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CHAPITRE VII
 
DÉPART DE RABBAN ÇAUMA POUR LE PAYS DES ROMAINS AU
NOM DU ROI ARGOUN ET DU CATHOLIQUE MAR JABALAHA.
b)
 
Rabban Çauma en Italie et dans la grande Rome.
 
    De là, il descendit à la mer et il vit sur le rivage un monastère des Romains [= Latins] dans le trésor duquel se trouvaient deux châsses d'argent: dans l'une était la tête de Mar Jean Chrysostome, dans l'autre celle du pape qui baptisa l'empereur Constantin(1).
    Or, il s'embarqua et, parvenu au milieu de la mer, il vit une montagne de laquelle s'élevait de la fumée pendant le jour, et sur laquelle on voyait du feu pendant la nuit(2). Aucun homme ne pouvait s'avancer dans son voisinage à cause de l'odeur de soufre qui s'en exhalait. On dit qu'il y a là un grand dragon. Cette mer s'appelle mer d'Italie. Elle est redoutable et des bateaux portant des hommes y ont péri.
    Après deux mois, il parvint au rivage, ayant éprouvé beaucoup de peines, de tribulations et de fatigues. Il débarqua dans une ville appelée Napoli, dont le roi se nommait Irid Chardalou(3). Il alla trouver le roi(4) et lui fit connaître le motif de son arrivée. Le roi le reçut avec joie et honneur. Or, il était alors en guerre avec un autre roi qui s'appelait Irid Arkoun(5). Leurs troupes étaient prêtes à engager le combat. Ils en vinrent aux mains et Irid Arkoun vainquit Irid Chardalou; il lui tua douze mille hommes et fit couler ses vaisseaux dans la mer(6). Cependant Rabban Çauma et ses compagnons étaient assis sur la terrasse d'une maison, et ils admirèrent la coutume des Francs qui ne faisaient de tort à personne en dehors des combattants(7).
    A partir de là, ils allèrent à cheval par la route de terre.
    Ils rencontrèrent nombre de villes et de villages; ils s'étonnaient de ne point trouver d'endroit dépourvu d'habitations.
    En route ils apprirent que Monseigneur le Pape était mort(8).
    Après quelques jours ils parvinrent à la grande Rome et ils entrèrent dans l'église de Pierre et Paul, car c'est là que se trouve la résidence et le siège de Monseigneur le Pape.
    Après le décès de Monseigneur le Pape, il y a douze hommes qui administrent ce siège et qu'on appelle Kardinalé(9). Ils tenaient conseil pour élire un pape. Rabban Çauma leur fit dire: «Nous sommes les envoyés du roi Argoun et du Catholique d'Orient.»
    Les Cardinaux ordonnèrent de les introduire, et les Francs(10) qui étaient avec Rabban Çauma leur apprirent qu'en entrant dans la chambre de Monseigneur le Pape ils trouveraient un autel, qu'ils devraient d'abord le vénérer, puis aller saluer les Cardinaux(11). Ils firent ainsi et cela plut à ces derniers.
    Quand Rabban Çauma se rendit près d'eux, personne ne se leva devant lui, car ce n'est pas la coutume de ces douze, à cause de la dignité de ce siège. Ils firent asseoir Rabban Çauma avec eux, et l'un d'entre eux(12) lui demanda: «Comment es-tu après les fatigues de la route?»
    Il répondit: «Grâce à vos prières je suis bien portant et dispos».
    Le cardinal lui dit: «Pourquoi es-tu venu ici?»
    Rabban Çauma reprit: «Les Mongols et le Catholique d'Orient m'ont envoyé près de Monseigneur le Pape, à propos de Jérusalem. Ils m'ont aussi donné des lettres.»
    Les Cardinaux lui dirent: «Pour le moment, repose-toi; nous parlerons ensuite ensemble.»
    Ils lui assignèrent une demeure et l'y firent conduire.
    Après trois jours les Cardinaux le firent mander. Quand il fut venu près d'eux, ils commencèrent à l'interroger: «De quel pays et pourquoi viens-tu?»
    Il leur tint le même langage [que le jour précédent].
    Ils lui dirent: «Quelle foi professe votre Catholique? Quel est celui des Apôtres qui a évangélisé votre région?»
    Rabban Çauma leur répondit: «Mar Thomas, Mar Adai et Mar Maris ont évangélisé notre région, et les rites qu'ils nous ont enseignés nous les tenons encore(13).»
    Les Cardinaux lui dirent: «Où est le siège du Catholique?»
    Il leur répondit: «À Bagdad(14).»
    Ils reprirent: «Et toi, qu'es-tu là?»
    «Je suis, répondit-il, l'administrateur de la résidence patriarcale, le maître des disciples, et visiteur général.»
    Ils dirent: «C'est étonnant que toi, chrétien et serviteur du siège patriarcal d'Orient, tu sois venu en ambassade de la part du roi des Mongols.»
    Rabban Çauma dit: «Sachez, Pères, que beaucoup de nos pères sont entrés dans les contrées des Mongols, des Turcs et des Chinois, et les ont instruits. Aujourd'hui, beaucoup de Mongols sont chrétiens; il y a des enfants des rois et des reines qui sont baptisés et confessent le Christ. Ils ont avec eux des églises dans le camp(15). Ils honorent grandement les chrétiens et il y a beaucoup de fidèles parmi eux. Comme le roi est uni d'amitié avec Monseigneur le Catholique, qu'il a la pensée de s'emparer de la Palestine et des régions de la Syrie, il vous demande du secours pour prendre Jérusalem. Il m'a choisi et envoyé pour cette mission, parce que, étant chrétien, ma parole aurait plus de crédit auprès de vous.»
    Ils lui dirent: «Quelle est ta profession de foi? Quelle voie suis-tu? Tiens-tu aujourd'hui celle de Monseigneur le pape ou une autre?»
    Rabban Çauma répondit: «Personne n'est venu chez nous autres, Orientaux, envoyé par le pape. Les saints apôtres ci-dessus nommés nous ont instruits, et aujourd'hui encore nous tenons ce qu'ils nous ont transmis.»
    Ils lui dirent: «Comment crois-tu? Récite ta profession de foi?»
(Profession de foi que les Cardinaux lui demandèrent)

    Il leur répondit(16): «Je crois en un seul Dieu caché, éternel, sans commencement et sans fin, Père, Fils et Esprit Saint: trois personnes égales et inséparables, entre lesquelles il n'y a ni première, ni dernière, ni jeune, ni vieille; qui sont un en nature et trois en personnes(17): le Père qui engendre, le Fils qui est engendré et l'Esprit qui procède.
    «Dans les derniers temps, une des personnes de la Trinité royale, le Fils, a revêtu un homme parfait, Jésus-Christ, de Marie la Vierge sainte, s'est uni à lui personnellement [parçôpaïth] et en lui a sauvé le monde(18); selon sa divinité il est engendré du Père de toute éternité; selon son humanité, il est enfanté par Marie, dans le temps; mais l'union est indivisible et inséparable pour l'éternité, union sans mélange et aussi sans confusion ni composition. Ce fils de l'union est Dieu parfait et homme parfait, deux natures [kianin] et deux personnes [qnômin], un personnage [parçôpa](19).»
    Les Cardinaux lui dirent: «Le Père, le Fils et l'Esprit sont-ils unis ou séparés quant à la nature?»
    Ils répondirent(20): «Ils sont unis dans la nature mais séparés dans les propriétés.»
    Lui demanda: «Quelles sont leurs propriétés?».
    Ils répondirent: «Du Père: la paternité (génération active); du Fils: la filiation (génération passive); de l'Esprit la procession.»
    Il interrogea encore: «Qui d'entre eux est cause de l'autre?»
    Ils répondirent: «Le Père est la cause du Fils et le Fils la cause de l'Esprit.»
    Rabban Çauma dit: «Mais puisqu'ils sont égaux en nature, en opération, en vertu, en puissance, et que les trois personnes ne sont qu'un absolument, comment est-il possible que l'une soit cause relativement à l'autre? Il est donc nécessaire que l'Esprit soit aussi cause de quelque chose autre. Nous ne trouvons pas la démonstration de choses semblables à celles que vous dites. Voici l'âme qui est cause de l'intelligence et de la vie, et non l'intelligence qui est cause de la vie. La sphère du soleil est cause des rayons et de la chaleur, et non la chaleur cause des rayons. Ainsi, nous pensons avec raison que le Père est la cause du Fils et de l'Esprit, et que tous les deux sont causés par lui. Adam a engendré Seth et a produit Ève : et ils sont trois; car la génération et la production, en ce qui est de l'humanité, ne diffèrent en rien.»
