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CHAPITRE X
MORT DE RABBAN ÇAUMA ET DES ROIS KAIKHATOU ET
BAIDOU
 
    Rabban Çauma travailla nuit et jour à cette église qu'il bâtissait et dont il acheva la construction. La totalité des dépenses employées pour l'église avec les pieuses fondations, c'est-à-dire les waqfs(1), fut, plus ou moins, de cent cinq mille zouz(2). Il était appliqué à l'office et à la prière et faisait tous ses efforts pour que le sacrifice fondé par lui dans cette église y fût célébré perpétuellement. Il jouissait d'un grand repos dans la résidence qu'il avait établie à côté de l'église qu'il avait fondée, dont il fut toujours l'ornement, et où l'on continue à prier et à faire célébrer la messe. Que Notre-Seigneur lui donne, pour récompense de son labeur, les délices du royaume céleste et une part avec les saints dans les hauteurs sublimes.
    Après avoir achevé l'église dont nous avons parlé, Rabban Çauma descendit à Bagdad en accompagnant Monseigneur le Catholique. C'était en l'an des Grecs 1605, au mois de Teshri premier (octobre 1293).
    Le roi Baïdou, fils d'un frère du roi Abaka(3), donna, dans le lieu appelé Siarzour(4), un grand banquet en l'honneur du Catholique. Il avait réuni toute sa cour à ce festin(5). Rabban Çauma se leva de ce banquet saisi de douleurs d'entrailles et ayant la fièvre. Dès le lendemain, il prit congé du roi Baïdou. Il parvint avec difficulté à la ville d'Arbèle, où il fut reçu avec aménité par les clercs. Sa maladie cependant augmentait et il s'affaiblissait; il traîna jusqu'à l'arrivée du Catholique à la ville de Bagdad. La maladie s'aggrava et la santé s'éloigna; tout espoir de vivre disparut, et enfin, il émigra de ce monde de frivolité et de douleur dans le monde de la sainteté, dans la ville des saints, la Jérusalem céleste, la nuit du dimanche après l'Épiphanie, où l'on chante l'antienne l'édtak louqdam, le 10 du mois de Kanoun second de cette même année 1605 (janvier 1294).
    Son corps sacré fut enseveli dans le monastère de Dârat Roumayé(6), au nord-nord-est, dehors, dans la cour intérieure, au sud de cette église. Qu'il ait sa part avec les patriarches(7) au milieu desquels il est déposé; que Notre-Seigneur lui accorde le repos, et qu'il le place à sa droite au grand jour de la rétribution, quand, au poids d'une balance de justice et d'équité, il rendra à chacun selon ses oeuvres!
    Le Catholique Mar Jabalaha conçut une grande tristesse de cette mort. Il fit monter ses pleurs jusqu'au ciel et, pour qu'on ne dise pas qu'il pleura seul, il fit son deuil avec le peuple(8). Les notables de la ville de Bagdad, les dignitaires eux-mêmes et tous les pères vinrent le consoler. A peine accepta-t-il leurs condoléances le troisième jour; puis il retourna à son siège.
    Il avait certes raison de s'affliger; la loi de la nature le commandait, car le défunt était un homme de coeur, le soutien et le secours de la résidence patriarcale, non seulement de Monseigneur le Catholique, mais de tout chrétien qui venait le trouver.
    Le Catholique passa cet hiver à Bagdad. Le jour de la grande fête(9) il partit pour le camp. Il rencontra le roi victorieux Kaïkhatou à Ala-dagh, lieu de campement royal. Celui-ci l'honora de nombreux présents: il lui donna une pelisse de prix, deux mules remarquables, un soukôr, c'est-à-dire un parasol, et le gratifia de soixante mille zouz(10). En un mot il ne refusa rien à Monseigneur le Catholique de tout ce qu'il demanda; celui-ci n'eut qu'à ouvrir la bouche(11).
    Le Patriarche, revenu d'auprès du roi victorieux, posa les fondements du saint couvent de Mar Jean-Baptiste, dans la région au nord de la ville de Maragha, à la distance d'environ deux tiers de parasange(12), en ladite année, à la fin du mois de Haziran (juin 1294). Il fit élever le mur presque complètement, et le temple lui-même jusqu'à la naissance des voûtes.
    Bientôt s'élevèrent des orages, la commotion et la confusion régnèrent à la cour, les émirs tendirent des embûches aux rois, des tempêtes d'afflictions s'appesantirent sur le monde(13).
