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CHAPITRE XI
PERSÉCUTION CONTRE MAR JABALAHA ET LES CHRÉTIENS,
A MARAGHA.

    Un des émirs nommé Naurouz(1), qui ne craignait point Dieu, s'agita et envoya des lettres avec des messagers qui devaient voler aux quatre coins des possessions de cet empire. Il ordonnait que les églises soient détruites, que les autels soient renversés, que les sacrifiées cessent, que les chants et la sonnerie soient abolis; que les chefs [spirituels] des chrétiens et de la synagogue des juifs soient mis à mort avec les principaux d'entre eux(2).
    Ils s'emparèrent, cette nuit-là même, de Monseigneur le Catholique, dans sa résidence de Maragha; au dehors, personne ne s'en aperçut avant l'aurore. Dès le matin de ce jour, un lundi, ils envahirent la résidence et pillèrent tout ce qu'il y avait dedans, soit vieux, soit neuf; ils ne laissèrent pas une cheville dans le mur.
    Dans la nuit du lendemain mardi, qui était le 27 septembre, le Catholique fut continuellement maltraité par ceux qui s'étaient saisis de lui. Quand aux évêques qui étaient près de lui, les uns furent enchaînés tout nus, d'autres abandonnèrent leurs vêtements et prirent la fuite, d'autres se précipitèrent du haut des étages.
    On suspendit le Catholique la tête en bas; on prit un linge, c'est-à-dire un mouchoir que l'on remplit de cendres, et on le lui lia sur la bouche. L'un de ces malfaiteurs lui lardait la poitrine en disant: «Abjure ta religion actuelle, afin de ne pas périr; fais-toi hagaréen et tu seras sauvé.»
    Le patriarche pleurait sans répondre un mot. On le frappa, avec un bâton sur les cuisses et sur la partie postérieure. Ils le firent ensuite monter sur la terrasse de la résidence en lui disant: «Donne-nous de l'or et nous te laisserons; montre-nous tes trésors, fais-nous voir ce que tu as dissimulé, découvre ce que tu as caché et nous te sauverons.»
    Comme il était revêtu d'un corps faible et débile, Monseigneur le Catholique eut peur de la mort. Il se mit à crier sur la terrasse: «Où sont les disciples? Comment ceux que nous avons élevés ont-ils pris la fuite? A quoi nous serviront les biens? Venez, rachetez votre père à ces cruels vendeurs; délivrez votre maître!»
    Or, tout le peuple: hommes, femmes, jeunes gens et enfants, faisait entendre, dans l'obscurité du milieu de la nuit, d'amers gémissements; cependant, par crainte, personne ne s' approchait; mais ils eurent recours aux larmes et aux supplications; ils disaient: «Montagnes! tombez sur nous, et vous, collines, couvrez-nous!(3)» - Et la prophétie du prophète des Syriens(4) fut accomplie: «Parce que nous avons méprisé notre voie - et que nous l'avons tournée en dérision, Dieu a fait de nous un sujet de dérision pour ceux du dehors - qui nous font boire la coupe de moquerie. - Des hommes immondes ont dévasté nos églises - parce que nous n'y avons pas prié convenablement; - ils ont profané l'autel devant lequel - nous n'avons pas servi dignement.»
    Bref, pour ne pas allonger l'histoire, un des disciples de la résidence emprunta quinze mille zouz(5) et les leur donna dans l'espoir de délivrer le Catholique. Quand ceux qui l'avaient saisi eurent reçu peu à peu la somme de cinq mille dinars et, avec cet argent emprunté, les calices, les patènes et tout ce qu'il y avait dans la résidence, ils sortirent du couvent ce jour de mardi, à midi.
    Il y eut alors une grande émeute. Le peuple arabe vint attaquer avec impétuosité la grande église du saint martyr Mar Schalita(6) et la dévasta. Ils s'emparèrent de tout ce qu'elle renfermait, même des tentures et des vases sacrés. Peu s'en fallut que l'éclat de leurs clameurs et la tempête de leurs vociférations n'ébranlassent la terre et ses habitants.
    Peut-être que le lecteur de cette histoire, qui ne s'est pas trouvé au milieu de cette tempête, pensera que l'écrivain raconte simplement une fable; mais celui qui raconte cela prend Dieu à témoin qu'il est impossible de dire et d'écrire, en toute vérité, un seul mot de ce qui s'est passé.