    Les Cardinaux lui dirent: «Pour nous, nous croyons que l'Esprit procède du Père et du Fils, non pas comme nous avons dit, te mettant(21) à l'épreuve par ce langage.»
    Il répondit: «Il n'est pas juste qu'une seule chose ait deux, trois ou quatre causes; je pense que cela n'est pas conforme à notre foi(22).»
    Mais les Cardinaux lui fermèrent la bouche par de nombreux arguments.
    Cependant ils l'honoraient à cause de son langage; mais il leur dit: «Je suis venu des pays lointains non pour discuter ou faire savoir ce qui concerne la foi, mais pour vénérer Monseigneur le Pape et les reliques des saints, et pour faire connaître la parole du roi et du Catholique. Si cela vous est agréable, laissons les discussions. Veuillez donner ordre à quelqu'un de me montrer les églises et les tombeaux des saints qui sont ici; c'est une grande grâce que vous accorderez à votre serviteur et disciple.»
    Les Cardinaux appelèrent le gouverneur de la ville et quelques moines auxquels ils ordonnèrent de lui faire voir les églises et les lieux saints de l'endroit. Ils sortirent aussitôt visiter les lieux que nous mentionnons maintenant.
    Premièrement, ils entrèrent dans l'église de Pierre et Paul(23).
    Il y a, au-dessous d'un trône, un tombeau dans lequel, est placé le corps de saint Pierre et au-dessus du trône est un autel. Le grand autel qui est au milieu du temple a quatre portes. A chaque ouverture, il y a une porte à deux battants en fer ouvré. Monseigneur le Pape seul célèbre la messe sur cet autel et personne autre que lui ne monte sur le siège de cet autel(24). Ensuite ils virent le siège de saint Pierre, sur lequel on fait asseoir Monseigneur le Pape quand on le sacre(25). Ils virent aussi le morceau de linge pur sur lequel Notre-Seigneur imprima son image et qu'il envoya au roi Abgar d'Édesse(26). La grandeur de ce temple et sa magnificence sont inexprimables. Il est soutenu par cent quatre-vingts colonnes. Il y a dedans un autre autel sur lequel leur Roi des rois reçoit le sacre et est proclamé Amprôr, Roi des rois, par le Pape. On dit qu'après les oraisons, Monseigneur le Pape prend avec ses pieds la couronne et en revêt l'empereur, c'est-à-dire la place sur sa tête; afin, disent-ils, que le sacerdoce domine sur la royauté(27).
    Après avoir vu toutes les églises et les couvents qui sont dans la grande Rome, ils allèrent hors de la ville, à l'église de Mar Paul l'apôtre(28): sous l'autel se trouve aussi son tombeau. Là est la chaîne par laquelle Paul était lié quand on le traînait en ce lieu. Dans l'autel se trouve encore un reliquaire d'or qui renferme la tête de Mar Étienne le martyr(29) et la main de Mar Ananias(30) qui baptisa Mar Paul. Le bâton de l'apôtre Paul est aussi en ce lieu.
    De là ils allèrent à l'endroit où l'apôtre Paul fut couronné [du martyre]. On dit que quand sa tête fut coupée elle sauta en haut par trois fois, criant à chaque fois: «Christ! Christ!» et, des trois endroits où elle retomba, il sortit des eaux qui ont la vertu de guérir et de soulager tous ceux qui souffrent(31). Il y  a dans ce lieu un grand tombeau(32) dans lequel se trouvent les ossements de martyrs et de Pères illustres: ils les vénérèrent.
    Ils allèrent aussi à l'église de Madame Marie et de Monseigneur Jean-Baptiste(33) où ils virent la tunique sans couture de Notre-Seigneur(34). Il y a encore dans cette église la table sur laquelle Notre-Seigneur consacra l'Eucharistie et la donna à ses Apôtres. Chaque année Monseigneur le Pape consacre sur cette table les mystères de Pâques(35). Il y a dans cette église quatre colonnes de bronze qui ont chacune six pieds d'épaisseur. On dit que les rois les ont apportées de Jérusalem(36). Ils virent là la vasque dans laquelle Constantin, l'empereur victorieux, fut baptisé. Elle est en pierre noire polie(37). Ce temple a cent quarante colonnes en pierre de marbre blanc: car l'église est grande et vaste.
    Ils virent la place ou Simon Pierre disputa avec Simon le Magicien, et dans laquelle celui-ci tomba et se brisa les os(38).
    Ensuite ils allèrent à une église de Madame Marie(39), où on leur montra un reliquaire de cristal dans lequel était le vêtement de Madame Marie et un morceau du bois sur lequel Notre-Seigneur dormait lorsqu'il était enfant(40). Ils virent aussi la tête de l'apôtre Matthias dans une châsse d'argent(41). Ils virent encore le pied de l'apôtre Philippe et le bras de Jacques, fils de Zébédée, dans l'église des Apôtres qui se trouve là(42).
    Après cela, ils virent des édifices qu'il est impossible de décrire par la parole, et les histoires qui concernent ces monuments sont trop longues à raconter; c'est pourquoi elles ont été omises.
    Rabban Çauma et ses compagnons se rendirent ensuite près des cardinaux; il leur rendit grâces de ce qu'ils avaient daigné lui faire voir et vénérer ces saintes reliques. Rabban Çauma demanda la permission d'aller trouver les rois qui sont au-delà de Rome.
    Les cardinaux lui donnèrent la permission de partir et lui dirent: «Pour nous, nous ne pouvons vous donner de réponse avant l'élection du pape.»
    De là, Rabban Çauma et ses compagnons gagnèrent le pays de Thouzkân (Toscane) et y furent reçus avec honneur. Ensuite ils allèrent à Ginouha (Gênes). Ce pays n'a point de roi; mais le peuple établit pour chef du gouvernement l'homme qui lui plaît(43).
    Quand les Génois apprirent qu'un envoyé du roi Argoun arrivait, leur chef et tout le peuple sortirent au-devant de lui pour l'introduire avec honneur dans la ville. Il y avait là une grande église, sous le vocable de Saint-Laurent, dans laquelle se trouve le corps sacré de Monseigneur Jean-Baptiste, dans une châsse d'argent pur(44). On leur fit aussi voir un vase hexagonal en émeraude, et on leur dit que c'était celui dans lequel Notre-Seigneur avait mangé la Pâque avec ses disciples, qui fut apporté de Jérusalem lors de la prise de cette ville(45).
    Ils apprirent que les gens de ce pays ne jeûnaient point la première semaine du carême. Ils demandèrent: «Pourquoi faites-vous cela et vous distinguez-vous ainsi de tous les chrétiens?» Ceux-ci répondirent: «Telle est notre coutume. A l'origine de notre conversion, nos pères dans la foi étaient faibles et ne pouvaient jeûner. Ceux qui les ont convertis leur ont ordonné de jeûner seulement quarante jours(46).»
 


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1. On ne peut affirmer avec certitude de quel monastère il s'agit ici, mais il est très vraisemblable que c'est du couvent attenant à l'église des saints Serge et Bacchus qui se trouvait, en effet, près du port des Sophion. Nous savons, d'après DU CANGE (C. P. Christ., p. 136) que ce couvent était de rite latin et que les moines reconnaissaient, même après le schisme, l'autorité du pape. La tête de saint Jean Chrysostome avait été apportée en France, avant cette époque, si nous en croyons les témoignages explicites de plusieurs auteurs: «Capita B. Johannis Chrysostomi et S. Dimistri... cum multis aliis reliquiis attulit (Claravalli) de transmarinis partibus Artaudus, Templi miles, monachus Clarevallis et cellarius. Nota quod caput sancti Iohannis Chrysostomi, quod fuit in magno scrinio, deportatum est apud Parisios tempore domini Stephani, XIX abbatis Clarevallis (1242-1257) ubi est in collegio S. Bernardi...» (LALORE, Trésor de Clairvaux, pp. 52-54). Quant au pape qui baptisa Constantin, dans un monastère des Latins, ce mot ne peut désigner que le pape saint Sylvestre, mort en l'an 355, dont l'église Latine célèbre la fête le 31 décembre. La tradition, d'après laquelle Constantin aurait été baptisé par ce pape, ne paraît guère solide et est en opposition formelle avec les témoignages d'Eusèbe de Césarée et de saint Jérôme, qui assurent que l'empereur fut baptisé à la fin de sa vie par Eusèbe de Nicomédie. Comme, d'un côté, il n'y a pas d'exemple que les Ariens aient réitéré le baptême, et que, d'autre part, la coutume de différer la réception de ce sacrement jusqu'au lit de mort était assez répandue, l'assertion d'Eusèbe ne parait guère pouvoir être mise en doute, d'autant mieux que la tradition latine entoure le prétendu baptême par saint Sylvestre de circonstances dont le caractère légendaire ne saurait être contesté.
