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CHAPITRE XIV
TROUBLES ET COMBATS DANS LA CITADELLE D'ARBÈLE.

    Ce ne fut pas assez du désastre qui frappa la résidence. Les fidèles qui habitaient la citadelle d'Arbèle(1) tombèrent aussi dans un malheur encore plus grand, car les habitants de la ville qui étaient des Arabes voulurent faire détruire l'église(2) par les Kurdes.
    Il arriva que quelques-uns des soldats chrétiens de la garnison, appartenant à la tribu des Cayatchiyé(3), c'est-a-dire des «montagnards», lancèrent des flèches contre eux et tuèrent un notable. La guerre et l'inimitié suivirent, la sédition s'accrut, le mal s'augmenta, la haine et la colère grandirent des deux côtés, de celui des chrétiens et de celui des Arabes. Ils se dressèrent des embûches les uns aux autres; ils engagèrent un combat en règle et le pont de la citadelle fut coupé.
    Cela n'est pas arrivé par hasard, mais parce que le fils de perdition, le maudit Naurouz, était allé dans le Khoraçan et avait voulu se révolter contre le pouvoir royal et s'en emparer(4). Il s'était constitué des auxiliaires en tous lieux et des partisans de tous côtés, jusqu'à ce que Dieu manifestât ses desseins et dévoilât ses ruses.
    Pendant que les Arabes assiégeaient la citadelle, le frère de ce cruel, ses femmes et ses enfants furent pris, et Cazan, le roi victorieux, que sa vie soit conservée! les fit exécuter le dimanche aïnau asia, pendant le carême de l'année 1608 des Grecs (1297).
    Le trouble s'éleva derechef; les routes et les sentiers furent coupés par les postes de surveillance qu'on y établit, car ce fils de perdition s'était échappé et les armées royales étaient sorties à sa recherche et s'efforçaient de le saisir(5).
    Or, tandis que celles-ci poursuivaient ce rebelle, les chrétiens de la citadelle d'Arbèle étaient poursuivis par les habitants de l'extérieur qui firent une terrasse d'attaque, dressèrent des béliers et des balises et organisèrent un violent assaut contre la citadelle. Ils s'emparèrent du métropolitain d'Arbèle, homme vénérable et plein de mérites, qui s'appelait Abraham, ainsi que de beaucoup de prêtres attachés à l'église, du clergé et des fidèles. Les uns furent massacrés, les autres furent vendus pour de fortes sommes.
    La citadelle continua d'être assiégée par les troupes, composées en partie de Mongols appartenant à la faction de Naurouz, en partie de Kurdes de différentes tribus. En un mot, on venait de tous lieux pour piller les chrétiens.
    Dans cette affaire, il y eut des meurtres nombreux et des rapines qu'il est impossible de raconter. Même parmi le peuple des Arabes, beaucoup périrent par la bouche du glaive.
    Cela dura depuis le lundi des Rogations des Ninivites, jusqu'à la fête de l'adorable Croix de l'année susdite(6).
    Les choses se passèrent ainsi.
    Les armées du roi victorieux ayant à leur tête un grand émir(7) cernèrent enfin le fils de perdition dans une forteresse(8). Les habitants de la forteresse lui tendirent un piège, l'enchaînèrent et le livrèrent en cet état aux troupes royales(9). A l'instant même on lui trancha la tête, que l'on expédia au roi victorieux. L'envoyé qui la portait parvint le 25 du mois d'Ab (août) de cette année, prés du roi qui se trouvait dans un lieu appelé Scharbkhâneh(10), situé dans le voisinage d'Ala-tagh.
    On fut délivré des flots de sa malice et des vagues de ses ruses et débarrassé de ses artifices. Que sa part soit avec Satan, son conseiller, dont il fut le collégue!
