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CHAPITRE XVI
AFFECTION DU ROI CAZAN POUR MAR JABALAHA; SA MORT.

    Après l'achèvement de ce couvent et sa consécration, Monseigneur le Catholique se rendit à Tauriz, près du roi victorieux Cazan qui l'accueillit avec satisfaction, se réjouit de le voir, l'honora plus que de coutume et le traita d'une manière extraordinaire. Il l'interrogea sur sa construction et sur son entreprise. Le Catholique ayant répondu qu'elle était entièrement achevée, le roi victorieux tressaillit de joie et d'allégresse. Le Catholique le bénit(1) en présence des assistants.
    Le roi partit pour passer l'hiver à Moughan. Il permit à Monseigneur le Catholique de demeurer dans son monastère pendant l'hiver «car, dit-il, c'est un édifice nouveau et il sera agréable à son maître, à cause de la grande peine [qu'il s'est donnée].»
    Au retour de l'année(2), le roi revint de Moughan. Le Catholique alla le voir et le bénir. Cette rencontre fut la plus joyeuse et cette entrevue la plus affectueuse de toutes. Le roi lui assigna un siège d'honneur à sa droite; il lui fit divers présents [entre autres] une païza(3) avec insignes et de précieux vêtements royaux(4). Il lui témoigna l'affection sincère d'un coeur très pur.
    Monseigneur le Catholique le remercia et retourna à Arbèle en l'an 1614 des Grecs (1302), pour se rendre de là à Bagdad. Il y avait longtemps - à peu près neuf ans - qu'il n'était pas allé à ce grand siège. Le principal motif de sa venue était que le roi victorieux avait résolu lui-même de s'y rendre.
    Il partit d'Arbèle le vendredi après la fête de Noël(5) et arriva à Bagdad la veille(6) de la sainte Épiphanie (1303). Il célébra cette fête dans le monastère de Dârat Roumâyé(7). Toute la population se réjouit en lui; et sa propre joie fut immense.
    Après vingt jours il quitta Bagdad et partit pour aller voir le roi Cazan à Hellah(8), [ville] située auprès de cette Babylone que le roi chaldéen Neboucadnaçr avait bâtie.
    Dès son arrivée, il se rendit près du roi, le jour où les Mongols célèbrent la Fête Blanche(9). Celui-ci le reçut avec une joie au-delà de toute expression; il lui demanda comment allaient ses affaires et pourquoi il avait pris la peine de venir près de lui. Monseigneur le Catholique répondit ce qu'il fallait.
    Or, le roi avait pris la résolution d'entrer de nouveau en Palestine, de conquérir et de subjuguer ces régions.
    Après quelques jours, Monseigneur le Catholique eut une nouvelle entrevue avec lui pour [prendre congé et] retourner à Bagdad. Le roi lui donna cinq pièces d'étoffes précieuses qui servaient pour les vêtements royaux et lui régla toutes ses affaires selon son désir.
    Le roi entra dans ces contrées et le Catholique retourna à Bagdad, où il demeura à Dârat Roumâyé. Il y passa le reste de l'hiver, espérant remonter à la fin du carême vers l'Adherbaidjan et se fixer dans le monastère qu'il avait construit à Maragha.
    Le dix du mois de Nisan de cette année (avril 1303), il partit de Bagdad, sa ville patriarcale, et le treize du mois de Yar (mai), il arriva à la ville de Maragha et parvint en bonne santé au monastère qu'il avait fondé. Ensuite, le dix de Haziran (juin), le roi victorieux vint lui-même à ce monastère(10). Monseigueur le Catholique alla à sa rencontre et le reçut en grande pompe. Il donna un grand banquet, comme il convenait, au roi, aux princes, aux émirs et aux grands de l'empire
    Le roi fit beaucoup d'honneur à Monseigneur le Catholique; il l'éleva en dignité au-dessus de toute mesure, il lui fit d'excellentes et sublimes promesses et enleva son propre manteau pour l'en revêtir, ce qui causa une grande joie aux fidèles.