    Dans les inventaires de reliques de Constantinople, à l'époque de la quatrième croisade, nous trouvons chez ANTON. NOVGOR. (Exuviae sacrae, II, 223), la mention d'un Corpus S. Sylvestri à Sainte-Sophie, mais rien n'indique qu'il s'agisse du pape de ce nom. On ne voit pas non plus à qui cette relique a été attribuée dans les partages.
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2. Il s'agit de l'Etna, selon la note de M. BEDJAN. Je crois, d'après le contexte, qu'il est plutôt question du Stromboli. Cependant rien ne s'oppose à ce qu'on l'entende de l'Etna, si la conjecture que j'émets un peu plus bas, sur la date du séjour de Rabban Çauma à Naples, est vraie; car nous savons par BARTOLOMEO DI NEOCASTRO (Script. rer. ital., XIII, 1138), que le grand volcan sicilien était en éruption le lundi 18 juin 1287.
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3. M. BEDJAN propose de lire Al ri Charldanchou (le roi Charles d'Anjou) et il ajoute avec raison: «Cependant ce prince était mort à cette date, et son fils Charles II était alors en prison.» La correction proposée par M. VAN HOONACKER nous semble beaucoup plus logique. Elle consiste dans une simple transposition des lettres l et r, facile à expliquer. Il lit Al ri Charladou: le roi Charles II. Cf., ci-dessus, chap. VIIa, n. 9.
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4. Ce ne pouvait être Charles II, car à l'époque de l'arrivée de Rabban Çauma, c'est-à-dire en 1287, ce roi était prisonnier, en Espagne, de Jacques II d'Aragon qui, après avoir gouverné la Sicile, sous le règne de son père Pierre, était devenu lui-même roi de cette île à la mort de son père en 1285, avant de devenir roi d'Aragon, par celle de son frère Alphonse (1291). Il ne s'agit donc vraisemblablement de Charles Martel, fils de Charles II, régent du royaume sous la tutelle de Robert comte d'Artois. On est cependant surpris de le voir désigné sous le nom de Chardalou.
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5. Le roi d'Aragon, ou plutôt Jacques II alors seulement roi de Sicile, comme je viens de dire.
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6. En consultant les historiens, je n'ai pu trouver qu'une bataille navale répondant aux données de notre auteur : celle qui fut livrée dans le golfe de Naples, le 23 juin 1287. Voici d'après VILLANI (MURATORI, Script. rer. ital., XIII, 316) les circonstances qui amenèrent ce combat:
    Le 22 avril 1287, le comte d'Artois, régent du royaume et gouverneur de Charles-Martel, le plus jeune fils de Charles II, avait expédié de Naples une flotte de cinquante navires qui débarqua une armée en Sicile et s'empara d'Agosta. Jacques d'Aragon voulut reprendre la ville, mais ayant appris qu'une nouvelle flotte se disposait à amener de Naples des renforts aux partisans de Charles, il le fit savoir à son amiral Roger de Loria qui «incontanente, come savio Amiraglio et maestro di guerra, si delibero di venire adossa a l'armata di Napoli per sottrarli a battaglia... et cosi li vene fatto che, il di san Gioanni del mese di Giugno del detto anno, vene infino nel porto di Napoli, facendo saettare nella terra, e con grida et villane parole commincio a svergognare il Conte d'Artese et suoi Franceschi». L'historien NICOLAUS SPECIALIS (MURATORI, Scriptores rer. ital., X, 954) nous a laissé de la bataille la description que voici: «Demum cum venissent Siculi ante Napolim sese in vexillis explicitis et celeumatibus ostentantes et, quasi delphines ad adspectum hostium, per horam exiguam alarum remigie colludentes, subitam fugam pro reditu simulabant, que casu paratam jam classem hostium in duri Martis certamine provocarunt. Igitur Carolo juniore, quem Martellum agnomine titulabant, et Atrebatensi comite, Balivo regni, jubentibus, comites Flandriae, Brehennae, Avellinae, et Guido, comes de Monteforti, cum pluribus aliis regni primatibus, jam paratas ad bellum rates, quasi properantes ad epulas, ascenderunt, exiguum Siculorum numerum tumenti animo despectantes. Erant quippe Siculorum rates numero quadraginta, hostium vero classis in septuaginta ratibus consistebat. Quisque suam stationem deseruit. Napolitani de superabundanti numero confidentes ad bellum properant; Siculi assueti vincere non diffidunt; clangor tubarum, clamores et incurrentium sibi nautarum celeumata in aurea sidera ferebantur. Pugna itaque inter partes cruenta committitur, ac inferorum ducibus multo sanguine immolatur. Anceps fortuna belli magno diei spatio suspensa est. Ultime... Siculi tam gloriosam victoriam consequuti sunt quod quadraginta galeas ex victis hostibus habuerunt. Cetera vero classis, cum Henrico de Mari, qui jam remedia fugae apud scopulos Formicarum dediderat, beneficio remorum evasit. Comites omnes et Naryo admiratus eorum cum pluribus magnis viris in eo bello capti sunt. Rogerius cum triginta galeis ante Neapolim residens reliquam classem cum quatuor millibus captivorum in Siciliam et debellata signa transmisit.»
    D'après VILLANI (loc. cit.) le combat s'engagea à six milles de Naples: il y eut plusieurs galères de coulées, surtout parmi celles des barons francs, qui luttèrent avec courage, mais qui n'étaient point expérimentés dans l'art de combattre sur mer et furent complètement déroutés par la fuite de leur amiral.
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7. La chose devait assurément paraître bien étrange à ces hommes habitués aux horreurs des guerres mongoles, où chaque combat était suivi ordinairement d'une dévastation générale de la contrée, accompagnée de meurtres et de pillages.
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8. Le pape Honorius IV mourut le Jeudi saint, 3 avril 1287. Si, comme je viens de le dire, nos voyageurs étaient à Naples à la fin de juin, ils ont dû sans aucun doute apprendre dans cette ville la mort du pape, car si réellement ils l'ont apprise entre Naples et Rome, il faut dire qu'ils ont quitté la première ville dès le commencement d'avril. Mais alors de quelle bataille navale serait-il question? Le texte dit positivement que Çauma a assisté au combat du haut d'une terrasse, et il n'est pas susceptible d'une autre interprétation. J'aime mieux donner ce sens à la phrase présente: «Or, pendant le voyage, ils avaient appris la mort du pape.» Le récit a d'ailleurs été très écourté en cet endroit, par le traducteur syriaque.
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9. Dans tous les diocèses, dès l'origine de l'Église, l'usage s'établit que l'évêque se constituât, dans la personne des principaux clercs, une sorte de conseil, avec l'aide duquel il administrait les affaires de sa juridiction. A Rome, au moins depuis le XIe siècle, plusieurs évêques furent admis dans ce collège, et tout d'abord les sept évêques les plus voisins de Rome qui étaient presque continuellement mêlés au clergé romain, assistaient le souverain Pontife quand il officiait, et, en son absence, célébraient les offices dans la basilique de Saint-Jean de Latran, à tour de rôle, par semaine. De là vint qu'on les appela évêques de Latran, cardinaux de Latran, collatéraux du souverain Pontife, évêques hebdomadaires. Le collège de l'Église romaine se trouva donc dès lors composé d'évêques, de prêtres et de diacres. Mais le nombre des cardinaux à l'origine ne fut pas déterminé d'une manière précise. Certains documents permettent de croire qu'au XIIe siècle il y avait sept cardinaux-évêques, vingt-huit prêtres et dix-huit diacres. Puis le nombre diminua et à l'élection de Nicolas III (1277) il n'y eut que huit cardinaux présents. Il n'y a donc aucune invraisemblance dans le chiffre de douze présenté par Rabban Çauma comme étant celui des cardinaux réunis pour l'élection du successeur d'Honorius IV - l'un d'eux, l'évêque de Tusculum, était sûrement absent. - Le nombre des cardinaux s'accrut pendant le schisme d'Avignon, chaque prétendant ayant les siens. Sixte Quint régla, en 1586, qu'à l'avenir le nombre des cardinaux serait fixé à soixante-dix (six cardinaux-évêques, cinquante cardinaux-prêtres et quatorze cardinaux-diacres), en souvenir des soixante-dix vieillards donnés par Dieu a Moïse, pour conseillers (Num., XI). Cette règle est encore observée aujourd'hui.
