Il leur répondit(16):
«Je crois en un seul Dieu caché, éternel, sans commencement
et sans fin, Père, Fils et Esprit Saint: trois
personnes égales et inséparables, entre lesquelles il n'y
a ni première, ni dernière, ni jeune, ni vieille; qui sont
un en nature et trois en personnes(17):
le Père qui engendre, le Fils qui est engendré et l'Esprit
qui procède.
«Dans les derniers temps, une
des personnes de la Trinité royale, le Fils, a revêtu
un homme parfait, Jésus-Christ, de Marie la Vierge
sainte, s'est uni à lui personnellement [parçôpaïth]
et en lui a sauvé le monde(18);
selon sa divinité il est engendré du Père de toute
éternité; selon son humanité, il est enfanté
par Marie, dans le temps; mais l'union est indivisible et
inséparable pour l'éternité, union sans mélange
et aussi sans confusion ni composition. Ce fils de l'union est Dieu parfait
et homme parfait, deux natures [kianin]
et deux personnes [qnômin],
un personnage [parçôpa](19).»
Les Cardinaux lui dirent: «Le
Père, le Fils et l'Esprit sont-ils unis ou séparés
quant à la nature?»
Ils répondirent(20):
«Ils sont unis dans la nature mais séparés
dans les propriétés.»
Lui demanda: «Quelles sont leurs
propriétés?».
Ils répondirent: «Du
Père: la paternité (génération active); du
Fils: la filiation (génération passive); de l'Esprit la procession.»
Il interrogea encore: «Qui d'entre
eux est cause de l'autre?»
Ils répondirent: «Le
Père est la cause du Fils et le Fils la cause de l'Esprit.»
Rabban Çauma dit: «Mais
puisqu'ils sont égaux en nature, en opération, en vertu,
en puissance, et que les trois personnes ne sont qu'un absolument, comment
est-il possible que l'une soit cause relativement à l'autre? Il
est donc nécessaire que l'Esprit soit aussi cause de quelque chose
autre. Nous ne trouvons pas la démonstration de choses semblables
à celles que vous dites. Voici l'âme qui est cause de l'intelligence
et de la vie, et non l'intelligence qui est cause de la vie. La sphère
du soleil est cause des rayons et de la chaleur, et non la chaleur cause
des rayons. Ainsi, nous pensons avec raison que le Père est la cause
du Fils et de l'Esprit, et que tous les deux sont causés par lui.
Adam a engendré Seth et a produit Ève : et ils sont trois;
car la génération et la production, en ce qui est de l'humanité,
ne diffèrent en rien.»
Les Cardinaux lui dirent: «Pour
nous, nous croyons que l'Esprit procède du Père et du Fils,
non pas comme nous avons dit, te mettant(21)
à l'épreuve par ce langage.»
Il répondit: «Il n'est
pas juste qu'une seule chose ait deux, trois ou quatre causes; je pense
que cela n'est pas conforme à notre foi(22).»
Mais les Cardinaux lui fermèrent
la bouche par de nombreux arguments.
Cependant ils l'honoraient à
cause de son langage; mais il leur dit: «Je suis venu des pays lointains
non pour discuter ou faire savoir ce qui concerne la foi, mais pour vénérer
Monseigneur le Pape et les reliques des saints, et pour faire connaître
la parole du roi et du Catholique. Si cela vous est agréable, laissons
les discussions. Veuillez donner ordre à quelqu'un de me montrer
les églises et les tombeaux des saints qui sont ici; c'est une grande
grâce que vous accorderez à votre serviteur et disciple.»
Les Cardinaux appelèrent le
gouverneur de la ville et quelques moines auxquels ils ordonnèrent
de lui faire voir les églises et les lieux saints de l'endroit.
Ils sortirent aussitôt visiter les lieux que nous mentionnons maintenant.
Premièrement, ils entrèrent
dans l'église de Pierre et Paul(23).
Il y a, au-dessous d'un trône,
un tombeau dans lequel, est placé le corps de saint Pierre et au-dessus
du trône est un autel. Le grand autel qui est au milieu du temple
a quatre portes. A chaque ouverture, il y a une porte à deux battants
en fer ouvré. Monseigneur le Pape seul célèbre la
messe sur cet autel et personne autre que lui ne monte sur le siège
de cet autel(24). Ensuite ils
virent le siège de saint Pierre, sur lequel on fait asseoir Monseigneur
le Pape quand on le sacre(25).
Ils virent aussi le morceau de linge pur sur lequel Notre-Seigneur imprima
son image et qu'il envoya au roi Abgar d'Édesse(26).
La grandeur de ce temple et sa magnificence sont inexprimables.
Il est soutenu par cent quatre-vingts colonnes. Il y a dedans un autre
autel sur lequel leur Roi des rois reçoit le sacre et est proclamé
Amprôr, Roi
des rois, par le Pape. On dit qu'après les oraisons, Monseigneur
le Pape prend avec ses pieds la couronne et en revêt l'empereur,
c'est-à-dire la place sur sa tête; afin, disent-ils, que le
sacerdoce domine sur la royauté(27).
Après avoir vu toutes les églises
et les couvents qui sont dans la grande Rome, ils allèrent hors
de la ville, à l'église de Mar Paul l'apôtre(28):
sous l'autel se trouve aussi son tombeau. Là est la chaîne
par laquelle Paul était lié quand on le traînait en
ce lieu. Dans l'autel se trouve encore un reliquaire d'or qui renferme
la tête de Mar Étienne le martyr(29)
et la main de Mar Ananias(30)
qui baptisa Mar Paul. Le bâton de l'apôtre Paul est aussi en
ce lieu.
De là ils allèrent à
l'endroit où l'apôtre Paul fut couronné [du martyre].
On dit que quand sa tête fut coupée elle sauta en haut par
trois fois, criant à chaque fois: «Christ! Christ!»
et, des trois endroits où elle retomba, il sortit des eaux qui ont
la vertu de guérir et de soulager tous ceux qui souffrent(31).
Il y a dans ce lieu un grand tombeau(32)
dans lequel se trouvent les ossements de martyrs et de Pères illustres:
ils les vénérèrent.
Ils allèrent aussi à
l'église de Madame Marie et de Monseigneur Jean-Baptiste(33)
où ils virent la tunique sans couture de Notre-Seigneur(34).
Il y a encore dans cette église la table sur laquelle Notre-Seigneur
consacra l'Eucharistie et la donna à ses Apôtres. Chaque année
Monseigneur le Pape consacre sur cette table les mystères de Pâques(35).
Il y a dans cette église quatre colonnes de bronze qui ont chacune
six pieds d'épaisseur. On dit que les rois les ont apportées
de Jérusalem(36). Ils
virent là la vasque dans laquelle Constantin, l'empereur
victorieux, fut baptisé. Elle est en pierre noire polie(37).
Ce temple a cent quarante colonnes en pierre de marbre blanc: car l'église
est grande et vaste.
Ils virent la place ou Simon Pierre
disputa avec Simon le Magicien, et dans laquelle celui-ci tomba et se brisa
les os(38).
Ensuite ils allèrent à
une église de Madame Marie(39),
où on leur montra un reliquaire de cristal dans lequel était
le vêtement de Madame Marie et un morceau du bois sur lequel Notre-Seigneur
dormait lorsqu'il était enfant(40).
Ils virent aussi la tête de l'apôtre Matthias dans une châsse
d'argent(41). Ils virent encore le
pied de l'apôtre Philippe et le bras de Jacques, fils de Zébédée,
dans l'église des Apôtres qui se trouve là(42).
Après cela,
ils virent des édifices qu'il est impossible
de décrire par la parole, et les histoires qui concernent ces monuments
sont trop longues à raconter; c'est pourquoi elles ont été
omises.
Rabban Çauma et ses compagnons
se rendirent ensuite près des cardinaux; il leur rendit grâces
de ce qu'ils avaient daigné lui faire voir et vénérer
ces saintes reliques. Rabban Çauma demanda la permission d'aller
trouver les rois qui sont au-delà de Rome.
Les cardinaux lui donnèrent
la permission de partir et lui dirent: «Pour nous, nous ne pouvons
vous donner de réponse avant l'élection du pape.»
