Un des émirs nommé Naurouz(1),
qui ne craignait point Dieu, s'agita et envoya des lettres avec des messagers
qui devaient voler aux quatre coins des possessions de cet
empire. Il ordonnait que les églises soient détruites, que
les autels soient renversés, que les sacrifiées cessent,
que les chants et la sonnerie soient abolis; que les chefs [spirituels]
des chrétiens et de la synagogue des juifs soient mis à mort
avec les principaux d'entre eux(2).
Ils s'emparèrent, cette nuit-là
même, de Monseigneur le Catholique, dans sa résidence de Maragha;
au dehors, personne ne s'en aperçut avant l'aurore. Dès le
matin de ce jour, un lundi, ils envahirent la résidence et pillèrent
tout ce qu'il y avait dedans, soit vieux, soit neuf; ils ne laissèrent
pas une cheville dans le mur.
Dans la nuit du lendemain mardi, qui
était le 27 septembre, le Catholique fut
continuellement maltraité par ceux qui s'étaient saisis de
lui. Quand aux évêques qui étaient près de lui,
les uns furent enchaînés tout nus, d'autres abandonnèrent
leurs vêtements et prirent la fuite, d'autres se précipitèrent
du haut des étages.
On suspendit le Catholique la tête
en bas; on prit un linge, c'est-à-dire un mouchoir que l'on remplit
de cendres, et on le lui lia sur la bouche. L'un de ces malfaiteurs lui
lardait la poitrine en disant: «Abjure ta religion actuelle, afin
de ne pas périr; fais-toi hagaréen et tu seras sauvé.»
Le patriarche pleurait sans répondre
un mot. On le frappa, avec un bâton sur les cuisses et sur la partie
postérieure. Ils le firent ensuite monter sur la terrasse de la
résidence en lui disant: «Donne-nous de l'or et nous te laisserons;
montre-nous tes trésors, fais-nous voir ce que tu as dissimulé,
découvre ce que tu as caché et nous te sauverons.»
Comme il était revêtu
d'un corps faible et débile, Monseigneur le Catholique eut peur
de la mort. Il se mit à crier sur la terrasse: «Où
sont les disciples? Comment ceux que nous avons élevés ont-ils
pris la fuite? A quoi nous serviront les biens? Venez, rachetez votre père
à ces cruels vendeurs; délivrez votre maître!»
Or, tout le peuple: hommes, femmes,
jeunes gens et enfants, faisait entendre, dans l'obscurité du milieu
de la nuit, d'amers gémissements; cependant, par crainte, personne
ne s' approchait; mais ils eurent recours aux larmes et aux supplications;
ils disaient: «Montagnes! tombez sur nous, et vous, collines, couvrez-nous!(3)»
- Et la prophétie du prophète des Syriens(4)
fut accomplie: «Parce que nous avons méprisé
notre voie - et que nous l'avons tournée en dérision,
Dieu a fait de nous un sujet de dérision pour ceux du dehors - qui
nous font boire la coupe de moquerie. - Des hommes immondes ont dévasté
nos églises - parce que nous n'y avons pas prié convenablement;
- ils ont profané l'autel devant lequel - nous n'avons pas servi
dignement.»
Bref, pour ne pas allonger l'histoire,
un des disciples de la résidence emprunta quinze mille zouz(5)
et les leur donna dans l'espoir de délivrer le Catholique. Quand
ceux qui l'avaient saisi eurent reçu peu à peu la somme de
cinq mille dinars et, avec cet argent emprunté, les calices, les
patènes et tout ce qu'il y avait dans la résidence, ils sortirent
du couvent ce jour de mardi, à midi.
Il y eut alors une grande émeute.
Le peuple arabe vint attaquer avec impétuosité la grande
église du saint martyr Mar Schalita(6) et la dévasta.
Ils s'emparèrent de tout ce qu'elle renfermait, même des tentures
et des vases sacrés. Peu s'en fallut que l'éclat de leurs
clameurs et la tempête de leurs vociférations n'ébranlassent
la terre et ses habitants.