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10. Ces Francs étaient sans doute des Italiens, probablement le maître des cérémonies de la cour papale, mais, comme je l'ai dit plus haut, à cette époque, comme encore aujourd'hui en Orient, malgré tous les efforts des rivaux de la France, et souvent malgré l'incurie de ceux qui pourraient les combattre, le prestige de notre pays est tel que tous les Occidentaux sont désignés sous le nom de Francs.
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11. Bien que Grégoire X eût établi récemment (1274) une constitution sévère touchant le conclave ou réunion des cardinaux, destinée à empêcher la prolongation de la vacance du siège apostolique, nous savons qu'elle ne fut pas toujours rigoureusement observée, surtout à l'origine. Honorius IV déclare dans une lettre que les cardinaux l'ont élu librement et sans être enfermés. A la mort d'Honorius, les cardinaux s'enfermèrent pour l'élection dans le palais du pape défunt, près de Sainte-Sabine, mais l'air s'y trouva si malsain durant l'été que plusieurs tombèrent malades: il en mourut cinq ou six et les autres se retirèrent chacun chez soi. Le cardinal Jérôme d'Ascoli fut le seul qui demeura dans ce palais sans être attaqué par la maladie.
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12. Le cardinal Jérôme d'Ascoli, évêque de Palestrina, général des Frères Mineurs, qui fut ensuite élu pape sous le nom de Nicolas IV.
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13. Saint Thomas, un des douze apôtres, après être resté un certain temps en Palestine, partit prêcher l'Evangile aux Indes, enseignant sur la route les Parthes, les Mèdes, les Perses, les Bactriens. Parvenu aux Indes, grâce à ses miracles, il s'attira la confiance du roi dont il baptisa la fille et le frère. Ayant obtenu la permission de prêcher en liberté, il répandit la parole de Dieu dans le Malabar et les îles avoisinantes. Enfin il fut mis à mort par un brahman vers l'an 52, dans une ville que les textes syriaques appellent Qalamina. Ses reliques furent transportées à Édesse sous l'épiscopat d'Eulogius (387-396). Tel est le résumé très succint de la tradition des églises syriennes. Voir sur ce point, BAR HÉBRÉUS, Chron. eccl., II, 2-12. On trouvera dans les notes des éditeurs tous les renseignements bibliographiques nécessaires sur les ouvrages à consulter pour l'éclaircissement de ces traditions. Ajouter la nouvelle édition du texte syriaque des Actes de saint Thomas (BEDJAN, Act. mart. et sanct., t. III).
    Saint Adée ou Thaddée est représenté dans la tradition de l'église syrienne comme le disciple de saint Thomas. Après l'Ascension, il vint à Édesse, au temps où régnait le roi Abgar. Celui-ci attendait le royaume de Dieu et la guérison de sa lèpre qui lui avait valu le nom de Noir par ironie, car tout son corps était blanchi. Ayant appris l'arrivée d'Adée il l'accueillit avec joie, crut, reçut le baptême et fut guéri de sa maladie. Adée bâtit à Édesse des églises aux frais du roi Abgar. Puis il partit vers l'Extrême-Orient, pour y prêcher l'Évangile, avec deux de ses disciples, Aghée et Maris. Lors de leur retour à Édesse, le roi Abgar était mort, et son fils, qui lui avait succédé, était ennemi des chrétiens. Ce prince mit à mort Adée. Il fut enseveli dans l'église qu'il avait fait construire à Édesse. Cfr. BAR HÉBRÉUS, Chron. eccl., II, 14.
    Sur saint Maris, voir ci-dessus, chap. IV.
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14. Bagdad était la résidence de fait, mais le titre était celui de Séleucie-Ctésiphon. Cf. ci-dessus, chap. V.
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15. Nous verrons que la reine Dokouz-Khatoun avait, en effet, une église dans sa résidence.
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16. Il est probable que cette profession de foi constitue le symbole des nestoriens persans, transcrit en syriaque, tel qu'ils le récitaient à la fin du XIIIe siècle. Elle renferme, comme on le verra, deux parties bien distinctes. La première contient leur doctrine sur la Trinité, la seconde sur l'Incarnation. Sans aucun doute, cette profession dut paraître ambiguë aux Cardinaux, surtout traduite par la bouche d'un interprète. C'est ce qui donna lieu à l'interrogatoire qu'on fit ensuite subir à Rabban Çauma. Le traducteur syriaque en a probablement supprimé plusieurs passages. L'interrogatoire se rapporte seulement à la Trinité, et il semble que les Cardinaux ont été surtout préoccupés de savoir si Rabban Çauma ne professait pas l'erreur des Grecs touchant la procession du Saint Esprit.
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17. Dans toute cette première partie le mot personne répond au mot syriaque qnouma. Le texte serait donc rigoureusement orthodoxe, si les nestoriens avaient employé le mot qnouma dans son sens obvie. Mais il n'en était pas ainsi. RICOLDO DI MONTE CROCE qui avait étudié les doctrines de ces hérétiques nous dit qu'ils partagaient les erreurs des Jacobites sur la Trinité: «Errant eciam Nestorini cum Jacobinis et quasi cum omnibus orientalibus in misterio Trinitatis. Dicunt enim, quod Pater et Filius et Spiritus Sanctus sint thelathe fatfat quod interpretatur tres qualitates, cum tamen in caldeo dicant eos thelathe achanum [qnoume] et in arabico dicant esse thelate sciax quod interpretatur tres personnae vel tria supposita» (éd. Laurent, page 126). Leur erreur provenait donc de ce qu'ils faisaient du syriaque qnouma (= personne), le synonyme de l'arabe fattu (= qualité). Il ne semble pas que les Cardinaux aient songé à interroger Rabban Çauma sur ce point.
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18. Il faut corriger le texte ainsi pour le rendre orthodoxe: «.... le Fils a pris un homme parfait de Marie la Vierge sainte, s'est uni à lui personnellement [qnômaïth] et dans son propre sang a sauvé le monde.» Voir le Concile d'Ephèse, can. 2 et 3; le Concile de Constantinople, can. 3 (P. BEDJAN).
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19. Ces dernières phrases contiennent l'expression formelle du dogme nestorien; voir le deuxième concile de Constantinople, can. 4, et le concile d'Éphèse, can. 3. On pourra, à l'aide des deux citations suivantes, comprendre le sens des paroles de Rabban Çauma dans la bouche d'un nestorien:
    «Omnino attendendum est ad magnum discrimen quod ponunt [Nestoriani] inter qnouma (=hypostasin) et parçôpa (= prosôpon). Apud graecos latinosque voces persona, hypostasis, prosopon, fere promiscue usurpantur et quoad mysterium incarnationis eumdem habent sensum, scilicet: substantiae in se subsistentis et proinde incommunicabilis. Nestoriani vero [per] qnouma, intelligunt naturam per se subsistentem quae tantum mente percipiatur (Cf. PET. STROZZA, De dogmatibus Chaldeorum, p. 145); parçôpa, autem intelligunt ipsam eamdem naturam ut sensui patet et per sensum cognoscitur, paulo immutata graeca voce quae communiter significat uniuscujusque faciem. Propterea Christi Domini prosôpon appellant humanum ipsius adspectum, sub quo latebat persona Filii; et Spiritus Sancti prosôpon dicunt columbam et ignem quibus sub speciebus apparuit; imo et Patris prosôpon ignem rubi quem viderat Moses. Hunc modum loquendi induxit Nestorius qui, ubi de personis sermonem habet, vocem hypostasin usurpat, cum vero ex homine Jesu et Deo Verbo unam personam conflatam asserit, vocem prosôpon adhibet, et sic duas in Christo hypostases et unum prosôpon admittere potuit» (ASSÉMANI, Bibl. or., t. III, part. 2, p. 215-219).
    Cette observation générale est complétée par celle de RICOLDO (éd. Laurent, p. 127) qui nous présente l'enseignement des Nestoriens à l'époque mème de notre Jabalaha : « Sunt autem Nestorini heretici sequentes et Theodorum. Et licet in multis errent, maxime tamen in Christo errant, quem dicunt natum de virgine purum hominem, postea vero adeptum fuisse filiationem Dei. Unde licet concedant Christum esse verum Deum et verum hominem, et confiteantur Christum de virgine natum, non tamen volunt confiteri quod Deus sit natus de virgine vel virginem esse genitricem Dei, sed hominis genitricem tantum. Unde dicunt, quod non est idem qui natus est ex Deo patre ab eterno et ex virgine matre ex tempore. Et ne cogantur eum propter hoc dividere in duos filios, dicunt esse uuum sciax [schachs] scilicet unam personam; et ne cogantur dicere Deum natum ex virgine dividunt eum in duo acuum [uknum] i. e. duo supposita. Unde ipsi omnes dicunt Christum esse unum sciax et duo acuum, quod secundum Nestorium, qui fuit graecus, sonat una persona et duo supposita. Ipsi tamen Nestorini orientales sunt Caldei, et in caldeo legunt et orant. Unde nullo modo sciunt, que est differentia inter acuum et sciax, et igitur valde utile est querere ab eis, que est inter acuum et sciax diffinicio et que est differencia inter acuum et sciax. Et secundum veritatem penitus nulla est differencia, nisi sciax est nomen arabicum et sonat idem quod persona, et acuum est nomen caldeum et sonat idem quod persona vel suppositum, vel individuum. Et secundum hoc ipsi dicunt in arabico Christum esse unam personam et in caldeo Christum esse duas personas...»