    Le roi Haïton Takavôr des Arméniens(7) était descendu dans l'église même que Rabban Çauma avait fait bâtir; grâce à ses nombreux présents et à ses troupes, il la préserva de la dévastation. Le Catholique, étant parvenu à s'échapper des mains de ceux qui s'étaient emparés de lui, se réfugia et se cacha près de ce roi cette nuit-là.
    Le lendemain mercredi, au matin, un des émirs envoyés par le susdit Naurouz apporta l'ordre écrit de mettre à mort le Catholique. Il s'empara de plusieurs des hommes de Haïton et leur dit: «Faites-moi voir le patriarche; car j'ai un mot à lui dire.»
    En entendant cela, Monseigneur le Catholique trembla dans son coeur, s'enfuit de là et abandonna le roi Takavôr. Celui-ci contenta l'émir avec quelques présents et partit de Maragha.
    Peu de jours après, Takavôr gagna Tauriz(8). Monseigneur le Catholique changea complètement de vêtements et, étant sorti seul, accompagna Haïton, comme un de ses serviteurs, jusqu'à la ville de Tauriz où le roi Cazan venait d'arriver(9).
    Le Catholique se tint caché pendant sept jours, jusqu'à ce que Takavôr se fût rendu prés du roi Cazan pour lui faire connaître l'affaire. Il pressait le patriarche d'aller voir le roi(10).
    Comme les serviteurs de sa maison étaient dispersés, il n'était resté avec le Catholique que quelques enfants pauvres qui l'avaient suivi et entrèrent avec lui près du roi Cazan. Ce roi ne le connaissait pas. Après l'avoir salué, il lui adressa ces deux questions: «D'où es-tu? Quel est ton nom?» et ce fut tout. Le Catholique lui rendit réponse et le félicita.
    Quand il sortit, le tremblement s'empara de tous ses os, non pas uniquement parce qu'il craignait la mort, mais parce qu'il voyait à quelle extrémité les chrétiens étaient parvenus. Cependant, l'ange consolateur et une claire intuition lui donnaient cet avertissement: «Aucune tentation ne vous est survenue qui n'ait été humaine(11).» Déjà il s'encourageait par ses larmes et ses lamentations: «Qui donnera, disait-il, de l'eau à ma tête, à mes yeux une fontaine de larmes, et je pleurerai jour et nuit sur le brisement de la fille de mon peuple(12).»
    C'est ainsi que se sont passées les choses.
    Il faisait froid à cette époque et le camp fut transporté à Moughan, station d'hiver(13). Le maudit Naurouz était à Tauriz.
    Le Catholique, sans ressources, sans monture, sans bête de somme, revint à Maragha. Il demeura quelques jours dans sa résidence et bientôt de nouveaux perquisiteurs arrivèrent. Il s'échappa de leurs mains par la fuite et [et au prix de] dépenses considérables.
    De jour en jour il reculait, car on sait que toute gloire humaine conduit finalement à une humiliation envoyée par Dieu, et que l'humiliation, au contraire, endurée pour Dieu, est finalement suivie de gloire.
    Le patriarche envoya au camp, cet hiver-là, un de ses disciples pour faire changer les ordres et exposer comment les choses se passaient. Celui-ci s'en revint fugitif. Il n'y avait personne qui voulût prendre en main la cause des chrétiens ou qui eût pitié des opprimés. Le disciple put à peine s'échapper des mains d'un apostat qui avait abandonné sa religion et s'était fait hagaréen.
    Après la fête de Noël de l'année 1607 des Grecs (1295), le dimanche markoul kad badmouta, des envoyés du maudit Naurouz descendirent encore trouver le Catholique, tenant à la main des ordres. «Donne-nous, Catholique, lui dirent-ils, les dix mille dinars que tu as reçus du roi Kaïkhatou; voici le tamga(14), c'est-à-dire l'écrit scellé par ordre de l'émir qui en ordonne la restitution.»
    Or, la résidence était déjà vide et dépouillée depuis longtemps. Les serviteurs en entendant cela se dispersèrent promptement et prirent la fuite. Le Catholique resta aux mains de ces Mongols hagaréens et de ceux qui les avaient fait venir. La crainte s'empara des disciples. Les évêques eux-mêmes, qui se trouvaient dans la résidence, s'enfuirent, et Monseigneur le Catholique demeura seul entre les mains de ces maudits arrogants.
    Il leur proposa, cette nuit-là, de leur donner un village; mais ils ne voulurent accepter que de l'or. Dès qu'ils le menacèrent de le frapper, il se mit à emprunter et à leur donner. Ils reçurent, dans la soirée de ce dimanche, deux mille dinars.
