut Joseph qui passa du siège de Mossoul à celui d'Arbèle (Cfr. ci-dessous, chap. XIX). Un peu plus bas, ce même Jésusabran est simplement appelé évêque et non métropolitain.
16. C'est-à-dire celles des Nestoriens
17. Cfr. ci-dessus, chap. XV, n. 32.
18. Peut-être faut-il lire Manoueh. Cfr. ci-dessus, chap. XV, n. 34.
19. Je n'ai pu identifier ce village qui devait être situé à moins d'une journée de marche d'Arbèle, avec aucune des localités marquées sur les cartes.
20. Issen Koutlouk était un des familiers du prince Oldjaïtou qu'il avait accompagné dans son apanage du Khoraçan. Il revint avec lui à Tauriz lors de son intronisation. D'OHSSON (IV, 480) l'appelle Uveïs-Coutloug.
    Il demeura dans l'entourage du prince, mais ne paraît pas avoir joui sous son règne d'une très grande faveur. La raison en est peut-être que, au moment où Oldjaïtou passa de la secte mahométane des Sunnites, qu'il avait embrassée en abandonnant le christianisme, à celle des Seyids, Tchoban et Issen Koutlouk, tous les deux zélés Sunnites, furent les seuls émirs qui refusèrent d'imiter le roi dans son changement de rite. Abou-Saïd donna le commandement général des troupes du Khoraçan à Issen Koutlouk qui joua un rôle important dans les luttes qui ensanglantèrent cette contrée sous le règne de ce prince et sous celui d'Arpagaoun, son successeur.
21. Sous le nom de vendredi des Confesseurs, les Nestoriens, comme les Jacobites, désignent le vendredi qui suit la fête de Pâques, dans lequel ils honorent la mémoire de tous les saints martyrs. Ils ignorent, en effet, l'acception du mot confesseur au sens où il est actuellement pris dans la liturgie latine.
   Les envoyés arrivèrent donc à Arbèle le 21 avril.
22. Souti était, comme nous l'avons vu plus haut, gouverneur du Diarbékir.
23. Toghan était un des principaux officiers de la cour. Il avait combattu, sous les ordres du généralissime Koutloukschah, d'abord en Syrie, pendant la troisième campagne de Cazan, puis dans le Gilhan au commencement du règne d'Oldjaïtou. Il fut ensuite envoyé, par Abou-Saïd, dans le Khoraçan et se mêla dans cette contrée à plusieurs intrigues.
24. Cfr. JEAN, X.
25. Le vizir Sa'd ed-Din Saoudji avait été mis par Oldjaïtou à la tête du département des finances conjointement avec Raschid ed-Din. Ces deux hommes, après avoir été unis de la plus étroite amitié, se brouillèrent. Un favori du sultan, Ali Schah, qui devait plus tard perdre Raschid lui-même, accusa Sa'd ed-Din de malversation. Ce dernier fut exécuté, avec plusieurs de ses employés, le 19 février 1312 (Cfr. D'OHSSON, IV, 482, 542-544).
26. Cfr. ci-dessus, chap. XIV, n. 12.
27. Cfr. ci-dessus, chap. XVII, n. 3.
28. Cfr. MATTH., V, 44.
29. On ne voit pas clairement le sens que ce mot peut avoir ici. Peut-être désigne-t-il les Juifs qui habitaient la ville? Peut-être aussi s'agit-il d'une tribu arabe dont le nom serait défiguré?
30. Litt.: émir el-oméras, généralissime.
31. Tchoban, fils de Mélik et petit-fils de Toudan Bahadour de la tribu des Seldouze, se distingua par ses talents militaires et ses qualités d'homme d'État. Il avait combattu en faveur de Cazan dans le Khoraçan; il accompagna ce prince dans sa troisième expédition de Syrie, et reçut à la suite quelques coups de bâton en punition de ses revers; sous Oldjaïtou, il prit part à l'expédition du Ghilan et reçut à son retour le commandement du corps d'armée de Koutloukschah qui avait été tué dans cette campagne. Il avait épousé, en 1307, Dilendi, fille d'Oldjaïtou. En 1314, il fut chargé d'apaiser les soulèvements du Roum. A l'avènement d'Abou-Saïd, il fut nommé généralissime. Il gouverna véritablement et mécontenta la plupart des grands qui formèrent le complot de le tuer; mais il échappa et se vengea cruellement.
