Il est impossible que les décrets
divins ne reçoivent pas leur accomplissement, et les dispositions
de la Providence admirable de Dieu n'ont d'autre but que leur réalisation.
Il permit donc que des montagnards,
les Cayatchiyé (habitants des rochers élevés(2)),
eussent des dissentiments entre eux. Quelques-uns
allèrent trouver le roi pour se plaindre de leur émir Zaïn
ed-Din Balou, qui était chargé de distribuer la solde à
un corps de trois mille hommes. Le roi s'irrita contre lui et le fit enfermer
dans la prison pendant un an.
A ce propos le roi victorieux envoya
à la citadelle d'Arbèle un Arabe méchant et rempli
d'intentions perverses, nommé Naçr(3). Ce
fut l'occasion pour cet Arabe d'accomplir le dessein qu'il avait déjà
tenté de réaliser en l'an 1608 des Grecs (1297)(4).
Tous les enfants d'Hagar, grands et petits, nobles et plébéiens,
émirs et soldats, scribes et secrétaires, gouverneurs et
conseillers, réunirent leurs efforts pour reprendre aux chrétiens
la citadelle d'Arbèle et faire périr ses habitants.
Il faut dire, il est vrai, que les
habitants de la citadelle, et les autres qui étaient avec eux, avaient
le coeur endurci, qu'ils avaient entièrement abandonné la
voie du christianisme, qu'ils méprisaient
complètement les lois divines, tournaient en dérision les
moines et les prêtres et s'opprimaient mutuellement; ils transgressaient
totalement les préceptes du Seigneur, de sorte qu'il n'y avait plus
accès, chez eux, ni à la correction ni à l'instruction.
La haine s'était accrue, la rancune s'était
emparée de leur coeur; ils s'accusaient les uns
les autres; ils se maltraitaient, se frappaient, se persécutaient,
se volaient, se haïssaient, se réunissaient par bandes et attaquaient
les maisons des riches; en un mot, ils se permirent de commettre toutes
sortes d'iniquités. Personne ne se préoccupait, personne
n'avait peur de la colère véhémente ou du châtiment,
[personne ne songeait que] de tels événements viennent de
Dieu dont la Providence les accomplit quand elle a des raisons
[pour cela].
Ainsi, la raison pour laquelle Dieu
décréta la mort contre l'homme fut la transgression du précepte.
Quand on dit qu'il endurcit le coeur du Pharaon pour infliger le châtiment,
et d'autres choses semblables, ce sont des figures; mais le but de la Providence
doit s'entendre selon ce qui est dit à Pharaon: «Je t'ai amené
pour montrer en toi ma force et pour que mon nom soit proclamé par
toute la terre,» et selon cette autre parole: «Que le Seigneur
endurcit le coeur de Pharaon pour qu'il ne le connaisse pas, afin de montrer
sa puissance sur toute la terre(5).»
Les mêmes choses arrivèrent
au coeur des montagnards, qu'on appelait Cayatchiyé(6);
les habitants de la citadelle d'Arbèle furent endurcis et privés
du secours divin, pour faire connaître les propriétés
de la Providence et pour enseigner les secrets de sa nature glorieuse.
Mais, parce que Dieu souverainement adorable sait, avant d'amener l'homme
à l'être, quel but atteindra sa volonté, il le dirige
et le châtie selon la connaissance qu'il a par sa prescience(7).
Ce Naçr dont nous avons parlé
plus haut vint à la citadelle et entra dans une tour près
de la porte. Il n'en sortit plus; mais il faisait venir en secret des armes,
des munitions et des soldats, puis il mandait au camp que ces gens étaient
des rebelles, c'est-à-dire des ennemis du roi [révoltés]
à cause de leur émir qui était en prison. Plus il
agissait en ce sens, plus les habitants de la citadelle montraient de malice.
Mais ils ne purent lui nuire en rien. Il avait pour lui à peu près
tout le peuple et l'or de tout l'islamisme; chez eux, au contraire, on
ne pouvait pas même en trouver un qui voulût aider son voisin
d'une obole. Il avait pour lui les conseils perfides(8)
de tous les scribes et de tous les chefs, eux n'avaient pas un homme soit
parce qu'ils s'enivraient de vin et perdaient leurs sens, soit à
cause du grand abandon dans lequel Dieu les laissa parce qu'ils avaient
fait toute sorte d'oeuvres mauvaises. Ils ne craignaient point les justes
jugements ni la correction du Seigneur.
Et de là qu'arriva-t-il?
Des envoyés du roi, après
bien des allées et venues, dirent: «Allons, chrétiens,
descendez de la citadelle!» Ceux-ci n'obéirent point. Ils
avaient pris la résolution absolue de résister.
En les voyant agir ainsi, les Arabes
se réjouissaient et tressaillaient d'allégresse: ils entrevoyaient
que leur dessein allait recevoir son accomplissement.
Le mal empirant, le roi adressa un
ordre à un émir nommé Souti(9), qui
se trouvait alors dans la contrée de Diarbekir. - Il y avait aussi
un certain Hadji Dilcandi(10), frère du susdit
Naçr, qui était dans la citadelle. - Il prescrivait que les
Cayatchiyé sortissent de la citadelle, sinon on devait l'assiéger
et la prendre de force; les troupes royales devaient être réunies
pour organiser une attaque en règle.
Le Catholique, comme il était
en faveur à la cour, ne croyait pas qu'on mettrait cet ordre à
exécution contre la citadelle tandis qu'il l'habitait, ni les chrétiens
qu'on ferait cela tant que le Catholique était auprès d'eux.
Ils ne se préoccupèrent
ni de ce qu'il y avait lieu de faire, ni d'aller au camp exposer ce qui
leur advenait. Ils se plongèrent dans le sommeil de la négligence
jusqu'à ce qu'ils fussent atteints par certains événements
qu'ils ne pensaient pas devoir arriver.
Le mercredi, neuf du mois d'Adar(11)
de cette année (mars 1310), pendant le carême, le fils de
l'émir mentionné plus haut(12), accompagné
de trois généraux, monta près du patriarche pour lui
ordonner de descendre avec les chrétiens, et le menacer de l'emprisonner
s'il refusait.
Le lendemain [jeudi], on le fit, en
effet, descendre de force, et dès lors la crainte et le gémissement
régnèrent dans la citadelle.
De mauvais présages se montraient.
On conduisit le Catholique au couvent
de Mar Mikael, à Tarcel(13). L'émir
Souti vint le trouver avec ses troupes, les commandants de régiments,
etc., et lui témoigna beaucoup d'égards. Il était
souvent venu autrefois à la résidence, avait été
en rapport d'amitié avec Monseigneur le Catholique et avait été
traité par lui avec beaucoup d'honneur au temps du roi défunt,
Cazan.
Il dit au patriarche: «L'ordre du roi est
que les montagnards descendent de la citadelle et que les autres y demeurent.
Ils ne te désobéiront pas. Envoie donc un de ceux qui sont
auprès de toi de ta part pour les faire descendre.»
Dès le lendemain matin - qui était
un vendredi - le Catholique fit conduire des boeufs, des moutons, et du
vin à la demeure de l'émir susdit. Il lui présenta
la coupe, selon l'usage des Mongols, et lui fit monter un beau cheval pour
calmer ses esprits. Les Arabes qui étaient là, Hadji Dilcandi,
le scheik Mohammed, gouverneur d'Arbèle, et le frère de celui-ci
nommé Ahmed, murmuraient fort contre les chrétiens et aussi
contre le Catholique lui disant: «Personne en dehors de toi ne les
fera descendre de la citadelle.» Mais l'émir, considérant
le présent qui lui avait été offert par le Catholique,
ne les écoutait pas.
Enfin, ils convinrent de leur envoyer une députation
pour leur conseiller de descendre. Le Catholique envoya un des évêques
qui se trouvaient près de lui, Mar 'Abdischô', évêque
de Hanithâ(14); et l'émir envoya un
des commandants d'armée nommé Sati-bag, pour s'entendre avec
eux et leur conseiller de descendre.