Peut-être que le lecteur de
cette histoire, qui ne s'est pas trouvé au milieu de cette tempête,
pensera que l'écrivain raconte simplement une fable; mais celui
qui raconte cela prend Dieu à témoin qu'il est impossible
de dire et d'écrire, en toute vérité, un seul mot
de ce qui s'est passé.
Le roi Haïton Takavôr
des Arméniens(7) était
descendu dans l'église même que Rabban Çauma avait
fait bâtir; grâce à ses nombreux présents et
à ses troupes, il la préserva de la dévastation. Le
Catholique, étant parvenu à s'échapper des mains de
ceux qui s'étaient emparés de lui, se réfugia et se
cacha près de ce roi cette nuit-là.
Le lendemain mercredi, au matin, un
des émirs envoyés par le susdit Naurouz apporta l'ordre écrit
de mettre à mort le Catholique. Il s'empara de plusieurs des hommes
de Haïton et leur dit: «Faites-moi voir le patriarche; car j'ai
un mot à lui dire.»
En entendant cela, Monseigneur le
Catholique trembla dans son coeur, s'enfuit de là et abandonna le
roi Takavôr. Celui-ci
contenta l'émir avec quelques présents et partit de Maragha.
Peu de jours après, Takavôr
gagna Tauriz(8). Monseigneur le Catholique
changea complètement de vêtements et, étant sorti seul,
accompagna Haïton, comme un de ses serviteurs, jusqu'à la ville
de Tauriz où le roi Cazan venait d'arriver(9).
Le Catholique se tint caché
pendant sept jours, jusqu'à ce que Takavôr se
fût rendu prés du roi Cazan pour lui faire connaître
l'affaire. Il pressait le patriarche d'aller voir le roi(10).
Comme les serviteurs de sa maison
étaient dispersés, il n'était resté avec le
Catholique que quelques enfants pauvres qui l'avaient suivi et entrèrent
avec lui près du roi Cazan. Ce roi ne le connaissait
pas. Après l'avoir salué, il lui adressa ces deux questions:
«D'où es-tu? Quel est ton nom?» et ce fut tout. Le Catholique
lui rendit réponse et le félicita.
Quand il sortit, le tremblement s'empara
de tous ses os, non pas uniquement parce qu'il craignait la mort, mais
parce qu'il voyait à quelle extrémité les chrétiens
étaient parvenus. Cependant, l'ange consolateur et une claire intuition
lui donnaient cet avertissement: «Aucune tentation ne vous est survenue
qui n'ait été humaine(11).» Déjà
il s'encourageait par ses larmes et ses lamentations: «Qui donnera,
disait-il, de l'eau à ma tête, à mes yeux une fontaine
de larmes, et je pleurerai jour et nuit sur le brisement de la fille de
mon peuple(12).»
C'est ainsi que se sont passées
les choses.
Il faisait froid à cette époque
et le camp fut transporté à Moughan, station d'hiver(13).
Le maudit Naurouz était à Tauriz.
Le Catholique, sans ressources, sans
monture, sans bête de somme, revint à Maragha. Il demeura
quelques jours dans sa résidence et bientôt de nouveaux perquisiteurs
arrivèrent. Il s'échappa de leurs mains par la fuite et [et
au prix de] dépenses considérables.
De jour en jour il reculait, car on
sait que toute gloire humaine conduit finalement à une humiliation
envoyée par Dieu, et que l'humiliation, au contraire, endurée
pour Dieu, est finalement suivie de gloire.
Le patriarche envoya au camp, cet
hiver-là, un de ses disciples pour faire changer les ordres et exposer
comment les choses se passaient. Celui-ci s'en revint fugitif. Il n'y avait
personne qui voulût prendre en main la cause des chrétiens
ou qui eût pitié des opprimés. Le disciple put à
peine s'échapper des mains d'un apostat qui
avait abandonné sa religion et s'était fait hagaréen.