    Le roi coucha au monastère. La nuit, tandis qu'il dormait, il vit en songe trois anges qui se tenaient au-dessus de lui: l'un portait des vêtements rouges, les deux autres des vêtements verts brillants. Ils le consolèrent et l'assurèrent de la guérison des douleurs dont il souffrait aux talons.
    Le lendemain matin, le roi sortit une belle croix en or fin, ornée de pierres précieuses d'une grande valeur, dans laquelle se trouvait une parcelle du bois adorable de la Croix de notre Sauveur, que Monseigneur le Pape des Romains lui avait envoyée en signe d'honneur(11). Il en fit cadeau à Monseigneur le Catholique. Il raconta son songe devant tous les assistants et avoua que c'était par les bénédictions de cette sainte maison qu'il avait recouvré la santé. Il resta là encore toute la journée, exaltant et honorant le Catholique.
    De là, il partit pour le lieu où il avait coutume de passer l'été, c'est-à-dire, Oughan(12). Le vingt de Haziran (juin) de cette année, il envoya de nouveau à Monseigneur le Catholique un cheval de luxe qu'il montait lui-même, et un manteau d'honneur, avec un courrier pour s'informer de sa santé et lui faire encore de belles promesses. Après cela, au mois d'Ab (août), de cette même année, il lui envoya de nouveau des vases de cristal et des émaux (en persan gini), peints avec de l'or(13). Il avait, en effet, fait venir des ouvriers de la ville de Damas et de celle de Kâschan(14). Il montra beaucoup d'affection au patriarche par l'envoi de ces objets(15).
    Au mois de Teschri second de l'an 1615 des Grecs (novembre 1303), tandis que le roi était à Tauriz(16), Monseigneur le Catholique descendit, comme c'était l'habitude, pour aller passer l'hiver dans la citadelle d'Arbèle. Tous les prêtres qui se trouvaient là et les notables d'entre les chrétiens se rassemblèrent près de lui.
    Après la grande fête de la Résurrection de Notre-Seigneur(17), (1304), le grand émir à qui était confiée l'administration du gouvernement de Diarbekir, vint aussi trouver le Catholique, et il monta, tranquillement et en grand honneur, avec lui, au couvent qu'il avait bâti, à Maragha. Ils y parvinrent la veille de la fête de la Pentecôte(18).
    Cinq jours après, arriva une nouvelle cruelle, lamentable vraiment affligeante: le décès du roi victorieux Cazan! Il était mort le jour de la Pentecôte(19), vers le soir, dans les environs du Sahand(20). Tous les habitants des régions de son vaste empire prirent le deuil(21); son cercueil fut conduit à la ville de Tauriz, le dimanche coulmedem so'ar et déposé dans la grande Coubba, que le défunt lui-même avait fait construire(22).
 


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1. C'est-à-dire, lui souhaita des bénédictions, le félicita.
2. De l'année mongole qui commençait le1er février (voir ci-dessous  n. 9), c'est-a-dire au printemps de l'année 1302. Le Catholique passa sans doute l'été près du roi, puisqu'il le quitta en l'an 1614 des Grecs qui commençait au mois d'octobre 1302.
3. Cfr. ci-dessus, chap. V.
4. Ces distributions de vêtements précieux et de robes d'honneur, dans les circonstances solennelles, dont nous avons déjà rencontré de nombreux exemples, étaient très en usage chez les Mongols.
    MARCO POLO (chap. LXXXVIII) nous raconte que plusieurs fois l'an aux grandes fêtes, Khoubilaï-Khan donnait à chacun des douze mille barons et chevaliers qui formaient sa garde des robes de différentes couleurs, qui sont «aournées de pierres et de perles et d'autres nobles choses moult richement et de moult grant vaillance. Encore lor donne a chascun de ces douze mille barons avec chascune robe... une ceinture d'or moult belle et moult riche et de grant vaillance. Et encore une paire de chaucemente de camut qui est bourgal labouré de fils d'argent moult soutilement; si que, quant il ont ce vestu, si semble chascuns d'eux roys».