    Quelques-uns des disciples s'entendirent avec le patriarche pour le faire fuir et l'arracher aux mains de ces Mongols. Il avait peur, mais ils le forcèrent d'accepter et il céda. Au chant du coq ils le tirèrent de la maison dans laquelle il était enfermé, par une petite lucarne - dont la dimension, ne permettait pas même de supposer qu'un enfant pût en sortir - et ils le firent descendre. Il alla se cacher en d'autres lieux.
    A l'aurore, les Mongols furent remplis de confusion et ne savaient que faire. Ils craignaient aussi que quelqu'un vînt pour leur demander compte du patriarche et leur dire: «Vous l'avez fait périr.» Au moment même, ils quittèrent la ville et reprirent le chemin de Bagdad.
    Ceux-ci étaient à peine sortis, lorsqu'arriva un autre envoyé, homme tout à fait méchant, de la part de Naurouz le maudit. Il était accompagné d'un chrétien qui s'était fait hagaréen et apportait un nouvel ordre pour se faire remettre [par le patriarche] trente-six mille dinars. Comme Monseigneur le Catholique s'était caché, ces envoyés cruels se saisirent de quelques-uns des disciples de la résidence et exténuèrent leurs corps par des tourments et des blessures nombreuses. Il les suspendirent la tête en bas, en ces jours de froid et de neige tels qu'on n'en avait jamais vu. Après que toute la ville se fut réunie pour leur délivrance, on parvint à peine à les arracher aux mains de ces impies moyennant seize mille dinars.
    Le Catholique et ceux qui s'étaient attachés à lui, soit évêques, soit moines, soit séculiers, continuèrent à être persécutés par tout le monde et à se cacher dans les demeures de ces séculiers. Dès qu'on savait qu'ils étaient dans une maison, ils s'en allaient aussitôt dans une autre(15).
    Cela dura jusqu'à la grande fête de la Résurrection (1296)(16).


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1. Cet émir était fils de l'administrateur Argoun-aka mort à Thous, en 1278. Il avait été le lieutenant de Cazan, tandis que celui-ci était gouverneur du Khoraçan, et lorsque ce prince partit pour s'emparer du trône, il laissa à Naurouz le gouvernement de cette province. A la suite d'une des révoltes de ce pays, craignant d'être disgracié, quoiqu'il fût resté fidèle, Naurouz prit le parti de ne plus se confier qu'à ses propres forces et, refusant de se rendre au camp de Cazan, où il avait laissé sa femme, fille d'Abaka, il excita contre lui plusieurs officiers. Il mit à la torture un messager de ce prince et commença la guerre. Les troupes du roi désertèrent, mais un nouveau renfort lui permit de mettre en fuite le rebelle qui se réfugia près du roi Kaïdou (v. ci-dessus, chap. III), dont il offusqua tous les officiers par sa fierté. Il en obtint une armée avec laquelle il jeta la terreur dans le Khoraçan au point que, d'après l'historien persan Wassaf, quand les bestiaux se mettaient à courir on disait: «Ils ont donc vu l'image de Naurouz!» Malgré cela il fut défait par le général Koutlouk-schah et se retira dans le Sistan d'où il faisait, de temps à autre, des incursions dans le Khoraçan. Après une tentative de révolte infructueuse contre Baïdou, il prit le parti de recourir à la clémence de Cazan. Celui-ci, heureux de ramener au devoir ce chef turbulent, l'accueillit avec bonté et lui promit de le combler de bienfaits s'il voulait lui rester fidèle. Ils se jurèrent une amitié inaltérable. Il seconda de toute son habileté ce prince dans sa guerre contre Baïdou. Ce dernier s'étant emparé de Naurouz, lui déclara dans un entretien secret, qu'il attendait de lui un dévouement égal à son courage, et lui promettait la liberté à la condition qu'il s'engageât par serment à livrer Cazan pieds et mains liés. Naurouz jura sans hésiter et reçut en présent dix mille dinars. Il rejoignit Cazan en quatre jours, et alors, pour tenir son serment, envova à Baïdou un chaudron lié avec des cordes dans un sac, car Cazan, signifie chaudron en langue turque. Il finit par décider Cazan à embrasser l'Islamisme, lui attira ainsi de nombreux partisans et fit triompher sa cause. Cazan le récompensa de ses services en le nommant lieutenant général du royaume et en lui ordonnant de demander une faveur. Comme ce prince était un fanatique musulman, ainsi qu'il l'avait déjà montré par les efforts inouïs qu'il avait faits pour convertir Cazan, il fléchit le genou et demanda au prince de mettre en tête des ordonnances royales le nom de Dieu et celui de Mahomet. On comprend qu'un homme de ce caractère n'ait rien eu de plus pressé que de persécuter les chrétiens et les juifs.