Après la fête de Noël
de l'année 1607 des Grecs (1295), le dimanche markoul
kad badmouta, des envoyés du maudit Naurouz
descendirent encore trouver le Catholique, tenant à la main des
ordres. «Donne-nous, Catholique, lui dirent-ils, les dix mille dinars
que tu as reçus du roi Kaïkhatou; voici le tamga(14),
c'est-à-dire l'écrit scellé
par ordre de l'émir qui en ordonne la restitution.»
Or, la résidence était
déjà vide et dépouillée depuis longtemps. Les
serviteurs en entendant cela se dispersèrent promptement et prirent
la fuite. Le Catholique resta aux mains de ces Mongols hagaréens
et de ceux qui les avaient fait venir. La crainte s'empara des disciples.
Les évêques eux-mêmes, qui se trouvaient dans la résidence,
s'enfuirent, et Monseigneur le Catholique demeura seul entre les mains
de ces maudits arrogants.
Il leur proposa, cette nuit-là,
de leur donner un village; mais ils ne voulurent accepter que de l'or.
Dès qu'ils le menacèrent de le frapper, il se mit à
emprunter et à leur donner. Ils reçurent, dans la soirée
de ce dimanche, deux mille dinars.
Quelques-uns des disciples s'entendirent
avec le patriarche pour le faire fuir et l'arracher aux mains de ces Mongols.
Il avait peur, mais ils le forcèrent d'accepter et il céda.
Au chant du coq ils le tirèrent de la maison dans laquelle il était
enfermé, par une petite lucarne - dont la dimension, ne permettait
pas même de supposer qu'un enfant pût en sortir - et ils le
firent descendre. Il alla se cacher en d'autres lieux.
A l'aurore, les Mongols furent remplis
de confusion et ne savaient que faire. Ils craignaient aussi que quelqu'un
vînt pour leur demander compte du patriarche et leur dire: «Vous
l'avez fait périr.» Au moment même,
ils quittèrent la ville et reprirent le chemin de Bagdad.
Ceux-ci étaient à peine sortis, lorsqu'arriva
un autre envoyé, homme tout à fait méchant, de la
part de Naurouz le maudit. Il était accompagné d'un chrétien
qui s'était fait hagaréen et apportait un nouvel ordre pour
se faire remettre [par le patriarche] trente-six mille dinars. Comme Monseigneur
le Catholique s'était caché, ces envoyés cruels se
saisirent de quelques-uns des disciples de la résidence et exténuèrent
leurs corps par des tourments et des blessures nombreuses. Il les suspendirent
la tête en bas, en ces jours de froid et de neige tels qu'on n'en
avait jamais vu. Après que toute la ville se fut réunie pour
leur délivrance, on parvint à peine à les arracher
aux mains de ces impies moyennant seize mille dinars.
Le Catholique et ceux qui s'étaient attachés
à lui, soit évêques, soit moines, soit séculiers,
continuèrent à être persécutés par tout
le monde et à se cacher dans les demeures de ces séculiers.
Dès qu'on savait qu'ils étaient dans une maison, ils s'en
allaient aussitôt dans une autre(15).
Cela dura jusqu'à la grande fête de
la Résurrection (1296)(16).