De là, Rabban Çauma
et ses compagnons gagnèrent le pays de Thouzkân
(Toscane) et y furent reçus avec honneur.
Ensuite ils allèrent à Ginouha (Gênes).
Ce pays n'a point de roi; mais le peuple établit
pour chef du gouvernement l'homme qui lui plaît(43).
Quand les Génois apprirent
qu'un envoyé du roi Argoun arrivait, leur chef et tout le peuple
sortirent au-devant de lui pour l'introduire avec honneur dans la ville.
Il y avait là une grande église, sous le vocable de Saint-Laurent,
dans laquelle se trouve le corps sacré de Monseigneur Jean-Baptiste,
dans une châsse d'argent pur(44).
On leur fit aussi voir un vase hexagonal en émeraude,
et on leur dit que c'était celui dans lequel Notre-Seigneur avait
mangé la Pâque avec ses disciples, qui fut apporté
de Jérusalem lors de la prise de cette ville(45).
Ils apprirent que les gens de ce pays
ne jeûnaient point la première semaine du carême. Ils
demandèrent: «Pourquoi faites-vous cela et vous distinguez-vous
ainsi de tous les chrétiens?» Ceux-ci répondirent:
«Telle est notre coutume. A l'origine de notre conversion, nos pères
dans la foi étaient
faibles et ne pouvaient jeûner. Ceux qui les ont convertis leur ont
ordonné de jeûner seulement quarante jours(46).»
1. On ne peut affirmer avec certitude
de quel monastère il s'agit ici, mais il est très vraisemblable
que c'est du couvent attenant à l'église des saints Serge
et Bacchus qui se trouvait, en effet, près du port des Sophion.
Nous savons, d'après DU CANGE (C. P. Christ.,
p. 136) que ce couvent était de rite latin et que les moines
reconnaissaient, même après le schisme, l'autorité
du pape. La tête de saint Jean Chrysostome avait été
apportée en France, avant cette époque, si nous en croyons
les témoignages explicites de plusieurs auteurs: «Capita
B. Johannis Chrysostomi et S. Dimistri... cum multis aliis reliquiis
attulit (Claravalli) de transmarinis partibus Artaudus, Templi miles, monachus
Clarevallis et cellarius. Nota quod caput sancti Iohannis Chrysostomi,
quod fuit in magno scrinio, deportatum est apud Parisios tempore domini
Stephani, XIX abbatis Clarevallis (1242-1257) ubi est in collegio S. Bernardi...»
(LALORE, Trésor de Clairvaux, pp. 52-54). Quant
au pape qui baptisa Constantin, dans un monastère des Latins,
ce mot ne peut désigner que le pape saint Sylvestre, mort en l'an
355, dont l'église Latine célèbre la fête le
31 décembre. La tradition, d'après laquelle Constantin aurait
été baptisé par ce pape, ne paraît guère
solide et est en opposition formelle avec les témoignages d'Eusèbe
de Césarée et de saint Jérôme, qui assurent
que l'empereur fut baptisé à la fin de sa vie par Eusèbe
de Nicomédie. Comme, d'un côté, il n'y a pas d'exemple
que les Ariens aient réitéré le baptême, et
que, d'autre part, la coutume de différer la réception de
ce sacrement jusqu'au lit de mort était assez répandue, l'assertion
d'Eusèbe ne parait guère pouvoir être mise en doute,
d'autant mieux que la tradition latine entoure le prétendu baptême
par saint Sylvestre de circonstances dont le caractère légendaire
ne saurait être contesté.
Dans les inventaires de reliques de
Constantinople, à l'époque de la quatrième croisade,
nous trouvons chez ANTON. NOVGOR. (Exuviae sacrae, II, 223), la
mention d'un Corpus S. Sylvestri à Sainte-Sophie, mais rien
n'indique qu'il s'agisse du pape de ce nom. On ne voit pas non plus à
qui cette relique a été attribuée dans les partages.
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2. Il s'agit de l'Etna, selon la note
de M. BEDJAN. Je crois, d'après le contexte, qu'il est plutôt
question du Stromboli. Cependant rien ne s'oppose à ce qu'on l'entende
de l'Etna, si la conjecture que j'émets un peu plus bas, sur la
date du séjour de Rabban Çauma à Naples, est vraie;
car nous savons par BARTOLOMEO DI NEOCASTRO (Script. rer. ital.,
XIII, 1138), que le grand volcan sicilien était en éruption
le lundi 18 juin 1287.
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3. M. BEDJAN propose de lire Al ri
Charldanchou (le roi Charles d'Anjou) et il ajoute avec raison: «Cependant
ce prince était mort à cette date, et son fils Charles II
était alors en prison.» La correction proposée par
M. VAN HOONACKER nous semble beaucoup plus logique. Elle consiste dans
une simple transposition des lettres l et r, facile à
expliquer. Il lit Al ri Charladou: le roi Charles
II. Cf., ci-dessus, chap. VIIa, n. 9.
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4. Ce ne pouvait être Charles II,
car à l'époque de l'arrivée de Rabban Çauma,
c'est-à-dire en 1287, ce roi était prisonnier, en Espagne,
de Jacques II d'Aragon qui, après avoir gouverné la Sicile,
sous le règne de son père Pierre, était devenu lui-même
roi de cette île à la mort de son père en 1285, avant
de devenir roi d'Aragon, par celle de son frère Alphonse (1291).
Il ne s'agit donc vraisemblablement de Charles Martel, fils de Charles
II, régent du royaume sous la tutelle de Robert comte d'Artois.
On est cependant surpris de le voir désigné sous le nom de
Chardalou.
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5. Le roi d'Aragon, ou plutôt Jacques
II alors seulement roi de Sicile, comme je viens de dire.
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6. En consultant les historiens, je n'ai
pu trouver qu'une bataille navale répondant aux données de
notre auteur : celle qui fut livrée dans le golfe de Naples, le
23 juin 1287. Voici d'après VILLANI (MURATORI, Script. rer. ital.,
XIII, 316) les circonstances qui amenèrent ce combat:
Le 22 avril 1287, le comte d'Artois,
régent du royaume et gouverneur de Charles-Martel, le plus jeune
fils de Charles II, avait expédié de Naples une flotte de
cinquante navires qui débarqua une armée en Sicile et s'empara
d'Agosta. Jacques d'Aragon voulut reprendre la ville, mais ayant appris
qu'une nouvelle flotte se disposait à amener de Naples des renforts
aux partisans de Charles, il le fit savoir à son amiral Roger de
Loria qui «incontanente, come savio Amiraglio et maestro di guerra,
si delibero di venire adossa a l'armata di Napoli per sottrarli a battaglia...
et cosi li vene fatto che, il di san Gioanni del mese di Giugno del detto
anno, vene infino nel porto di Napoli, facendo saettare nella terra, e
con grida et villane parole commincio a svergognare il Conte d'Artese et
suoi Franceschi». L'historien NICOLAUS SPECIALIS (MURATORI, Scriptores
rer. ital., X, 954) nous a laissé de la bataille la description
que voici: «Demum cum venissent Siculi ante Napolim sese in vexillis
explicitis et celeumatibus ostentantes et, quasi delphines ad adspectum
hostium, per horam exiguam alarum remigie colludentes, subitam fugam pro
reditu simulabant, que casu paratam jam classem hostium in duri Martis
certamine provocarunt. Igitur Carolo juniore, quem Martellum agnomine titulabant,
et Atrebatensi comite, Balivo regni, jubentibus, comites Flandriae, Brehennae,
Avellinae, et Guido, comes de Monteforti, cum pluribus aliis regni primatibus,
jam paratas ad bellum rates, quasi properantes ad epulas, ascenderunt,
exiguum Siculorum numerum tumenti animo despectantes. Erant quippe Siculorum
rates numero quadraginta, hostium vero classis in septuaginta ratibus consistebat.
Quisque suam stationem deseruit. Napolitani de superabundanti numero confidentes
ad bellum properant; Siculi assueti vincere non diffidunt; clangor tubarum,
clamores et incurrentium sibi nautarum celeumata in aurea sidera ferebantur.