Après s'y être rendus, après
avoir parlé avec eux, avoir essayé tous les moyens de persuasion
et leur avoir fait les plus belles promesses, ils ne furent ni accueillis
ni écoutés. Ils rebroussèrent chemin et revinrent
près de ceux qui les avaient envoyés, le samedi 14 d'Adar
(mars). Dès que l'émir Souti connut la nouvelle, il se rendit
près du Catholique et lui dit: «Ceux-ci sont vraiment rebelles,
c'est-à-dire ennemis [du gouvernement].»
Le Catholique leur adressa encore un second message.
Il leur écrivit lui-même une exhortation à descendre,
qu'il remit aux mains des évêques qu'il leur envoya, Mar Jésusabran,
le métropolitain(15), Mar 'Abdischô' susnommé,
avec les moines Rabban David le Reclus et Rabban Denha, directeur du couvent
de Mar Mikael, à Tarcel. Ceux-ci partirent la nuit du
dimanche ênhau dtê'ô1 et, dès la pointe
du jour, ils entrèrent dans la citadelle et s'entretinrent avec
les habitants qui se décidèrent à descendre.
Lorsque Naçr apprit la nouvelle il éleva
le signal convenu entre lui et les habitants de la ville: au moment où
l'on dresserait ce signal sur le toit de la tour dans laquelle il s'êtait
établi, ceux-ci devaient monter près de lui et s'organiser
pour le combat.
Les malheureux à qui l'on avait conseillé
de descendre, qui se trouvaient dans l'église, en voyant les glaives
qui scintillaient et les traits acérés qui tombaient sur
eux, se précipitèrent non sans difficulté vers la
porte de la citadelle et se mirent eux-mêmes à combattre,
depuis quatre heures du jour jusqu'au soir et encore toute la nuit. Il
y eut trois Arabes et douze chrétiens de tués; et si ceux-ci
n'eussent jeté du feu toute la nuit sous la tour en question ils
eussent été massacrés tous sans la moindre difficulté.
A cette nouvelle, l'émir Souti et les troupes
qui étaient avec lui s'empressèrent d'aller cerner la citadelle.
Ils emmenèrent avec eux de force le Catholique qui pleurait. Le
jour même ils arrivèrent au pied de la citadelle. Ils disaient
au Catholique: «Ne les laisse pas se ranger pour le combat.»
Dans la nuit du [dimanche au] lundi, quelques hommes
descendirent de la citadelle: Dieu les délivra. Le patriarche était
retenu prisonnier avec eux et les évêques de sa suite.
Le lundi, dès le matin, l'émir Souti
et les siens contraignaient Monseigneur le Catholique d'envoyer dire aux
habitants de la citadelle de laisser descendre Naçr avec tout ce
qu'il avait. Le Catholique envoya l'évêque Jésusabran
et le moine reclus Rabban David.
Quand les Arabes les virent, ils massacrèrent
sans pitié Rabban David et frappèrent Jésusabran du
glaive et du bâton; mais Dieu le délivra de leurs mains. Il
s'enfuit et revint.
Le mal s'aggrava. Le moment du châtiment
arrivait et déjà les armées des Arabes et des Mongols
avaient commencé à construire des terrasses d'approche et
diverses machines pour une attaque en règle.
Quant aux chrétiens qui étaient
dans la ville, dès que Naçr eut levé le signal fatal,
ils furent massacrés dans les rues et dans les places publiques.
Beaucoup s'enfuirent et se réfugièrent dans les maisons des
Musulmans; des hérauts les en firent sortir et dans la journée
du lundi ils périrent sans miséricorde dans un cruel massacre.
Quelques-uns qui étaient dans
la prison de leur Qadi furent amenés et cruellement flagellés
jusqu'à ce que la mort s'ensuivit. Les femmes jeunes furent dépouillées
de leurs vêtements et promenées par les rues de la ville,
les femmes enceintes furent éventrées, leurs enfants mis
à mort et leurs cadavres jetés devant la porte de la citadelle.
On envoya dire ensuite à l'émir Souti: «Envoie, émir,
voir comment ils massacrent les musulmans et les jettent à la porte
de la citadelle.» Lui, dans sa simplicité, les crut et leur
permit de saccager les quatre églises qui se trouvaient en bas,
les deux nôtres(16): celle qui est bâtie
sous le vocable de Jésusabran, l'illustre martyr(17),
et celle qui est construite sous le nom de Man'you(18);
l'église des Jacobites, sous le vocable de Madame Marie, et l'église
des Arméniens. Elles furent rasées jusqu'à terre ainsi
que les maisons et les enclos des chrétiens et la résidence
du siège métropolitain.
L'émir envoya dans toute la
contrée: il rassembla des hommes pour préparer l'attaque
et fit descendre les Kurdes de leurs montagnes. Les chrétiens des
villages ne pouvant plus se réfugier dans la ville, durent donner
des sommes considérables pour l'armement et la nourriture des troupes.
Une attaque vigoureuse était dirigée, jour et nuit, contre
la citadelle des quatre côtés à la fois. Il y périt
un grand nombre d'assiégés et d'assiégeants, de Kurdes
et d'Arabes, mais pas de Mongols, car ceux-ci ne s'étaient pas approchés
et se contentaient de lancer des flèches de loin. Les routes furent
coupées aux chrétiens, là et en tous lieux; partout
où on les voyait on leur criait: «Êtes-vous de la citadelle?»
ou bien: «Ce sont des fuyards!»
Le vertige de la mort s'emparait de
chacun. Le Catholique n'obtenait point de secours en oeuvre et très
peu en parole de ceux qui le tenaient. On le gardait de près pendant
la nuit et de loin pendant le jour. Il ne savait pas ce qui allait lui
arriver. Ses pensées étaient troublées pour lui-même
et pour la citadelle. Il trouva cependant occasion d'écrire au métropolitain
d'Arbèle qui s'était enfui au village de Beth Çayâdé(19).
Irrité contre les habitants de la citadelle qui n'avaient pas voulu
l'écouter, il s'était réfugié à Beth
Çayâdé avec tout ce qu'il avait et s'était fixé
en cet endroit. Le Catholique disait au métropolitain: «De
quelle utilité sera ta délivrance si tu ne vas au camp?»
Deux jours après, l'émir
Souti expédia le Catholique sous escorte et le fit conduire à
Beth Çayâdé.
Le métropolitain partit, accompagné
d'un jeune homme, la nuit même où la lettre lui parvint. En
quatre jours il gagna Bagdad et se rendit au camp. Il fit connaître
ce qui était arrivé au Catholique et aux chrétiens.
Les émirs du camp étaient déjà au courant de
toutes ces nouvelles, car l'émir Souti avait expédié
des messagers pour faire savoir au camp tout ce qui avait été
fait par lui. Le Catholique, de son côté, avait écrit
à un des serviteurs de la résidence pour lui dire ce qui
était arrivé. Or, celui-ci alla faire connaître et
exposer la situation aux émirs et aux notables et les entretint
du massacre des chrétiens. Les émirs qui n'avaient point
connaissance de cette affaire en furent très affligés. Ceux
qui avaient commis le crime avaient gardé le silence.
Le métropolitain lui-même
arriva en toute hâte et raconta la chose devant tous les émirs.
Un édit royal fut envoyé par un messager à Souti;
il renfermait ces paroles: «Tu nous exposes les choses ainsi, et
le Catholique autrement. Lequel de vous deux croirons-nous et approuverons-nons?»
Cela empêcha un peu le mal.
Souti, en entendant ces paroles, fut contrarié
et s'enflamma de colère. Il envoya chercher le Catholique et le
fit amener: «Tu as écrit ainsi?» lui dit-il.
Tout le peuple arabe vociférait contre le
Catholique, et chacun criait ce qu'il voulait.
Le Catholique répondit: «Je n'ai rien
écrit, mais un tel, métropolitain de l'endroit, est allé
parler en faveur de sa maison et de son diocèse.»
On lui dit: «Maintenant, fais descendre ces
rebelles, selon l'ordre du roi, ou déclare par écrit qu'ils
sont révoltés.»
Le Catholique envoya auprès des habitants
de la citadelle le métropolitain de Mossoul, accompagné de
[deux] jeunes gens de la résidence, pour les exhorter; mais ils
eurent peur de descendre. Il y avait réellement des rebelles parmi
eux et ceux-ci, craignant d'être mis à mort, persuadaient
aux autres de ne pas descendre.