1. Cet émir était fils de l'administrateur
Argoun-aka mort à Thous, en 1278. Il avait été le
lieutenant de Cazan, tandis que celui-ci était gouverneur du Khoraçan,
et lorsque ce prince partit pour s'emparer du trône, il laissa à
Naurouz le gouvernement de cette province. A la suite d'une des révoltes
de ce pays, craignant d'être disgracié, quoiqu'il fût
resté fidèle, Naurouz prit le parti de ne plus se confier
qu'à ses propres forces et, refusant de se rendre au camp de Cazan,
où il avait laissé sa femme, fille d'Abaka, il excita contre
lui plusieurs officiers. Il mit à la torture un messager de ce prince
et commença la guerre. Les troupes du roi désertèrent,
mais un nouveau renfort lui permit de mettre en fuite le rebelle qui se
réfugia près du roi Kaïdou (v. ci-dessus, chap. III),
dont il offusqua tous les officiers par sa fierté. Il en obtint
une armée avec laquelle il jeta la terreur dans le Khoraçan
au point que, d'après l'historien persan Wassaf, quand les bestiaux
se mettaient à courir on disait: «Ils ont donc vu l'image
de Naurouz!» Malgré cela il fut défait par le général
Koutlouk-schah et se retira dans le Sistan d'où il faisait, de temps
à autre, des incursions dans le Khoraçan. Après une
tentative de révolte infructueuse contre Baïdou, il prit le
parti de recourir à la clémence de Cazan. Celui-ci, heureux
de ramener au devoir ce chef turbulent, l'accueillit avec bonté
et lui promit de le combler de bienfaits s'il voulait lui rester fidèle.
Ils se jurèrent une amitié inaltérable. Il seconda
de toute son habileté ce prince dans sa guerre contre Baïdou.
Ce dernier s'étant emparé de Naurouz, lui déclara
dans un entretien secret, qu'il attendait de lui un dévouement égal
à son courage, et lui promettait la liberté à la condition
qu'il s'engageât par serment à livrer Cazan pieds et mains
liés. Naurouz jura sans hésiter et reçut en présent
dix mille dinars. Il rejoignit Cazan en quatre jours, et alors, pour tenir
son serment, envova à Baïdou un chaudron lié avec des
cordes dans un sac, car Cazan, signifie chaudron en
langue turque. Il finit par décider Cazan à embrasser l'Islamisme,
lui attira ainsi de nombreux partisans et fit triompher sa cause. Cazan
le récompensa de ses services en le nommant lieutenant général
du royaume et en lui ordonnant de demander une faveur. Comme ce prince
était un fanatique musulman, ainsi qu'il l'avait déjà
montré par les efforts inouïs qu'il avait faits pour convertir
Cazan, il fléchit le genou et demanda au prince de mettre en tête
des ordonnances royales le nom de Dieu et celui de Mahomet. On comprend
qu'un homme de ce caractère n'ait rien eu de plus pressé
que de persécuter les chrétiens et les juifs.
2. «Déjà, dit BAR HÉBRÉUS
(Chron. syr., éd. Bruns, p. 609), Naurouz, lorsqu'il
poursuivait Baïdou (ce qui concorde très exactement avec les
dates données ici) avait prescrit de détruire tous les édifices
prohibés en pays musulmans (églises, synagogues, temples
d'idoles); de tuer les prêtres bouddhistes; de traiter avec mépris
les ecclésiastiques, de ne les exempter ni des impôts, ni
des autres charges; de ne pas permettre que les chrétiens se montrassent
en public sans être ceints du zonar, ni les juifs sans porter
un signe distinctif sur la tête. Alors la populace de Tauriz détruisit
toutes les églises de cette ville, et il est impossible de décrire
les persécutions et les insultes que les chrétiens eurent
à subir, principalement à Bagdad, où, dit-on, aucun
d'eux n'osait se montrer dans les rues; c'étaient leurs femmes qui
sortaient pour acheter ou vendre parce qu'on ne pouvait les distinguer,
à l'extérieur, des femmes mahométanes, mais si par
hasard on les reconnaissait elles étaient insultées et frappées.
Cette persécution ne se borna pas à nous seuls, elle s'étendit
aussi sur les juifs et les prêtres idolâtres, et dut même
paraître à ces derniers encore plus dure, après les
grands honneurs qu'avaient coutume de leur rendre les souverains mongols,
qui leur livraient la moitié des fonds versés dans le trésor
pour en faire des idoles d'or et d'argent.»
3. LUC, XXIII, 30.
4. Les Syriens donnent ce titre à leur grand
docteur, saint Ephrem. Ce passage est tiré de son hymne insérée
dans l'office du mercredi de la Rogation, 1re leçon, 2e session,
selon les termes du bréviaire nestorien.