2. «Déjà, dit BAR HÉBRÉUS (Chron. syr., éd. Bruns, p. 609), Naurouz, lorsqu'il poursuivait Baïdou (ce qui concorde très exactement avec les dates données ici) avait prescrit de détruire tous les édifices prohibés en pays musulmans (églises, synagogues, temples d'idoles); de tuer les prêtres bouddhistes; de traiter avec mépris les ecclésiastiques, de ne les exempter ni des impôts, ni des autres charges; de ne pas permettre que les chrétiens se montrassent en public sans être ceints du zonar, ni les juifs sans porter un signe distinctif sur la tête. Alors la populace de Tauriz détruisit toutes les églises de cette ville, et il est impossible de décrire les persécutions et les insultes que les chrétiens eurent à subir, principalement à Bagdad, où, dit-on, aucun d'eux n'osait se montrer dans les rues; c'étaient leurs femmes qui sortaient pour acheter ou vendre parce qu'on ne pouvait les distinguer, à l'extérieur, des femmes mahométanes, mais si par hasard on les reconnaissait elles étaient insultées et frappées. Cette persécution ne se borna pas à nous seuls, elle s'étendit aussi sur les juifs et les prêtres idolâtres, et dut même paraître à ces derniers encore plus dure, après les grands honneurs qu'avaient coutume de leur rendre les souverains mongols, qui leur livraient la moitié des fonds versés dans le trésor pour en faire des idoles d'or et d'argent.»
3. LUC, XXIII, 30.
4. Les Syriens donnent ce titre à leur grand docteur, saint Ephrem. Ce passage est tiré de son hymne insérée dans l'office du mercredi de la Rogation, 1re leçon, 2e session, selon les termes du bréviaire nestorien.
5. Il semble bien qu'il s'agit ici de dinars. (Voir la Chron. syriaque, de BAR HÉBRÉUS, éd. Bruns, p. 612).
6. Voir ci-dessus, chap. VIIa, n. 1.
7. Il existait à cette époque sous le nom de Petite Arménie un petit État qui a été très mêlé à l'histoire des Mongols. Protégé par les monts du Taurus, il comprenait les anciens districts de Cilicie et Comagène, avec plusieurs villes de Cappadoce et d'Isaurie. La capitale était Sis. Cet état fut fondé par Rupen, parent de Kakig II, dernier roi de l'Arménie propre. Les descendants de Rupen élargirent leurs frontières aux dépens de l'empire grec et s'allièrent aux premiers croisés dans la lutte avec les Seljoukes du Roum. Léon IX, successeur de Rupen, obtint du pape et de l'empereur Henri VI le titre de roi. Haïton II, dont il est ici question, avait succédé, en 1289, à son père Léon III. Après la prise d'Acre, en 1291, il envoya des ambassadeurs au pape Nicolas IV, ainsi qu'aux principaux souverains de l'Europe pour implorer leur assistance mais, malgré les exhortations du pontife, les occidentaux restèrent sourds à ses supplications. En 1293, il traita avec le sultan d'Égypte et dut lui céder plusieurs places fortes. Au bout de quatre ans, Haïton abandonna la couronne à son frère Thoros et se retira dans un couvent, où il prit l'habit de saint François et le nom de Jean. Cédant aux sollicitations de Thoros et des grands du royaume, il reprit le gouvernement en 1295. A l'avènement au trône de Baïdou, il était parti pour rendre hommage à ce souverain et traiter avec lui un grand nombre d'affaires. Il arriva à Siah-kouh, où se trouvait Baïdou, lorsque Naurouz s'avançait contre ce prince qui, dans ce moment critique, fit prier le roi d'Arménie de retourner à Maragha, où il recevrait, dès que les circonstances le permettraient, l'invitation de se rendre à l'ordou. C'est sur ces entrefaites qu'eurent lieu la mort de Baïdou et les massacres dont nous venons de parler.
    Le mot Takavôr signifie, en arménien, celui qui porte la couronne. Il semble que notre auteur l'ait prit pour un nom propre, comme plus haut, le titre de basileuV. Cfr. chap. VIIa, n, 4.