5. Le 28 décembre 1302.
6. Le 5 janvier.
7. Cf. ci-dessus, chap. X, n. 6.
8. Hillah ou Hellah, en arabe, Hellah el-Feïa (Hella la Vaste), est aujourd'hui une petite ville de l'Irak-Adjemi (Turquie d'Asie), située sur l'Euphrate et à 100 kilomètres au S. de Bagdad. Son enceinte confine aux ruines de l'antique Babylone, au milieu desquelles on a fait, en ces derniers temps, d'importantes découvertes. Hillah fut fondée en l'an 1100 de notre ère. Un voyageur arabe, Ibn Djobaïn, qui la visita a la fin du XIIe siècle, en parle déjà comme d'une cité populeuse. La ville moderne, bâtie pour la plus grande partie avec des briques provenant de l'ancienne cité sa voisine, a beaucoup perdu de l'importance qu'elle eut autrefois.
    Cazan était parti de Tauriz au mois de juillet (1302) pour Oughan. Après avoir célébré grandiosement l'inauguration de son palais d'été (cf. ci-dessus, chap. XII, n. 10) il quitta cette station le 26 août, et, passant par Hamadan, vint à Hillah où il arriva le 6 décembre. Il y réunit ses troupes pour une troisième expédition en Syrie. Il passa l'Euphrate le 30 janvier suivant, au témoignage de RASCHID ED-DIN qui l'accompagnait dans cette campagne. Actuellement encore, c'est à Hillah qu'on traverse le fleuve sur un pont de bateaux.
9. Il est probable que la Fête Blanche se célébrait à la cour des rois mongols de la Perse avec des cérémonies analogues à celles qui étaient observées à la cour du Khakan de Péking. MARCO POLO nous en a laissé la description dans le chapitre (LXXXVII) où «ci devise de la grant feste que le grant Kaan fait à leur chief de l'an». En voici le texte:
    «Il est voirs que il font leur chief de l'an le moys de fevrier et le grant sire et tous ceux qui sont sougiet à li font aussi une tel feste si comme je vous conterai.
    «Il est usage que le grant Kaan o tous ses subgiez se vestent touz de robes blanches, si que chascuns en celui jour et hommes et femmes petis et grans sont tous vestus de blanc. Et ce font il pour ce que blanche vesteure leur semble bonneureuse et bonne; et por ce la vestent il le chief de leur an, à ce que tuit l'an aient bien et joie. Et cestui jour toutes les genz de toutes provinces et régions et royaumes et contrées, qui de lui tiennent terre, li portent grans presenz d'or et d'argent et de perles et de pierres et de mains riches draps. Et ce font il à ce que tuit l'an le seigneur en provist avoir tressor assez et joie et leesce. Et encore se presentent l'une gent à l'autre, choses blanches et s'acollent et baisent et font grant joie, à ce que tout l'an il aient joie et bonne aventure et sachiez qu'en ce jour vient presens au grand seigneur de plusieurs parties qui sont ordennees, plus de cent mille chevaux blans moult beaus et riches. Et en celui jour tous ses olifans qui sont bien cinq mille sont tuis couverts de draps entaillés moult beaus et riches et porte chascun sur son dos deux ecrins moult beaulx et riches qui sont tout plains de vessellemente du seigneur, et d'autre riche bernois qui besoigne à celle court de la blanche feste. Et encore y vient grandisme quantité de chameus aussi couvers de moult riches draps qui sont tout chargiés de choses qui besoignent à ceste teste et tuit passe par devant le grand Sire; et ce est la plus belle chose à venir qui soit ou monde.
