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CHAPITRE IX
LE ROI KAIKHATOU ET MAR JABALAHA.

    L'Église passa quelque temps en cet état(1), puis tout à coup le frère cadet du roi, qui s'appelait Irindjin Tourdji(2), fut proclamé roi sous le nom de Kaïkhatou(3);  il prit le sceptre de la royauté et s'assit sur le trône de son frère.
    Il commença à régner l'an 1600 des Grecs, au mois d'Ab (août)(4). Tout l'univers fut en paix; le trouble prit la fuite et se cacha, la lumière de justice se leva et se manifesta, car Kaïkhatou, ce roi béni, ne s'écarta pas de la voie de ses pères. Il maintint chacun dans son emploi et honora tous les chefs de religion, soit chrétiens, soit arabes, soit juifs, soit même païens. Il ne fit pas acception de personne; il ne s'écarta pas de la justice. L'or était à ses yeux comme du fumier. Ses aumônes et ses dons n'avaient point de limite. Quiconque lui demandait recevait - comme il est écrit(5) - et quiconque cherchait [près de lui] trouvait, comme cela est vérifié par l'expérience(6).
    Il commença donc à régner dans ce mois [d'août] de l'année susdite.
    Or, le jour de la fête de Madame Marie - que sa prière protège le monde! - qui se célèbre à la moitié du mois, il entra dans l'église que la reine Dokouz Khatoun(7) avait fait élever dans le camp béni. On était dans la montagne appelée Ala-tagh(8). Quand notre père le Catholique célébra les saints mystères, le roi en fut réjoui et tressaillit d'allégresse; il donna au Catholique pour présents vingt mille dinars et neuf riches dibag(9). Ce jour-là, les fils des rois et les filles des reines(10), les émirs, les chefs et les armées se réunirent. La gloire de la sainte Église catholique grandit comme auparavant, et plus encore. Le coeur des chrétiens fut encouragé et réconforté quand ils connurent les dispositions de ce roi victorieux et qu'ils entendirent ses paroles, car ils touchaient des mains ses bienfaits et ses faveurs. De jour en jour ils étaient plus honorés, et leur église croissait en magnificence; et cela surtout par la sollicitude extrême et la sage administration de Monseigneur le Catholique et à raison de son habileté pour l'orgueil des enfants du royaume(11).
    Rabban Çauma avait déjà beaucoup vieilli; il était fatigué du genre de vie pénible des Mongols et de son séjour dans le désert. Il obtint du roi victorieux Kaïkhatou la permission de bâtir une église dans la ville de Maragha et d'y placer les ornements sacrés de cette église que le roi défunt Argoun avait fait élever dans le camp. Dès qu'il eut reçu du roi une réponse favorable à sa demande, Rabban Çauma se transporta avec les ornements sacrés de Monseigneur le Catholique dans la ville de Maragha, où il jeta les fondements d'une magnifique église sous le vocable de Mar Maris(12) et de Mar Georges le glorieux martyr(13). Il y plaça des reliques des Quarante martyrs(14), de Mar Étienne(15), de Mar Jacques l'Intercis(16) et aussi de Démétrius le martyr(17). Il l'enrichit de précieux ornements et lui assura des revenus, à l'aide desquels on pût pourvoir à ses besoins, et tout cela avec l'aide de l'illustre Catholique Mar Jabalaha.
    Pendant l'été de l'année suivante, le roi victorieux Kaïkhatou vint deux fois à cette résidence de Maragha. Il resta trois jours près de Monseigneur le Catholique et fut extrêmement satisfait et content. Il donna à Monseigneur le Catholique de grands présents, une paiza d'or, c'est-à-dire la tablette appelée nqor(18), et sept mille dinars.
 


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1. En cet état, c'est-à-dire dans l'état de perturbation et de trouble qui suivit la mort d'Argoun, comme l'insinuent les dernières lignes du chapitre précédent.
    Déjà, avant la mort du Khan, les seigneurs mécontents, dès qu'ils surent que tout espoir de le rendre à la santé était perdu, firent périr les principaux favoris et le premier ministre Sacd ud-Dévlet. Dès que la mort du roi fut connue dans sa résidence, les soldats coururent piller les habitations des Musulmans et des Juifs qui s'y trouvaient. On désigna des gouverneurs pour toutes les provinces afin de maintenir l'ordre, mais malgré cela l'anarchie fut complète. Ceux qui exerçaient l'autorité refusaient d'obéir. Le souverain du Lour s'empara même d'Ispahan, et toute la région avoisinante fut dévastée par la guerre qui suivit cette révolte. Cinq jours après la mort du roi, des messagers furent expédiés un à Cazan, fils d'Argoun, qui était dans sa principauté du Khoraçan, un autre à Baïdou, neveu d'Abaka, qui se trouvait à Bagdad, et un troisième à Kaïkhatou, frère du roi défunt, qui était alors dans le Roum (Asie-Mineure). On voit par là que les seigneurs étaient très partagés sur le choix du futur souverain.