Pugna itaque inter partes cruenta committitur, ac inferorum ducibus multo
sanguine immolatur. Anceps fortuna belli magno diei spatio suspensa est.
Ultime... Siculi tam gloriosam victoriam consequuti sunt quod quadraginta
galeas ex victis hostibus habuerunt. Cetera vero classis, cum Henrico de
Mari, qui jam remedia fugae apud scopulos Formicarum dediderat, beneficio
remorum evasit. Comites omnes et Naryo admiratus eorum cum pluribus magnis
viris in eo bello capti sunt. Rogerius cum triginta galeis ante Neapolim
residens reliquam classem cum quatuor millibus captivorum in Siciliam et
debellata signa transmisit.»
D'après VILLANI (loc. cit.)
le combat s'engagea à six milles de Naples: il y eut plusieurs
galères de coulées, surtout parmi celles des barons francs,
qui luttèrent avec courage, mais qui n'étaient point expérimentés
dans l'art de combattre sur mer et furent complètement déroutés
par la fuite de leur amiral.
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7. La chose devait assurément
paraître bien étrange à ces hommes habitués
aux horreurs des guerres mongoles, où chaque combat était
suivi ordinairement d'une dévastation générale de
la contrée, accompagnée de meurtres et de pillages.
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8. Le pape Honorius IV mourut le Jeudi
saint, 3 avril 1287. Si, comme je viens de le dire, nos voyageurs étaient
à Naples à la fin de juin, ils ont dû sans aucun doute
apprendre dans cette ville la mort du pape, car si réellement ils
l'ont apprise entre Naples et Rome, il faut dire qu'ils ont quitté
la première ville dès le commencement d'avril. Mais alors
de quelle bataille navale serait-il question? Le texte dit positivement
que Çauma a assisté au combat du haut d'une terrasse, et
il n'est pas susceptible d'une autre interprétation. J'aime mieux
donner ce sens à la phrase présente: «Or, pendant le
voyage, ils avaient appris la mort du pape.» Le récit a d'ailleurs
été très écourté en cet endroit, par
le traducteur syriaque.
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9. Dans tous les diocèses, dès
l'origine de l'Église, l'usage s'établit que l'évêque
se constituât, dans la personne des principaux clercs, une sorte
de conseil, avec l'aide duquel il administrait les affaires de sa juridiction.
A Rome, au moins depuis le XIe siècle, plusieurs évêques
furent admis dans ce collège, et tout d'abord les sept évêques
les plus voisins de Rome qui étaient presque continuellement mêlés
au clergé romain, assistaient le souverain Pontife quand il officiait,
et, en son absence, célébraient les offices dans la basilique
de Saint-Jean de Latran, à tour de rôle, par semaine. De là
vint qu'on les appela évêques de Latran, cardinaux de Latran,
collatéraux du souverain Pontife, évêques hebdomadaires.
Le collège de l'Église romaine se trouva donc dès
lors composé d'évêques, de prêtres
et de diacres. Mais le nombre des cardinaux à
l'origine ne fut pas déterminé d'une manière précise.
Certains documents permettent de croire qu'au XIIe siècle il y avait
sept cardinaux-évêques, vingt-huit prêtres et dix-huit
diacres. Puis le nombre diminua et à l'élection de Nicolas
III (1277) il n'y eut que huit cardinaux présents. Il n'y a donc
aucune invraisemblance dans le chiffre de douze présenté
par Rabban Çauma comme étant celui des cardinaux réunis
pour l'élection du successeur d'Honorius IV - l'un d'eux, l'évêque
de Tusculum, était sûrement absent. - Le nombre des cardinaux
s'accrut pendant le schisme d'Avignon, chaque prétendant ayant les
siens. Sixte Quint régla, en 1586, qu'à l'avenir le nombre
des cardinaux serait fixé à soixante-dix (six cardinaux-évêques,
cinquante cardinaux-prêtres et quatorze cardinaux-diacres), en souvenir
des soixante-dix vieillards donnés par Dieu a Moïse, pour conseillers
(Num., XI). Cette règle est encore observée
aujourd'hui.
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10. Ces Francs étaient sans doute
des Italiens, probablement le maître des cérémonies
de la cour papale, mais, comme je l'ai dit plus haut, à cette époque,
comme encore aujourd'hui en Orient, malgré tous les efforts des
rivaux de la France, et souvent malgré l'incurie de ceux qui pourraient
les combattre, le prestige de notre pays est tel que tous les Occidentaux
sont désignés sous le nom de Francs.
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11. Bien que Grégoire X eût
établi récemment (1274) une constitution sévère
touchant le conclave ou réunion des cardinaux, destinée à
empêcher la prolongation de la vacance du siège apostolique,
nous savons qu'elle ne fut pas toujours rigoureusement observée,
surtout à l'origine. Honorius IV déclare dans une lettre
que les cardinaux l'ont élu librement et sans être enfermés.
A la mort d'Honorius, les cardinaux s'enfermèrent pour l'élection
dans le palais du pape défunt, près de Sainte-Sabine, mais
l'air s'y trouva si malsain durant l'été que plusieurs tombèrent
malades: il en mourut cinq ou six et les autres se retirèrent chacun
chez soi. Le cardinal Jérôme d'Ascoli fut le seul qui demeura
dans ce palais sans être attaqué par la maladie.
Retour
12. Le cardinal Jérôme
d'Ascoli, évêque de Palestrina, général des
Frères Mineurs, qui fut ensuite élu pape sous le nom de Nicolas
IV.
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13. Saint Thomas, un des douze apôtres,
après être resté un certain temps en Palestine, partit
prêcher l'Evangile aux Indes, enseignant sur la route les Parthes,
les Mèdes, les Perses, les Bactriens. Parvenu aux Indes, grâce
à ses miracles, il s'attira la confiance du roi dont il baptisa
la fille et le frère. Ayant obtenu la permission de prêcher
en liberté, il répandit la parole de Dieu dans le Malabar
et les îles avoisinantes. Enfin il fut mis à mort par un brahman
vers l'an 52, dans une ville que les textes syriaques appellent Qalamina.
Ses reliques furent transportées à Édesse sous l'épiscopat
d'Eulogius (387-396). Tel est le résumé très succint
de la tradition des églises syriennes. Voir sur ce point, BAR HÉBRÉUS,
Chron. eccl., II, 2-12. On trouvera dans les notes des éditeurs
tous les renseignements bibliographiques nécessaires sur les ouvrages
à consulter pour l'éclaircissement de ces traditions. Ajouter
la nouvelle édition du texte syriaque des Actes de saint Thomas
(BEDJAN, Act. mart. et sanct., t. III).
Saint Adée ou Thaddée
est représenté dans la tradition de l'église syrienne
comme le disciple de saint Thomas. Après l'Ascension, il vint à
Édesse, au temps où régnait le roi Abgar. Celui-ci
attendait le royaume de Dieu et la guérison de sa lèpre qui
lui avait valu le nom de Noir par ironie, car tout son corps était
blanchi. Ayant appris l'arrivée d'Adée il l'accueillit avec
joie, crut, reçut le baptême et fut guéri de sa maladie.
Adée bâtit à Édesse des églises aux frais
du roi Abgar. Puis il partit vers l'Extrême-Orient, pour y prêcher
l'Évangile, avec deux de ses disciples, Aghée et Maris. Lors
de leur retour à Édesse, le roi Abgar était mort,
et son fils, qui lui avait succédé, était ennemi des
chrétiens. Ce prince mit à mort Adée. Il fut enseveli
dans l'église qu'il avait fait construire à Édesse.
Cfr. BAR HÉBRÉUS, Chron. eccl., II, 14.
Sur saint Maris, voir ci-dessus, chap.
IV.
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14. Bagdad était la résidence
de fait, mais le titre était celui de Séleucie-Ctésiphon.
Cf. ci-dessus, chap. V.
Retour
15. Nous verrons que la reine Dokouz-Khatoun
avait, en effet, une église dans sa résidence.
Retour
16. Il est probable que cette profession
de foi constitue le symbole des nestoriens persans, transcrit en syriaque,
tel qu'ils le récitaient à la fin du XIIIe siècle.