    Au camp royal, on multiplia les accusations contre la citadelle d'Arbèle et les fidèles qui s'y trouvaient: le mécontentement contre eux s'accrut. On disait qu'ils avaient tué beaucoup d'Arabes, qu'ils s'étaient révoltés contre le gouvernement, que s'ils rencontraient des Ismaélites(11) ils les mettaient à mort sans pitié. La haine grandit, l'audace fut poussée au point de faire entendre ces paroles aux oreilles du roi victorieux et de les répéter devant son trône.
    D'après ce que nous avons dit précédemment, Dieu fit trouver grâce aux chrétiens aux yeux du roi. Quand il connut qu'ils étaient affligés, quoiqu'il eût abandonné la voie de ses pères et qu'il eût embrassé un dogme qui rend l'âme amère, il fut cependant bienveillant envers eux. Voici quelle fut la réponse donnée à ceux qui avaient parlé devant le roi contre la citadelle.
    Le patriarche était venu avec le camp à Ala-tagh, à cause de la nécessité dans laquelle il se trouvait, car il n'avait plus un lieu où reposer sa tête. Le roi victorieux lui adressa deux des grands de son entourage: l'un était Khodja Raschid ed Dîn(12), et l'autre l'émir Tarmada(13). Ceux-ci lui dirent: «Le roi a ordonné. Que Monseigneur le Catholique écoute son ordre.»
    Le Catholique répondit: «Sans doute; qui donc ne reçoit pas les ordres du roi? - qu'il vive à jamais!»
    Ceux-ci reprirent: «Le roi ordonne: Si le roi faisait sortir les chrétiens de la citadelle et leur donnait des terres, de l'eau et des maisons, s'il les défendait contre tout ce qui peut leur nuire, les faisait amener ici et les exemptait de toute charge d'impôt, qu'adviendrait-il? que t'en semble-t-il? L'inimitié a grandi entre les deux religions des Arabes et des Syriens; si la chose reste en l'état actuel il s'ensuivra pour cet empire de graves dommages; beaucoup d'autres se révolteront si on ne réprime ceux-ci. Que dira le patriarche de ce dessein et de la manière de l'accomplir?»
    Celui-ci leur répondit. En entendant cela ses yeux se remplirent de larmes; sa bouche laissa échapper l'expression de sa douleur amère et il dit en suffoquant: «J'ai entendu l'ordre du roi mon maître; personne ne peut s'en écarter ni en changer la teneur. Mais quand je me souviens de ce qui m'est arrivé et que je le fais connaître, le ciel et la terre sont contraints de pleurer. S'il vous plaît, puisque vous demandez de moi une réponse à donner au roi victorieux, voici ce que je dis: «J'avais une résidence à Bagdad, avec une église et une dotation foncière; tout cela m'a été enlevé(14). L'église et la résidence de Maragha ont été détruites de fond en comble et on a enlevé tout ce qui y avait été déposé, comme vous savez(15). J'ai à peine échappé au massacre de Tauriz, comme le fait est manifeste(16). L'église et la résidence de Tauriz ne sont qu'une place nivelée et tout ce qu'il y avait a été pillé; la résidence de la ville de Hamadan a disparu avec l'église: on ne peut pas même en montrer la place(17). Reste la résidence et la citadelle d'Arbèle occupée par une centaine d'habitants. Voulez-vous aussi disperser et piller ceux-là? A quoi bon la vie? Que le roi m'ordonne de retourner en Orient d'où je suis venu ou d'aller finir mes jours au pays des Francs!»
    En entendant cela, les envoyés furent peinés et leurs yeux se remplirent de larmes. Ils se levèrent aussitôt, allèrent en hâte trouver le roi victorieux et lui transmirent exactement ces réponses. Alors le roi - qu'il vive à jamais! - ordonna de ne pas faire sortir les chrétiens de la citadelle, et, s'ils manquaient de vivres, de leur en fournir pendant l'hiver, aux frais du Diwan, jusqu'à ce que l'armée puisse descendre à leur secours.
    Un émir, homme haineux, empêcha cela; il écrivit et agit autrement(18).
    Ce qui importait c'était la délivrance des malheureux habitants de la citadelle enfermés dans ses murs.