Dès lors le Catholique fut malmené
par Souti et les siens. Ils le tourmentaient: «Donne-nous un écrit
que nous puissions envoyer et faire connaître au roi, constatant
qu'ils sont rebelles.» Ils lui enlevèrent et lui prirent tout
ce qu'il avait avec lui. Plusieurs de ceux qui étaient descendus
de la citadelle se trouvaient près de lui: les uns furent massacrés,
les autres vendus. Enfin, ils lui arrachèrent par force, ainsi qu'aux
évêques qui l'accompagnaient, un écrit tel qu'ils le
voulaient.
Le jour même, l'émir envoya Hadji Dilcandi
près du roi.
Dès son arrivée, celui-ci exposa l'affaire.
Un des émirs, nommé Assan Koutlouk(20),
le réprimanda et blâma son audace: il connaissaît, en
effet, la vérité et savait que cette lettre avait été
obtenue par force; il voulut même frapper Hadji qui s'esquiva. L'émir
Assan se rendit avec tous les conseillers près du roi, pour lui
exposer l'affaire. Le roi rendit un édit prescrivant de rétablir
la paix entre ceux de la citadelle et les Arabes, et de ne pas punir les
coupables, soit d'un parti, soit de l'autre, et défendant aussi
à qui que ce fût de continuer la lutte.
Cet édit fut rendu après beaucoup
de fatigues, de démarches, de peines de la part du métropolitain
et de ses compagnons. Il fut remis à des messagers royaux pour être
porté à Arbèle. Hadji Dilcandi s'en retourna plein
de confusion et le visage couvert de honte.
Deux disciples de la résidence accompagnèrent
les messagers chargés de l'édit et parvinrent à Arbèle
le jour du vendredi des Confesseurs(21). Aussitôt,
le pont de la citadelle qui avait été brûlé
fut rétabli. Ils firent la paix. Beaucoup de personnes descendirent
de la citadelle dans la region.
Mais, comme il a été dit précédemment,
les Musulmans donnaient à Naçr ainsi qu'à son frère
autant d'or qu'ils en voulaient pour faire des cadeaux. Ceux-ci rassasièrent
la cupidité des envoyés qui apportèrent la lettre
et leur persuadèrent de monter à la citadelle. Ils y montèrent
en effet. Mais là, personne ne leur présenta un tapis pour
s'asseoir, ni ne leur donna une bouchée de pain ou même une
obole.
Ces envoyés regrettèrent d'avoir fait
la paix et revinrent à des desseins méchants et cruels. Ils
menacèrent les jeunes gens de la résidence qui les accompagnaient.
L'un d'eux s'enfuit secrètement de la porte de la citadelle et alla
se réfugier à Beth Çayadé; ils le poursuivirent
mais ne purent le trouver. Ils s'emparèrent de son compagnon et
le gardèrent. Ces envoyés royaux coururent au village de
Beth Çayâdé. Ils emmenèrent le Catholique et
lui tinrent ce langage: «Ceux-ci ne descendront que sur ton ordre.
Viens; écoute l'ordre du roi.»
Quand il arriva à Arbèle, tout le
peuple des Arabes se rassembla près de Souti. Ils commencèrent
à attaquer violemment le Catholique. Celui-ci, à
cause de la grande confiance qu'il avait dans le gouvernement, leur répondait
par des paroles vives. De concert avec l'émir Souti, il réitéra
aux habitants de la citadelle l'ordre de descendre. Ils devaient jurer
sur l'Evangile qu'ils ne feraient aucun mal à Naçr; celui-ci
devait aussi jurer, et ainsi la paix serait rétablie. Beaucoup,
en effet, descendirent et jurèrent de ne pas lui faire de mal et
de lui obéir selon sa volonté. Mais, lorsqu'on fut assuré
qu'il montait avec trois cents hommes, on ferma de nouveau la porte, car
ils avaient le coeur fourbe.
Souti, en voyant cela, saisit tous
ceux qui étaient descendus et les massacra. Le disciple de la résidence,
compagnon de celui qui avait pris la fuite, fut violemment frappé
pendant qu'on l'interrogeait sur son compagnon. Le Catholique lui-même
put à peine le sauver. Ils s'emparèrent des juments et des
mules de la résidence et de tout ce qui appartenait aux disciples
et aux évêques qui l'avaient accompagné, même
des vêtements. Ensuite, ils dirent insidieusement: «Nous, nous
irons dans la place, au bas de la citadelle, et les notables de la ville
avec toi, en haut, pour que personne ne résiste plus et ne soit
plus excité au combat jusqu'à ce que le roi victorieux ait
été informé.» Le Catholique, dans sa simplicité,
accepta et monta à la citadelle, ignorant le piège que les
Musulmans lui tendaient pour le tuer.
Ce jour-là, arriva près
de l'émir Souti un messager de chez lui(22) pour
lui dire: «Les armées de la Palestine entrent dans la région
et, si tu tardes à venir, peut-être même que ta famille
sera emmenée en captivité.» A l'instant même
il partit ainsi que toutes les troupes qu'il avait avec lui, bien qu'il
souffrit d'une maladie grave. Il ne resta au bas de la citadelle que les
Kurdes et les habitants de la ville.
Le lendemain, le combat et le massacre
recommencèrent entre les deux partis. Les voies furent coupées.
La faim se fit sentir dans la citadelle. Quiconque sortait pour fuir ou
chercher des vivres pour les siens, était tué sans pitié.
Le Catholique ainsi que les trois
évêques qui l'accompagnaient et les disciples restés
près lui, furent enfermés dans la citadelle sans vêtements,
sans lit, sans provisions, sans vivres. L'épreuve devint plus dure,
le trouble augmenta, la terreur s'aggrava; il ne leur resta pas un défenseur,
ni un lieu de refuge, ni quelqu'un qui pût leur venir en aide en
disant une parole en leur faveur.
Quant aux envoyés, ils retournèrent
au camp avec Hadji Dilcandi et exposèrent au roi que les habitants
de la citadelle étaient des rebelles, que le Catholique les excitait
à la révolte, qu'il avait donné des présents
pour pouvoir monter à la citadelle, et là, avait ouvert les
trésors et partagé l'or aux rebelles, qu'il leur avait livré
des provisions de froment, des armes de guerre, des cordes et des machines,
et qu'il les encourageait à se préparer au combat.
L'irritation fut au comble dans le
coeur du roi et de ses grands. Il donna de nouveaux ordres en treize exemplaires,
adressés nommément aux émirs: à chacun des
émirs des Kurdes, aux quatre émirs du roi des Mongols et
au gouverneur du territoire d'Arbèle, prescrivant que: si quelqu'un
faisait monter des vivres à la citadelle ou lui en fournissait,
son village serait dévasté et massacré et, s'il possédait
des terres dans la région, ses propriétés seraient
confisquées et attribuées en propre au roi; de plus, on devait
organiser une attaque vigoureuse pour l'honneur de la confession ismaëlite.
Il donna à l'adresse du Catholique
un édit spécial dans lequel il était dit: «Nous
et nos pères, nous t'avons honoré pour que tu pries pour
nous et que tu nous bénisses; mais maintenant que tu agis autrement,
sache que ce qui t'arrive vient de toi-même et non pas de nous.»
Les édits furent remis à
un des officiers de la cour nommé Toghan(23) et
à Hadji Dilcandi lui-même, tous deux ennemis des chrétiens,
qui devaient venir à Arbèle et y accomplir leur dessein.
Le métropolitain d'Arbèle
était resté dans le camp encore trois jours après
l'envoi des messagers qui partirent avec deux disciples de la résidence
pour faire la paix. Il pensa: «Si les
habitants de la citadelle et les Arabes font la paix, ma présence
dans le camp n'est d'aucune utilité; si au contraire ils continuent
les hostilités, je ne puis rien dire sans l'avis du Catholique.»
Aussitôt, il se mit en route
en toute hâte et vint au village de Beth Çayadé; à
son arrivée il apprit que, ce jour-là meme, le Catholique
avait été emmené avec les évèques de
sa suite, comme il a été expliqué plus haut, et enfermé
dans la citadelle. Tous les chrétiens étaient plongés
dans la douleur, affligés, éprouvant une vraie tristesse
du coeur - et non des sourcils et des paupières, comme chez certains
- qui faisait fondre leur chair et dissolvait leurs os. Ils ignoraient,
en effet, ce qui leur arriverait entre les mains des Arabes et [ne savaient]
s'ils seraient délivrés ou non de cette persécution.