Elle renferme, comme on le verra, deux parties bien distinctes. La première
contient leur doctrine sur la Trinité, la seconde sur l'Incarnation.
Sans aucun doute, cette profession dut paraître ambiguë aux
Cardinaux, surtout traduite par la bouche d'un interprète. C'est
ce qui donna lieu à l'interrogatoire qu'on fit ensuite subir à
Rabban Çauma. Le traducteur syriaque en a probablement supprimé
plusieurs passages. L'interrogatoire se rapporte seulement à la
Trinité, et il semble que les Cardinaux ont été surtout
préoccupés de savoir si Rabban Çauma ne professait
pas l'erreur des Grecs touchant la procession du Saint Esprit.
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17. Dans toute cette première
partie le mot personne répond au mot syriaque qnouma.
Le texte serait donc rigoureusement orthodoxe, si les nestoriens avaient
employé le mot qnouma dans son sens obvie. Mais il n'en était
pas ainsi. RICOLDO DI MONTE CROCE qui avait étudié les doctrines
de ces hérétiques nous dit qu'ils partagaient les erreurs
des Jacobites sur la Trinité: «Errant eciam Nestorini cum
Jacobinis et quasi cum omnibus orientalibus in misterio Trinitatis. Dicunt
enim, quod Pater et Filius et Spiritus Sanctus sint thelathe fatfat
quod interpretatur tres qualitates, cum tamen in caldeo dicant eos
thelathe achanum [qnoume] et in arabico dicant esse
thelate sciax quod interpretatur tres personnae vel tria supposita»
(éd. Laurent, page 126). Leur erreur provenait donc de ce qu'ils
faisaient du syriaque qnouma (= personne), le synonyme de l'arabe
fattu (= qualité). Il ne semble pas que les Cardinaux aient
songé à interroger Rabban Çauma sur ce point.
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18. Il faut corriger le texte ainsi
pour le rendre orthodoxe: «.... le Fils a pris un homme
parfait de Marie la Vierge sainte, s'est uni à lui personnellement
[qnômaïth] et dans son propre sang a sauvé le
monde.» Voir le Concile d'Ephèse, can. 2 et 3; le Concile
de Constantinople, can. 3 (P. BEDJAN).
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19. Ces dernières phrases contiennent
l'expression formelle du dogme nestorien; voir le deuxième concile
de Constantinople, can. 4, et le concile d'Éphèse, can. 3.
On pourra, à l'aide des deux citations suivantes, comprendre le
sens des paroles de Rabban Çauma dans la bouche d'un nestorien:
«Omnino attendendum est ad magnum
discrimen quod ponunt [Nestoriani] inter qnouma (=hypostasin) et
parçôpa (= prosôpon). Apud graecos latinosque
voces persona, hypostasis, prosopon, fere promiscue usurpantur et
quoad mysterium incarnationis eumdem habent sensum, scilicet: substantiae
in se subsistentis et proinde incommunicabilis. Nestoriani vero [per] qnouma,
intelligunt naturam per se subsistentem quae tantum mente percipiatur
(Cf. PET. STROZZA, De dogmatibus Chaldeorum, p. 145); parçôpa,
autem intelligunt ipsam eamdem naturam ut sensui patet et per sensum cognoscitur,
paulo immutata graeca voce quae communiter significat uniuscujusque faciem.
Propterea Christi Domini prosôpon appellant humanum ipsius
adspectum, sub quo latebat persona Filii; et Spiritus Sancti prosôpon
dicunt columbam et ignem quibus sub speciebus apparuit; imo et Patris
prosôpon ignem rubi quem viderat Moses. Hunc modum loquendi
induxit Nestorius qui, ubi de personis sermonem habet, vocem hypostasin
usurpat, cum vero ex homine Jesu et Deo Verbo unam personam conflatam
asserit, vocem prosôpon adhibet, et sic duas in Christo hypostases
et unum prosôpon admittere potuit» (ASSÉMANI,
Bibl. or., t. III, part. 2, p. 215-219).
Cette observation générale
est complétée par celle de RICOLDO (éd. Laurent, p.
127) qui nous présente l'enseignement des Nestoriens à l'époque
mème de notre Jabalaha : « Sunt autem Nestorini heretici sequentes
et Theodorum. Et licet in multis errent, maxime tamen in Christo errant,
quem dicunt natum de virgine purum hominem, postea vero adeptum fuisse
filiationem Dei. Unde licet concedant Christum esse verum Deum et verum
hominem, et confiteantur Christum de virgine natum, non tamen volunt confiteri
quod Deus sit natus de virgine vel virginem esse genitricem Dei, sed hominis
genitricem tantum. Unde dicunt, quod non est idem qui natus est ex Deo
patre ab eterno et ex virgine matre ex tempore. Et ne cogantur eum propter
hoc dividere in duos filios, dicunt esse uuum sciax [schachs]
scilicet unam personam; et ne cogantur dicere Deum natum ex virgine
dividunt eum in duo acuum [uknum] i. e. duo supposita.
Unde ipsi omnes dicunt Christum esse unum sciax et duo acuum,
quod secundum Nestorium, qui fuit graecus, sonat una persona et duo supposita.
Ipsi tamen Nestorini orientales sunt Caldei, et in caldeo legunt et orant.
Unde nullo modo sciunt, que est differentia inter acuum et sciax,
et igitur valde utile est querere ab eis, que est inter acuum et
sciax diffinicio et que est differencia inter acuum et sciax.
Et secundum veritatem penitus nulla est differencia, nisi sciax
est nomen arabicum et sonat idem quod persona, et acuum est
nomen caldeum et sonat idem quod persona vel suppositum, vel individuum.
Et secundum hoc ipsi dicunt in arabico Christum esse unam personam et in
caldeo Christum esse duas personas...»
On voit par là quelle est la
signification bien différente qu'il faut attribuer à l'adverbe
personnellement selon qu'il traduit les adverbes syriaques qnômaïth
ou parçôpaïth.
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20. Probablement que Rabban Çauma
ne put donner de réponse à cette question.
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21. Littéralement: en
mettant ta Religiosité, à l'épreuve.
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22. Il semble d'après ces paroles
de Rabban Çauma qu'il ait professé la doctrine des Grecs
touchant la procession du Saint Esprit. On sait que l'Église catholique
enseigne que le Saint Esprit procède du Père et du Fils,
comme d'un même principe. Les Grecs, au contraire, tiennent que le
Saint Esprit procède seulement du Père. Rabban Çauma,
dit M. BEDJAN (page 56, note) ignorait sans doute le concile de Séleucie-Ctésiphon,
tenu en 410, sous le patriarche Isaac, dont le deuxième canon est
ainsi conçu: «Nous croyons au Saint Esprit, au Paraclet vivant
qui [procède] du Père et du Fils.» - Voir LAMY, Concilium
Seleuciae et Ctesiphonti habitum, anno 410; Louvain, 1868.
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23. D'après la tradition, après
le martyre de saint Pierre sous Néron, son corps fut transporté
par les fidèles dans les grottes vaticanes; l'an 90,
Anaclet, successeur de Pierre, érigea en ce lieu un modeste oratoire.
En 324, Constantin jeta les fondements d'une superbe basilique. Il prit
une pioche, ouvrit le sol et porta lui-même douze corbeilles de terre,
en l'honneur des douze apôtres, au lieu où on devait placer
la première pierre du nouvel édifice. Pour mieux comprendre
la description donnée par notre auteur il faut rapprocher le texte
d'une description plus technique de cette ancienne basilique, qui fut remplacée,
au XVe siècle, par la basilique actuelle. La Confession ou
crypte, renfermant la châsse de saint Pierre, ne recevait la lumière
que par une ouverture pratiquée dans le pavé du temple. On
y descendait par un escalier de marbre. Le dallage était fait par
des lames d'or et les parois étaient revêtues de mosaïques.