    Après beaucoup de fatigues et des courses continuelles, un édit parut et des envoyés furent désignés pour aller à Arbèle délivrer les habitants de la citadelle.
    Le Catholique fit partir un évêque avec eux pour la citadelle, pensant que par son intermédiaire les envoyés se feraient ouvrir plus facilement les portes et que les habitants en viendraient à une complète réconciliation.
    Le patriarche se sépara des envoyés et de l'évêque qui allait avec eux. Ceux-ci parvinrent à Arbèle le 14 d'Iloul de l'année susdite (septembre 1297).
    Ils rétablirent le pont de la citadelle. Ils y entrèrent; ils délivrèrent les habitants et les réconcilièrent avec les Arabes, après beaucoup de difficultés, de tourment d'esprit et d'affliction du coeur.
    Les dépenses qui incombèrent au patriarche et aux chrétiens d'Arbèle ne furent pas minimes: dix mille [dinars], sans compter ce qui fut donné par la résidence aux émirs qui leur rendirent ce service, c'est-à-dire quinze cents autres dinars!
    Le pacte de réconciliation des Arabes fut signé par leur chef, et le pacte de réconciliation des chrétiens avec ceux-ci fut signé par leur métropolitain(19): un émir emporta les deux écrits et les montra au roi victorieux.
    Bientôt parut un nouvel édit ordonnant que la citadelle demeurât aux chrétiens et donnant à ceux-ci le droit de réclamer tout ce qu'on leur avait enlevé.
    Le mal cessa et la réconciliation s'affermit par la protection de Dieu et l'effusion de ses miséricordes sur ses créatures.
    Cependant, comme les Arabes ne cessent de faire le mal, ils cherchaient à nuire aux chrétiens, ainsi qu'ils ont fait de tout temps. Survint, en effet, un certain Naçr ed-Din, maître du Diwan, qui obtint du roi un édit forçant les chrétiens à payer la capitation et à porter des ceintures quand ils iraient par les rues. Cette mesure fut le plus pernicieux de tous les maux. Beaucoup de chrétiens furent massacrés dans la Ville de la Paix (c'est-à-dire à Bagdad(20)). On exigea d'eux sans délai le tribut, c'est-à-dire la capitation, et on les contraignit de s'attacher des ceintures autour des reins. A vrai dire, ce n'était pas [l'acquittement du] tribut, mais une complète spoliation.
    Toutes les fois que les chrétiens allaient par les rues ou dans les maisons, on les insultait, on les tournait en dérision, on se moquait d'eux en disant: «Voyez à quoi vous ressemblez avec ces ceintures, misérables!» On ne laissa de côté aucune des vexations qu'on put leur faire subir, jusqu'au moment où Dieu prenant pitié d'eux, allégea, par sa grace, les fardeaux qui pesaient sur eux et éloigna d'eux les épreuves dans lesquelles ils étaient tombés et qui les environnaient de tous côtés(21).
 


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1. Pour bien saisir le récit contenu dans ce chapitre et les suivants, il faut se représenter exactement la topographie de cette ville.
    Arbèle, et, selon la prononciation moderne, Arbil ou Irbil est une des plus anciennes villes du Turkistan turc, située à 85 kil. (S.-S.-O.) environ de Mossoul par 36° de lat. N. et 41° 41' de long. E. Cette ville, dans laquelle se sont déroulés les derniers épisodes de l'Histoire de Jabalaha, occupe ou à peu près les sites de l'ancienne Arbela dont la victoire décisive d'Alexandre sur Darius a fait un des noms les plus célèbres de l'histoire.
    La ville actuelle qui ne compte guère plus de 6,000 habitants est située à 430 mètres d'altitude en dehors de la région des montagnes, dans une plaine gracieusement ondulée qui ouvre à l'ouest vers le grand Zab et le Tigre, au sud vers la vallée du petit Zab; elle est placée exactement à la limite du territoire de langue arabe, sur la frontière ethnologique des Kurdes, dont elle est le marché principal.