Comme ceux qui sont ballotés sur la mer, au milieu des flots et
des tempêtes, ils craignaient eux aussi d'être submergés
dans le péril de la persécution.
Le métropolitain ne savait
que faire. Il considérait que pour retourner au camp d'où
il arrivait les routes étaient coupées, qu'il n'avait pas
de compagnon et ne pourrait prendre conseil du Catholique; d'un autre côté,
s'il restait dans la résidence tandis que le Catholique et les évêques
étaient opprimés et enlevés, les chrétiens
tourmentés, il se rendrait coupable en transgressant la règle
de vérité, la loi du Christ, qui dit que celui qui est pasteur,
celui qui aime, doit se donner lui-même, se livrer à la mort,
mépriser la vie, supporter tous les tourments pour l'amour du Christ(24).
Il s'encouragea donc, prit avec lui les disciples de la résidence
qui avaient fui et s'étaient cachés, et partit du village
de Beth Çayadé, le soir du 6 du mois de Yar de cette année-là
(mai 1310).
Ils marchèrent nuit et jour,
à travers les montagnes et les plaines, les hauteurs et les bas
fonds, remplis de frayeur et craignant les embûches des ennemis,
sans tente ni provisions suffisantes.
Ils parvinrent, par la grâce
de Dieu, en dix jours, à la ville de Hamadan
ou ils avaient entendu dire que le roi victorieux se trouvait. Ils y entrèrent
le jour même où le roi était parti pour la capitale.
Le métropolitain et les disciples
se mirent en route le lendemain pour se rendre à Soultaniyeh. Là,
ils eurent connaissance des ordres donnés aux deux hommes dont nous
avons parlé plus haut, Toghan et Hadji Dilcandi, qui se préparaient
à partir pour aller à Arbèle. A cette nouvelle, leurs
mains faiblirent, leurs genoux tremblèrent, leurs yeux répandirent
des larmes sur le malheur de l'Église et sur tout ce qui était
arrivé à ses enfants. Ils prirent conseil des amis du Catholique
et des chrétiens pour savoir que faire. On leur répondit:
«N'épargnez ni vos biens ni ceux de la résidence, autrement
le Catholique est perdu et vous aussi; les églises seront dévastées
et les waqfs des chrétiens seront confisqués à cause
du Catholique.»
Le métropolitain prit aussitôt
avec lui la somme nécessaire et se rendit près d'un des émirs,
qui avait facilement accès auprès du roi. L'émir reçut
le métropolitain, le traita avec honneur, écouta ce qu'il
lui dit au sujet du Catholique et des chrétiens, et lui demanda
une relation de tout ce qu'il lui avait dit écrite de sa main, pour
la montrer aux émirs et au roi - Dieu lui accorde la victoire! afin
qu'ensuite le métropolitain puisse se présenter et exposer
de vive voix ce qu'il avait écrit à chacun des émirs
et des vizirs qui pourraient l'introduire devant le roi. Il fut présenté
à l'émir Assan Koutlouk, à Khodja Saïd ed-Din,
chef des scribes(25), à Khodja Raschid ed-Din,
le vizir(26).
Le métropolitain exposa l'affaire
avec confiance en ces termes: «Monseigneur le Catholique vous salue
et vous fait dire: «Vous savez, ô émirs,
qu'il y a maintenant trente-cinq ans que je suis venu de l'Orient, que
j'ai été placé sur ce siège par la volonté
de Dieu, que j'ai servi et béni sept rois en toute patience et crainte
de Dieu, surtout le père de ce roi victorieux, feu Argoun
et sa mère Ourgou-Khaton, qui était chrétienne(27).
Je n'ai fait de tort à personne. Je n'ai jamais rien désiré
des biens du gouvernement et, si j'en ai reçu des largesses, j'ai
dû les dépenser ensuite pour lui. Alors j'étais jeune.
Maintenant je suis un vieillard; je n'ai ni femme, ni enfants, ni parents,
ni famille. Serai-je tenté de me révolter contre le roi pour
l'amour du monde ? Puis-je avoir la pensée de lui dérober
quelque chose? Pourquoi donc ajoute-t-on foi aux paroles de mes ennemis
contre moi? Je n'ai éprouvé aucun mal de la part de ce roi
victorieux; mais, si même - ce qu'à Dieu ne plaise! - il arrivait
qu'il me maltraitât, l'évangile, ce livre dont je professe
la doctrine, m'ordonnerait de lui rendre le bien pour le mal; il dit, en
effet(28): «Priez pour vos ennemis, bénissez
celui qui vous hait», et moi, je ne puis m'écarter en rien
de ce que Dieu m'a prescrit par le Christ, car celui qui transgresse un
précepte se sépare de celui qui l'a posé. Je vous
en prie, si le roi est persuadé que j'ai commis le mal, qu'il me
fasse venir au tribunal royal et me montre exactement ce que j'ai fait
qui me rende digne de la mort: alors il sera innocent de mon sang. Ne m'abandonnez
pas aux mains de mes ennemis. Tel est le discours du Catholique. Les chrétiens
qui sont dans la citadelle disent tous: Nous ne sommes pas des révoltés
contre le roi victorieux. Mais nous sommes remplis de terreur en présence
de nos ennemis, les Kurdes et les Arabes. Ils nous tuent sans pitié,
et il n'y a personne qui ait pitié de nous, et nous n'avons personne
qui fasse connaître au roi l'angoisse dans laquelle nous nous trouvons.
Nous sommes tes serviteurs et tes sujets. Nous avons toujours payé
régulièrement le tribut et l'impôt. Si le roi ordonne
que nous fassions descendre les Cayatchiyé contre lesquels il est
fâché, nous sommes impuissants à le faire. Si, au contraire,
il ordonne que nous descendions nous-mêmes de la citadelle, qu'il
envoie quelqu'un pour nous délivrer des mains de ces tyrans, et
nous irons là où il voudra; car ce n'est pas pour l'agrément
du lieu que nous restons ici, mais à cause de la vive crainte des
Palestiniens(29) et des Kurdes. Voici que nos fils et
nos filles sont conduits en captivité et que la plupart de nos hommes
sont massacrés. Chacun de vous, émirs, est au courant de
ces choses, et moi, le métropolitain, votre serviteur, j'en réponds
et je les dis de même que je les ai écrites de ma main.»
Les émirs accueillirent son
discours et l'exposèrent au roi victorieux et miséricordieux.
Celui-ci ordonna que le grand émir(30) Tchoban(31)
prenne connaissance de l'affaire, qu'il fasse venir le métropolitain
et s'entretienne avec lui. On le fit donc venir et il répéta
tout ce qu'il avait raconté. Il ajouta même: «C'est
à cause de toi que toutes ces choses nous sont arrivées.»
L'émir, en effet, était lié avec l'émir des
Cayatchiyé nommé Balou(32).
Il accueillit favorablement le discours du métropolitain, empêcha
Hadji Dilcandi de partir pour Arbèle, fit de belles promesses et
désigna pour aller sur les lieux des envoyés autres que les
premiers.
Cependant, - pour ne pas allonger
le discours - Hadji Dilcandi ne s'assoupit pas, ne s'endormit pas, n'accorda
pas de sommeil à ses yeux; tout le peuple arabe fit comme lui. Il
fit des largesses considérables aux émirs, aux grands, aux
petits, aux troupes. Cette sentence fut accomplie: «Le présent
obscurcit les yeux des sages dans le jugement(33).»
Ils revinrent sur ce qui était
statué et convenu. Ils s'emparèrent en cachette du métropolitain
et le livrèrent à Toghan, afin ou qu'il aille faire descendre
le Catholique et les chrétiens de la citadelle ou qu'on le massacre
sans pitié. On le fit sortir la nuit hors de la ville et on le mena
à une montagne située dans le voisinage. Personne ne savait
absolument rien de lui. Les chrétiens de toutes les confessions
qui s'étaient réunis dans la ville furent profondément
affligés. Tous les disciples de la résidence prirent la fuite
et se dispersèrent. Il ne leur restait ni aide ni assistance, en
dehors des adorables miséricordes de Dieu qui agit selon sa bonté
et dispose toutes choses selon ses miséricordes.