    On voit par là quelle est la signification bien différente qu'il faut attribuer à l'adverbe personnellement selon qu'il traduit les adverbes syriaques qnômaïth ou parçôpaïth.
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20. Probablement que Rabban Çauma ne put donner de réponse à cette question.
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21. Littéralement: en mettant ta Religiosité, à l'épreuve.
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22. Il semble d'après ces paroles de Rabban Çauma qu'il ait professé la doctrine des Grecs touchant la procession du Saint Esprit. On sait que l'Église catholique enseigne que le Saint Esprit procède du Père et du Fils, comme d'un même principe. Les Grecs, au contraire, tiennent que le Saint Esprit procède seulement du Père. Rabban Çauma, dit M. BEDJAN (page 56, note) ignorait sans doute le concile de Séleucie-Ctésiphon, tenu en 410, sous le patriarche Isaac, dont le deuxième canon est ainsi conçu: «Nous croyons au Saint Esprit, au Paraclet vivant qui [procède] du Père et du Fils.» - Voir LAMY, Concilium Seleuciae et Ctesiphonti habitum, anno 410; Louvain, 1868.
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23. D'après la tradition, après le martyre de saint Pierre sous Néron, son corps fut transporté par les fidèles dans les grottes vaticanes; l'an 90, Anaclet, successeur de Pierre, érigea en ce lieu un modeste oratoire. En 324, Constantin jeta les fondements d'une superbe basilique. Il prit une pioche, ouvrit le sol et porta lui-même douze corbeilles de terre, en l'honneur des douze apôtres, au lieu où on devait placer la première pierre du nouvel édifice. Pour mieux comprendre la description donnée par notre auteur il faut rapprocher le texte d'une description plus technique de cette ancienne basilique, qui fut remplacée, au XVe siècle, par la basilique actuelle. La Confession ou crypte, renfermant la châsse de saint Pierre, ne recevait la lumière que par une ouverture pratiquée dans le pavé du temple. On y descendait par un escalier de marbre. Le dallage était fait par des lames d'or et les parois étaient revêtues de mosaïques. La châsse du saint, en argent, était renfermée dans une autre châsse en bronze doré surmontée d'une croix d'or fin pesant 150 livres. Léon III (795-516) l'avait fait entourer d'une grille d'argent. Bien que toutes les richesses eussent été enlevées par les Arabes sous le pontificat de Sergius II (844-847) la disposition des lieux était restée la même. La basilique elle-même présentait une ordonnance architecturale très simple. On peut en voir la figure assez exacte dans l'Incendie du bourg de Raphaël. Les cinq nefs coupées en croix latine par un transept étaient séparées par quatre-vingt-seize énormes colonnes de marbre. Les portes et les poutres étaient plaquées de lames d'argent. Le grand autel entouré de ciselures d'or et d'argent et de pierreries, surmonté d'un baldaquin de vermeil que supportaient des colonnes de porphyre, avait un éclat incomparable. Douze colonnes torses en marbre blanc qui le précédaient passaient pour provenir du temple de Jérusalem. Après la dévastation des Arabes, les richesses de l'ornementation avaient été réparées en partie.
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24. Encore aujourd'hui le maître-autel de Saint-Pierre, appelé autel papal, est réservé au souverain pontife.
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25. La véritable Chaire de saint Pierre se trouve aujourd'hui enfermée dans la Chaire en bronze doré du Bernin, qui surmonte l'autel de la sainte Vierge au fond de l'abside de la basilique. - En 1867, la Chaire de saint Pierre a été exposée pendant plusieurs jours dans la basilique vaticane. A cette occasion, M. DE ROSSI en donna la description que voici (Bolletino di archeol. crist., 1867, n° 3): «L'antique Chaire est un fauteuil en bois orné d'incrustations d'ivoire et d'or. Les quatre pieds ont la forme de pilastres carrés, les barres transversales qui les relient et les tiges du dossier sont en bois de chêne jaunâtre. A chacun de ces piliers est attaché un anneau en fer à travers lequel on passe des brancards, de manière à avoir une véritable sedia gestatoria. Ce sont là proprement les parties du siège dont s'est servi le prince des Apôtres. Les espaces compris entre les deux pieds de devant et entre les deux côtés latéraux qui y correspondent, ainsi que le dossier, sont recouverts de bois d'acacia de couleur foncée. Ces planches d'acacia sont ornées de bordures ou bandes d'ivoire, sculptées en relief, qui font de la chaire un monument de style byzantin. La partie de devant qui reçoit le corps de celui qui s'assied est partagée en dix-huit compartiments disposés sur trois lignes. Chacun de ces compartiments possède un bas-relief en ivoire et représente les travaux d'Hercule. Le dossier est formé de cinq pilastres reliés entre eux par des arcatures; deux des pilastres ont disparu. Sur les arcatures repose une corniche ou bande horizontale ornée d'arabesques et sur celle-ci un fronton triangulaire ou tympan. Ces arabesques représentent des combats d'animaux, de centaures, d'hommes. Au milieu de la bande horizontale du fronton ou du tympan, se trouve le buste d'un empereur couronné, tenant de la main droite un sceptre brisé, et de la main gauche, un globe; il a des moustaches et point de barbe; peut-être est-ce Charlemagne ou un de ses premiers successeurs. Viennent ensuite deux anges, un de chaque côté, portant chacun une palme. Les arabesques en relief sont grossièrement faites et semblent être antérieures au Ve siècle. Les travaux d'Hercule et les représentations de divers monstres peuvent être considérés comme étant d'une plus haute antiquité; toutefois il faut les rapporter à une époque bien postérieure au siècle d'Auguste.»
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26. On raconte qu'Abgar, roi d'Édesse, avait envoyé un peintre pour faire le portrait de Jésus, mais que, ébloui par l'éclat surnaturel qui brillait dans sa personne, l'artiste ne put réussir. Alors Notre-Seigneur prenant un suaire en essuya son visage qui resta figuré sur ce linge. Cette image était déjà célèbre à Édesse au VIe siècle, elle y resta jusqu'au XIe, époque où elle passa à Constantinople, puis à Rome où on la vénère à Saint-Sylvestre in Capite (TROMBELLI, De cultu sanctorum). - Sur l'origine de cette légende, voir RUBENS DUVAL, Histoire d'Édesse, chap. V.