    De nos jours, comme au temps de Jabalaha, la cité est divisée en ville haute et ville basse. V. PLACE, qui visita Arbèle en 1852, en donne la description que voici (Journ. Asiat., IVe série, t. XX, p. 457):
    «L'Arbil moderne se trouve dans une position fort intéressante; elle est placée sur un vaste monticule artificiel dont il m'a été difficile d'apprécier les dimensions, à cause des maisons qui en occupent le sommet. Il en est littéralement couvert, car les murailles crénelées qui en font une espèce de place de guerre s'élèvent directement sur la limite extrême des bords de l'éminence à tel point qu'il ne reste pas le moindre espace pour circuler autour et qu'on se demande comment elles ne se sont pas écroulées. Les côtés du monticule m'ont paru avoir de vingt-six à vingt-huit mètres de hauteur; on arrive au sommet par une pente fort rapide d'un difficile accès, à l'extrémité de laquelle s'ouvre une double porte fortifiée et coudée dans le système des places de guerre du moyen âge. C'est par là que l'on entre dans la ville. Au pied de l'éminence est un assez grand nombre de maisons qui forment comme une seconde ville. C'est là que sont les bazars et les caravansérails. - La population de la ville basse, comme celle de la ville haute, est presque exclusivement musulmane. On y compte pourtant quelques juifs... La plupart des habitants sont Turcomans et présentent ce phénomène, assez rare dans ces contrées, d'une cité où l'on ne parle que la langue turque.»
    Dans la plaine, autour de la ville, de nombreux vestiges et des restes d'enceinte et de fossés indiquent l'emplacement de la ville florissante du temps des Khalifes.
2. L'église de la citadelle d'Arbèle avait été fondée par le catholique Denha, en 1268, tandis qu'il séjournait dans cette ville, après qu'il eût été expulsé de Bagdad. BAR-HÉBRÉUS, Chron. syr., éd. Bedjan, p. 525 (Cfr. ci-dessus, chap. III).
3. Suivant le continuateur de la Chron. syr. de BAR HÉBRÉUS, les Cayatchié (mot à mot qui escaladent ou habitent les cimes, ou simplement montagnards) servaient dans les troupes mongoles; en leur qualité de chrétiens, ils détestaient les Arabes et leur faisaient subir toute sorte de tourments, quand ils en trouvaient l'occasion. C'est à la suite des cruautés qu'ils avaient subies de leur part que les Kurdes, dans l'été de 1290, descendirent de la montagne, occupèrent Arbèle et refoulèrent des habitants dans la citadelle.
4. Naurouz avait été envoyé dans le Khoraçan pour y réprimer une invasion des fils de Kaïdou (Voir ci-dessus, chap. XI, n. 1). Il se conduisit avec fierté et insolence vis-à-vis des chefs militaires de cette région. Plusieurs étaient mécontents de la conversion de Cazan à l'islamisme et avaient formé le projet de tuer Naurouz et de détrôner le roi. Leur révolte fut réprimée mais Cazan lui-même commençait à être mécontent de l'arrogance de Naurouz. Ce général, en arrivant dans la province, froissa Nourin-Aka, gouverneur militaire du Khoraçan et du Mazanderan, qui avait la confiance du roi; il se contenta de passer les troupes en revue et reprit la route de l'Adherbaidjan sous prétexte de voir sa femme Togandjouk qui était malade. Le roi lui ordonna de rebrousser chemin. Il n'en fit rien et arriva à la cour le 24 juin 1296. Il repartit au mois de septembre pour le Khoraçan où Cazan envoya aussi son propre frère Kharbendé. Alors le gouverneur Nourin revint près du roi et travailla avec d'autres mécontents à perdre Naurouz. Celui-ci envoya à la cour un messager nommé Sadr ed-Din, qui devait être son agent près du souverain, mais qui devint l'instrument de sa perte. Au temps où Naurouz