La châsse du saint, en argent, était renfermée dans
une autre châsse en bronze doré surmontée d'une croix
d'or fin pesant 150 livres. Léon III (795-516) l'avait fait entourer
d'une grille d'argent. Bien que toutes les richesses eussent été
enlevées par les Arabes sous le pontificat de Sergius II (844-847)
la disposition des lieux était restée la même. La basilique
elle-même présentait une ordonnance architecturale très
simple. On peut en voir la figure assez exacte dans l'Incendie du
bourg de Raphaël. Les cinq nefs coupées en croix latine
par un transept étaient séparées par quatre-vingt-seize
énormes colonnes de marbre. Les portes et les poutres étaient
plaquées de lames d'argent. Le grand autel entouré de ciselures
d'or et d'argent et de pierreries, surmonté d'un baldaquin de vermeil
que supportaient des colonnes de porphyre, avait un éclat incomparable.
Douze colonnes torses en marbre blanc qui le précédaient
passaient pour provenir du temple de Jérusalem. Après la
dévastation des Arabes, les richesses de l'ornementation avaient
été réparées en partie.
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24. Encore aujourd'hui le maître-autel
de Saint-Pierre, appelé autel papal, est réservé
au souverain pontife.
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25. La véritable Chaire
de saint Pierre se trouve aujourd'hui enfermée dans la Chaire
en bronze doré du Bernin, qui surmonte l'autel de la sainte
Vierge au fond de l'abside de la basilique. - En 1867, la Chaire de
saint Pierre a été exposée pendant plusieurs jours
dans la basilique vaticane. A cette occasion, M. DE ROSSI en donna la description
que voici (Bolletino di archeol. crist., 1867, n° 3): «L'antique
Chaire est un fauteuil en bois orné d'incrustations d'ivoire
et d'or. Les quatre pieds ont la forme de pilastres carrés, les
barres transversales qui les relient et les tiges du dossier sont en bois
de chêne jaunâtre. A chacun de ces piliers est attaché
un anneau en fer à travers lequel on passe des brancards, de manière
à avoir une véritable sedia gestatoria. Ce sont là
proprement les parties du siège dont s'est servi le prince des Apôtres.
Les espaces compris entre les deux pieds de devant et entre les deux côtés
latéraux qui y correspondent, ainsi que le dossier, sont recouverts
de bois d'acacia de couleur foncée. Ces planches d'acacia sont ornées
de bordures ou bandes d'ivoire, sculptées en relief, qui font de
la chaire un monument de style byzantin. La partie de devant qui reçoit
le corps de celui qui s'assied est partagée en dix-huit compartiments
disposés sur trois lignes. Chacun de ces compartiments possède
un bas-relief en ivoire et représente les travaux d'Hercule. Le
dossier est formé de cinq pilastres reliés entre eux par
des arcatures; deux des pilastres ont disparu. Sur les arcatures repose
une corniche ou bande horizontale ornée d'arabesques et sur celle-ci
un fronton triangulaire ou tympan. Ces arabesques représentent des
combats d'animaux, de centaures, d'hommes. Au milieu de la bande horizontale
du fronton ou du tympan, se trouve le buste d'un empereur couronné,
tenant de la main droite un sceptre brisé, et de la main gauche,
un globe; il a des moustaches et point de barbe; peut-être est-ce
Charlemagne ou un de ses premiers successeurs. Viennent ensuite deux anges,
un de chaque côté, portant chacun une palme. Les arabesques
en relief sont grossièrement faites et semblent être antérieures
au Ve siècle. Les travaux d'Hercule et les représentations
de divers monstres peuvent être considérés comme étant
d'une plus haute antiquité; toutefois il faut les rapporter à
une époque bien postérieure au siècle d'Auguste.»
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26. On raconte qu'Abgar, roi d'Édesse,
avait envoyé un peintre pour faire le portrait de Jésus,
mais que, ébloui par l'éclat surnaturel qui brillait dans
sa personne, l'artiste ne put réussir. Alors Notre-Seigneur prenant
un suaire en essuya son visage qui resta figuré sur ce linge. Cette
image était déjà célèbre à Édesse
au VIe siècle, elle y resta jusqu'au XIe, époque où
elle passa à Constantinople, puis à Rome où on la
vénère à Saint-Sylvestre in Capite (TROMBELLI, De
cultu sanctorum). - Sur l'origine de cette légende, voir
RUBENS DUVAL, Histoire d'Édesse, chap. V.
L'image de Rome dont parle notre récit
me paraît être l'image nommée Volto Sancto,
Sainte-Face ou Véronique. Selon la tradition occidentale,
dans le trajet du Prétoire au Calvaire, une pieuse femme essuya
la figure du Sauveur, couverte de sueur et de sang, avec un linge sur lequel
les traits de Jésus-Christ demeurèrent miraculeusement imprimés.
Ce voile ne serait autre que l'image même qu'on
conserve encore actuellement à Saint-Pierre de Rom. On l'expose
du haut d'une tribune à la vénération des fidèles
plusieurs fois par an, mais les chanoines de Saint-Pierre ont seuls le
privilège de voir cette relique insigne, qui est cachée même
aux Cardinaux. Cependant il y a eu une exception. Voici ce que dit, à
ce sujet, M. BARBIER DE MONTAULT, (Ann. Archéolog., XXIII,
234): «Le 8 dicembre 1854, on fit descendre la relique sur l'autel
du Saint-Sacrement, entre la sainte Lance et le bois de la vraie croix.
La sainte Face est enfermée dans un cadre d'argent, doré
par endroits et de forme carrée, sévère d'aspect et
peu rehaussé d'ornements. La simplicité du relief fait d'autant
plus ressortir l'interieur du tableau, que protège un épais
cristal. Malheureusement, par une de ces coutumes trop fréquentes
en Italie, une lame de métal couvre l'intérieur et ne laisse
dégagée que la figure dont elle dessine les contours. Aux
contours, franchement accusés, l'on soupçonne de longs cheveux
qui retombent sur les épaules et une barbe courte qui se bifurque
en deux mèches peu fournies. Le reste des traits est si vaguement
dessiné, ou plutôt si complètement effacé, qu'il
m'a fallu la meilleure volonté du monde pour apercevoir la trace
des yeux et du nez. Ce qui augmente encore la confusion est une résille
à mailles espacées, placée là dans le but d'empêcher
le linge de tomber par morceaux. En somme, on ne voit pas le fond de l'étoffe,
cachée par une application de métal inutile, et à
l'endroit de l'empreinte, on n'aperçoit qu'une surface noirâtre
et ne donnant pas de forme de figure humaine.» La tradition occidentale
n'est pas très ancienne. «Le premier monument, dit BERGIER
(Diction. de Théol., v. Véronique), dans lequel il
est parlé de cette image, est un cérémonial dressé
l'an 1143, par Benoît, chanoine de Saint-Pierre de Rome, et publié
par MABILLON dans le Museum Italicum.» Je crois que
cette tradition latine a son origine dans la légende du portrait
de Jésus envoyé à Abgar, roi d'Edesse. Notre texte
confirmerait ces conjectures. Il est remarquable que la légende
romaine ait pris naissance à l'époque même ou l'image
d'Édesse était transportée à Constantinople,
et avant qu'elle n'en fût enlevée, car elle s'y trouvait encore
à la fin du XIIe siècle. «In capella imperatoris (Bucoleon)
est Mantille quod visui Domini applicatum imaginem vultus ejus retinuit.»
(Cat. de reliques du milieu du XIIe siècle; RIANT, Exuviae
sacrae, II, 212, 217, 231.) - «In capella imperatoris... Manutergium,
regi Abgaro, a Domino, per Thadeum Apostolum Edessae missum, in quo ab
ipso Domino sui ipsius transfigurata.est imago.»(Cat. de la fin
du XIIe siècle; ibid.) - On ne trouve aucun texte qui, en Orient,
attribue aux vraies images du Christ une origine différente.
Je me propose d'ailleurs de traiter à part cette intéressante
légende.
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27. Je n'ai trouvé aucune mention
de cette particularité dans les anciens Rituels, où les cérémonies
et les prières du couronnement des empereurs sont décrites.