    Le trouble envahit l'univers. Les hommes furent mis à mort injustement. Beaucoup de villages furent pillés violemment par les armées.
    A l'hiver de l'an 1606 des Grecs (1294-95), tandis que les routes de l'Adherbaidjan à Bagdad et à Diarbekir(14) étaient coupées, les perturbateurs ne cessèrent de susciter des troubles, jusqu'à ce qu'on eût fait périr par la violence le roi Kaïkhatou et livré son royaume au roi Baïdou(15).
    Ce malheureux prince ne l'accepta que par crainte pour sa vie. Il resta sur le trône depuis le 24 de Nisan (avril) jusqu'au 25 d'Iloul (septembre) de la même année, à peu de chose près. Il ne gouverna et ne règna que dans le trouble et traîna ses jours dans la crainte.
    Il est impossible d'exposer maintenant, sans allonger le récit et sans nous écarter du but de notre Histoire, les fraudes, les perfidies, les embûches, tous les artifices que les ennemis mirent en oeuvre pendant ces cinq mois de dispute entre Baïdou et le roi victorieux Cazan, fils du défunt roi Argoun(16).
    En un mot, les meurtriers du roi béni Kaïkhatou cherchèrent aussi la mort de son successeur, le roi Baïdou. Survint alors la division; la terre fut troublée. La nation des Arabes se souleva pour tirer vengeance, sur l'Église et ses enfants, des pertes que le père de ces rois leur avait infligées.
    Alors, tout à coup, le dimanche dla mça pouma, qui se trouvait cette année-là (1295) le 25 du mois d'Iloul (septembre), on apprit la nouvelle de la fuite et de la mort du roi Baïdou(17), et avec elle arrivèrent les épreuves.
    En vérité, c'était l'abandon de Dieu!


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1. Les waqfs sont les biens appliqués à des fondations pieuses, comme les biens et les revenus des mosquées; ces biens jouissaient de certains privilèges, tels que l'exemption d'impôts, l'inaliénabilité, etc. On peut conjecturer, par le terme employé ici, que les biens des églises furent assimilés à ceux des mosquées et jouirent des mêmes privilèges sous les princes mongols.
2. Il n'est pas dit ici si ce sont des zouz blancs dont il fallait six pour un dinar. Le mot zouz est quelquefois employé par notre auteur dans le sens de dinar.
3. Baïdou était le fils de Tarakaï, cinquième fils de Houlaghou. Comme nous l'avons dit, une faction lui offrit le trône à la mort d'Argoun; mais, prudent et timide, il refusa et fit acte de soumission à Kaïkhatou.
4. Aujourd'hui le nom de Scheherzour ou Scheherzoul, désigne une province du Kurdistan méridional dont la ville principale est Koulambar. L'ancienne capitale, qui portait le nom actuel de la province, et que nous trouvons mentionnée ici, est depuis longtemps ruinée. Elle était connue dès le VIIe siècle sous le nom de Siazuros. L'opinion du pays, rapportée par M. RICH (Récit d'un séjour dans le Kourdistan, l836), est que le village actuel de Kiz Kalassi à 2 heures d'Arbèle et à 5 de Souleïmanïeh, en marque l'emplacement.
5. A cette époque Baïdou était encore en bonne intelligence avec Kaïkhatou. Leur dissentiment ne commença, comme nous le dirons bientôt, qu'à partir du séjour de Baïdou à la résidence d'Ala-dagh pendant l'été de 1294.
6. Le célèbre monastère nestorien de Dârat-Roumayé (= Aedes Romaeorum), aussi appelé monastère d'Abad ou de Çaboë, fut restauré, en 889, par le patriarche Jean Bar Narsès, et, en 1057, par Jean Bar Targal. Il servit souvent de résidence aux catholiques avant la prise de Bagdad par les Mongols. Il était placé sous le vocable de saint Siméon Bar Çaboè. Cf. ASSÉMANI, Bibl. or., t. III, part. 2, p. 629.
7. Il n'y avait point de lieu destiné spécialement à l'inhumation des patriarches. Ils choisissaient le plus souvent pour lieu de sépulture le couvent qu'ils avaient édifié ou restauré, ou celui auquel les circonstances les avaient plus particulièrement attachés pendant leur vie. Beaucoup furent enterrés dans le couvent de Darat-Roumayé antérieurement à l'époque de Jabalaha, entre autres Emmanuel (+960), qui avait fait restaurer la vieille église et bâtir la nouvelle sous le vocable de Sainte-Marie, Israel (+ 962), Marès (+ 999), Jean Bar Nazoul (+ 1020), Jésujab (+ 1025), Jean Bar Targal (+1057), Sabarjésus (+ 1072), Makika (+ 1110), Elias II (+ 1131), Ebedjésus (+ 1138). Voir ASSÉMANI, Bibl. or., t. III, part. 2, p. 629.