8. Tauris ou Tebriz, chef-lieu de la province de l'Adherbaidjan, est une ville de plus de 100,000 habitants, et qui en a eu, dit-on, jusqu'à 500,000. Elle est située par 44° 12' de long. E. et 38° 5' de lat. N. Le géographe arabe YAKOUT (XIIIe siècle) la décrit en ces termes: «Ville principale de l'Azerbaïdjàn, florissante et bien peuplée; elle est entourée de murs en briques cuites et reliées à la chaux. Plusieurs petites rivières la traversent: elle est environnée de jardins et les fruits s'y vendent à vil prix. On y fabrique des étoffes, de beaux satins et des tissus qui sont exportés partout. Lorsque les Tartares envahirent la province, l'an 618 (de l'hégire, 1221 de notre ère), les habitants parvinrent à les séduire à force de présents, et ils échappèrent ainsi à une ruine inévitable.»
    Cette ville fondée, selon une légende arabe, en 791 de notre ère, par Zobeïdeh, femme du fameux khalife Haroun ar-Raschid, contemporain de Charlemagne, fut la résidence des princes Atabeks avant de devenir la capitale de la Perse sous les premiers princes Mongols, jusqu'à la fondation de Soultaniyeh, au commencement du XIVe siècle. Elle fut alors très florissante. Cazan l'entoura d'une seconde enceinte qui avait six portes et cinq mille pas de tour. En dehors de ce mur, le même prince fit construire, pour y placer sa sépulture, un vaste faubourg qu'il décora d'édifices élevés et d'une grande beauté. Le célèbre ministre et écrivain persan Raschid ed-Din bâtit en haut de cette métropole, sur la colline de Oueliân, un autre faubourg auquel il donna le nom de Raschidiyeh, et qu'il embellit de plusieurs monuments remarquables.
    Tauriz fut dévastée par les Turcs en 1532. En 1721, elle fut renversée par un tremblement de terre et près de 100,000 habitants y périrent. Voici le chapitre de MARCO POLO dans lequel « ci devise de la noble cité de Tavriz»(XXIX): «Tavriz est une grant cité et noble qui est en une grant province qui s'appelle Yrac..... Il est voirs que les hommes de Tavris vivent de marchandise et d'art; car ils labourent de toutes manieres draps de soie et dorés, de pluseurs façons moult beaux et de grant vaillance. La cité est si bien assise que d'Inde et de Baudas (= Bagdad) et de Mausul et de Cremesor, et de mainz autres lieus y viennent les marchandises. Si que, pour ce y viennent pluseurs marchans latins et proprement genevois, pour acheter et pour faire leur afaire; car il s'y treuve aussi grant quantité de pierrerie. Elle est cité, que les marchans y font moult leur profit. Ils sont gent de povre afaire, et sont moult mellées de maintes manieres. Il y a Hermins (= Arméniens), Nestorins, Jacobins, Jorgans (= Géorgiens), Persans: et encore hommes qui aourent Mahommet et c'est le peuple de la cité. Et sont moult mauvaises genz, et s'appellent Touzi. La ville est toute avironnée de moult beaux jardins et delitables, plains de moult beaux fruiz de pluseurs manieres moult bons, et assez de grant maniere.»
    CHARDIN (Voyage en Perse, t. II, p. 327) s'exprime ainsi à propos de notre ville: «Le nombre d'étrangers qui se trouvent là en tout temps est fort grand. Il y en a de tous les endroits de l'Asie, et je ne sais s'il y a sorte de marchandises dont l'on ne puisse y trouver magasin. La ville est remplie de métiers en coton, en soie et en or. Les plus beaux turbans de Perse s'y fabriquent. J'ay ouy assurer aux principaux marchands de la ville qu'on y fabrique tous les ans six mille balles de soie. Le commerce de cette ville s'étend dans toute la Perse et dans toute la Turquie, en Moscovie, en Tartarie, aux Indes et sur la mer Noire.»
9. Le roi Cazan fit son entrée solennelle dans Tauriz le mercredi 5 octobre 1295, et quitta cette ville bientôt après pour aller prendre ses quartiers d'hiver à Moughan. Les fêtes de son intronisation ne furent célébrées que le 3 novembre, premier jour favorable, selon les astrologues. (D'OHSSON IV, 144, 153.)