On y lit seulement que l'empereur, après avoir reçu la couronne,
se met à genoux devant le pape et lui baise le pied. C'est peut-être
de cette cérémonie, dont il ne fut pas témoin, que
Rabban Çauma a voulu parler, et que lui ou son interprète
ont mal comprise ou mal décrite. J'ai entendu dire, sans avoir pu
vérifier cette assertion, qu'au couronnement du tsar, le métropolite
russe pose son pied sur la couronne avant de la placer sur la tête
du souverain. Le fait, s'il est exact, permettrait peut-être de supposer
l'existence de quelque cérémonie analogue dans le couronnement
des empereurs d'Occident.
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28. Suivant la tradition, après
la mort de saint Paul, Lucine, noble dame romaine disciple du grand Apôtre,
fit transporter le corps de son maître dans sa villa située
à peu de distance et le déposa dans le lieu où s'élève
aujourd'hui la basilique Saint-Paul hors des Murs, à 2 kilom.
de la ville. La basilique actuelle fut fondée par Constantin et
remplace l'oratoire édifié, dit-on, par le pape Anaclet.
Elle fut reconstruite par les empereurs Valentinien II, Théodose,
Arcadius, et terminée sous Honorius, mort en 423. Elle fut détruite
en 1823 par un incendie et remplacée par la riche basilique actuelle.
Les antiques portes de bronze apportées de Constantinople, splendide
monument de l'art byzantin (1070), subsistent encore.
Le corps de saint Paul est sous le
maître-autel, mais la tête est à Saint-Jean de Latran.
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29. Saint Étienne, premier martyr,
l'un des sept diacres ordonnés par les Apôtres, fut mis à
mort par les Juifs environ neuf mois après l'Ascension de Jésus-Christ.
(Act. des Ap., VI-VIII.) Son culte fut toujours très répandu,
tant en Orient qu'en Occident; ses reliques furent découvertes au
commencement du Ve siècle. Voir Acta sanctor., au 2 août.
- L'Église latine célèbre sa fête le 26 décembre.
D'après le témoignage
d'ANTOINE DE NOWGOROD, la tête de saint Étienne était
conservée dans l'église de ce saint, à Constantinople;
dans le partage des dépouilles qui suivit la prise de cette ville
elle fut attribuée à Nivelon de Chérisy qui en fit
don au chapitre de Soissons. Elle fut brûlée au XVIe siècle
par les huguenots (Cf. RIANT, Exuviae sacrae, 11,338; Les dépouilles
religieuses enlevées à C. P., p.190-191).
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30. Saint Ananias, d'après ses
Actes grecs publiés dans les Acta Sanctorum, (janv.
tome III, nouv. éd., p. 227), après avoir baptisé
saint Paul (Act. des Ap., IX), prêcha l'évangile
à «Bethgaure Eleutheropoleos» où il fut
arrêté et conduit devant le préfet Lucianus qui, ayant
essayé en vain par des menaces et des caresses de lui faire abjurer
la foi du Christ, le livra aux bourreaux. Il eut le corps labouré
par des crocs de fer; on commença à le brûler à
petit feu, et enfin on le lapida. Les chrétiens recueillirent son
corps et l'ensevelirent près de Damas, dans la maison de son père.
Les Grecs célèbrent sa fête le 1er octobre; les Latins
le 25 janvier.
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31. L'endroit appelé Trois-Fontaines
se trouve à trente minutes environ de la basilique. L'église
de San Paolo alle Tre Fontane fut bâtie, en 1590, sur le lieu
où saint Paul fut décapité et où sa tête
fit jaillir, en bondissant, les trois fontaines dont parle la très
ancienne légende rapportée par notre auteur. Ces trois fontaines
sont aujourd'hui renfermées dans l'église; sur chacune d'elles
est un autel.
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32. Mot à mot: il y a un grand
naos. Ce terme désigne, en syriaque, comme en grec,
soit un temple, soit un sépulcre, soit une châsse à
reliques. Je pense qu'il désigne ici le cimetière de Saint-Zénon
qui se trouve, en effet, tout près de l'église des Trois
Fontaines, ou peut-être la catacombe de Sainte-Lucine, qui n'en est
pas très éloignée.
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33. L'église Saint-Jean de Latran
est la cathédrale de Rome. Le lieu doit son nom à Plautus
Lateranus qui conspira contre Néron et fut mis à mort par
ce prince. Ses biens furent confisqués et le palais qui en faisait
partie et s'élevait sur le lieu où est actuellement l'église,
fut donné par Maximien à sa fille Fausta, femme de Constantin.
Cet empereur y jeta les fondements de la basilique actuelle qui fut consacrée
par le pape saint Sylvestre, en 324, sous le vocable du Sauveur. Ce fut
Lucien II qui, en 1144, y ajouta le titre de Saint-Jean (-Baptiste) sous
lequel elle est plus connue. - La basilique constantinienne subsista près
de mille ans à l'aide de réparations successives. C'est elle
que vit Rabban Çauma. Elle fut détruite par un incendie,
en 1308, puis de nouveau en 1361. La basilique actuelle est formée
de constructions de différentes époques, dont l'ensemble
présente un effet imposant mais bizarre.
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34. On montre encore aujourd'hui dans
le trésor de l'église de Saint-Jean de Latran une partie
du vêtement de Notre-Seigneur; non pas de la tunique sans couture
(conservée à Trêves), mais du vêtement de pourpre
dont il fut habillé par dérision pendant la Passion.
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35. Cette table est aujourd'hui encore
conservée dans la basilique, dans la petite chapelle qui se trouve
près de la sacristie, où on la voit derrière des grilles
de fer, sous de larges feuilles de cristal. Elle se compose de deux panneaux
de bois de cèdre, dont chacun a 60 centimètres de large sur
1 mètre 20 de long (ROHAULT DE FLEURY, Mém. sur les instruments
de la Passion, p. 281). - Nous voyons dans un
Ordo Romanus, publié dans le Museum Italicum de MABILLON
(t. II, p. 179) que le pape célébrait la messe sur cette
table, ainsi que le dit Rabban Çauma, le jour du Jeudi Saint, que
les Nestoriens appellent jour de Pâques, comme je l'expliquerai plus
bas.
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36. Ces quatre colonnes sont sans nul
doute les quatre colonnes en bronze doré soutenant une architrave
et un fronton de même métal, dans la chapelle de la nef latérale
de gauche dite chapelle Aldobrandini, et dédiée au Saint-Sacrement.
On croit qu'elles proviennent du temple de Jupiter Capitolin et qu'Auguste
les avait fait fondre des rostres qui décoraient les vaisseaux pris
à la bataille d'Actium.
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37. Comme je l'ai dit plus haut (p.
81, n. 2), la tradition romaine veut que Constantin ait été
baptisé à Rome par le pape saint Sylvestre. En 323, Constantin
ayant rendu un édit qui permettait de consulter les augures, fut
frappé soudainement de lèpre. Il eut lui-même recours
aux augures. Ces imposteurs lui conseillérent de faire égorger
un certain nombre d'enfants et de prendre dans leur sang un bain qui, disaient-ils,
lui rendrait la santé. Constantin rejeta avec horreur cet épouvantable
conseil, et, la nuit suivante, il vit apparaître les apôtres
saint Pierre et Saint Paul qui lui ordonnèrent de faire rappeler
de son lieu d'exil le pape Sylvestre et de recevoir de ses mains le bain
vraiment salutaire, qui non seulement remettrait son corps en son premier
état, mais qui effacerait aussi toutes les taches de son âme.
Constantin obéit. Le pontife, à qui il raconta sa vision,
lui présenta les images des Apôtres. L'empereur les reconnut
et demanda aussitôt à recevoir le baptême, mais il désira
que ce fût dans l'un des vestibules de son palais de Latran, parce
qu'il lui répugnait de se montrer en public dans l'état hideux
où la lèpre l'avait mis. Ayant reçu le baptême,
il fut guéri et montra sa reconaissance en favorisant le développement
du christianisme. Tel est le récit de la tradition romaine. Il semble
néanmoins qu'on doive lui préférer le témoignage
formel d'Eusèbe et de saint Jérôme. - Je ne trouve
dans les descriptions actuelles de Rome aucune mention de la vasque dans
laquelle l'empereur aurait été baptisé. Peut-être
a-t-on simplement montré à Rabban Çauma le baptistère,
en lui disant que c'était celui où l'empereur Constantin
reçut le baptême. La cuve actuelle, à laquelle on descend
par un escalier de trois marches, est formée d'une urne en basalte
vert.