    L'image de Rome dont parle notre récit me paraît être l'image nommée Volto Sancto, Sainte-Face ou Véronique. Selon la tradition occidentale, dans le trajet du Prétoire au Calvaire, une pieuse femme essuya la figure du Sauveur, couverte de sueur et de sang, avec un linge sur lequel les traits de Jésus-Christ demeurèrent miraculeusement imprimés. Ce voile ne serait autre que l'image même qu'on conserve encore actuellement à Saint-Pierre de Rom. On l'expose du haut d'une tribune à la vénération des fidèles plusieurs fois par an, mais les chanoines de Saint-Pierre ont seuls le privilège de voir cette relique insigne, qui est cachée même aux Cardinaux. Cependant il y a eu une exception. Voici ce que dit, à ce sujet, M. BARBIER DE MONTAULT, (Ann. Archéolog., XXIII, 234): «Le 8 dicembre 1854, on fit descendre la relique sur l'autel du Saint-Sacrement, entre la sainte Lance et le bois de la vraie croix. La sainte Face est enfermée dans un cadre d'argent, doré par endroits et de forme carrée, sévère d'aspect et peu rehaussé d'ornements. La simplicité du relief fait d'autant plus ressortir l'interieur du tableau, que protège un épais cristal. Malheureusement, par une de ces coutumes trop fréquentes en Italie, une lame de métal couvre l'intérieur et ne laisse dégagée que la figure dont elle dessine les contours. Aux contours, franchement accusés, l'on soupçonne de longs cheveux qui retombent sur les épaules et une barbe courte qui se bifurque en deux mèches peu fournies. Le reste des traits est si vaguement dessiné, ou plutôt si complètement effacé, qu'il m'a fallu la meilleure volonté du monde pour apercevoir la trace des yeux et du nez. Ce qui augmente encore la confusion est une résille à mailles espacées, placée là dans le but d'empêcher le linge de tomber par morceaux. En somme, on ne voit pas le fond de l'étoffe, cachée par une application de métal inutile, et à l'endroit de l'empreinte, on n'aperçoit qu'une surface noirâtre et ne donnant pas de forme de figure humaine.» La tradition occidentale n'est pas très ancienne. «Le premier monument, dit BERGIER (Diction. de Théol., v. Véronique), dans lequel il est parlé de cette image, est un cérémonial dressé l'an 1143, par Benoît, chanoine de Saint-Pierre de Rome, et publié par MABILLON dans le Museum Italicum.» Je crois que cette tradition latine a son origine dans la légende du portrait de Jésus envoyé à Abgar, roi d'Edesse. Notre texte confirmerait ces conjectures. Il est remarquable que la légende romaine ait pris naissance à l'époque même ou l'image d'Édesse était transportée à Constantinople, et avant qu'elle n'en fût enlevée, car elle s'y trouvait encore à la fin du XIIe siècle. «In capella imperatoris (Bucoleon) est Mantille quod visui Domini applicatum imaginem vultus ejus retinuit.» (Cat. de reliques du milieu du XIIe siècle; RIANT, Exuviae sacrae, II, 212, 217, 231.) - «In capella imperatoris... Manutergium, regi Abgaro, a Domino, per Thadeum Apostolum Edessae missum, in quo ab ipso Domino sui ipsius transfigurata.est imago.»(Cat. de la fin du XIIe siècle; ibid.) - On ne trouve aucun texte qui, en Orient, attribue aux vraies images du Christ une origine différente. Je me propose d'ailleurs de traiter à part cette intéressante légende.
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27. Je n'ai trouvé aucune mention de cette particularité dans les anciens Rituels, où les cérémonies et les prières du couronnement des empereurs sont décrites. On y lit seulement que l'empereur, après avoir reçu la couronne, se met à genoux devant le pape et lui baise le pied. C'est peut-être de cette cérémonie, dont il ne fut pas témoin, que Rabban Çauma a voulu parler, et que lui ou son interprète ont mal comprise ou mal décrite. J'ai entendu dire, sans avoir pu vérifier cette assertion, qu'au couronnement du tsar, le métropolite russe pose son pied sur la couronne avant de la placer sur la tête du souverain. Le fait, s'il est exact, permettrait peut-être de supposer l'existence de quelque cérémonie analogue dans le couronnement des empereurs d'Occident.
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28. Suivant la tradition, après la mort de saint Paul, Lucine, noble dame romaine disciple du grand Apôtre, fit transporter le corps de son maître dans sa villa située à peu de distance et le déposa dans le lieu où s'élève aujourd'hui la basilique Saint-Paul hors des Murs, à 2 kilom. de la ville. La basilique actuelle fut fondée par Constantin et remplace l'oratoire édifié, dit-on, par le pape Anaclet. Elle fut reconstruite par les empereurs Valentinien II, Théodose, Arcadius, et terminée sous Honorius, mort en 423. Elle fut détruite en 1823 par un incendie et remplacée par la riche basilique actuelle. Les antiques portes de bronze apportées de Constantinople, splendide monument de l'art byzantin (1070), subsistent encore.
    Le corps de saint Paul est sous le maître-autel, mais la tête est à Saint-Jean de Latran.
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29. Saint Étienne, premier martyr, l'un des sept diacres ordonnés par les Apôtres, fut mis à mort par les Juifs environ neuf mois après l'Ascension de Jésus-Christ. (Act. des Ap., VI-VIII.) Son culte fut toujours très répandu, tant en Orient qu'en Occident; ses reliques furent découvertes au commencement du Ve siècle. Voir Acta sanctor., au 2 août. - L'Église latine célèbre sa fête le 26 décembre.
    D'après le témoignage d'ANTOINE DE NOWGOROD, la tête de saint Étienne était conservée dans l'église de ce saint, à Constantinople; dans le partage des dépouilles qui suivit la prise de cette ville elle fut attribuée à Nivelon de Chérisy qui en fit don au chapitre de Soissons. Elle fut brûlée au XVIe siècle par les huguenots (Cf. RIANT, Exuviae sacrae, 11,338; Les dépouilles religieuses enlevées à C. P., p.190-191).
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30. Saint Ananias, d'après ses Actes grecs publiés dans les Acta Sanctorum, (janv. tome III, nouv. éd., p. 227), après avoir baptisé saint Paul (Act. des Ap., IX), prêcha l'évangile à «Bethgaure Eleutheropoleos» où il fut arrêté et conduit devant le préfet Lucianus qui, ayant essayé en vain par des menaces et des caresses de lui faire abjurer la foi du Christ, le livra aux bourreaux. Il eut le corps labouré par des crocs de fer; on commença à le brûler à petit feu, et enfin on le lapida. Les chrétiens recueillirent son corps et l'ensevelirent près de Damas, dans la maison de son père. Les Grecs célèbrent sa fête le 1er octobre; les Latins le 25 janvier.
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31. L'endroit appelé Trois-Fontaines se trouve à trente minutes environ de la basilique. L'église de San Paolo alle Tre Fontane fut bâtie, en 1590, sur le lieu où saint Paul fut décapité et où sa tête fit jaillir, en bondissant, les trois fontaines dont parle la très ancienne légende rapportée par notre auteur. Ces trois fontaines sont aujourd'hui renfermées dans l'église; sur chacune d'elles est un autel.
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32. Mot à mot: il y a un grand naos. Ce terme désigne, en syriaque, comme en grec, soit un temple, soit un sépulcre, soit une châsse à reliques. Je pense qu'il désigne ici le cimetière de Saint-Zénon qui se trouve, en effet, tout près de l'église des Trois Fontaines, ou peut-être la catacombe de Sainte-Lucine, qui n'en est pas très éloignée.
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33. L'église Saint-Jean de Latran est la cathédrale de Rome. Le lieu doit son nom à Plautus Lateranus qui conspira contre Néron et fut mis à mort par ce prince. Ses biens furent confisqués et le palais qui en faisait partie et s'élevait sur le lieu où est actuellement l'église, fut donné par Maximien à sa fille Fausta, femme de Constantin. Cet empereur y jeta les fondements de la basilique actuelle qui fut consacrée par le pape saint Sylvestre, en 324, sous le vocable du Sauveur. Ce fut Lucien II qui, en 1144, y ajouta le titre de Saint-Jean (-Baptiste) sous lequel elle est plus connue. - La basilique constantinienne subsista près de mille ans à l'aide de réparations successives. C'est elle que vit Rabban Çauma. Elle fut détruite par un incendie, en 1308, puis de nouveau en 1361. La basilique actuelle est formée de constructions de différentes époques, dont l'ensemble présente un effet imposant mais bizarre.
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34. On montre encore aujourd'hui dans le trésor de l'église de Saint-Jean de Latran une partie du vêtement de Notre-Seigneur; non pas de la tunique sans couture (conservée à Trêves), mais du vêtement de pourpre dont il fut habillé par dérision pendant la Passion.
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35. Cette table est aujourd'hui encore conservée dans la basilique, dans la petite chapelle qui se trouve près de la sacristie, où on la voit derrière des grilles de fer, sous de larges feuilles de cristal. Elle se compose de deux panneaux de bois de cèdre, dont chacun a 60 centimètres de large sur 1 mètre 20 de long (ROHAULT DE FLEURY, Mém. sur les instruments de la Passion, p. 281). - Nous voyons dans un Ordo Romanus, publié dans le Museum Italicum de MABILLON (t. II, p. 179) que le pape célébrait la messe sur cette table, ainsi que le dit Rabban Çauma, le jour du Jeudi Saint, que les Nestoriens appellent jour de Pâques, comme je l'expliquerai plus bas.
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36. Ces quatre colonnes sont sans nul doute les quatre colonnes en bronze doré soutenant une architrave et un fronton de même métal, dans la chapelle de la nef latérale de gauche dite chapelle Aldobrandini, et dédiée au Saint-Sacrement. On croit qu'elles proviennent du temple de Jupiter Capitolin et qu'Auguste les avait fait fondre des rostres qui décoraient les vaisseaux pris à la bataille d'Actium.