    «Encore vous dit que le matin de celle feste, avant que les tables soient mises, touz les roys et touz les barons et touz les contes, et touz les ducs et marchis et barons et chevaliers et astronomiens et philosophes et mires et fauconniers et mains autres officiers de toutes les terres entour, viennent en la grant sale devant le seigneur. Et ceux qui ne puent [entrer] dedens demeurent en tel lieu dehors que le seigneur les puet bien touz veoir. Et sont tuit ordené en tel maniere. Premierement sont ses filz et ses neveus et ceux de son lignage emperial. Apres sont les roys et puis les ducs, et puis chascun apres l'autre selonc son gré qui li est convenable. Et quant il sont assis chascuns en son lieu, adonc se lieve un des plus sages et dist à haute voiz: «enclinez et aourez.» Et tantost que il a ce dit, il inclinent maintenant et mettent leur front en terre, et font leur oroisons envers le seigneur. Et l'aourent aussi comme se il fut diex. En telle maniere l'aourent par quatre fois. Et puis vont à un autel qui moult est bien aournez. Et sus de cel autel a une table vermeille en laquelle a escript le nom du grant Kaan. Et y a bel encensier d'or, et encensent celle table et l'autel a grant reverence; puis s'en torne chascuns en son lieu.
    «Et quand ils ont tout ce fait, adonc se font les presens que je vous ai conté, qui sont de si grant vaillance et si riche. Et quand les presens sont tuit faits, et il a veues toutes ces choses si li mettent toutes les tables. Et quant elles sont mises, si s'assiet chascuns en son lieu si ordeneement comme je vous ai conté autrefois. Et quand ils ont mengié, si viennent les jugleours, et soulagent la court si comme autrefois avez ouy. Quant tous ce est fait si s'en torne chascun en son hostel. - Or vous ai devisé de la blanche feste du chief de l'an.»
10. La troisième expédition de Cazan ne fut pas plus heureuse que la seconde. Après avoir laissé la direction de la campagne à ses généraux il repassa l'Euphrate le 2 avril, se rendit a Singar où ses femmes vinrent le rejoindre, traversa le Tigre et attendit dans la plaine de Keschaf l'issue de son expédition. Koutloukshah, après avoir été complètement défait à Merdj us-Safar non loin de Damas, ramena les débris de l'armée en-deçà de l'Euphrate et rejoignit Cazan le 7 mai. Celui-ci partit dès le lendemain pour Oughan en passant par Maragha.
11. Il est probable que cette croix lui avait été l'apportée par ce même Buscarel qui avait déjà, comme nous l'avons vu, rempli la fonction d'ambassadeur en Occident pour le compte d'Argoun et qui fut de nouveau envoyé en Europe par Cazan, ainsi que nous l'apprenons par deux lettres d'Êdouard Ier, roi d'Angleterre, adressées l'une à Cazan et l'autre au patriarche d'Orient, évidemment notre Jabalaha. Nous reproduirons ailleurs cette lettre (Cf. RÉMUSAT, Mém. cité, p. 388). Buscarel est ici appelé Buscarellus de Guissurfo.
    Dans sa lettre datée de Westminster (12 mars 1302), Édouard - probablement en réponse aux reproches que Cazan lui avait adressés sur ses délais - s'excuse de ne pas s'être engagé dans une croisade en alléguant les guerres qui le retenaient en Occident. Cette lettre fut portée à la cour mongole par un envoyé du roi d'Angleterre, Geoffroy de Langles, qui était accompagné de deux gentilshommes écuyers, dont l'un était Nicolas de Chartres. Ils rejoignirent Buscarel à Gênes et voyagèrent jusqu'à la cour de Perse, avec lui, son neveu Conrad et Percival de Gisolfi. La relation de leur voyage existe et a été analysée par M. T. Hudson Turner. La cour mongole étant constamment déplacée, la route des envoyés dut être fréquemment changée. Quand l'ambassade partit, la cour était supposée en résidence à Cassaria (l'ancienne Césarée, en Arménie). On trouve les envoyés successivement à Sébaste, Tauriz, Mardin, Erzerum, Coya (?), Perpetum (i.e. Baiburt, en Arménie) et Sarakhana. Il est curieux de voir l'équipement dont ils se munirent à Gênes. Il se composait de fourrures, habits, armures, tapis, vaisselle d'argent et pelisses de fourrure. On dit même que la vaisselle d argent coûta la grosse somnie de L. 193.12 s.7 d., en monnaie courante (anglaise) de l'époque. Leurs quinze tapis, qui devaient servir de lits, étaient d'une valeur de L. 15.15 s.6 d. Leurs armures, y compris sept assiettes de fer, onze petits bassins, coûtèrent L. 44.5 s. Dans leur voyage à travers l'Asie-Mineure, les Sarrasins leur servirent de porteurs et de serviteurs. A Trébizonde, Buscarel se munit lui-même d'un «parasole» (sic). Comme le temps devenait plus chaud, on en acheta un autre à Tauriz. Ceux-ci, dit M. Turner (Archaeological Journal, VIII, 49-50), de la valeur de 2 shellings furent leurs plus remarquables acquisitions. Les envoyés, en revenant en Angleterre, ramenèrent avec eux, dans une cage, un léopard qui fut nourri pendant la traversée avec des moutons embarqués à Constantinople pour cet usage (Cf. HOWORTH, Hist. of the Mongols, III, 489).
