Le Catholique ainsi que les évêques
qui le suivaient, et des Mongols envoyés par l'émir Gaïdjak
pour l'accompagner, se rendirent au village de Beth Çayadé.
Cependant ils étaient toujours remplis de crainte, de terreur, de
douleur profonde et d'angoisse. Ils restèrent là le temps
nécessaire pour réunir l'or qu'ils remirent à l'envoyé
de l'émir Tchoban, aux cent hommes de l'émir Gaïdjak
et aux Kurdes venus avec eux. Ils partirent ensuite pour se rendre au camp.
Le 8 de Tamouz de cette année
(juillet 1310), le Catholique fit visite à la princesse, femme de
l'émir Gaïdjak(1). Elle le traita avec honneur
et envoya un de ses hommes avec lui jusqu'au camp(2).
Dès son arrivée, il
se rendit prés du grand émir Tchoban, qui le reçut
avec les honneurs dus à sa dignité; puis il vint se fixer
à la ville(3). Tous les émirs savaient à
quoi s'en tenir à son sujet. Il alla trouver le roi victorieux et
le bénit selon l'usage et lui présenta la coupe; le roi lui
présenta également la coupe; mais ni l'un ni l'autre n'engagea
la conversation. Il sortit de cette entrevue très affligé.
Il s'était proposé, si le roi l'interrogeait, de lui faire
connaître tout ce qui lui était arrivé, à lui-même
et à ses ouailles. Aussi fut-il très contristé. Il
resta là un mois entier, espérant en vain un changement,
ou que quelqu'un l'interrogeât sur ce qui lui était advenu.
Quand certaines affaires urgentes
de la résidence et des chrétiens furent arrangées,
il revint au monastère qu'il avait bâti près de Maragha
et prit la résolution de ne plus jamais retourner au camp. «Je
suis las, disait-il, de servir les Mongols.»
Le Catholique passa l'hiver de l'année
1622 des Grecs (1310-1311) dans le couvent. A l'été, il alla
à la ville de Tauriz parce qu'il avait appris que l'émir
Irindjin - que Dieu lui conserve la vie! - était venu en cet endroit.
Il le rencontra dès son arrivée. L'émir traita le
Catholique avec grand honneur; il lui fit des dons et des présents,
ainsi que sa femme(4), fille du roi Ahmed, fils du feu
roi Houlaghou. Elle était très considérée dans
le royaume, parce que sa fille avait épousé le roi victorieux
[Oldjaïtou] et était alors la première parmi les femmes
de ce prince(5). Cet émir Irindjin et sa femme
donnèrent au Catholique la somme de dix mille dinars, c'est-à-dire
soixante mille zouz, et des chevaux de selle. L'émir donna encore
un grand village à l'église de Mar Schalita le saint martyr(6),
dans laquelle avait été déposé feu son père
et où avaient été aussi ensevelies sa mère
et ses femmes.
Le Catholique passa l'hiver de l'année
1623 des Grecs (1311-1312) dans le monastère, et aussi l'été.
Des conseillers exposèrent
sa situation au roi qui lui attribua [une pension de] cinq mille dinars
qui lui servaient pour vivre chaque année. Il lui donna aussi des
villages dans la région de la ville de Bagdad.
Le nombre des vénérables
pères métropolitains et évêques qu'il consacra
par l'imposition des mains s'élève, jusqu'à cette
année, à soixante-quinze.
C'est tout.
Il vécut dans le monastère
qu'il avait bâti(7) jusqu'à l'année
1629 des Grecs(8). Il y mourut la nuit du [samedi au]
dimanche ma schbich maschknak 15 de Teschri
second(9) (novembre 1317) et y fut inhumé(10).
Que sa mémoire soit en bénédiction!
Que les prières de Mar Jabalaha
le Catholique et de Rabban Çauma nous protègent, qu'elles
protègent le monde entier jusqu'à ses extrémités,
la sainte Église et ses enfants!
Et qu'à Dieu soient gloire,
honneur, louange, adoration dans les siècles des siècles.
Amen. Amen.
1. Cfr. ci-dessus, chap. XVIII,
n. 34.
2. Au mois de juillet, la cour était probablement
à Soultaniyeh.
3. Le texte porte bien lamdinta, à
la ville; il faut peut-être corriger lmaschrita,
au camp.
4. Cette femme se nommait Kitchic ou Kikhschek. Elle
suivit son mari dans la lutte qu'il soutint contre Abou-Saïd et prit
une part active au dernier combat, dans lequel Irindjin fut fait prisonnier.