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37. Comme je l'ai dit plus haut (p. 81, n. 2), la tradition romaine veut que Constantin ait été baptisé à Rome par le pape saint Sylvestre. En 323, Constantin ayant rendu un édit qui permettait de consulter les augures, fut frappé soudainement de lèpre. Il eut lui-même recours aux augures. Ces imposteurs lui conseillérent de faire égorger un certain nombre d'enfants et de prendre dans leur sang un bain qui, disaient-ils, lui rendrait la santé. Constantin rejeta avec horreur cet épouvantable conseil, et, la nuit suivante, il vit apparaître les apôtres saint Pierre et Saint Paul qui lui ordonnèrent de faire rappeler de son lieu d'exil le pape Sylvestre et de recevoir de ses mains le bain vraiment salutaire, qui non seulement remettrait son corps en son premier état, mais qui effacerait aussi toutes les taches de son âme. Constantin obéit. Le pontife, à qui il raconta sa vision, lui présenta les images des Apôtres. L'empereur les reconnut et demanda aussitôt à recevoir le baptême, mais il désira que ce fût dans l'un des vestibules de son palais de Latran, parce qu'il lui répugnait de se montrer en public dans l'état hideux où la lèpre l'avait mis. Ayant reçu le baptême, il fut guéri et montra sa reconaissance en favorisant le développement du christianisme. Tel est le récit de la tradition romaine. Il semble néanmoins qu'on doive lui préférer le témoignage formel d'Eusèbe et de saint Jérôme. - Je ne trouve dans les descriptions actuelles de Rome aucune mention de la vasque dans laquelle l'empereur aurait été baptisé. Peut-être a-t-on simplement montré à Rabban Çauma le baptistère, en lui disant que c'était celui où l'empereur Constantin reçut le baptême. La cuve actuelle, à laquelle on descend par un escalier de trois marches, est formée d'une urne en basalte vert.
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38. Simon le Magicien, originaire de Samarie, avait été le disciple du thaumaturge Dosithée; il opérait lui-même des prodiges et s'intitulait la Vertu de Dieu. Il se fit baptiser par le diacre Philippe, puis demanda à saint Pierre de lui transmettre, moyennant argent, le pouvoir d'opérer des miracles semblables aux siens (de là vient le nom de simonie pour désigner le trafic des choses saintes). Il fut repoussé et maudit par le chef des Apôtres. Il se sépara alors des chrétiens et se rendit en Italie, ayant à sa suite une tyrienne appelée Hélène. Il prêcha à Rome une sorte de gnosticisme imparfait et chercha à rivaliser de zèle avec saint Pierre, qui était venu lui aussi dans la capitale de l'empire. On raconte qu'il lutta avec l'Apôtre devant Néron. Il voulut s'élever dans les airs à l'aide de la magie, mais saint Pierre s'étant mis en prière, il retomba à terre et se brisa les membres. Quant au lieu où la tradition place cet événement, il était fixé d'une manière très précise à l'époque où Rabban Çauma passa à Rome. Voici ce que nous lisons dans l'Ordo Romanus (MABILLON, Museum Italicum, II,143) dans la description de l'itinéraire de la procession pontificale du lundi de Pâques «... Progrediens inter forum Trajani et forum Caesaris subintrat arcum Nerviae inter templum ejusdem Deae et templum Jani, ascendit ante asylum per silicem ubi cecidit Simon Magus, juxta templum Romuli; pergit sub arcu triumphali Titi et Vespasiani qui vocatur Septem Lucernarum.....»
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39. L'église de Sainte-Marie-Majeure, ainsi appelée parce qu'elle est la plus ancienne et la plus célèbre des basiliques romaines dédiées à la mère du Sauveur. Elle doit son origine au miracle des neiges. Au commencement du IVe siècle vivait à Rome un illustre patricien nommé Jean. Privé d'enfants, il résolut, de concert avec sa femme, de consacrer son riche patrimoine à des oeuvres pieuses. La Sainte-Vierge leur fit connaître par un songe qu'elle-même voulait être leur héritière. «Vous me bâtirez, leur dit-elle, une église sur la colline qui demain sera couverte de neige.» La même nuit elle apparut au pape Libère et lui ordonna de faire construire, avec la coopération du patricien Jean, une église sur la portion du mont Esquilin qu'il trouverait couverte de neige. Or c'était la nuit du 4 au 5 août, époque de grande chaleur en Italie. Le lendemain, en effet, on trouva de la neige sur le mont Esquilin; et l'église fut bâtie aux frais des pieux époux. Le pape Libère la consacra vers 352. Elle fut connue d'abord sous le nom de Sainte-Marie des Neiges ou de Basilique Libérienne, et plus tard de Sainte-Marie de la Crèche. Par la suite, celui de Saint-Marie-Majeure a prévalu. Elle a subi depuis son origine des agrandissements et des restaurations successives dont la dernière date de Benoît XIV. Dans la chapelle dite Borghèse, se trouve une des sept images de la Vierge que la tradition attribue à saint Luc.
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40. La relique que l'on présente comme étant celle de la Crèche est actuellement dans la Chapelle dite du Crucifix, dans la nef latérale de droite de la basilique. Selon la tradition, sainte Hélène aurait rapporté d'Orient à C. P. et fait recouvrir de plaques d'argent le bois de la crèche transféré ensuite à Rome, en l'an 642, avec le corps de saint Jérôme. Le reliquaire actuel représente Jésus-Christ enfant couché sur un berceau de vermeil enrichi de bas-reliefs et de ciselures. La crèche ne conserve plus sa forme primitive; les cinq petites planches qui en formaient les parois sont réunies ensemble. Les plus grandes ont 2 pieds et demi de longueur sur 4 ou 5 pouces de largeur, elle sont minces et d'un bois noirci par le temps. On ne l'expose aux regards des fidèles qu'une fois chaque année, le 24 décembre. - Il semblerait que Rabban Çauma désigne le morceau du vêtement de la Sainte-Vierge comme ayant été placé dans un même reliquaire avec un morceau du bois de la crèche. Cette disposition aurait été modifiée depuis, et j'ignore si on prétend encore aujourd'hui avoir une partie des vêtements de la Sainte-Vierge, à Sainte-Marie-Majeure (Cf. ROHAULT DE FLEURY, Mém. cité, p. 278).
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41. Aujourd'hui encore, sous le maître-autel de Sainte-Marie-Majeure, se trouve la confession de saint Matthias. C'est donc dans cette église que Rabban Çauma a dû vénérer le corps de cet Apôtre. Nous ne savons rien de bien certain sur les détails de la vie de S. Matthias. On croit, d'une manière générale, qu'après avoir été adjoint au collège apostolique pour y remplacer Judas (Act. des Ap., I, 23), il consacra le reste de sa vie aux travaux de la prédication. Les Grecs prétendent, d'après une tradition exprimée dans leurs ménologes, qu'il prêcha la foi vers la Cappadoce et les côtes de la mer Caspienne et ils ajoutent qu'il fut martyrisé dans la Colchide, qu'ils appellent Éthiopie. On garde une partie de ses reliques à l'abbaye de Saint-Matthias de Trèves. D'après les Bollandistes, il se pourrait que les reliques de Saint-Marie-Majeure, qui portent le nom de saint Matthias, ne fussent point celles de l'apôtre, mais d'un autre saint du même nom, évêque de Jérusalem vers l'an 120.
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42. L'église des Saints-Apôtres, sur la place du même nom, fut fondée, selon la tradition, par Constantin et elle a conservé jusqu'à ce jour le nom de basilique constantinienne. Pélage Ier la fit reconstruire au VIe siècle et Jean III la termina et la dédia (560) aux saints apôtres Philippe et Jacques, dont les corps furent placés sous le maître-autel où ils ont été retrouvés en janvier 1873. Il n'est donc pas surprenant que notre pieux visiteur ait pu voir deux reliques distraites de ces corps sacrés et placées dans des reliquaires, pour satisfaire à la dévotion des fidèles, si réellement les corps des apôtres se trouvaient dans la crypte. D'après des documents authentiques, on montrait à Constantinople, à la fin du XIIe siècle, en diverses églises, le corps de saint Jacques le Mineur, la tête et un bras de saint Jacques le Majeur, le corps de saint Philippe, qui furent attribués à différents seigneurs dans le partage du butin qui suivit la prise de la ville (Cf. RIANT, Exuviae Sacrae, t. II, passim).