8. Littéralement: luctum indixit; c'est-à-dire qu'il assista à ces réunions funèbres qui se font chez les Orientaux, pendant les jours qui suivent l'enterrement. Des pleureuses chantent sur des airs plaintifs les qualités du défunt et les regrets des siens, et interrompent leurs chants par des cris de douleur auxquels tous les assistants mêlent leur voix.
9. La fête de Pâques, 18 avril 1294.
10. Il s'agit ici de zouz blancs, car il est dit plus loin qu'on réclama du patriarche les dix mille dinars que lui avait donnés Kaïkhatou.
11. Ces largesses correspondent bien avec ce que les historiens persans nous ont laissé touchant le caractère du roi Kaïkhatou. Il fut excessivement prodigue et débauché. L'historien Vassaf dit qu'il aimait à la fois le vin, les femmes et les garçons. Il abusait sans retenue des filles et des fils des seigneurs mongols. Beaucoup de femmes s'éloignèrent de la cour ou envoyèrent au loin leurs enfants pour les soustraire à ses désirs. D'un autre côté, on n'avait jamais vu un prince si libéral depuis Ogotaï. Les caisses de l'Etat, remplies sous Argoun, furent vidées en largesses, et les joyaux conservés dans le trésor des Khans distribués aux Khatouns et aux princesses. Il fit des aumônes en quantité et accorda de nombreuses exemptions d'impôts. Bientôt les revenus furent épuisés; c'est alors qu'il établit le papier-monnaie, institution qui produisit un très vif mécontentement et ne contribua pas peu a sa chute.
12. Le farsank ou parasange est une mesure sur la valeur de laquelle on n'est pas fixé très exactement. On s'accorde généralement à lui donner une longueur d'environ cinq kilomètres.
13. Nous connaissons, par les historiens persans et par BAR HÉBRÉUS, (Chron. syr., éd. Bruns, p. 561), les événements auxquels on fait ici allusion. Baïdou vint à la cour, à Ala-dagh, au mois de juin 1294. Dans un banquet nocturne, Kaïkhatou s'étant enivré, selon sa coutume, qui fut celle de presque tous les Khans mongols, il se prit de paroles avec Baïdou et dit à l'un de ses officiers de lui donner un coup de poing. Le lendemain, ayant appris ce qu'il avait ordonné, il en eut un vif regret, manda Baïdou, lui fit ses excuses, le combla de marques d'amitié et, ôtant son propre koulah (bonnet), il le mit sur la tête de ce prince. Voici comment BAR HÉBRÉUS raconte l'événement: «En l'an 1605, au mois de Tamouz (juillet 1294), un des cousins de Kaïkhatou appelé Baïdou, qui avait un fils d'une belle figure, s'était rendu auprès de ce prince. Comme ils étaient ensemble à un banquet, buvant, mangeant et riant, Kaïkhatou dit des injures à Baïdou, qui les lui rendit, l'appelant fils d'adultère. Kaïkhatou, enflammé de colère, cria à ses gens de le traîner hors de l'ordou (campement) et de le faire mourir sous les coups. Ces gens se jetèrent sur lui, l'emmenèrent et le déposèrent dans une petite tente avec intention de le tuer; mais, après avoir dormi quelques instants, Kaïkhatou chargea ses grands officiers d'aller l'interroger sur son délit et sur l'audace qu'il avait eue de dire une pareille injure au Roi des rois. Baïdou feignit l'ivresse, et Kaïkhatou trompé par cet artifice lui fit demander s'il savait ce qu'il avait dit. Il le nia et pria qu'on le lui fît connaître. Il parut stupéfait et vanta la bonté de Kaïkhatou «qui ne l'avait pas fait, sur l'heure, couper en morceaux». Kaïkhatou alla alors lui-même le trouver, l'embrassa, le revêtit de vêtements précieux et lui fit de grands cadeaux, en or et en argent, en habits, chevaux et mulets. Il ne voulut pas suivre les conseils de ses officiers qui lui conseillaient de mettre à mort ou du moins de retenir prisonnier Baïdou qui, disaient-ils, lui garderait rancune des mauvais traitements qu'il avait subis. Kaïkhatou se contenta de demander à Baïdou de lui laisser son fils. Baïdou retourna à son ordou et envoya son fils à la cour, puis il passa dans les monts de Hamadan comme pour chasser et dépêcha un exprès à Cazan, fils d'Argoun, auquel il se plaignit amèrement de ce qu'il avait eu à souffrir de la part de Kaïkhatou.»