10. Pour bien comprendre ces deux paragraphes, il faut préciser les dates. Le Catholique s'échappa le mercredi 28 septembre. Cazan entra à Tauriz le 5 octobre. Il est donc exact de dire que le patriarche dut attendre sept jours; et l'entrevue eut lieu à Tauriz. Mais, Haïton n'attendit pas sept jours pour voir Cazan, car nous savons qu'il alla lui faire sa cour et lui offrir des présents sur la colline d'Okma, près de Dihbourkan, où le vainqueur était campé: «Tu es venu pour Baïdou et non pour moi», lui dit Cazan. - Haïton répondit: «Il est de mon devoir d'honorer tout descendant de Gengis-Khan.» Cazan fut content, lui donna des vêtements royaux et promit de lui accorder tout ce qu'il demanderait. Haïton pria Cazan d'arrêter la destruction des églises. Cazan lui accorda l'objet de sa demande, révoqua les édits précédents et statua que les temples des idoles seraient seuls convertis en mosquées. Le roi d'Arménie quitta le camp, satisfait du service qu'il venait de rendre à la religion.
11.I. Cor. X, 13.
12. JÉRÉM. IX, 1.
13. La plaine de Moughan, Moghân ou Moukân, est située entre la rive droite du cours inférieur de l'Araxes, le Kour et les montagnes de Talich ou Talichah. Elle portait autrefois le nom arménien de Taran ou Tahin, et faisait partie de la province de P'haïdagaran. Comme elle offre d'excellents pâturages, elle a souvent servi de campement aux armees mongoles et persanes» (KLAPROTH, Jour. as., sept. 1833, t. XII, p. 200). Elle fait aujourd'hui partie du district de Lenkoran, dans le gouvernement de Bakou (Russie méridionale). RICOLDO DI MONTE CROCE (éd. Laurent, p. 122) parle de ses sources de pétrole: «In eadem quoque provincia sunt fontes olei, maxime in Mogano. Unde omnes ille provincie usque Baldacum et usque in Indiam utuntur sale terre et oleo fontis.»
14. Al-tamga, «c'est-à-dire un diplôme portant l'empreinte en or du sceau du grand Khan» (DULAURIER, Fragments relatifs aux Mongols, Journ. as., avril-mai, 1858, p. 432). Cette explication peut être vraie, mais elle est, je crois, trop restreinte. Les khans de la Perse, lors de leur avènement, recevaient du grand Khan de Chine, leur suzerain nominal, un sceau en or, portant des caractères chinois dont ils se servaient pour sceller leurs diplômes. Mais, à l'instar de ce souverain, ils donnaient eux-mêmes à ceux de leurs sujets auxquels ils confiaient des charges importantes, des sceaux portant leurs propres insignes, et les pièces marquées de ces sceaux étaient aussi appelées tamga.
15. Rien n'est plus propre que les événements racontés dans ce chapitre et les suivants, à mettre en évidence les judicieuses réflexions que fait ABEL RÉMUSAT (Mémoire cité, p. 124): «Par malheur, dit-il, les Mongols, toujours indécis entre les deux religions [mahométane et chrétienne], ou peut-être voulant ménager les partisans qu'elles avaient dans les contrées qui leur étaient soumises, n'étaient pas un peuple qu'il fut aisé de convertir, et, quoique les princes, guidés par leur intérêt, eussent peut-être une bonne volonté plus marquée pour le christianisme, il se trouvait un bon nombre de chefs qui, plus particulièrement soumis à l'influence des musulmans, passaient dans les rangs des ennemis des chrétiens, tandis que le gros de la nation, attaché par habitude à l'antique croyance Tartare, voyait les deux cultes de l'Occident avec une égale indifférence. Sans cette indécision qui ne tarda pas à leur être fatale, les Mongols auraient sans doute fini par se faire un appui de l'un ou de l'autre. S'ils n'eussent pas dédaigné ce moyen facile de grossir le nombre de leurs partisans, on peut croire que la destruction du pouvoir des Il-Khans, en Perse, n'aurait été ni si prompte ni si complète. Les Turks introduits en Occident comme esclaves, ont occupé tous les trônes de l'islamisme et fondé des dynasties durables; et les Mongols, après avoir soumis l'Asie et fait trembler l'Europe, purent à peine se maintenir en Perse pendant soixante années, et n'y ont pas laissé une seule des tribus de leur race. La ferveur des Turks dans la croyance qu'ils avaient embrassée, l'indécision des Tartares et leurs variations perpétuelles doivent être comptées parmi les causes qui peuvent expliquer cette différence.»
16. Pâques se trouvait, cette année là, le 25 mars.