Cet homme-là ressemble à
un tourbillon. A peine arrivé, déjà disparu, menant plusieurs
activités de front, toujours en avance d'une décision sur le
cours apparent de sa vie. Prenez son lieu d'habitation, par
exemple. Lorsqu' Alessandro Baricco vous annonce qu'il a choisi
Turin pour la discrétion de ses habitants, vous pourriez croire
qu'il s'y est établi pour de bon. C'est d'ailleurs à cet endroit
que se trouvent ses origines (il y est né en 1958), ses
différents bureaux, sa maison, sa famille.
Et voilà qu'en avançant dans la conversation vous découvrez qu'il
a décidé de se transporter plus au sud, en direction de Rome,
afin de voir s'il peut combattre son indéfectible et très moral
"côté nordiste". A la fois célèbre et très soucieux
de se maintenir en retrait des sollicitations, le romancier
pratique avec talent l'art du mouvement de côté, jusque dans son
écriture. Aussi n'est-il pas surprenant de le voir publier, au
lieu des romans qui ont fait son succès - en particulier Soie -,
un court livre sur la mondialisation.
Auteur de quatre romans, de deux essais consacrés à la musique
et d'une biographie de Rossini, Baricco affirme n'avoir jamais
pratiqué le commentaire journalistique, "sauf à deux
reprises, depuis le 11 septembre". Installé dans l'immense
espace où il a fondé l'association Mondrian Kilroy Fund,
notamment chargée de distribuer des bourses aux jeunes écrivains
- une ancienne usine textile, divisée en bureaux -, l'écrivain
dit son horreur pour ce type d'exercice.
"Se réveiller le matin et dire que la guerre est
nécessaire, ça, je déteste." Les quatre articles parus
dans La Repubblica, ensuite réunis en livre sous le titre Next,
relèveront donc d'une autre démarche. Il s'agit, pour lui, de
poser des questions plutôt que d'asséner des opinions
définitives. Et la première d'entre elles : comment se fait-il
que nous tenions pour vraies tant d'affirmations jamais
vérifiées ? Lui ne voue pas aux gémonies la modernité, loin de
là - tout, dans ses installations, montre même un goût
prononcé pour un certain anticonformisme branché. Mais il veut
brusquer les idées reçues, à commencer par celles qui
concernent l'argent.
"Le principe qui gouverne, de nos jours, c'est que l'argent
doit être utilisé pour faire de l'argent. Et ça, c'est idiot.
Moi, je pense qu'il faut s'en servir pour faire des choses qui ne
pourraient pas se réaliser autrement."
Déjà fondateur, en 1994, d'une école de " narration"
située à Turin - l'école Holden, payante, celle-là -, Baricco
veut maintenant dessiner les contours d'une sorte d'"usine"artistique
en offrant à la fois des fonds et de l'espace aux jeunes
créateurs qui en manqueraient. Posées sur le parquet de son
bureau, des tables de plusieurs dimensions attendent déjà les
futurs ouvriers de cette drôle d'" usine" envahie de
soleil.
Longtemps critique musical et animateur d'émissions télévisées,
Alessandro Baricco n'est pas si loin, lui-même, de ses débuts
dans la fiction. Il avait trente ans lorsque parut son premier
roman, Châteaux de la colère (Albin Michel, prix Médicis
étranger, 1995). Depuis, sa conception de l'écriture s'est
précisée en s'éloignant progressivement du roman classique.
Dans City (Albin Michel, 2000), texte étrange et
intéressant, c'est une idée spatiale qui lui permet de résumer
sa technique littéraire.
"Au XIXe, le roman était conçu comme un chemin.
Maintenant, je le vois comme une place vers laquelle
convergeraient des lignes d'énergies."
Avec toujours la nécessité de construire un roman comme une
partition, en mélangeant soigneusement le souci de conquérir et
celui de faire entendre une voix singulière.
Raphaëlle Rérolle
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Se vi interessa
leggere un estratto di Next nella lingua di Molière, eccolo.
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