Qu'on ne s'y trompe pas: si dans l'oeuvre d'Alessandro Baricco, Next
est bien le livre suivant City, deux mots anglais de quatre
lettres, il n'en est ni la suite, ni le frère. Le sous-titre le
confirme, «Petit livre sur la globalisation et sur le monde à
venir», il s'agit d'un essai, un essai au sens le plus basique et
le plus modeste: un livre pour essayer de comprendre, et, tant qu'on
y est, de faire comprendre le peu qu'on a compris.
Le sous-titre est assez optimiste, ce «et» qui sépare la
globalisation et le monde à venir dit assez que celui-ci ne se
réduira pas forcément à celle-là, nous verrons bien (en
italien «Piccolo libro sulla globalizzazione e sul mondo che
verrà», c'est encore plus gai). Baricco est romancier, talent et
succès, il a écrit quelques essais de musicologie mais n'a
jamais prétendu à la moindre expertise en économie politique
internationale, c'est même au nom de son ignorance, et sous
couvert de sa naïveté supposée, qu'il a cru de son devoir de
réfléchir à tout ça.
Tout ça l'a prit l'été dernier lorsque les huit maîtres du
monde vinrent faire le Grand 8 à Gênes et qu'un jeune homme en
est mort. Plus tard, le 11 septembre 2001, des tours furent
abattues à New York, ça commençait à faire beaucoup de choses
à expliquer, Baricco se décide à écrire, et il publie quatre
articles dans La Repubblica sur ce qu'il avait compris de
la globalisation (on dit plus facilement mondialisation en
français, mais bon):
«Quand les articles sont sortis, j'ai reçu pas mal de lettres.
Presque toutes agressives, presque toutes plutôt méprisantes.
Certains étaient pour la globalisation, d'autres contre. Mais le
résultat était le même. Ils trouvaient ahurissant ce que j'osais
dire et m'invitaient à retourner à l'écriture des romans. Et
certains me suggéraient de laisser tomber ça également. J'ai
essayé de ne pas en faire une affaire personnelle, et j'ai un peu
réfléchi sur tout ça. Quand j'ai eu fini de réfléchir, j'avais
décidé de prendre les quatre articles et d'en faire un petit
livre.»
Que voici. Revu et augmenté de parties gratuites («Bonus tracks»,
à la fin du livre) plutôt roboratives. L'ignorance autorise à
vérifier ce que la rumeur tient d'ordinaire pour vrai et la
naïveté donne le droit de douter de tout et de se fier aux
évidences. Ainsi, contrairement aux idées reçues, on ne trouve
pas de Coca dans 200 pays (sur les 189 qui se partagent le monde),
les moines tibétains ne sont pas sur internet (pas tous) et les
Fiat sont plutôt fabriquées en Italie. Et si «le monde voit
les films américains, les Américains ne voient pas les films du
monde (...) Pourquoi appeler cela globalisation? Pourquoi ne pas
l'appeler par son nom: le colonialisme? La globalisation est un
paysage hypothétique fondé sur une idée: donner à l'argent le
terrain de jeu le plus vaste possible. Qui a inventé ce paysage,
et qui, jour après jour, le sponsorise? L'argent. (...) La
globalisation n'est pas seulement l'élargissement du terrain de
jeu, elle est aussi un changement des règles, ou à tout le moins,
le projet de faire accepter pour règle ce qui en est la négation:
la loi du plus fort.»
L'idée, pour abracadabrante qu'elle paraisse, c'est que le
meilleur moyen pour aider les pauvres, c'est d'aider les riches à
multiplier leur argent: quelque chose arrivera aussi forcément
dans la poche des pauvres. Vraie ou fausse, cette idée
représente le soutien idéologique indispensable à toute
globalisation. Bon, arrêtons-là, tout est dans le livre, avec
force et drôlerie, cette globalisation racontée aux pauvres
petits enfants riches que nous sommes est salutaire, politiquement
décapante et littérairement correcte. Baricco a ce talent de
l'intelligence contagieuse, on ressort de ses livres toujours plus
malins qu'on y est entré, avec cette fois, en «bonus tracks»,
un devoir d'imagination, de ténacité et de colère.
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