travaillait à mettre Cazan sur le trône, il avait demandé le concours des sultans d'Égypte et s'était servi pour leur expédier ses lettres d'un certain 'Alem ed-Din Kaïssar, commis d'un marchand de Bagdad, qui faisait souvent le voyage d'Égypte et de Syrie. Kaïssar récemment arrivé du Khoraçan descendit chez Sadr, qui le reçut à bras ouverts. A l'instigation des émirs, Sadr lui donna un breuvage assoupissant, et pendant son sommeil glissa dans ses bagages des lettres supposées de Naurouz aux Oméras d'Égypte par lesquelles il leur mandait qu'à la vérité Cazan était musulman et voulait protéger la religion, mais que ses officiers s'y opposaient; et qu'en conséquence il les priait de l'assister pour anéantir ces infidèles, promettant de leur livrer tout l'Iran; il ajoutait qu'il avait écrit sur le même sujet à ses deux frères Hadji Narin et Lékétsi. Sadr contrefit aussi une lettre à Hadji qu'il glissa parmi les papiers de celui-ci, pendant une visite. Ces dispositions étant ainsi prises, on insinua à Cazan de faire venir Kaïssar. Il fut amené à Schéherénan où se trouvait le roi qui lui demanda de lui faire connaître la vérité sur les agissements de Naurouz. Kaïssar ne dit rien de défavorable à cet émir. On fit alors fouiller ses bagages et on trouva les fausses lettres. Sadr jura que c'était l'écriture de Hadji Ramazan, secrétaire de Naurouz. Cazan entra en fureur et fit mettre Kaïssar à mort, ce jour même, 17 mars 1297. Il donna aussi l'ordre de faire périr tous les membres de la famille de Naurouz. Son frère Hadji, saisi au moment où il allait fuir, fut massacré et ses biens furent livrés au pillage. Ses deux autres frères Lékétsi et Satelmisch, ainsi que son fils Ordouboka, furent également mis à mort presque aussitôt. Notre auteur a donc raison de dire que ces massacres eurent lieu pendant le carême. Il s'exprime aussi très exactement en disant que Naurouz avait placé ses partisans en tous lieux, car dans le récit de la campagne menée contre lui par les généraux de Cazan, RASCHID rapporte qu'on mit à mort les gouverneurs établis par lui à Raï, à Véramois, à Khawar, à Simisan, à Bisttam.
5. Plusieurs généraux avaient été envoyés par Cazan à la poursuite de Naurouz qui sortit de Nischapour pour aller au devant de ses ennemis et les attaqua bravement. Bien que ses troupes fussent supérieures en nombre, il fut vaincu. Ses deux fils, Ahmed et Ali, furent pris et tués, son camp et ses trésors tombèrent au pouvoir des vainqueurs. Il prit lui-même la fuite et gagna Hérat, avec quatre cents hommes seulement.
6. C'est-à-dire du lundi avant la Septuagésime (voir ci-dessus, chap. VIIb, n. 46), qui se trouvait cette année là le 10 février, jusqu'au 14 septembre (1297).
7. Ce grand émir était Koutloukshah, commandant en chef des troupes expédiées contre Naurouz. Ce genéral, un des plus distingués qui fussent au service de Cazan, avait déjà servi ce prince pendant sa guerre contre Baïdou. Il avait épousé Oldjaï-Timour, soeur de Cazan.
8. C'est-à-dire dans la citadelle de la ville de Hérat, connue sous le nom d'Ikhtiar ed-Din.
    Hérat, l'antique Areia d'Alexandre, fut longtemps la capitale d'un petit état indépendant lors même qu'il était nominativement soumis à une puissance extérieure. Cette ville, aujourd'hui chef-lieu du Khoraçan afghan, est située par 43° 30' de lat. N. et 59° 40' de long. E. Sa population est de près de 100,000 habitants. Elle renferme de beaux édifices. C'est une des places les plus importantes au point de vue stratégique, car toutes les routes qui mènent de l'Occident vers l'Inde convergent vers ce point. Aussi est-elle un centre de commerce très actif.