Le métropolitain avait un frère
cadet qui s'échappa, courut près de l'émir Tchoban
- que sa vie soit conservée! - et lui exposa tout ce qui était
arrivé. Il lui dit: «Le serviteur du grand émir, le
métropolitain qui est venu hier s'entretenir avec lui au sujet de
la.citadelle d'Arbèle, a été conduit de force et par
ruse à Arbèle.»
L'émir entra en fureur. Il
expédia un messager et fit revenir le métropolitain délivré
des mains de ces misérables. Il l'introduisit devant le roi victorieux
à qui le métropolitain répéta ce qu'il avait
dit au sujet du Catholique et des chrétiens. Le roi ordonna de faire
venir le Catholique au camp et de faire descendre les chrétiens
de la citadelle sans les molester. Il fit aussi venir Toghan, lui donna
des instructions à ce sujet et lui commanda de partir pour Arbèle.
Le grand émir et chef du Diwan,
Tchoban, conduisit le métropolitain à sa demeure. Il lui
écrivit plusieurs lettres pour tous les émirs des Mongols
qui étaient allés faire le siège de la citadelle et
pour l'émir Gaïdjak(34), gendre du défunt
roi Houlaghou ancêtre de tous ces rois, recommandant de faire descendre
le Catholique avec honneur, selon l'ordre royal et de faire également
descendre les chrétiens sans les molester. Il dit à l'envoyé:
«Si quelqu'un étend la main contre les chrétiens, ne
les fais pas descendre.»
Il congédia le métropolitain
avec honneur, le confia à l'envoyé royal et lui dit: «Si
les Arabes ou les Kurdes n'écoutent pas ces ordres, reste auprès
du Catholique et des chrétiens et fais-le moi savoir.»
Le métropolitain et l'envoyé
se rendirent d'abord près de l'émir Gaïdjak et lui montrèrent
les lettres scellées du grand émir Tchoban.
Celui-ci et sa femme se réjouirent vivement de cet édit favorable
au Catholique et aux chrétiens. Ce même émir Gaïdjak
envoya à la citadelle cent autres de ses cavaliers mongols pour
aider à l'exécution de ces mesures et il écrivit aux
huit cents fantassins Kurdes placés sous ses ordres de faire descendre
le Catholique.
Or, trois jours avant l'arrivée
du métropolitain et de l'envoyé qui accompagnait celui-ci,
Toghan avait envoyé près du Catholique et lui avait fait
montrer l'ordre de descendre. Celui-ci était descendu sans tarder
le vendredi vingt-six de Haziran (juin 1310), avec les évêques
et les prêtres qui l'accompagnaient. Il avait obéi à
l'ordre du roi.
Toghan lui persuada de remonter de
nouveau à la citadelle pour en faire descendre les chrétiens.
Dans la simplicité de son coeur, il remonta et ordonna aux chrétiens
de descendre. Ces malheureux obéirent loyalement aux ordres loyaux
et paternels. Ils descendirent le samedi matin avec leurs fils, leurs
filles, leurs épouses, au nombre d'environ cent cinquante
hommes (non compris les femmes et les enfants), sans arme, sans glaive
et sans couteau.
En les voyant descendre, le peuple
mauvais des Arabes devint féroce et entra en fureur. Ils tirèrent
l'épée, immolèrent tous [les hommes], depuis le plus
grand jusqu'au plus petit, sans pitié ni crainte et s'emparèrent
des femmes et des enfants.
Ils prirent pour prétexte:
«On a lancé sur nous des flèches du haut de la citadelle.»
Mais tout cela avait pour but d'effrayer le Catholique et de l'empêcher
de quitter la citadelle afin de justifier l'accusation qu'ils avaient portée
contre lui près du roi(35), espérant que
peut-être celui-ci entrerait en fureur et ordonnerait de le mettre
à mort avec tous les chrétiens.
Le Catholique, confiant en la promesse
du Christ, pleurant, se lamentant, la tristesse dans l'âme, se disposa
à descendre. Il méprisait les glaives, car il pensait en
lui-même: «Dans la citadelle, je mourrai de faim, j'aurai une
réputation déplorable(36), et c'est là
un grand malheur. Il vaut mieux pour moi obéir jusqu'à la
mort. Je descendrai. Si Notre-Seigneur me sauve, ce sera un triomphe pour
moi; sinon, je suis prêt à recevoir, pour le nom du Christ,
la couronne du martyre.»
Les chrétiens tombèrent
à ses pièds, en pleurant et disant: «Nous ne te laisserons
pas descendre.» Les évêques eux-mêmes qui l'accompagnaient
parlaient ainsi. Le Catholique leur répondit: «Rien ne pourra
m'empêcher de descendre; mais je ne force absolument personne à
descendre avec moi; quant à celui qui veut partager mes épreuves,
je ne l'en empêche pas non plus.»
Il se sépara donc d'eux, suivi
des trois évêques qui l'accompagnaient, de quelques moines
et prêtres, disciples de la résidence. Ils descendirent le
long du mur en marchant sur les victimes massacrées innocemment.
Le Catholique voyait ses enfants le ventre ouvert et les entrailles répandues
à terre, et il n'y avait personne pour les ensevelir et prendre
soin de leurs funérailles! Pour lui, il se fiait à la parole
de Toghan. Il pensait que celui-ci était un
ami, lorsqu'en réalité il n'était qu'un faux ami.
Alors il put dire en son coeur avec
le prophète(37): «J'ai appelé mes
amis et eux-mêmes m'ont trompé! Mes prêtres et mes vieillards
ont dépéri au milieu de moi: ils ont cherché pour
eux-mêmes la nourriture afin de sauver leur vie et ils n'en ont pas
trouvé. Vois, Seigneur, comme je suis affligé, et [comme]
mes entrailles [sont] troublées. Mon coeur est renversé au-dedans
de moi-même, car je suis rempli d'amertume. Le glaive détruit
au dehors: à la maison, la mort. On m'a entendu gémir et
il n'y a eu personne pour me consoler! Tous mes ennemis ont appris mon
malheur et ils se sont réjouis, car c'est toi qui m'as fait cela.
Arrive le jour que tu as annoncé et qu'ils deviennent
semblables à moi! Que toute la malice de ces Hagaréens
paraisse en ta présence. Frappe-les comme
tu m'as frappé à cause de tous mes péchés;
([traite-les] comme tu m'as traité dans mes enfants et mes bien-aimés),
car mes gémissements sont abondants et mon coeur affligé.»
Le vase d'iniquité(38)
alla au-devant du Catholique en souriant, comme s'il n'avait rien fait.
Il le conduisit sous sa tente, le traita avec honneur
et lui présenta la coupe à genoux.
Le Catholique lui dit: «Sont-ce
là tes promesses? Est-ce ainsi que s'accomplit à notre égard
l'édit royal que tu as lu, et dans lequel il était prescrit
de ne pas molester quiconque descendrait, de ne pas même faire couler
le sang de son nez?»
Toghan reprit: «On a tiré
des flèches de la citadelle: deux hommes ont été atteints
et en sont morts.»
Le Catholique répondit: «Il
fallait mettre à mort ceux qui avaient tiré et non pas ceux
qui en descendant obéissaient à l'ordre du roi.»
Toghan se tut et ne répliqua
pas un mot.
Ces peuples maudits avaient pris la
résolution de faire périr le Catholique. Toghan et Naçr,
frère de Dilcandi, agissaient comme s'ils n'étaient
au courant de rien, afin d'avoir une excuse. Mais le Seigneur veille sur
ses élus et il envoie le salut d'où
ils ignorent et d'où ils ne soupçonnent pas.
Le métropolitain avait réfléchi
et dit à l'émir Gaïdjak: «Émir, tu sais
quel homme est ce Toghan! Il nous a devancés à Arbèle
et je crains qu'il ne fasse du mal avant notre arrivée. Il serait
bon que l'émir envoyât un de ses hommes et un des compagnons
du messager qui est avec moi.»
L'émir, sans tarder, fit cela.
Il envoya un de ses hommes avec un de ceux qui accompagnaient l'envoyé.
Ceux-ci arrivèrent à Arbèle le samedi même au
déclin du jour, après que les malheureux avaient été
massacrés. Ils allèrent saluer le Catholique et Toghan à
qui ils montrèrent le document écrit, sur l'ordre du roi,
par Tchoban au sujet de l'affaire du Catholique.