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2. Ce prince était fils d'Abaka et de Toukdan Khatoun, née de race Tartare; il fut placé sur le trône dans un lieu situé près d'Akhlatt, où les Khatouns, les princes du sang et les généraux s'étaient assemblés.
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3. Ce nom signifie en mongol, l'étonnant, l'admirable.
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4. Lire 1602 (1291).Voir la note 1, chap. VIII. D'après les écrivains persans cités par D'OHSSON il fut placé sur le trône le 24 du mois de redjab de l'année 690 de l'hégire, qui correspondait au dimanche 22 juillet 1291.
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5. LUC, XI, 10.
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6. A ce point qu'il épuisa complètement ses finances par ses prodigalités, comme nous dirons bientôt.
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7. La célèbre reine Dokouz Khatoun, première femme de Houlaghou, exerça une très grande influence en faveur du christianisme soit directement, soit par l'intermédiaire de plusieurs princesses de ses parentes qu'elle fit élever dans la religion chrétienne et qui épousèrent ensuite les Khans ou les grands de leur cour. Elle était fille d'Itiko, ou Ikou, second fils de Ouang Khan, et était, par celui-ci, nièce de la mere de Houlaghou. Elle avait d'abord été fiancée au père de Houlaghou, Touloul, peu de temps avant la mort de ce dernier. Suivant la coutume mongole, Houlaghou épousa sa belle-nièce. Elle mourut le 19 juin 1265. Voici les témoignages parfaitement concordants de divers historiens à son sujet: «Cette princesse, dit l'historien persan RASCHID ED-DIN, née dans le christianisme que professe la nation Kéraïte, à laquelle elle appartient, protégeait constamment ses corréligionnaires, et, par égard pour elle, Houlaghou favorisait, distinguait les chrétiens qui, profitant de cette époque de prospérité, bâtirent des églises dans toutes les provinces de sa domination. A l'entrée de 1'ordou de Dokouz Khatoun, il y avait toujours une église, dans laquelle retentissait le son des cloches.» Aussi la mort de cette princesse fut-elle déplorée des chrétiens de l'Asie. «Au commencement du carême, dit BAR HÉBRÉUS (Dyn. XI, p. 542), mourut Houlaghou dont la sagesse, la magnanimité et les hauts faits ne souffrent point de parallèle. L'été suivant, la reine très fidèle Dokouz Khatoun quitta ce monde. Par la disparition de ces deux grands astres qui étaient les protecteurs de la foi chrétienne, les chrétiens, sur toute la terre, furent plongés dans le deuil.» - «Ils furent tous deux empoisonnés par l'artificieux Sahib Kodja [le vizir Schams ed-Din Mohamed]. Le Seigneur sait qu'ils n'étaient guère inférieurs en bienfaisance à Constantin et à sa mère Hélène.....»  (Hist. des Orpélians dans les Mém. sur l'Arménie de SAINT-MARTIN, t. II, 123). «Houlaghou avait une femme chrétienne nommée Dokouz Khatoune..... Cette dame était une très dévote chrétienne, elle employait toute son attention à détruire les temples des Sarazins, qu'elle fit détruire de fond en comble, et réduisit les Sarazins dans une si grande servitude qu'ils n'osèrent plus montrer le nez» (HAÏTON, Hist. orient., ch. 27).
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8. Nous savons par l'historien persan RASCHID ED-DIN, que Kaïkhatou retourna le 7 août à Ala-dagh où il reçut le lendemain les hommages de plusieurs princes qui s'étaient montrés opposés à son élection, et auxquels il avait fait grâce. Il en partit le 1er septembre pour aller étouffer une révolte dans le Roum.