    D'après Théodoret et Eusèbe, l'apôtre saint Philippe alla prêcher dans les deux Phrygies. Il a dû vivre jusqu'à un âge très avancé puisque saint Polycarpe, qui ne se convertit qu'en l'an 80, put converser avec lui. Un passage de ce dernier, cité par Eusèbe, semble prouver qu'il fut enterré à Hiéraple en Phrygie. Cette ville se croyait redevable de sa conservation aux miracles continuels qui s'opéraient par la vertu des reliques du saint apôtre. Les orientaux honorent celui-ci le 14 novembre et les latins le 1er mai. Voir TILLEMONT, Mém., t. I, p. 384; EUSÈBE, Hist. eccl., liv. III, 31; V, 24. Acta sanct., 1er mai.
    Saint Jacques, fils de Zébédée et de Salomé, était frère de saint Jean l'évangéliste et proche parent de Jésus-Christ. Il est souvent difficile de distinguer dans les documents s'il s'agit de cet apôtre ou de son homonyme saint Jacques, dit le Mineur; et encore les monuments des premiers siècles nous disent-ils peu de chose sur les travaux de ces apôtres. Selon une tradition, le Majeur serait allé prêcher la foi en Espagne et y serait mort. D'après une autre, il aurait été martyrisé à Jérusalem, onze ans après l'Ascension, et son corps aurait plus tard été transporté en Espagne, où il est encore aujourd'hui en grande vénération à Compostelle. Comme Rabban Çauma ne nous parle que d'un bras de saint Jacques, son récit ne contredit point la tradition. Il est impossible en quelques lignes de faire même un simple exposé des difficultés que soulèvent les questions relatives à la distinction des deux saints Jacques et aux traditions qui se rapportent à leur vie et à leurs reliques. On les trouvera traitées dans les Acta sanctorum au 1er mai et au 25 juillet.
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43. Gênes était, dès le XIe siècle, une des principales villes de l'Italie et même de l'Europe. Elle avait été jusqu'alors gouvernée par des consuls, auxquels succédèrent des podestats, assistés, pour le gouvernement, d'un conseil de huit membres. Cette constitution bizarre fut changée en 1270. Une nouvelle constitution, qui dura jusqu'à la création des doges (en 1339), fut mise en oeuvre; le gouvernement, plus démocratique, appartint à deux capitaines du peuple et à un abbé du peuple, charges qui furent disputées pendant plus d'un siècle entre les familles Doria et Spinola (gibelins), Fiesque et Grimaldi (guelfes). Au moment où Rabban Çauma arriva dans cette ville, les capitaines du peuple devaient être Conrado Doria et Alberto Spinola. Le personnage qui se rendit au devant des ambassadeurs mongols était probablement l'abbé du peuple.
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44. L'église Saint-Laurent est encore aujourd'hui la cathédrale de Gênes, elle fut construite au commencement du XIe siècle et restaurée plusieurs fois, notamment en 1550, par Galeas Alessi. Elle est revêtue extérieurement de marbre blanc et noir disposé en assises alternatives. La nef principale est décorée de seize colonnes d'ordre composite en marbre blanc et noir de Paros.
    La chapelle de Saint-Jean-Baptiste (quatrième à gauche) est décorée d'ornements en marbre et en stuc doré ainsi que de bas-reliefs et de statues. Ces décorations datent du XVe et du XVIe siècles. Sous un édicule porté par quatre colonnes de porphyre est placée la châsse de saint Jean. Mais la châsse dans laquelle on montre actuellement les reliques du Précurseur, ornée de figurines d'un travail délicat, n'est pas celle qu'a pu voir Çauma, car elle ne fut achevée qu'en 1438.
    Saint Jean-Baptiste ayant été mis à mort à Macheronte, «ses disciples em portèrent son corps et l'ensevelirent» (MATTH., XVI, 12) à Sébaste, près de Samarie, selon la tradition universellement acceptée dès le règne de Julien l'Apostat, même par les païens. On y montre encore son tombeau dans l'église transformée en mosquée. Au temps de Julien l'Apostat, les païens violèrent le tombeau et jetèrent au loin les ossements qu'ils ramassèrent ensuite pour les brûler avec des ossements d'animaux. Des moines venus de Jérusalem ramassèrent une partie de ces cendres et quelques-uns des ossements qui, pour la plupart, passèrent après diverses vicissitudes à Constantinople. Une partie des cendres fut transportée de Mira à Gênes, à l'époque de la première croisade, peut-être en 1098. (Voyez RIANT, Date de la translation à Gênes des reliques de s. Jean Baptiste; Giorn. ligust.) Une bulle du pape Innocent VII, in vendetta de la fille d'Hérodias qui demanda la mort du Précurseur, interdit aux femmes l'entrée de cette chapelle si ce n'est un seul jour dans l'année. - (Cf. Acta sanctorum au 24 juin et au 29 août.)
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45. Ce vase, appelé le Sacro Cattino, est encore actuellement conservé dans la sacristie de l'église de Saint-Laurent. On en trouve l'histoire et la description dans la Revue archéologique de 1845, d'où j'extrais ce qui suit: «Il est d'une couleur d'émeraude, d'une forme agréable, les angles sont bien tranchés, les anses prises dans la matière sont bien placées, les ornements qui consistent seulement en des rangées de points creux sont de bon goût, les soufflures sont peu nombreuses. Il est aisé de voir qu'après avoir été fondu en entier il a été habilement réparé au touret. Lors de la prise de Césarée, il passa au pouvoir des Génois comme faisant la portion du butin à laquelle ils avaient à prétendre. Déposé dans l'église de Saint-Laurent il n'était offert aux regards des fidèles qu'une fois par an et de loin, par un prélat qui le tenait avec un cordon tandis qu'il était surveillé lui-même par des chevaliers nommés clavigeri, chargés de veiller à sa conservation qui étaient choisis parmi les premiers citoyens de la République. Des amendes, et en certains cas la mort, étaient prononcées contre ceux qui auraient osé toucher cette précieuse relique. On la regarda longtemps comme étant une émeraude d'une gigantesque dimension. Mais au XVIIIe siècle plusieurs observateurs affirmèrent que ce n'était que du verre. Il fut pris par les Français, transporté à Paris et examiné par une commission de l'Institut qui décida que ce n'était que du verre coloré. Il retourna à Gênes en 1816 et se trouva brisé à son arrivée.
    L'arrivée en Europe de cette célèbre relique est signalée dans une légende, rapportée par Geoffroy de Montmouth, au XIIe siècle, qui présentait ce vase comme taillé dans une émeraude, et comme ayant été présenté au roi Salomon par la reine de Saba. (Cf. ROHAULT DE FLEURY, Mém. sur les instruments de la Passion, p. 277; le Sacro Cattino est représenté dans ce volume, pl. XXIII.)
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46. Outre le jeûne du mercredi et du samedi de chaque semaine, les Nestoriens, au temps de Bar Çauma (car depuis lors ils ont modifié un peu leurs coutumes), observaient sept jeûnes dans le cours de l'année: - 1° Le jeûne dominical qui correspond à notre carême et qui dure sept semaines entières, depuis notre dimanche de la Quinquagèsime, qu'ils appellent l'Entrée du jeûne, jusqu'à Pâques, sans en excepter les samedis ni les dimanches; - 2° Le jeûne des Apôtres, depuis le mardi de la Pentecôte jusqu'à la première semaine de l'été, qui est la septième après la Pentecôte, en laquelle ils célèbrent la fête des douze Apôtres; - 3° Le jeûne de l'Assomption de la Vierge, depuis le 1er jusqu'au 15 août; - 4° Le jeûne d'Élie ou de la Croix qui durait aussi sept semaines, depuis le quatrième dimanche de l'été; - Le jeûne de la Nativité ou de l'Annonciation, depuis le premier dimanche de l'Annonciation (Avent) jusqu'au 25 décembre; - Le jeûne des Ninivites ou de la Rogation pendant trois jours, le lundi, mardi et mercredi avant le carême; - 7° Le jeûne des Vierges, les trois jours qui suivent la fête de l'Épiphanie.
    Aujourd'hui, les jeûnes de la Croix et des Vierges sont supprimés. Celui de la Nativité commence le 1er décembre, et celui des Apôtres finit au 29 juin. Les jeûnes des Apôtres, de la Croix, de la Nativité n'étaient point obligatoires pour les laïques. (Cf. ASSÉMANI, Bibl. Or., t. III, part. 2., p. 284 et suiv.)
    Puisque Rabban Çauma, qui n'est certainement pas arrivé à Gênes pendant le carême, a eu occasion de parler du jeûne, il est naturel de supposer que ce sujet de conversation a été amené par la coincidence d'un jeûne nestorien avec l'époque de son séjour dans cette ville. Il aura remarqué que les Génois ne jeûnaient point et se sera informé des motifs de leur manière d'agir. On peut supposer qu'il se trouvait là pendant le jeûne de l'Assomption, c'est-à-dire du 1er au 15 août.
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