5. Il semble bien qu'il s'agit ici de dinars. (Voir
la Chron. syriaque, de BAR HÉBRÉUS, éd.
Bruns, p. 612).
6. Voir ci-dessus, chap. VIIa,
n. 1.
7. Il existait à cette époque sous le
nom de Petite Arménie un petit État qui a été
très mêlé à l'histoire des Mongols. Protégé
par les monts du Taurus, il comprenait les anciens districts de Cilicie
et Comagène, avec plusieurs villes de Cappadoce et d'Isaurie. La
capitale était Sis. Cet état fut fondé par Rupen,
parent de Kakig II, dernier roi de l'Arménie propre. Les descendants
de Rupen élargirent leurs frontières aux dépens de
l'empire grec et s'allièrent aux premiers croisés dans la
lutte avec les Seljoukes du Roum. Léon IX, successeur de Rupen,
obtint du pape et de l'empereur Henri VI le titre de roi. Haïton II,
dont il est ici question, avait succédé, en 1289, à
son père Léon III. Après la prise d'Acre, en 1291,
il envoya des ambassadeurs au pape Nicolas IV, ainsi qu'aux principaux
souverains de l'Europe pour implorer leur assistance mais, malgré
les exhortations du pontife, les occidentaux restèrent sourds à
ses supplications. En 1293, il traita avec le sultan d'Égypte et
dut lui céder plusieurs places fortes. Au bout de quatre ans, Haïton
abandonna la couronne à son frère Thoros et se retira dans
un couvent, où il prit l'habit de saint François et le nom
de Jean. Cédant aux sollicitations de Thoros et des grands du royaume,
il reprit le gouvernement en 1295. A l'avènement au trône
de Baïdou, il était parti pour rendre hommage à ce souverain
et traiter avec lui un grand nombre d'affaires. Il arriva à Siah-kouh,
où se trouvait Baïdou, lorsque Naurouz s'avançait contre
ce prince qui, dans ce moment critique, fit prier le roi d'Arménie
de retourner à Maragha, où il recevrait, dès que les
circonstances le permettraient, l'invitation de se rendre à l'ordou.
C'est sur ces entrefaites qu'eurent lieu la mort de Baïdou et les
massacres dont nous venons de parler.
Le mot Takavôr signifie, en arménien,
celui qui porte la couronne. Il semble que notre auteur
l'ait prit pour un nom propre, comme plus haut, le titre de basileuV.
Cfr. chap. VIIa, n, 4.
8. Tauris ou Tebriz, chef-lieu de la province de l'Adherbaidjan,
est une ville de plus de 100,000 habitants, et qui en a eu, dit-on, jusqu'à
500,000. Elle est située par 44° 12' de long. E. et 38°
5' de lat. N. Le géographe arabe YAKOUT (XIIIe siècle)
la décrit en ces termes: «Ville principale de l'Azerbaïdjàn,
florissante et bien peuplée; elle est entourée de murs en
briques cuites et reliées à la chaux. Plusieurs petites rivières
la traversent: elle est environnée de jardins et les fruits s'y
vendent à vil prix. On y fabrique des étoffes, de beaux satins
et des tissus qui sont exportés partout. Lorsque les Tartares envahirent
la province, l'an 618 (de l'hégire, 1221 de notre ère), les
habitants parvinrent à les séduire à force de présents,
et ils échappèrent ainsi à une ruine inévitable.»
Cette ville fondée, selon une légende
arabe, en 791 de notre ère, par Zobeïdeh, femme du fameux khalife
Haroun ar-Raschid, contemporain de Charlemagne, fut la résidence
des princes Atabeks avant de devenir la capitale de la Perse sous les premiers
princes Mongols, jusqu'à la fondation de Soultaniyeh, au commencement
du XIVe siècle. Elle fut alors très florissante. Cazan l'entoura
d'une seconde enceinte qui avait six portes et cinq mille pas de tour.