12. D'après Raschid-ed-Din, Cazan arriva à Oughan le 26 juin. Il tint en ce lieu un kouriltaï qui s'ouvrit le 17 juillet, lorsqu'on eut fini d'informer contre les officiers qui avaient commandé en Syrie. Ce kouriltaï donna lieu à beaucoup de fêtes et à de grandes largesses. «Assis dans une grande tente, où il avait fait déposer les sommes recueillies dans toutes les provinces et entouré de ses principaux officiers, il répartit cet argent en raison des services rendus, ayant soin de motiver ses préférences. Des tas d'habits plus ou moins riches rangés par espèces; des rouleaux d'or et d'argent de différentes grandeurs sur lesquels était inscrite la quotité de la somme, et à quel corps de troupes ils étaient destinés, se donnaient à mesure que le prince appelait chaque corps par son nom. Cette distribution dura près de quinze jours pendant lesquels furent dépensés 300 toumans d'or en espèces [= 3 millions de dinars], vingt mille habits, cinquante ceintures garnies de pierreries et trois cents ceintures d'or.» D'OHSSON, 1V, 344. C'est probablement en cette même circonstance qu'il envoya des présents au Catholique.
13. Le mot gini, djini, ou plutôt tchini désigne des porcelaines émaillées et semble dérivé du nom de la Chine que les Chaldéens prononcent tchine.
14. Kaschan est une ville de la Perse, située dans la province d'Irak-Adjemi, à 150 kilom. au N. d'Ispahan sur la route de Téhéran, par 33° de lat. N., et 48° de long. E.; elle fut fondée par Zobéide, femme du khalife Haroun ar-Raschid, et était encore dans ces derniers temps une des villes les plus florissantes de la Perse. On y voyait un superbe palais royal, de belles mosquées, des collèges, des bains remarquables. De nombreuses manufactures d'étoffes: châles, brocart, velours, soieries, et des manufactures d'armes en faisaient tout récemment un centre commercial important et elle comptait 30,000 habitants, lorsqu'elle fut détruite par un terrible tremblement de terre en novembre 1893.