A cette nouvelle, le visage de Toghan
fut troublé et celui de Naçr également. Ils pâlirent
et commencèrent à parler à voix basse. Or, il ne leur
restait pas d'excuse, car les nouveaux venus avaient vu le Catholique.
A la tombée de la nuit, Naçr et Toghan montèrent à
cheval et accompagnèrent celui-ci l'espace d'un mille. Il s'en alla
au village de 'Amkava(39).
Le métropolitain et le messager
qui l'accompagnait arrivèrent le dimanche 27 de Haziran (juin)(40)
au matin et virent ce qui s'était passé. Ils furent vivement
peinés et leur douleur fut grande. Ils furent un peu consolés
par la délivrance du Catholique et des évêques qui
étaient avec lui. Ils allèrent aussitôt le trouver
et ils lui exposèrent l'ordre du grand émir et les dispositions
de l'édit royal à son sujet. Le Catholique se réjouit
et les bénit ainsi que l'émir.
Dès le lendemain matin, le
messager se rendit près de Toghan et lui demanda à monter
à la citadelle. Celui-ci l'en détournait: «Ils te tueront,
disait-il, car ce sont des rebelles.»
Le messager répondit: «Qu'ils
me tuent ou qu'ils me laissent vivre, je monte près d'eux.»
Toghan ne laissa monter avec lui absolument
aucune nourriture ni boisson. «Tu es venu, dit-il, pour délivrer
les chrétien qui sont les adversaires de notre foi, les ennemis
de notre nation. Puisque les chrétiens n'obéissent pas aux
ordres du roi, nous n'obéirons pas, nous, à l'ordre de ton
émir.»
Celui-ci ne se laissa pas influencer;
il monta à la citadelle, montra aux chrétiens l'ordre de
l'émir et les engagea à descendre.
Tous consentirent.
L'envoyé descendit le soir,
accompagné de trois personnes; or, l'une fut arrachée de
ses mains et massacrée, les deux autres emmenées captives.
Il apportait avec lui les clefs de la citadelle, qu'il remit à Toghan,
et il se rendit, très triste, près du Catholique pour délibérer
sur ce qu'il y avait à faire. «Ceux d'en bas, disait-il, sont
nombreux et forts. Dans la citadelle il n'y a pas de vivres pour un jour
et ils m'empêchent d'en faire monter. Si je fais sortir les autres,
ils les enlèvent et les massacrent. Je n'ai ici aucun secours. Je
ne sais que faire, si ce n'est rassembler les hommes qui sont venus avec
moi et les cent cavaliers de l'émir Gaïdjak. Ils feront descendre
d'abord les femmes et les enfants qu'ils conduiront dans les villages.
Les hommes de guerre, moi et ceux qui m'accompagnent, nous passerons pendant
la nuit et nous nous sauverons. Si quelqu'un nous attaque, nous riposterons.»
Le Catholique répondit: «Tu
sais ce que tu as à faire. Agis selon l'inspiration de Dieu.»
Le mardi, l'envoyé remonta
près de ceux [qui étaient dans la citadelle]. Il les réunit
autour de lui et s'entretint avec eux. La plupart acceptèrent son
conseil. Mais, comme dit le proverbe: «Du rameau sort le ver.»
Certains habitants de la citadelle étaient déjà traîtres
et s'étaient liés avec Naçr ed-Din. Chaque jour ils
lui envoyaient dire ce qui se passait dans la citadelle.
Quand ils virent que la plupart étaient
résolus à descendre, ils le lui firent savoir. Naçr
décréta aussitôt «que les habitants de la citadelle,
à l'exception des montagnards, n'auraient rien à donner à
personne, qu'ils ne descendent pas de la citadelle mais qu'ils soient rassurés;
que les montagnards seuls paieraient les frais de route des envoyés
du roi et que, s'ils le voulaient, ils pourraient descendre.»
Sur cette parole, les habitants de
la citadelle se séparèrent les uns des autres. Les montagnards
descendirent, avec leurs familles, près de Naçr sans rencontrer
d'obstacle; on les laissa aller au village de 'Amkava, mais le lendemain
on les en tira pour les massacrer.
Dès lors, il ne restait dans
la citadelle ni chef, ni directeur, ni conseiller, ni homme instruit. L'envoyé
royal était demeuré seul dans la résidence patriarcale.
Bientôt il descendit et les abandonna sans secours, dans des pleurs
amers et des gémissements retentissants: «Hélas! quelle
heure pleine de malheurs! Hélas! quel moment triste et rempli d'affliction!»
S'il restent: pas même un seul homme qui ait la force de puiser l'eau!
Qui organisera le combat?
La faim s'empara d'eux complètement.
Le froment déjà épuisé se vendait huit zouz
la livre(41). Qui peut trouver du sel? Ils ont déjà
mangé les ânes, les chiens, les chats(42).
Il ne restait plus de vieux cuirs. Ils vivaient de groumê,
c'est-à-dire de graines de cotonnier(43).
Les veuves tendaient la main et il n'y avait personne pour guérir
leur désolation. Personne absolument pour ensevelir les défunts!
Qui a la force de creuser les fosses? Qui prend pitié et qui est
miséricordieux? Qui donne l'aumône? Les orphelins sont morts
sur le fumier. Les uns tombèrent et se desséchèrent
dans leurs demeures; d'autres se jetèrent eux-mêmes du rempart:
ceux d'en bas les reçurent avec le glaive et les mirent en pièces.
O hommes honorés que le Seigneur
a méprisés! O hommes honorables que Dieu a rejetés!
O peuple auquel il ne reste plus d'intercesseur! qui n'a plus de qui attendre
du secours!
Venez et voyez combien est sévère
le châtiment de Notre Seigneur pour ceux qui ne se convertissent
pas! Combien dur est ton bâton, ô notre Dieu! Combien tes coups
sont funestes, ô notre providence! Combien cruelles sont tes verges,
ô notre médecin! Tu as détourné ton visage,
et la couronne est tombée de leur tête(44),
et leurs joies se sont changées en deuil(45).
Ils ont pleuré jour et nuit; les larmes coulaient sur leurs joues
et ils n'avaient point de consolateur parmi tous leurs amis(46).
Tous gémissent et demandent du pain(47);
leurs yeux sont obscurcis par les larmes, leurs entrailles sont émues,
leur foie s'est répandu sur la terre à cause de la ruine
de leur citadelle. Les enfants et ceux qui sont encore à la mamelle
ont dit à leurs mères: «Où est le pain? Où
est l'huile?» Ils tombent en défaillance en leur présence
comme des blessés à mort(48); ils demandent
du pain et il n'y a personne pour le rompre et le leur donner. Ceux qui
mangeaient voluptueusement gisent maintenant dans les rues; ceux qui avaient
grandi dans la pourpre dorment sur le fumier(49). Leur
visage est devenu plus noir que le charbon et ils sont méconnaissables.
Leur peau s'est attachée à leurs os; elle s'est desséchée
et est devenue comme du bois. Plus heureux ceux qui ont péri par
le glaive que par la faim. Des femmes mangèrent leur fruit; des
mains miséricordieuses firent cuire leurs enfants qui devinrent
leur nourriture(50). Les enfants et les vieillards furent
couchés à terre. Les vierges et les jeunes gens ont été
couverts d'ignominie. Les hommes ont été immolés,
et le Seigneur n'a pas eu pitié d'eux(51)! Des
flèches ont pénétré leurs reins. Ils sont devenus
un objet de dérision pour toutes les nations(52),
car le Seigneur a accompli sa fureur, il a répandu la colère
de son indignation(53); c'est pourquoi leurs observateurs
ont observé en vain(54).
Et dès lors ils crient avec le prophète
en disant: «Nos péchés se sont dressés contre
nous, notre force a été affaiblie. Le Seigneur nous a livrés
à une main contre la puissance de laquelle nous ne pouvons rien(55).
Il est juste le Seigneur que nous avons offensé. Entendez, peuples!
et voyez notre douleur. Nos vierges et nos jeunes gens sont partis en captivité(56);
nos jeunes hommes et nos hommes faits ont été massacrés.
Que dire? Que nos prêtres nous ont trompés et ne nous ont
pas avertis à propos de nos péchés(57)?