En dehors de ce mur, le même prince fit construire, pour y placer
sa sépulture, un vaste faubourg qu'il décora d'édifices
élevés et d'une grande beauté. Le célèbre
ministre et écrivain persan Raschid ed-Din bâtit en haut de
cette métropole, sur la colline de Oueliân, un autre faubourg
auquel il donna le nom de Raschidiyeh, et qu'il embellit de plusieurs monuments
remarquables.
Tauriz fut dévastée par les Turcs
en 1532. En 1721, elle fut renversée par un tremblement de terre
et près de 100,000 habitants y périrent. Voici le chapitre
de MARCO POLO dans lequel « ci devise de la noble cité de
Tavriz»(XXIX): «Tavriz est une grant cité et noble qui
est en une grant province qui s'appelle Yrac..... Il est voirs que les
hommes de Tavris vivent de marchandise et d'art; car ils labourent de toutes
manieres draps de soie et dorés, de pluseurs façons moult
beaux et de grant vaillance. La cité est si bien assise que d'Inde
et de Baudas (= Bagdad) et de Mausul et de Cremesor, et de mainz autres
lieus y viennent les marchandises. Si que, pour ce y viennent pluseurs
marchans latins et proprement genevois, pour acheter et pour faire leur
afaire; car il s'y treuve aussi grant quantité de pierrerie. Elle
est cité, que les marchans y font moult leur profit. Ils sont gent
de povre afaire, et sont moult mellées de maintes manieres. Il y
a Hermins (= Arméniens), Nestorins, Jacobins, Jorgans (= Géorgiens),
Persans: et encore hommes qui aourent Mahommet et c'est le peuple de la
cité. Et sont moult mauvaises genz, et s'appellent Touzi.
La ville est toute avironnée de moult beaux jardins et delitables,
plains de moult beaux fruiz de pluseurs manieres moult bons, et assez de
grant maniere.»
CHARDIN (Voyage en Perse, t. II, p. 327)
s'exprime ainsi à propos de notre ville: «Le nombre d'étrangers
qui se trouvent là en tout temps est fort grand. Il y en a de tous
les endroits de l'Asie, et je ne sais s'il y a sorte de marchandises dont
l'on ne puisse y trouver magasin. La ville est remplie de métiers
en coton, en soie et en or. Les plus beaux turbans de Perse s'y fabriquent.
J'ay ouy assurer aux principaux marchands de la ville qu'on y fabrique
tous les ans six mille balles de soie. Le commerce de cette ville s'étend
dans toute la Perse et dans toute la Turquie, en Moscovie, en Tartarie,
aux Indes et sur la mer Noire.»
9. Le roi Cazan fit son entrée solennelle dans
Tauriz le mercredi 5 octobre 1295, et quitta cette ville bientôt
après pour aller prendre ses quartiers d'hiver à Moughan.
Les fêtes de son intronisation ne furent célébrées
que le 3 novembre, premier jour favorable, selon les astrologues. (D'OHSSON
IV, 144, 153.)
10. Pour bien comprendre ces deux paragraphes, il
faut préciser les dates. Le Catholique s'échappa le mercredi
28 septembre. Cazan entra à Tauriz le 5 octobre. Il est donc exact
de dire que le patriarche dut attendre sept jours; et l'entrevue eut lieu
à Tauriz. Mais, Haïton n'attendit pas sept jours pour voir
Cazan, car nous savons qu'il alla lui faire sa cour et lui offrir des présents
sur la colline d'Okma, près de Dihbourkan, où le vainqueur
était campé: «Tu es venu pour Baïdou et non pour
moi», lui dit Cazan. - Haïton répondit: «Il est
de mon devoir d'honorer tout descendant de Gengis-Khan.» Cazan fut
content, lui donna des vêtements royaux et promit de lui accorder
tout ce qu'il demanderait. Haïton pria Cazan d'arrêter la destruction
des églises. Cazan lui accorda l'objet de sa demande, révoqua
les édits précédents et statua que les temples des
idoles seraient seuls convertis en mosquées. Le roi d'Arménie
quitta le camp, satisfait du service qu'il venait de rendre à la
religion.