14. Diarbekir, actuellement capitale du Turkistan turc, est située dans un pli du Tigre supérieur, à une petite distance de la rive droite du fleuve, par 37° 55' de lat. N. et 37° 35' de long. E. La ville est séparée du fleuve par de beaux et vastes jardins et s'élève en amphithéâtre sur le flanc d'un rocher basaltique qui a fourni en grande partie les matériaux des maisons et des fortes murailles crénelées et bastionnées qui forment l'enceinte. Vue du dehors avec le fleuve qui l'entoure et les jardins qui l'enserrent, la ville offre un coup d'oeil assez pittoresque, mais, à l'intérieur, la pierre noire qui forme les premières assises de toutes les maisons à deux étages et à toit plat, lui donne un aspect presque lugubre qui lui a valu le nom de Kara-Amida, «Amida la Noire». Ce nom d'Amid ou Amida est l'ancien nom de la ville, celui sous lequel elle fut connue dans l'histoire, depuis l'antiquité la plus reculée jusqu'au VIIe siècle. On le retrouve dans les inscriptions cunéiformes. Son nom actuel lui vient du général arabe Bekr qui s'en empara, sur les Byzantins, au VIIe siècle. L'enceinte de la ville a huit kil. environ de circuit; quatre grandes portes la mettent en communication avec le dehors. Elle a beaucoup perdu de son ancienne prospérité, mais cependant elle compte encore près de 80,000 habitants et a un commerce d'industrie assez fourni. Sa population se compose de Kurdes, de Turcs, d'Arméniens, de Chaldéens, de Nestoriens, de Bulgares exilés. On y trouve à peine quelques Jacobites, quelques Grecs ou quelques Juifs. L'histoire de cette ville, comme celle de Nisibe, exigerait un volume.
15. Baïdou avait dissimulé son ressentiment tant qu'il était près de Kaïkhatou; mais, de retour dans son quartier d'hiver près de Dakouka, il en fit part à ses officiers et gagna plusieurs généraux qui avaient leurs cantonnements dans la province de Bagdad. Les seigneurs mongols indignés du libertinage effrené et des prodigalités de leur souverain s'attachèrent à Baïdou qui assembla des troupes et se rendit à Mossoul dont il fit arrêter et tuer le commandant. Il fit également mettre à mort le gouverneur de Bagdad, et ces actes audacieux attirèrent d'autres chefs militaires à son parti. Kaïkhatou fut averti que plusieurs généraux qui se trouvaient à Bagdad favorisaient les rebelles : il les fit arrêter et les remit entre les mains de Togatchar qui devait les emprisonner à Tauriz; mais celui-ci était le partisan secret de Baïdou. Il passa avec l'armée qu'il commandait au service de ce prince et quand Kaïkhatou connut sa défection, il voulut s'enfuir dans le Roum. Ses courtisans le détournèrent d'abandonner le trône par une fuite honteuse tandis qu'il avait encore des ressources puissantes. Il prit la route de l'ordou (campement) dans l'Arran. A Moughan, il descendit au quartier de ses écuyers, mais les généraux qu'il croyait enfermés à Tauriz, se dirigeaient vers l'ordou royal, avec intention de le piller; ils arrivèrent en ce lieu, fondirent sur Kaïkhatou et se saisirent de sa personne. Le prince leur demanda grâce de la vie, promettant de se contenter du sort qu'on voudrait lui assigner. Ces chefs militaires ne lui répondirent que par de grossières injures; ils finirent par le tramer dans une tente, où il fut étranglé, avec une corde d'arc, le jeudi 23 avril. Le 6 mai suivant, les généraux, assemblés dans un lieu situé au confluent des rivières Kouraga et Djagatou, députèrent des envoyés à Baïdou pour le presser de venir prendre possession du trône. Tel est le récit de la chute de Kaïkhatou d'après Raschid ed-Din. (Cf. D'OHSSON, t. IV, p. 112-114.)