15. «Nous voyons dans tout ce récit Kazan en fréquents rapports avec le catholique Jab-Alaha, et favorisant les chrétiens, mais nulle part il n'est dit qu'il ait reçu le baptême ou pratiqué la religion chrétienne. Au contraire, le récit indique bien qu'il n'était pas chrétien. Ayton ou Haytoum, l'historien arménien contemporain qui avait souvent conversé avec Kazan, ne le dit pas non plus. C'est donc à tort que Darras (Hist. de l'Église, t. XXX, p. 108), sur la foi de quelques écrivains occidentaux, déclare que «le fait de sa conversion ne saurait être mis en doute». J. S. Assémani et Baronius se contentent de citer les témoignages sans se prononcer. Voir BARONII, Annales eccl., ad an. 1301.» LAMY. op. cit., p. 241. MOSHEIM lui-même, toujours enclin à exagérer les progrès du christianisme chez les Tartares, se refuse à admettre la conversion de Cazan et nous fait connaître la source où puisèrent les auteurs qui ont cru à cette conversion. Voici ce qu'il dit à ce sujet: «Sanctus Antoninus (Chron. P. III, Tit. XX, Cap. VIII, § IX fol. LXXXII) Gasanum non solum christianum esse factum refert sed prodigium quoque commemorat quo ad veritatem sit adductus. Uxorem duxerat Gasanus filiam regis Armeniae christianam eamque pulcherrimam, et dulcissimo ejus amore flagrabat. Sed accidit, nescio quo fato, ut ea filium ipsi pareret ita deformem, ut vix aliquid humani prae se ferret. Obstupescit Argonus consilium convecat et quid caussae sit, quod ex tam formosa uxore natus sit filius turpissimus, ex amicis querit. Hi inde id evenisse respondent quod uxer parum casta cum alio rem habuerit, ex quo adulterio puer esset procreatus; hanc ob rem principem gravissimo supplicio esse adficiendam, et cum sobole cremandam. Gasanus idem decernit; extruitur rogus, et feminae innocenti sententia adnunciatur. Ipsa ut sibi antea liceat peccata more christianorum confiteri, sacro epulo animam reficere ac puerum baptismo initiare, supplex rogat. Permittit Gasanus: uxor sanctissimum viaticum sumit, puer baptizatur. Sed esse miraculum! Puer, qui modo deformis erat ac teterrimus, pulcher ex baptismo exit et formosus. Imperater insigni hoc prodigio de pietate uxoris ac religionis Christianorum veritate convictus, eamdem profitetur veritatem et coetui christianorum cum multis aliis publice adscribitur. Ita rem narrat S. Antoninus, qui eam per virum quemdam ex Florentia oriundum innotuisse addit, qui inter Tartaros educatus, et ab iis ad Bonifacium romanum episcopum aliosque Europae principes missus esset ad divulgandum miraculum. Verum enim vero haec omnia non impediunt quo minus tota hec narratio dubia et incerta et veri parum similis nobis videatur» (Hist. Tartarorum eccles., p. 85). L'auteur ajoute qu'il serait bien surprenant de voir la naissance d'un enfant difforme causer une si vive surprise à un prince dont HAÏTON (Liv. des Hist., chap. 41) nous fait le portrait en ces termes: «Et hoc praecipue erat admirandum quod in tantillo corpusculo tanta virtutum copia inveniri poterat. Nam inter XX mille milites vix potuisset staturae minoris aliquis reperiri, neque turpioris adspectus Il fait encore observer que si le récit avait quelque apparence de fondement, on pourrait l'expliquer bien naturellement par une substitution d'enfant très facile à opérer par l'évêque qui administra le baptême selon le rite nestorien.
16. Cazan arriva à Tauriz le 5 septembre; il y resta jusqu'au 31 octobre, selon RASCHID, et partit ce jour-là pour Oughan.
17. La fête de Pâques se trouvait cette année-là le 29 mars.
18. La Pentecôte était le 17 mai. C'est de Maragha et de cette époque (18 mai 1304) qu'est datée la fameuse lettre de Jabalaha au pape Benoît XI, sur laquelle on s'appuie pour démontrer la prétendue soumission de ce Catholique au Saint-Siège. Nous l'examinerons plus tard.
19. «Cazan, arrivé près de Khaïlbuzurk dans le canton de Raï, retomba malade. Il expédia aussitôt un courrier à Boulgan-Khatoun pour la prier de venir et continua sa route à petites journées jusqu'à Yeskezé-round, près de Cazvin, où Boulgan-Khatoun arriva au commencement de mai. Cazan se sentant près de sa fin assembla les grands de l'État, adressa à chacun d'eux une exhortation et fit son testament par lequel il laissait le trône à son frère OEuldjaïtou, qu'il avait déjà désigné pour son successeur quatre ans auparavant; il recommanda vivement aux assistants de veiller à la stricte exécution de tous les points que renfermaient ses dernières volontés. Après avoir accompli ce devoir, il passa la plupart du temps en retraite. Quoique affaibli par la maladie, il conserva toutes ses facultés et son éloquence naturelle jusqu'au moment où il expira dans la soirée du dimanche 17 mai 1304.» D'OHSSON, IV, 349.