11.I. Cor. X, 13.
12. JÉRÉM. IX, 1.
13. La plaine de Moughan, Moghân ou
Moukân, est située entre la rive droite du cours inférieur
de l'Araxes, le Kour et les montagnes de Talich ou Talichah. Elle portait
autrefois le nom arménien de Taran ou Tahin, et faisait
partie de la province de P'haïdagaran. Comme elle offre d'excellents
pâturages, elle a souvent servi de campement aux armees mongoles
et persanes» (KLAPROTH, Jour. as., sept. 1833, t. XII,
p. 200). Elle fait aujourd'hui partie du district de Lenkoran, dans le
gouvernement de Bakou (Russie méridionale). RICOLDO DI MONTE CROCE
(éd. Laurent, p. 122) parle de ses sources de pétrole: «In
eadem quoque provincia sunt fontes olei, maxime in Mogano. Unde
omnes ille provincie usque Baldacum et usque in Indiam utuntur sale terre
et oleo fontis.»
14. Al-tamga, «c'est-à-dire un
diplôme portant l'empreinte en or du sceau du grand Khan» (DULAURIER,
Fragments relatifs aux Mongols, Journ. as., avril-mai, 1858,
p. 432). Cette explication peut être vraie, mais elle est, je crois,
trop restreinte. Les khans de la Perse, lors de leur avènement,
recevaient du grand Khan de Chine, leur suzerain nominal, un sceau en or,
portant des caractères chinois dont ils se servaient pour sceller
leurs diplômes. Mais, à l'instar de ce souverain, ils donnaient
eux-mêmes à ceux de leurs sujets auxquels ils confiaient des
charges importantes, des sceaux portant leurs propres insignes, et les
pièces marquées de ces sceaux étaient aussi appelées
tamga.
15. Rien n'est plus propre que les événements
racontés dans ce chapitre et les suivants, à mettre en évidence
les judicieuses réflexions que fait ABEL RÉMUSAT (Mémoire
cité, p. 124): «Par malheur, dit-il, les Mongols,
toujours indécis entre les deux religions [mahométane et
chrétienne], ou peut-être voulant ménager les partisans
qu'elles avaient dans les contrées qui leur étaient soumises,
n'étaient pas un peuple qu'il fut aisé de convertir, et,
quoique les princes, guidés par leur intérêt, eussent
peut-être une bonne volonté plus marquée pour le christianisme,
il se trouvait un bon nombre de chefs qui, plus particulièrement
soumis à l'influence des musulmans, passaient dans les rangs des
ennemis des chrétiens, tandis que le gros de la nation, attaché
par habitude à l'antique croyance Tartare, voyait les deux cultes
de l'Occident avec une égale indifférence. Sans cette indécision
qui ne tarda pas à leur être fatale, les Mongols auraient
sans doute fini par se faire un appui de l'un ou de l'autre. S'ils n'eussent
pas dédaigné ce moyen facile de grossir le nombre de leurs
partisans, on peut croire que la destruction du pouvoir des Il-Khans, en
Perse, n'aurait été ni si prompte ni si complète.
Les Turks introduits en Occident comme esclaves, ont occupé tous
les trônes de l'islamisme et fondé des dynasties durables;
et les Mongols, après avoir soumis l'Asie et fait trembler l'Europe,
purent à peine se maintenir en Perse pendant soixante années,
et n'y ont pas laissé une seule des tribus de leur race. La ferveur
des Turks dans la croyance qu'ils avaient embrassée, l'indécision
des Tartares et leurs variations perpétuelles doivent être
comptées parmi les causes qui peuvent expliquer cette différence.»
16. Pâques se trouvait, cette année là,
le 25 mars.