16. Cazan était le fils ainé d'Argoun et devait le jour à la femme de ce prince, Koutlouk Ikadji, qu'Argoun épousa étant âgé de douze ans. Elle mit au monde Cazan l'année suivante, le 30 novembre 1271. Le prince fut élevé par les soins de son grand-père Abaka qui en fit un excellent guerrier. Quand Argoun alla prendre possession du trône, il laissa son apanage du Khoraçan à son fils, qui eut à y réprimer plusieurs révoltes, entre autres celles suscitées par l'émir Naurouz dont nous parlerons tout à l'heure. Quand Kaïkhatou fit une émission de papier-monnaie, Cazan refusa d'en introduire l'usage dans le Khoraçan. Lorsqu'il apprit la révolution qui avait mis Baïdou sur le trône, il tint conseil avec ses officiers et prit la route de l'Adherbaidjan, laissant à Naurouz, dont il venait de recevoir la soumission, le gouvernement du Khoraçan avec un pouvoir absolu. Guidé par les conseils de cet habile et peu scrupuleux officier, il engagea une lutte ouverte contre Baïdou qui lui avait fait déclarer cependant - comme cela est confirmé par notre histoire - «qu'il n'avait jamais songé au trône, mais qu'après la mort de Kaïkhatou, comme Cazan était éloigné, pour mettre fin aux troubles, les princes du sang et les Khatouns avaient réuni sur lui leurs suffrages», et qu'il lui accorderait tout ce qu'il voudrait. On fit un traité dont l'exécution nécessita diverses négociations laborieuses et qui ne mit point fin aux hostilités. Plusieurs des officiers de Baïdou, mécontents de ce prince, favorisèrent les projets et les succès de Cazan qui finit, grâce à sa conversion du Bouddhisme à l'Islamisme, par s'attirer de nombreux adhérents et par s'emparer du pouvoir.
17. La plupart des généraux et des officiers de Baïdou l'avaient abandonné soit par trahison, soit par crainte. Cazan, toujours sur les conseils de Naurouz, fit proclamer en tous lieux qu'il marchait à la tête d'une forte armée pour se mettre en possession du trône de son père et que quiconque prendrait les armes contre lui serait regardé comme rebelle et mis à mort avec sa famille. Naurouz, qui était à la tête des troupes de Cazan, rencontra l'armée de Baïdou le 22 septembre. Pendant la nuit le généralissime de celui-ci s'enfuit avec plusieurs officiers dans le camp de Naurouz. Baïdou, voyant cette défection chercha son salut dans la fuite et voulut se réfugier en Géorgie. Mais Naurouz le poursuivit avec ardeur et détacha contre lui un de ses officiers qui s'empara du roi et l'amena devant le général qui eut la cruauté de le railler. Baïdou demanda à être conduit devant Cazan. Celui-ci, informé des événements et peu soucieux d'avoir cette entrevue, expédia un de ses écuyers avec des gardes pour mettre à mort Baïdou. Ils le rencontrèrent au delà de Tauriz et, suivant l'usage mongol, après lui avoir donné un festin qui se prolongea jusqu'à la nuit, pendant lequel on lui rendit les honneurs dus a sa naissance, on lui ôta la vie dans la nuit du mardi au mercredi 5 octobre. (D'OHSSON, IV, 140.)
    BAR HÉBRÉUS (Chron. syr., p. 609), dont le témoignage est confirmé par celui de HAÏTON (Liv. des hist., ch. 40), dit aussi que ce fut principalement le mahométisme qui renversa Baïdou. «C'était, dit-il, un prince doux, modeste, humain, qui accueillait les hommes savants et distingués de quelque nation qu'ils fussent, et leur donnait des marques de générosité. Il avait puisé dans la société de la princesse grecque, épouse d'Abaka, qu'il avait fréquentée, une bonne opinion des chrétiens, et il leur permettait d'avoir des chapelles et de sonner les cloches dans son ordou. Il leur disait même qu'il était chrétien et portait une croix suspendue à son cou; mais il n'osait pas montrer trop ouvertement sa prédilection pour eux parce qu'il s'était fait mahométan, à l'exemple de la plupart des mongols de Perse qui, à cette époque, se convertirent à l'Islamisme. Toutefois, il n'observait guère les pratiques de cette religion et les Mahométans lui en voulaient de son penchant pour les chrétiens qui, sous son règne de si peu de durée, obtinrent beaucoup d'emplois civils.»