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38. Simon le Magicien, originaire de
Samarie, avait été le disciple du thaumaturge Dosithée;
il opérait lui-même des prodiges et s'intitulait la Vertu
de Dieu. Il se fit baptiser par le diacre Philippe, puis demanda
à saint Pierre de lui transmettre, moyennant argent, le pouvoir
d'opérer des miracles semblables aux siens (de là vient le
nom de simonie pour désigner le trafic des choses saintes).
Il fut repoussé et maudit par le chef des Apôtres. Il se sépara
alors des chrétiens et se rendit en Italie, ayant à sa suite
une tyrienne appelée Hélène. Il prêcha à
Rome une sorte de gnosticisme imparfait et chercha à rivaliser de
zèle avec saint Pierre, qui était venu lui aussi dans la
capitale de l'empire. On raconte qu'il lutta avec l'Apôtre devant
Néron. Il voulut s'élever dans les airs à l'aide de
la magie, mais saint Pierre s'étant mis en prière, il retomba
à terre et se brisa les membres. Quant au lieu où la tradition
place cet événement, il était fixé d'une manière
très précise à l'époque où Rabban Çauma
passa à Rome. Voici ce que nous lisons dans l'Ordo Romanus (MABILLON,
Museum Italicum, II,143) dans la description de l'itinéraire
de la procession pontificale du lundi de Pâques «... Progrediens
inter forum Trajani et forum Caesaris subintrat arcum Nerviae inter templum
ejusdem Deae et templum Jani, ascendit ante asylum per silicem ubi cecidit
Simon Magus, juxta templum Romuli; pergit sub arcu triumphali
Titi et Vespasiani qui vocatur Septem Lucernarum.....»
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39. L'église de Sainte-Marie-Majeure,
ainsi appelée parce qu'elle est la plus ancienne et la plus célèbre
des basiliques romaines dédiées à la mère du
Sauveur. Elle doit son origine au miracle des neiges. Au commencement
du IVe siècle vivait à Rome un illustre patricien nommé
Jean. Privé d'enfants, il résolut, de concert avec sa femme,
de consacrer son riche patrimoine à des oeuvres pieuses. La Sainte-Vierge
leur fit connaître par un songe qu'elle-même voulait être
leur héritière. «Vous me bâtirez, leur dit-elle,
une église sur la colline qui demain sera couverte de neige.»
La même nuit elle apparut au pape Libère et lui ordonna de
faire construire, avec la coopération du patricien Jean, une église
sur la portion du mont Esquilin qu'il trouverait couverte de neige. Or
c'était la nuit du 4 au 5 août, époque de grande chaleur
en Italie. Le lendemain, en effet, on trouva de la neige sur le mont Esquilin;
et l'église fut bâtie aux frais des pieux époux. Le
pape Libère la consacra vers 352. Elle fut connue d'abord sous le
nom de Sainte-Marie des Neiges ou de Basilique Libérienne,
et plus tard de Sainte-Marie de la Crèche. Par
la suite, celui de Saint-Marie-Majeure a prévalu. Elle a
subi depuis son origine des agrandissements et des restaurations successives
dont la dernière date de Benoît XIV. Dans la chapelle dite
Borghèse, se trouve une des sept images de la Vierge que la tradition
attribue à saint Luc.
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40. La relique que l'on présente
comme étant celle de la Crèche est actuellement dans la Chapelle
dite du Crucifix, dans la nef latérale de droite de la basilique.
Selon la tradition, sainte Hélène aurait rapporté
d'Orient à C. P. et fait recouvrir de plaques d'argent le bois de
la crèche transféré ensuite à Rome, en l'an
642, avec le corps de saint Jérôme. Le reliquaire actuel représente
Jésus-Christ enfant couché sur un berceau de vermeil enrichi
de bas-reliefs et de ciselures. La crèche ne conserve plus sa forme
primitive; les cinq petites planches qui en formaient les parois sont réunies
ensemble. Les plus grandes ont 2 pieds et demi de longueur sur 4 ou 5 pouces
de largeur, elle sont minces et d'un bois noirci par le temps. On ne l'expose
aux regards des fidèles qu'une fois chaque année, le 24 décembre.
- Il semblerait que Rabban Çauma désigne le morceau du vêtement
de la Sainte-Vierge comme ayant été placé dans un
même reliquaire avec un morceau du bois de la crèche.
Cette disposition aurait été modifiée depuis, et j'ignore
si on prétend encore aujourd'hui avoir une partie des vêtements
de la Sainte-Vierge, à Sainte-Marie-Majeure (Cf. ROHAULT DE FLEURY,
Mém. cité, p. 278).
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41. Aujourd'hui encore, sous le maître-autel
de Sainte-Marie-Majeure, se trouve la confession de saint Matthias. C'est
donc dans cette église que Rabban Çauma a dû vénérer
le corps de cet Apôtre. Nous ne savons rien de bien certain sur les
détails de la vie de S. Matthias. On croit, d'une manière
générale, qu'après avoir été adjoint
au collège apostolique pour y remplacer Judas (Act. des Ap.,
I, 23), il consacra le reste de sa vie aux travaux de la prédication.
Les Grecs prétendent, d'après une tradition exprimée
dans leurs ménologes, qu'il prêcha la foi vers la Cappadoce
et les côtes de la mer Caspienne et ils ajoutent qu'il fut martyrisé
dans la Colchide, qu'ils appellent Éthiopie. On garde une partie
de ses reliques à l'abbaye de Saint-Matthias de Trèves. D'après
les Bollandistes, il se pourrait que les reliques de Saint-Marie-Majeure,
qui portent le nom de saint Matthias, ne fussent point celles de l'apôtre,
mais d'un autre saint du même nom, évêque de Jérusalem
vers l'an 120.
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42. L'église des Saints-Apôtres,
sur la place du même nom, fut fondée, selon la tradition,
par Constantin et elle a conservé jusqu'à ce jour le nom
de basilique constantinienne. Pélage Ier la fit reconstruire au
VIe siècle et Jean III la termina et la dédia (560) aux saints
apôtres Philippe et Jacques, dont les corps furent placés
sous le maître-autel où ils ont été retrouvés
en janvier 1873. Il n'est donc pas surprenant que notre pieux visiteur
ait pu voir deux reliques distraites de ces corps sacrés et placées
dans des reliquaires, pour satisfaire à la dévotion des fidèles,
si réellement les corps des apôtres se trouvaient dans la
crypte. D'après des documents authentiques, on montrait à
Constantinople, à la fin du XIIe siècle, en diverses
églises, le corps de saint Jacques le Mineur, la tête et un
bras de saint Jacques le Majeur, le corps de saint Philippe, qui furent
attribués à différents seigneurs dans le partage du
butin qui suivit la prise de la ville (Cf. RIANT, Exuviae Sacrae,
t. II, passim).
D'après Théodoret et
Eusèbe, l'apôtre saint Philippe alla prêcher dans les
deux Phrygies. Il a dû vivre jusqu'à un âge très
avancé puisque saint Polycarpe, qui ne se convertit qu'en l'an 80,
put converser avec lui. Un passage de ce dernier, cité par Eusèbe,
semble prouver qu'il fut enterré à Hiéraple en Phrygie.
Cette ville se croyait redevable de sa conservation aux miracles continuels
qui s'opéraient par la vertu des reliques du saint apôtre.
Les orientaux honorent celui-ci le 14 novembre et les latins le 1er mai.
Voir TILLEMONT, Mém., t. I, p. 384; EUSÈBE, Hist.
eccl., liv. III, 31; V, 24. Acta sanct., 1er mai.
Saint Jacques, fils de Zébédée
et de Salomé, était frère de saint Jean l'évangéliste
et proche parent de Jésus-Christ. Il est souvent difficile de distinguer
dans les documents s'il s'agit de cet apôtre ou de son homonyme saint
Jacques, dit le Mineur; et encore les monuments des premiers
siècles nous disent-ils peu de chose sur les travaux de ces apôtres.