    Cependant, quand Abou-Saïd eut atteint sa vingtième année, il commença à devenir jaloux de l'autorité dont jouissait Tchoban et fut surtout mécontent de ce que celui ne voulut pas lui livrer sa fille, Bagdad-Khatoun, déjà mariée à Scheïk-Hassan. De plus, un des fils de Tchoban, Dimaschk, s'étant livré impunément à toute sorte d'excès, pendant que son père était dans le Khoraçan, Abou-Saïd le fit tuer et donna même l'ordre aux généraux qui commandaient près de Tchoban de mettre ce dernier à mort. Ceux-ci hésitèrent et communiquèrent à Tchoban l'ordre qu'ils avaient reçu. Tchoban réunit soixante-dix mille hommes et marcha contre Abou-Saïd. Bientôt, abandonné par les généraux qui lui avaient juré fidélité, il se réfugia à Hérat; mais il fut trahi également par le Mélik de cette ville, qui le fit arrêter, et craignant le ressentiment d'Abou-Saïd, ne voulut pas même faire conduire Tchoban près du Khan. Il le fit mettre à mort ainsi que tous les officiers de sa suite (1327). - Ce généralissime que nous voyons si favorable au Catholique Jabalaha est très probablement le personnage désigné sous le nom de Zoban Begilay (= Beylerbey i. e. généralissime) dans un bref que le pape Jean XXII lui adresse d'Avignon, le 22 novembre 1321, où il lui mande qu'il a appris de Jacques et de Pierre, de l'Ordre des Frères Mineurs, «porteurs des présentes», que Zoban traite avec beaucoup de bonté les chrétiens établis dans le royaume du Khan de Perse; ce qui lui donne l'espoir que ses yeux s'ouvriront à la lumière de la foi. Il prie sa prudence de continuer à protéger les chrétiens et lui recommande les dits frères, qui se rendent dans les États du Khan pour travailler au salut de Zoban et des peuples soumis à son souverain.
32. Voir plus haut.
33. Cfr. Eccl., XX, 1.
34. L'émir Gaïdjak avait épousé Toutoukaï ou Boudakaï, quatrième fille de Houlaghou, née d'une esclave de l'ordou de Dokouz-Khatoun. Il n'est donc pas extraordinaire qu'elle ait été favorable aux chrétiens. Elle fut mariée en premier lieu au Ouïrat Tendjkir ou Tenker Kourkan; elle épousa ensuite le fils de celui-ci, Soulamisch, et, après la mort de ce dernier, elle devint la femme de son fils Gaïdjak ou Jijak Kourkan. Elle fut ainsi successivement l'épouse du père, du fils et du petit-fils (cfr. HOWORTH, History of the Mongols, t. III, p. 213).
35. En assurant qu'il etait un rebelle.
36. C'est-à-dire: «Je passerai pour un rebelle.»
37. Thren., I, 19-22; selon la version Peschithta.
38. Toghan.
39. Aujourd'hui Aïnkawa, à 2 kil. environ au N.-O. d'Arbèle: «C'est un village chaldéen de deux-cent cinquante familles, avec plusieurs écoles et sept prêtres. La plupart des habitants sont agriculteurs. Actifs au travail, ils ont mis en plein rapport la meilleure partie de la plaine et leur village est devenu le grenier du pays.» CUINET, La Turquie d'Asie. Géographie administrative, t. II. p. 858. Ce lieu est indiqué sur la carte de Ritter avec l'orthographie 'Ain Chawa. - Cf. HOFFMANN, Auszüge, etc., note 1893.
40. Lire: dimanche 28.
41. La valeur des poids, comme celle des monnaies, a beaucoup varié avec le temps, et il est impossible de la déterminer avec précision. Le lexicographe BAR 'ALI dans son dictionnaire (au mot dinar) dit que la livre contient 6,112 beaux grains d'orge.
42. Les kakouschiaté, littéralement les ichneumons, qui autrefois remplissaient dans les maisons le rôle des chats (R. DUVAL). Les ichneumons ou mangoustes sont des mammifères carnassiers assez semblables, pour l'aspect, à la fouine ou au furet. Ces animaux encore très communs en Égypte y sont vulgairement connus sous le nom de rats de Pharaon.
43. Les graines du cotonnier fournissent une huile assez bonne a manger, mais que l'on emploie surtout maintenant à la fabrication du savon. Les tourteaux qui résultent de l'extraction de cette huile sont très recherchés comme aliment pour le bétail.
44. Cfr. Thren., V, 16.
45. Cfr. Thren., V, 15.
46. Cfr. Thren., I, 2.
47. Cfr. Thren., I, 11.
48. Cfr. Thren., II, 11-12.
49. Cfr. Thren., IV, 4-5.
50. Cfr. Thren., IV, 5-10
51. Cfr. Thren., II, 21.
52. Cfr. Thren., III, 13-14.
53. Cfr. Thren., IV, 11.
54. Cfr. Thren., IV, 16.
55. Cfr. Thren., I, 14.
56. Cfr. Thren., I, 18.
57. Cfr. Thren., II, 14.
58. Cfr. Thren., II, 17.
59. Cfr. Thren., V, 11.
60. Cfr. Thren., II, 16.
61. Cfr. Thren., IV, 21.
62. Cfr. Thren., V, 1.
63. Cfr. Thren., III, 25.
64. Cfr. Thren., III, 65-66.
65. Cfr. Thren., II, 15.