A Dieu ne plaise! Ils nous ont exhortés, et nous n'avons pas entendu.
Ils nous ont réprimandés, et nous n'avons pas prêté
l'oreille. Nons les avons méprisés. Nous ne les avons pas
bien accueillis. Nous n'avons pas eu pitié de nos vieillards. Nous
avons opprimé les veuves. Nous avons persécuté nos
pauvres. Notre iniquité est plus grande que celle de Jérusalem.
Notre malice dépasse celle du temps de Noé. C'est pourquoi
le Seigneur a fait tout ce qu'il a médité. Il a accompli
sa parole, comme il a décrété depuis les temps anciens.
Il nous a renversés! Il n'a pas eu pitié de nous! Il a réuni
les ennemis autour de nous. Il a élevé au-dessus de nous
l'affluence de nos oppresseurs(58). Tous nos ennemis
ont ouvert leur bouche contre nous. Ils ont sifflé et grincé
des dents. Ils ont vendu au loin nos enfants. Ils ont souillé nos
vierges en notre présence. Ils ont insulté nos femmes devant
nos yeux(59). Et ils disent: «Nous vous dévorons!
Voilà le jour que nous attendions, nous l'avons trouvé, nous
l'avons vu de nos propres yeux(60)!»
Le peuple arabe monta à la
citadelle avec Toghan et Naçr, le mercredi 1er
de Tamouz de cette année qui était
l'an 1621 des Grecs (juillet 1310).
Ils s'en emparèrent.
Ils tuèrent tous ceux qu'ils
trouvèrent et n'épargnèrent personne. Ils saisirent
tous ceux qu'ils virent. Ils pillèrent le trésor et enlevèrent
les richesses. Ils précipitèrent du haut du mur les montagnards,
les Cayatchiyé, qui étaient restés, tandis que ceux
qui étaient en bas les recevaient avec le glaive et les achevaient.
Ils vendirent pour la plupart les femmes et les jeunes filles, ou
les donnèrent à tout venant et les
offrirent en cadeau. En un mot, ils mirent au jour toute la malice qui
était cachée dans leur coeur.
Et nous, avec ce même prophète,
disons: «Tressaillez, habitants d'Arbèle! La coupe approche
aussi de vous. Vous serez affligés et agités(61)
[?] et il n'y aura personne pour vous délivrer. Car le Seigneur
se souviendra de ce qui a été fait à son peuple et
comment son héritage a été pillé(62).
Le Seigneur est bon pour quiconque espère en lui et pour celui qui
le cherche(63). Il vous rendra l'angoisse du coeur. Ses
coups vous poursuivront; dans sa colère il vous perdra et vous fera
disparaître de sous les cieux(64), parce que vous
avez détruit ses églises et que vous avez mis en pièces
les brebis de son bercail. Et tous ceux qui passeront sur la route battront
des mains sur vous, siffleront, branleront la tête
et diront: «Voilà cette Arbèle que le Seigneur a maudite(65)!!»
1. Cet intéressant épisode du règne
d'Oldjaïtou paraît avoir été ignoré ou
plutôt complètement passé sous silence par les historiens
des Mongols.
2. Cfr. ci-dessus, chap. XIV,
n. 3.
3. Ce Naçr était le frère de l'émir
Hadji Dilcandi et jouissait d'une assez grande influence à la cour.
4. Voir plus haut, chap. XIV.
5. Cf. Exod., X,1; XIV, 4, 17.
6. Voir ci-dessus, chap. XIV,
n. 3.
7. Dans les passages de ce chapitre que nous venons
de traduire le texte paraît quelque peu altéré.
8. Littéralement: les conseils d'Achitophel,
du nom du conseiller de David qui entra dans la conjuration d'Absalon
contre son père. Cfr. II SAM., XV; I Chron., XXVII, 33.
9. Cet émir est probablement le même que
D'OHSSON appelle Soutaï; il combattit contre Baïdou en faveur
de Cazan, et il se distingua par ses talents militaires sous le règne
de ce dernier, principalement pendant la troisième expédition
en Syrie. Cfr. ci-dessus, chap. XVI, n. 10.
10. Cet émir, qui semble avoir été
un des principaux instigateurs de la persécution contre les chrétiens,
était un homme d'un caractère fourbe et violent. C'est lui
qui exécuta le célèbre vizir Raschid ed-Din en le
coupant par le milieu du corps (Cfr. ci-dessus, chap.
XIV, n. 12). Lui-même fut mis à mort le 15 novembre 1317,
par l'ordre de Tchoban qui avait appris que cet officier avait formé,
avec d'autres émirs, le complot de lui ôter la vie. Cfr. D'OHSSON,
IV, 611, 612. Dilcand est un village du canton de Simnan, dans le Khoraçan
(ibid. note).
11. Lire le mercredi 11; l'auteur parle très
exactement un peu plus bas du samedi 14.
12. Souti.
13. Il a déjà été question
plus haut (chap. III) de ce couvent qui est simplement désigné,
dans plusieurs passages des historiens, par ces mots: «Mar Mikaël
dans la région d'Arbèle.» Notre auteur nous apprend
qu'il ce trouvait dans le village de Tarcel, situé lui-même
à moins de dix heures de marche d'Arbèle comme il est permis
de déduire d'un passage qu'on lira à la page suivante. D'après
cela, sachant par Bar Hébréus que le couvent se trouvait
entre Mossoul et Arbèle, je crois pouvoir identifier Tar'el avec
le village de Terdjilla, situé à environ 30 kilom.
de Mossoul et 55 d'Arbèle. La conformité des deux noms rend
cette opinion encore plus vraisemblable. - Les restes de Mar Jabalaha furent
transportés dans ce couvent lorsque les Musulmans s'emparèrent
de celui de Maragha. Cfr. ci-dessous, chap. XIX.
14. «Hanitha Assyriae civitas [episcopalis]
sub Adiabenis metropolita de qua nihil certi comperi, nisi quod Nuhadrae
proxima sit atque Maaltae: quippe trium illarum urbium unus aliquando episcopus
fuit, adeoque Hanita ad provinciam Arbelae sive Adiabenes pertinuisse videtur.»
LEQUIEN, Oriens Christianus, t. II, p. 1233. - Voir une ample dissertation
sur le site de Hanitha, dans HOFFMANN, Auszüge aus der syrischer
Akten, etc., p. 216-222.
15. Je ne sais quel était ce métropolitain.
Ce n'était évidemment pas celui d'Arbèle, car il se
nommait Abraham, ainsi que nous l'avons vu plus haut, et son successeur
immédiat fut Joseph qui passa du siège de Mossoul à
celui d'Arbèle (Cfr. ci-dessous, chap. XIX). Un peu plus bas, ce
même Jésusabran est simplement appelé évêque
et non métropolitain.
16. C'est-à-dire celles des Nestoriens
17. Cfr. ci-dessus, chap. XV,
n. 32.
18. Peut-être faut-il lire Manoueh. Cfr. ci-dessus,
chap. XV, n. 34.
19. Je n'ai pu identifier ce village qui devait être
situé à moins d'une journée de marche d'Arbèle,
avec aucune des localités marquées sur les cartes.
20. Issen Koutlouk était un des familiers du
prince Oldjaïtou qu'il avait accompagné dans son apanage du
Khoraçan. Il revint avec lui à Tauriz lors de son intronisation.
D'OHSSON (IV, 480) l'appelle Uveïs-Coutloug.
Il demeura dans l'entourage du prince, mais ne paraît
pas avoir joui sous son règne d'une très grande faveur. La
raison en est peut-être que, au moment où Oldjaïtou passa
de la secte mahométane des Sunnites, qu'il avait embrassée
en abandonnant le christianisme, à celle des Seyids, Tchoban et
Issen Koutlouk, tous les deux zélés Sunnites, furent les
seuls émirs qui refusèrent d'imiter le roi dans son changement
de rite. Abou-Saïd donna le commandement général des
troupes du Khoraçan à Issen Koutlouk qui joua un rôle
important dans les luttes qui ensanglantèrent cette contrée
sous le règne de ce prince et sous celui d'Arpagaoun, son successeur.