    Ala-tagh, ou mieux Ala-dagh, avait été la résidence d'été de Houlaghou, et fut celle de plusieurs de ses successeurs. «Il est souvent fait mention de ce lieu dans l'histoire de la dynastie Ilkhanienne. Raschid nous apprend que Houlagou étant parti de Tébriz, pour son expédition en Syrie, et se dirigeant sur Akhlatt, passa par les prairies d'Alatac dont il fut charmé. Selon le Djiham-Numa, l'Alatag est la chaîne de montagnes où le Mourad-tchaï, c'est-à-dire l'Euphrate, prend sa source. Elle est par conséquent à une vingtaine de lieues au nord du lac de Van, et non loin du mont Ararat. Ala-tag veut dire, en turc, mont bigarré (D'OHSSON, t. III, p. 380). Le missionnaire RICOLDO DI MONTE CROCE passant par le même endroit, fut aussi frappé de la beauté de ce site: «Inde [ex Mogano] procidentes per regnum Persarum pervenimus ad terram gratissimam et planiciem pulchram quae dicitur planicies Delatacta. Ibi sunt lapides, qui habent a Deo virtutem sanandi et consolidandi omnem inscissuram, ut non sit opus medico nec alia medicina. - Inde venimus im Thaurisium...» (éd. Laurent, p. 122).
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9. Dibag, c'est-à-dire vêtement de soie (BEDJAN).
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10. Les princes et les princesses.
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11. C'est-à-dire par la glorification des chrétiens, souvent désignés, dans les auteurs ecclésiastiques, par l'expression «fils du royaume de Dieu.»
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12. Sur Mar Maris voir ci-dessus, chap. III.
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13. Saint Georges, «le grand martyr», comme l'appellent les livres liturgiques des Grecs, est plus connu par la célébrité de son culte que par la certitude de son histoire. Ses Actes latins sont certainement apocryphes; il se cache un peu de vérité sous les légendes dont sont ornés les Actes grecs. Dans ses légendes orientales, il est généralement représenté comme un prince de Cappadoce qui aurait été martyrisé sous Dioclétien après avoir soutenu de longues luttes contre un magicien nommé Athanase; dans une autre, il délivre au bord d'un lac, grand comme une mer, une jeune fille qui allait être la proie d'un monstre. D'anciennes peintures grecques le représentent perçant ce monstre (dragon ou crocodile) à coups de lance et monté sur un cheval ailé: ce qui a fait rapprocher cette légende de celle de Persée. Quelle que soit la personnalité du héros chrétien qui se cache sous ces images, son culte se répandit de bonne heure dans tout l'Orient, et aussi en Occident, surtout après les croisades. Les Russes ont adopté son image avec le dragon pour emblème de leurs armoiries et ont donné son nom au premier de leurs ordres militaires. Les Anglais et les Génois l'ont pris pour patron.
    On montre encore aujourd'hui dans l'église de Saint-Georges à Lydda (l'ancienne Dyospolis) en Palestine, le tombeau de ce saint qui aurait souffert le martyre en cet endroit, selon une tradition qui n'est pas dénuée de tout fondement. (Cf. Acta sanctorum au 23 avril, jour où se célèbre la fête de saint Georges.)
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14. Il s'agit des Quarante Martyrs persans mis à mort pendant la persécution de Sapor II, en l'an 356, qu'il ne faut pas confondre avec les Quarante Martyrs de Sébaste, en Arménie, qui souffrirent le martyre sous Licinius, en 320 (voir sur ces derniers Acta sanctorum, au 10 mars). Les Actes syriaques des Quarante Martyrs persans ont été publiés par BEDJAN, Acta mart. et sanct., t. II, pp. 325-347.
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15. Saint Étienne, premier martyr, l'un des sept diacres ordonnés par les Apôtres, fut mis à mort par les Juifs environ neuf mois après l'Ascension de Jésus-Christ. (Act. des Ap., VI-VIII.)
    Son culte fut toujours très répandu en Orient, mais surtout après la découverte de ses reliques faite au commencement du Ve siècle. (Voir Acta sanctor., au 2 août.) L'Église latine célèbre sa fête le 26 décembre.
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16. Saint Jacques, surnommé l'Intercis, à cause du genre de mort qu'on lui fit subir, fut martyrisé le 27 novembre 421, sous le règne de Warharan V, roi des Perses, selon ses Actes syriaques publiés par ASSÉMANI, Act. martyr. Orient., t. Ier, p. 237, et reproduits dans BEDJAN, Act. martyr. et sanct., t. II, pp. 539-549. Il était né à Beth Lapéth, en Perse. D'abord chrétien, il apostasia sous le règne de Izdegerde; mais, après la mort de ce prince, il revint au christianisme. Wahraran lui reprocha sa conversion et le pressa d'abjurer. Sur son refus, il le condamna à être attaché à un chevalet et à avoir tous les membres coupés successivement.
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17. Il y a un si grand nombre de martyrs du nom de Démétrius qu'il est impossible de conjecturer duquel il s'agit ici.
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18. Voir ci-dessus, chap. V.
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