20. Le Sahand ou Sehend est une montagne de l'Adherbaidjan à 150 kil. sur la rive orientale du lac d'Ourmiah. Son plus haut sommet dépasse 3,500 mètres. C'est du haut de cet observatoire que Monteith dressa la carte de l'Adherbaidjan étendu à ses pieds. Le massif formé de porphyres trachytiques auxquels s'appuient des calcaires, des schistes, des grès, des conglomérats, est très abondant en sources de toute espèce, thermales et froides, acidulées, ferrugineuses, alcalines. Ce sont des fontaines du Sehend qui alimentent les réservoirs de Tauriz et les bains très fréquentés de Lala près du village de Sirdaroud. Une des vallées voisines est un des trois «paradis de l'Iran». Sur le versant occidental, les eaux très chargées de sel qui descendent dans le lac en augmentent la teneur saline. Une caverne profonde, l'Iskanderia «Grotte d'Alexandre», émet en abondance de l'acide carbonique et les animaux qui pénètrent dans cette fissure du sol périssent infailliblement, des amas d'ossements encombrent l'entrée. Pour les indigènes, c'est au fond de l'antre si bien gardée qu'Alexandre a enfoui ses trésors. Les roches du versant oriental sont veinées de cuivre et de plomb argentifère; les gens du pays vont y faire leur provision de minerai uniquement pour en retirer le plomb au feu de leur cuisine, ignorant que ce métal est allié à une quantité d'argent que d'ailleurs ils ne sauraient pas extraire (CZARNOTTA, Geologische Reichsanstalt, II).
21. «Son cercueil fut transporté à Tébriz sur des chevaux de ses écuries, suivi des Khatounes et des Oméras. Les habitants des villes et des villages sur la route, hommes et femmes, sortaient de leurs maisons tête et pieds nus et vêtus de bure, se couvraient la tête de poussière et faisaient entendre des gémissements. Les minarets dans tout le royaume furent couverts de bure; on étendit de la paille dans les rues, les bazars et les places publiques. Les habitants de toutes les classes se vêtirent, pendant sept jours, d'habits déchirés ou de bure. La population de Tébriz, portant le deuil en bleu foncé, alla jusqu'à la dernière station au-devant du convoi; militaires et bourgeois marchaient autour du cercueil, en poussant des sanglots.» D'OHSSON, IV, 350.
22. A Schenb, tout près de Tauriz. - «Jusqu'à ce prince les souverains mongols de la race de Tchinguiz-Khan avaient choisi pour leur sépulture un lieu isolé dont on dérobait soigneusement la connaissance à tout le monde. On plantait un bois sur ce terrain et on y plaçait une garde sûre qui en défendait l'approche. Cazan, devenu musulman, voulut suivre en tout les pratiques de sa nouvelle religion et dérogea à la coutume de ses ancêtres quoiqu'elle fût indifférente aux yeux de l'Islamisme.» Il avait visité dans toute la Perse un grand nombre de tombeaux révérés et voulut avoir, lui aussi, un lieu de repos qui fût connu et respecté de tous. Dans ce but il l'entoura d'établissements de bienfaisance. Il jeta donc a Schenb les fondements de grandes constructions. «Ces édifices, plus vastes encore que le célèbre Kounbed (coupole) du sultan Sindjar le Seldjoucide, à Merv, qui passait pour le plus grand bâtiment connu, consistaient en un mausolée couvert d'un dôme, une mosquée, deux collèges, l'un du rite Schafi, l'autre du rite Hanefi, un monastère, un hospice pour les Séyids, un hôpital, un observatoire, une bibliothèque, un dépôt d'archives, une maison pour l'administrateur de ces établissements, une citerne qui fournissait de l'eau à boire, et une maison de bains chauds. Il assigna des dotations considérables, soit pour les frais du matériel nécessaire a ces établissements, comme tapis, parfums, lumières, bois, etc..., soit pour l'entretien et les émoluments d'un grand nombre de personnes qui y étaient employées.» D'OHSSON, IV, 272-273.