Selon une tradition, le Majeur serait allé prêcher
la foi en Espagne et y serait mort. D'après une autre, il aurait
été martyrisé à Jérusalem, onze ans
après l'Ascension, et son corps aurait plus tard été
transporté en Espagne, où il est encore aujourd'hui en grande
vénération à Compostelle. Comme Rabban Çauma
ne nous parle que d'un bras de saint Jacques, son récit ne contredit
point la tradition. Il est impossible en quelques lignes de faire même
un simple exposé des difficultés que soulèvent les
questions relatives à la distinction des deux saints Jacques et
aux traditions qui se rapportent à leur vie et à leurs reliques.
On les trouvera traitées dans les Acta sanctorum au 1er
mai et au 25 juillet.
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43. Gênes était, dès
le XIe siècle, une des principales villes de l'Italie et même
de l'Europe. Elle avait été jusqu'alors gouvernée
par des consuls, auxquels succédèrent des podestats, assistés,
pour le gouvernement, d'un conseil de huit membres. Cette constitution
bizarre fut changée en 1270. Une nouvelle constitution, qui dura
jusqu'à la création des doges (en 1339), fut mise
en oeuvre; le gouvernement, plus démocratique, appartint à
deux capitaines du peuple et à un abbé du peuple,
charges qui furent disputées pendant plus d'un siècle
entre les familles Doria et Spinola (gibelins), Fiesque et Grimaldi (guelfes).
Au moment où Rabban Çauma arriva dans cette ville, les capitaines
du peuple devaient être Conrado Doria et Alberto Spinola. Le
personnage qui se rendit au devant des ambassadeurs mongols était
probablement l'abbé du peuple.
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44. L'église Saint-Laurent est
encore aujourd'hui la cathédrale de Gênes, elle fut construite
au commencement du XIe siècle et restaurée plusieurs fois,
notamment en 1550, par Galeas Alessi. Elle est revêtue extérieurement
de marbre blanc et noir disposé en assises alternatives. La nef
principale est décorée de seize colonnes d'ordre composite
en marbre blanc et noir de Paros.
La chapelle de Saint-Jean-Baptiste
(quatrième à gauche) est décorée d'ornements
en marbre et en stuc doré ainsi que de bas-reliefs et de statues.
Ces décorations datent du XVe et du XVIe siècles. Sous un
édicule porté par quatre colonnes de porphyre est placée
la châsse de saint Jean. Mais la châsse dans laquelle on montre
actuellement les reliques du Précurseur, ornée de figurines
d'un travail délicat, n'est pas celle qu'a pu voir Çauma,
car elle ne fut achevée qu'en 1438.
Saint Jean-Baptiste ayant été
mis à mort à Macheronte, «ses disciples em portèrent
son corps et l'ensevelirent» (MATTH., XVI, 12) à Sébaste,
près de Samarie, selon la tradition universellement acceptée
dès le règne de Julien l'Apostat, même par les païens.
On y montre encore son tombeau dans l'église transformée
en mosquée. Au temps de Julien l'Apostat, les païens violèrent
le tombeau et jetèrent au loin les ossements qu'ils ramassèrent
ensuite pour les brûler avec des ossements d'animaux. Des moines
venus de Jérusalem ramassèrent une partie de ces cendres
et quelques-uns des ossements qui, pour la plupart, passèrent après
diverses vicissitudes à Constantinople. Une partie des cendres fut
transportée de Mira à Gênes, à l'époque
de la première croisade, peut-être en 1098. (Voyez RIANT,
Date de la translation à Gênes des reliques de s.
Jean Baptiste; Giorn. ligust.) Une bulle du pape Innocent VII,
in vendetta de la fille d'Hérodias qui demanda la mort du
Précurseur, interdit aux femmes l'entrée de cette chapelle
si ce n'est un seul jour dans l'année. - (Cf. Acta sanctorum
au 24 juin et au 29 août.)
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45. Ce vase, appelé le Sacro
Cattino, est encore actuellement conservé dans la sacristie
de l'église de Saint-Laurent. On en trouve l'histoire et la description
dans la Revue archéologique de 1845, d'où j'extrais
ce qui suit: «Il est d'une couleur d'émeraude, d'une forme
agréable, les angles sont bien tranchés, les anses prises
dans la matière sont bien placées, les ornements qui consistent
seulement en des rangées de points creux sont de bon goût,
les soufflures sont peu nombreuses. Il est aisé de voir qu'après
avoir été fondu en entier il a été habilement
réparé au touret. Lors de la prise de Césarée,
il passa au pouvoir des Génois comme faisant la portion du butin
à laquelle ils avaient à prétendre. Déposé
dans l'église de Saint-Laurent il n'était offert aux regards
des fidèles qu'une fois par an et de loin, par un prélat
qui le tenait avec un cordon tandis qu'il était surveillé
lui-même par des chevaliers nommés clavigeri, chargés
de veiller à sa conservation qui étaient choisis parmi les
premiers citoyens de la République. Des amendes, et en certains
cas la mort, étaient prononcées contre ceux qui auraient
osé toucher cette précieuse relique. On la regarda longtemps
comme étant une émeraude d'une gigantesque dimension. Mais
au XVIIIe siècle plusieurs observateurs affirmèrent que ce
n'était que du verre. Il fut pris par les Français, transporté
à Paris et examiné par une commission de l'Institut qui décida
que ce n'était que du verre coloré. Il retourna à
Gênes en 1816 et se trouva brisé à son arrivée.
L'arrivée en Europe de cette
célèbre relique est signalée dans une légende,
rapportée par Geoffroy de Montmouth, au XIIe siècle, qui
présentait ce vase comme taillé dans une émeraude,
et comme ayant été présenté au roi Salomon
par la reine de Saba. (Cf. ROHAULT DE FLEURY, Mém. sur les instruments
de la Passion, p. 277; le Sacro Cattino est représenté
dans ce volume, pl. XXIII.)
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46. Outre le jeûne du mercredi
et du samedi de chaque semaine, les Nestoriens, au temps de Bar Çauma
(car depuis lors ils ont modifié un peu leurs coutumes), observaient
sept jeûnes dans le cours de l'année: - 1° Le jeûne
dominical qui correspond à notre carême et qui dure sept
semaines entières, depuis notre dimanche de la Quinquagèsime,
qu'ils appellent l'Entrée du jeûne, jusqu'à
Pâques, sans en excepter les samedis ni les dimanches; - 2° Le
jeûne des Apôtres, depuis le mardi de la Pentecôte
jusqu'à la première semaine de l'été, qui est
la septième après la Pentecôte, en laquelle ils célèbrent
la fête des douze Apôtres; - 3° Le jeûne de l'Assomption
de la Vierge, depuis le 1er jusqu'au 15 août; - 4°
Le jeûne d'Élie ou de la Croix qui durait aussi
sept semaines, depuis le quatrième dimanche de l'été;
- 5° Le jeûne de la Nativité ou de
l'Annonciation, depuis le premier dimanche de l'Annonciation (Avent)
jusqu'au 25 décembre; - 6° Le jeûne des
Ninivites ou de la Rogation pendant trois jours, le lundi, mardi
et mercredi avant le carême; - 7° Le jeûne des Vierges,
les trois jours qui suivent la fête de l'Épiphanie.
Aujourd'hui, les jeûnes de la
Croix et des Vierges sont supprimés. Celui de la Nativité
commence le 1er décembre, et celui des Apôtres finit au
29 juin. Les jeûnes des Apôtres, de la Croix, de
la Nativité n'étaient point obligatoires pour les
laïques. (Cf. ASSÉMANI, Bibl. Or., t.
III, part. 2., p. 284 et suiv.)
Puisque Rabban Çauma, qui n'est
certainement pas arrivé à Gênes pendant le carême,
a eu occasion de parler du jeûne, il est naturel de supposer que
ce sujet de conversation a été amené par la coincidence
d'un jeûne nestorien avec l'époque de son séjour dans
cette ville. Il aura remarqué que les Génois ne jeûnaient
point et se sera informé des motifs de leur manière d'agir.
On peut supposer qu'il se trouvait là pendant le jeûne
de l'Assomption, c'est-à-dire du 1er au 15 août.
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