    Naurouz, malgré le conseil de ses officiers, s'enferma dans Hérat sur l'invitation du mélik Fakhr ed-Dîn qui venait de combattre pour lui et cependant le trahit peu de temps après.
9. A peine Naurouz était-il entré dans Hérat que Koutloukschah parut avant les murs de la ville et la cerna de toutes parts. Il fit écrire à Fakhr ed-Dîn, gouverneur de la ville, de livrer Naurouz s'il voulait éviter la destruction de la cité. Le mélik Fakhr ed-Dîn communiqua la lettre à Naurouz qui fut convaincu par ce trait de la loyauté de son hôte. Mais le prince, considérant que les troupes mongoles s'empareraient tôt ou tard de la ville et traineraient en captivité les femmes et les enfants; que d'ailleurs Naurouz avait violé son serment de ne pas prendre les armes contre Cazan, résolut de le livrer à ses ennemis. Il lui dit donc que les troupes de la garnison, qui se composait de plusieurs milliers de guerriers, étaient découragées, et que Naurouz ferait bien de répartir les quatre cents soldats qu'il avait avec lui parmi les troupes de la ville pour les exciter à combattre vaillamment. Naurouz, donnant dans le piège, fit placer deux de ses gens dans chaque dizaine des troupes du mélik et resta presque seul dans la citadelle. En un instant tous ses gardes furent faits prisonniers, et le mélik lui-même monta avec quelques hommes robustes à la citadelle où il arrêta Naurouz, le fit garrotter, et, la nuit suivante, l'envoya, sous bonne escorte, à Koutloukschah. Celui-ci au comble de la joie questionna son prisonnier. «C'est à Cazan et non à toi qu'il apppartient de m'interroger», répondit fièrement Naurouz qui persista à garder le silence. Il fut alors jeté à terre et coupé en deux par le milieu du corps. C'était le 13 août (D'OHSSON, IV, 188-190, d'après Raschid).
10. Ou Scharafkâneh, selon une autre lecture. Au mois d'août Cazan avait certainement pris ses quartiers d'été, et la donnée de notre auteur parait beaucoup plus précise et plus vraisemblable que celle des écrivains qui placent le roi à ce moment à Bagdad: «Foulad-Caya partit aussitôt [après la mort de Naurouz] pour porter sa tête à Cazan; il trouva ce prince à Bagdad et la tête de Naurouz resta suspendue pendant plusieurs années devant la prison de cette ville» (D'OHSSON, IV, 190). - Il est d'ailleurs facile de concilier les deux récits en supposant que la tête de l'émir ait été envoyée à Bagdad après avoir été présentée au roi à Scharbkhâneh.
11. C'est-à-dire des Arabes; c'est le synonyme d'Hagaréens, tiré du nom d'Ismaël, fils d'Hagar. Cfr. ci-dessus, chap. VI, n. 2.
12. Il s'agit du célèbre historien persan. Fadhel Allah Raschid ed-Dîn, fils d'Aboul-Kaïr, fils d'Ali, surnommé el-Tahib (le médecin) naquit à Hamadan et exerça d'abord la médecine. Selon quelques historiens, il était né juif et se fit mahométan. Il passait pour un esprit fort; par ses mérites et aidé de la faveur de Cazan, il s'éleva à la première dignité de l'empire. Sous le règne d'Oldjaïtou il continua à jouir des honneurs dus à ses mérites, mais sous Abou-Saïd, successeur de ce prince, un autre vizir avec qui il partageait l'administration de l'empire, Ali-Schah, jaloux de l'influence de Raschid, résolut de le perdre. Après avoir essayé beaucoup d'intrigues, il le fit accuser d'avoir fait empoisonner par son fils Soultan-Ibrahim le roi Oldjaïtou. Tockmak et Hadji Dilcandi témoignèrent contre eux et ils furent condamnés à mort. Ibrahim fut exécuté sous les yeux de son père et Hadji coupa Raschid par le milieu du corps (18 juillet 1318). Ses biens et ceux de sa famille furent confisqués. Sa tête fut promenée à Tauriz, ses membres furent exposés en divers lieux et son tronc fut brûlé. Il était âgé de plus de quatrevingts ans.