Elle fut tuée dans la mêlée. Cfr. ci-dessus, chap.
XVII, n. 5 et D'OHSSON, IV, 638, 641.
5. La fille d'Irindjin, Koutloukschah-Khatoun, avait,
en effet, épousé Oldjaïtou le 23 mars 1305 et avait
reçu de ce prince le yort ou apanage de Dokouz-Khatoun. Cf.
D'OHSSON, IV, 484.
6. Cfr. ci-dessus, chap. VIIa,
n. 1.
7. A Maragha. Voir ci-dessus, chap. XV.
8. Dans l'intervalle, le roi Oldjaïtou lui-même
était mort, le 16 décembre 1316, à l'âge de
trente-six ans. Il eut pour successeur, son fils Abou-Saïd, qui régna
jusqu'en 1334.
9. Le 13, selon Amrou, qui a raison sur ce point.
10. L'écrivain nestorien Maris, cité
sous le nom d'Amrou, par ASSÉMANI (Bibl. or., t. III,
p. 2, p. 184), termine sa notice sur Jabalaha par ces paroles: «Honorem,
gloriam et auctoritatem consequutus est supra omnes decessores suos adeo
ut Mogulensium imperatores et Kani eorumque filii caput illi aperirent
et genua flecterent ejusque potestas amplissima Orientis regna omnia obtineret.
Quocirca Christiani in diebus ejus ad magnam gloriam et existimationem
provecti sunt. Unde in fine dierum ejus in teterrimum statum conciderunt,
in quo ad praesens usque tempus jacent. In ea rerum felicitate aedificavit
Jaballaha ingens monasterium prope urbem Maragam: at mox alternante fortuna
sub ejusdem episcopatu capta fuit nova ecclesia [in aedibus Duidari
exstructa] et Cella [patriarchalis], innovata fuit adversus
Christianos certae pecuniae pensio aliam a Saracenica religionem profiteri
volentibus imperari solita. Imperium autem, ejus aetate, tenuere ex Mogulensium
regum stirpe septem Kani: Abaka nimirum Kanus, et Achmed Soltanus, et Argon
Kanus, et Caichatus Kanus, et Baidus Kanus, et Kazanus Kanus, et Charbanda
Kanus: rerumque potitus est Abusaïdus Kanus filius Charbandae. In
hoc temporum rerumque varietate ad decrepitam senectutem provectus Pater
iste, requievit die Sabbati, nocte abeunte in Dominicam tertiam Consecrationis
Ecclesiae quae est dies tertius decimus Tesri posterioris [Novembis]
anni Alexandri Graeci 1629, inciditque in septimam Romadani anni Arabum
717, sepultus que fuit in monasterio quod ipse sub titulo S. Joannis construxerat.
Posquam vero a Mahumetanis loca illa expugnata atque in potestatem redacta
fuere et monasterium occupatum est, translatus fuit ad coenobium S. Michaelis
in provincia Arbelae. Sedit autem ad annos septem et triginta vacavitque
sedes octo dies et menses tres.» - Jabalaha eut pour successeur sur
le siège patriarcal le métropolitain d'Arbèle, Joseph,
qui avait succédé à Abraham, et qui, après
son élection au patriarcat, changea son nom en celui de Timothée,
ainsi que nous l'apprend 'EBEDJESUS (Epitome can. synod. p. V,
sub fine; apud ASSÉMANI, Bibl. or., t. III, p. 567):
«... In Patriarcham et Catholicum electus fuit pater noster Mar Timotheus,
metropolita Arbelensis, cui in metropolitica dignitate nomen fuerat Mar
Joseph, quique antequam sedem Arbelensem tenuisset Mossulanam metropolim
rexerat: defuncto autem et a temporaria hac vita ad vitae lucisque regionem
translato patre nostro Mar Abrahamo Arbelensi metropolita, relicto Athurensi
[seu Assyrio, i. e, Ninivitico et Mossulano] throno
ad ejus locum translatus fuit.»
Le célèbre auteur nestorien que nous
venons de citer, EBEDJÉSUS, métropolitain de Nisibe, était
le contemporain de Jabalaha et avait dédié à ce patriarche
son ouvrage intitulé «la Perle» [Marganitha],
traité théologique en cinq livres achevé en 1298,
dont ASSÉMANI a donné une analyse développée
(Bibl. or., t. III, part. 1, p. 352-360) et dont MAÏ a publié
une version latine (Script. vet. nova coll., t. X).