21. Sous le nom de vendredi des Confesseurs, les Nestoriens,
comme les Jacobites, désignent le vendredi qui suit la fête
de Pâques, dans lequel ils honorent la mémoire de tous les
saints martyrs. Ils ignorent, en effet, l'acception du mot
confesseur au sens où il est actuellement pris dans la liturgie
latine.
Les envoyés arrivèrent donc à Arbèle
le 21 avril.
22. Souti était, comme nous l'avons vu plus
haut, gouverneur du Diarbékir.
23. Toghan était un des principaux officiers
de la cour. Il avait combattu, sous les ordres du généralissime
Koutloukschah, d'abord en Syrie, pendant la troisième campagne de
Cazan, puis dans le Gilhan au commencement du règne d'Oldjaïtou.
Il fut ensuite envoyé, par Abou-Saïd, dans le Khoraçan
et se mêla dans cette contrée à plusieurs intrigues.
24. Cfr. JEAN, X.
25. Le vizir Sa'd ed-Din Saoudji avait été
mis par Oldjaïtou à la tête du département des
finances conjointement avec Raschid ed-Din. Ces deux hommes, après
avoir été unis de la plus étroite amitié, se
brouillèrent. Un favori du sultan, Ali Schah, qui devait plus tard
perdre Raschid lui-même, accusa Sa'd ed-Din de malversation. Ce dernier
fut exécuté, avec plusieurs de ses employés, le 19
février 1312 (Cfr. D'OHSSON, IV, 482, 542-544).
26. Cfr. ci-dessus, chap. XIV,
n. 12.
27. Cfr. ci-dessus, chap. XVII,
n. 3.
28. Cfr. MATTH., V, 44.
29. On ne voit pas clairement le sens que ce mot peut
avoir ici. Peut-être désigne-t-il les Juifs qui habitaient
la ville? Peut-être aussi s'agit-il d'une tribu arabe dont le nom
serait défiguré?
30. Litt.: émir el-oméras, généralissime.
31. Tchoban, fils de Mélik et petit-fils de
Toudan Bahadour de la tribu des Seldouze, se distingua par ses talents
militaires et ses qualités d'homme d'État. Il avait combattu
en faveur de Cazan dans le Khoraçan; il accompagna ce prince dans
sa troisième expédition de Syrie, et reçut à
la suite quelques coups de bâton en punition de ses revers; sous
Oldjaïtou, il prit part à l'expédition du Ghilan et
reçut à son retour le commandement du corps d'armée
de Koutloukschah qui avait été tué dans cette campagne.
Il avait épousé, en 1307, Dilendi, fille d'Oldjaïtou.
En 1314, il fut chargé d'apaiser les soulèvements du Roum.
A l'avènement d'Abou-Saïd, il fut nommé généralissime.
Il gouverna véritablement et mécontenta la plupart des grands
qui formèrent le complot de le tuer; mais il échappa et se
vengea cruellement.
Cependant, quand Abou-Saïd eut atteint sa vingtième
année, il commença à devenir jaloux de l'autorité
dont jouissait Tchoban et fut surtout mécontent de ce que celui
ne voulut pas lui livrer sa fille, Bagdad-Khatoun, déjà mariée
à Scheïk-Hassan. De plus, un des fils de Tchoban, Dimaschk,
s'étant livré impunément à toute sorte d'excès,
pendant que son père était dans le Khoraçan, Abou-Saïd
le fit tuer et donna même l'ordre aux généraux qui
commandaient près de Tchoban de mettre ce dernier à mort.
Ceux-ci hésitèrent et communiquèrent à Tchoban
l'ordre qu'ils avaient reçu. Tchoban réunit soixante-dix
mille hommes et marcha contre Abou-Saïd. Bientôt, abandonné
par les généraux qui lui avaient juré fidélité,
il se réfugia à Hérat; mais il fut trahi également
par le Mélik de cette ville, qui le fit arrêter, et craignant
le ressentiment d'Abou-Saïd, ne voulut pas même faire conduire
Tchoban près du Khan. Il le fit mettre à mort ainsi que tous
les officiers de sa suite (1327). - Ce généralissime que
nous voyons si favorable au Catholique Jabalaha est très probablement
le personnage désigné sous le nom de Zoban Begilay (= Beylerbey
i. e. généralissime) dans un bref que le pape
Jean XXII lui adresse d'Avignon, le 22 novembre 1321, où il lui
mande qu'il a appris de Jacques et de Pierre, de l'Ordre des Frères
Mineurs, «porteurs des présentes», que Zoban traite
avec beaucoup de bonté les chrétiens établis dans
le royaume du Khan de Perse; ce qui lui donne l'espoir que ses yeux s'ouvriront
à la lumière de la foi. Il prie sa prudence de
continuer à protéger les chrétiens et lui recommande
les dits frères, qui se rendent dans les États du Khan pour
travailler au salut de Zoban et des peuples soumis à son souverain.
32. Voir plus haut.
33. Cfr. Eccl., XX, 1.
34. L'émir Gaïdjak avait épousé
Toutoukaï ou Boudakaï, quatrième fille de Houlaghou, née
d'une esclave de l'ordou de Dokouz-Khatoun. Il n'est donc pas extraordinaire
qu'elle ait été favorable aux chrétiens. Elle fut
mariée en premier lieu au Ouïrat Tendjkir ou Tenker Kourkan;
elle épousa ensuite le fils de celui-ci, Soulamisch, et, après
la mort de ce dernier, elle devint la femme de son fils Gaïdjak ou
Jijak Kourkan. Elle fut ainsi successivement l'épouse du père,
du fils et du petit-fils (cfr. HOWORTH, History of the Mongols,
t. III, p. 213).
35. En assurant qu'il etait un rebelle.
36. C'est-à-dire: «Je passerai pour un
rebelle.»
37. Thren., I, 19-22; selon la version Peschithta.
38. Toghan.
39. Aujourd'hui Aïnkawa, à 2 kil. environ
au N.-O. d'Arbèle: «C'est un village chaldéen de deux-cent
cinquante familles, avec plusieurs écoles et sept prêtres.
La plupart des habitants sont agriculteurs. Actifs au travail, ils ont
mis en plein rapport la meilleure partie de la plaine et leur village est
devenu le grenier du pays.» CUINET, La Turquie d'Asie. Géographie
administrative, t. II. p. 858. Ce lieu est indiqué
sur la carte de Ritter avec l'orthographie 'Ain Chawa. - Cf.
HOFFMANN, Auszüge, etc., note 1893.
40. Lire: dimanche 28.
41. La valeur des poids, comme celle des monnaies,
a beaucoup varié avec le temps, et il est impossible de la déterminer
avec précision. Le lexicographe BAR 'ALI dans son dictionnaire (au
mot dinar) dit que la livre contient 6,112 beaux grains d'orge.
42. Les kakouschiaté, littéralement
les ichneumons, qui autrefois remplissaient dans les maisons le
rôle des chats (R. DUVAL). Les ichneumons ou mangoustes sont des
mammifères carnassiers assez semblables, pour l'aspect, à
la fouine ou au furet. Ces animaux encore très communs en Égypte
y sont vulgairement connus sous le nom de rats de Pharaon.
43. Les graines du cotonnier fournissent une huile
assez bonne a manger, mais que l'on emploie surtout maintenant à
la fabrication du savon. Les tourteaux qui résultent de l'extraction
de cette huile sont très recherchés comme aliment pour le
bétail.
44. Cfr. Thren., V, 16.
45. Cfr. Thren., V, 15.
46. Cfr. Thren., I, 2.
47. Cfr. Thren., I, 11.
48. Cfr. Thren., II, 11-12.
49. Cfr. Thren., IV, 4-5.
50. Cfr. Thren., IV,
5-10
51. Cfr. Thren., II, 21.
52. Cfr. Thren., III, 13-14.
53. Cfr. Thren., IV, 11.
54. Cfr. Thren., IV, 16.
55. Cfr. Thren., I, 14.
56. Cfr. Thren., I, 18.
57. Cfr. Thren., II, 14.
58. Cfr. Thren., II, 17.
59. Cfr. Thren., V, 11.
60. Cfr. Thren., II, 16.
61. Cfr. Thren., IV, 21.
62. Cfr. Thren., V, 1.
63. Cfr. Thren., III, 25.
64. Cfr. Thren., III, 65-66.
65. Cfr. Thren., II, 15.