    Le principal ouvrage auquel Raschid ed-Dîn doit sa célébrité est intitulé Djamâ out-Touarik, ou Collection des Annales. Il s'étend depuis le règne de Houlaghou jusqu'à la mort de Cazan.
    L'histoire des règnes d'Oldjaïtou et d'Abou-Saïd a été écrite par Massoud, fils d'Abdallah, sur l'invitation du sultan Scharoukh, fils et successeur de Tamerlan, pour compléter l'histoire de la dynastie de Houlaghou. Cet immense ouvrage entrepris à la sollicitation de Cazan, est un très curieux spécimen de la littérature orientale. Il est fort précieux par les renseignements qu'il contient sur l'histoire et la géographie de l'Asie. On n'en connaît en Europe qu'un seul manuscrit complet conservé au British Museum. Cfr. QUATREMÈRE, Mémoire sur la vie et les ouvrages de Raschid ed-Dîn, en tête de sa traduction de l'Histoire des Mongols (Collect. Orient., t. I).
13. Je ne sais quel personnage peut désigner cette transcription syriaque d'un nom mongol. Peut-être s'agit-il du général Taremtan, qui combattit dans le Khoraçan sous les règnes d'Oldjaïtou et d'Abou-Saïd son successeur.
14. Cfr. ci-dessus, chap. XII.
15. Voir ci-dessus, chap. XII et XIII.
16. Il faut conclure de cette phrase que le Catholique se trouvait à Tauriz au moment du pillage des églises. L'événement devrait donc être placé dans les premiers jours d'octobre 1295 au moment où le patriarche s'enfuyait de Maragha, ce qui concorde bien avec les données de BAR-HÉBRÉUS (loc. cit.).
17. Cfr. ci-dessus, chap. XII.
18. Cet émir était un certain Naçr ed-Din dont il est parlé à la fin de ce chapitre et encore plus loin (chap. XVIII).
19. Abraham, dont nous avons rencontré le nom ci-dessus.
20. Le premier nom que Bagdad reçut, à sa fondation, fut celui de Médinet es-Salam, qui signifie, en arabe «Ville de la Paix». Les auteurs byzantins contemporains le traduisent par Irénopolis qui en est l'équivalent.
21. BAR HÉBRÉUS (Chron. syr., p. 595) semble rapporter cet édit à Naurouz, au commencement de l'année 1607 (octobre 1295), ce qui paraît plus vraisemblable, bien qu'il ne soit pas difficile de supposer que Naçr ait renouvelé la même mesure. Il s'accorde avec notre auteur sur les détails de la persécution: «Il serait impossible, dit-il, de décrire les vexations et les insultes que les chrétiens eurent à subir, principalement à Bagdad où, dit-on, aucun d'eux n'osait se montrer dans les rues; c'étaient leurs femmes qui sortaient pour acheter et vendre, parce qu'on ne les pouvait pas distinguer extérieurement des femmes mahométanes; mais si par hasard on les reconnaissait, elles étaient insultées et frappées. Enfin, tous les chrétiens habitants de ces contrées furent affligés d'un inénarrable abandon de Dieu. Leurs ennemis leur disaient en se moquant: «Où est votre Dieu? Voyons si vous avez un protecteur ou un libérateur.» Cette persécution ne se borna pas à nous seuls, elle s'étendit aussi aux Juifs et aux prêtres idolâtres et dut même paraître à ces derniers encore beaucoup plus dure après les grands honneurs qu'avaient coutume de leur rendre les souverains mongols qui leur donnaient la moitié des fonds versés dans le trésor, pour en faire des idoles d'or et d'argent. Aussi beaucoup de ces ministres des idoles se firent-ils mahométans à cette époque.»