L'Église passa quelque temps
en cet état(1), puis tout
à coup le frère cadet du roi, qui s'appelait Irindjin Tourdji(2),
fut proclamé roi sous le nom de Kaïkhatou(3);
il prit le sceptre de la royauté et s'assit
sur le trône de son frère.
Il commença à régner
l'an 1600 des Grecs, au mois d'Ab (août)(4).
Tout l'univers fut en paix; le trouble prit la fuite et se cacha, la lumière
de justice se leva et se manifesta, car Kaïkhatou, ce roi béni,
ne s'écarta pas de la voie de ses pères. Il maintint chacun
dans son emploi et honora tous les chefs de religion, soit chrétiens,
soit arabes, soit juifs, soit même païens. Il ne fit pas acception
de personne; il ne s'écarta pas de la justice. L'or était
à ses yeux comme du fumier. Ses aumônes et ses dons n'avaient
point de limite. Quiconque lui demandait recevait - comme il est écrit(5)
- et quiconque cherchait [près de lui] trouvait, comme cela est
vérifié par l'expérience(6).
Il commença donc à régner
dans ce mois [d'août] de l'année susdite.
Or, le jour de la fête de Madame
Marie - que sa prière protège le monde! - qui se célèbre
à la moitié du mois, il entra dans l'église que la
reine Dokouz Khatoun(7) avait fait
élever dans le camp béni. On était
dans la montagne appelée Ala-tagh(8).
Quand notre père le Catholique célébra les saints
mystères, le roi en fut réjoui
et tressaillit d'allégresse; il donna au Catholique pour présents
vingt mille dinars et neuf riches dibag(9).
Ce jour-là, les fils des rois et les filles
des reines(10), les émirs,
les chefs et les armées se réunirent. La gloire de la sainte
Église catholique grandit comme auparavant, et plus encore. Le coeur
des chrétiens fut encouragé et réconforté quand
ils connurent les dispositions de ce roi victorieux et qu'ils entendirent
ses paroles, car ils touchaient des mains ses bienfaits et ses faveurs.
De jour en jour ils étaient plus honorés, et leur église
croissait en magnificence; et cela surtout par la sollicitude extrême
et la sage administration de Monseigneur le Catholique et à raison
de son habileté pour l'orgueil des enfants du royaume(11).
Rabban Çauma avait déjà
beaucoup vieilli; il était fatigué du genre de vie pénible
des Mongols et de son séjour dans le désert. Il obtint du
roi victorieux Kaïkhatou la permission de bâtir une église
dans la ville de Maragha et d'y placer les ornements sacrés de cette
église que le roi défunt Argoun avait fait élever
dans le camp. Dès qu'il eut reçu du roi une réponse
favorable à sa demande, Rabban Çauma se transporta avec les
ornements sacrés de Monseigneur le Catholique dans la ville de Maragha,
où il jeta les fondements d'une magnifique église sous le
vocable de Mar Maris(12)
et de Mar Georges le glorieux martyr(13).
Il y plaça des reliques des Quarante martyrs(14),
de Mar Étienne(15), de
Mar Jacques l'Intercis(16) et aussi
de Démétrius le martyr(17).
Il l'enrichit de précieux ornements et lui assura des revenus, à
l'aide desquels on pût pourvoir à ses besoins, et tout cela
avec l'aide de l'illustre Catholique Mar Jabalaha.
Pendant l'été de l'année
suivante, le roi victorieux Kaïkhatou vint deux fois à cette
résidence de Maragha. Il resta trois jours près de Monseigneur
le Catholique et fut extrêmement satisfait et content. Il donna à
Monseigneur le Catholique de grands présents, une paiza d'or, c'est-à-dire
la tablette appelée sônqor(18),
et sept mille dinars.
1. En cet état, c'est-à-dire
dans l'état de perturbation et de trouble qui suivit la mort d'Argoun,
comme l'insinuent les dernières lignes du chapitre précédent.
Déjà, avant la mort
du Khan, les seigneurs mécontents, dès qu'ils surent que
tout espoir de le rendre à la santé était perdu, firent
périr les principaux favoris et le premier ministre Sacd
ud-Dévlet. Dès que la mort du roi fut connue dans sa résidence,
les soldats coururent piller les habitations des Musulmans et des Juifs
qui s'y trouvaient. On désigna des gouverneurs pour toutes les provinces
afin de maintenir l'ordre, mais malgré cela l'anarchie fut complète.
Ceux qui exerçaient l'autorité refusaient d'obéir.
Le souverain du Lour s'empara même d'Ispahan, et toute la région
avoisinante fut dévastée par la guerre qui suivit cette révolte.
Cinq jours après la mort du roi, des messagers furent expédiés
un à Cazan, fils d'Argoun, qui était dans sa principauté
du Khoraçan, un autre à Baïdou, neveu d'Abaka, qui se
trouvait à Bagdad, et un troisième à Kaïkhatou,
frère du roi défunt, qui était alors dans le Roum
(Asie-Mineure). On voit par là que les seigneurs étaient
très partagés sur le choix du futur souverain.
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2. Ce prince était fils d'Abaka
et de Toukdan Khatoun, née de race Tartare; il fut placé
sur le trône dans un lieu situé près d'Akhlatt, où
les Khatouns, les princes du sang et les généraux s'étaient
assemblés.
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3. Ce nom signifie en mongol, l'étonnant,
l'admirable.
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4. Lire 1602 (1291).Voir la note
1, chap. VIII. D'après les écrivains persans cités
par D'OHSSON il fut placé sur le trône le 24 du mois de redjab
de l'année 690 de l'hégire, qui correspondait au dimanche
22 juillet 1291.
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5. LUC, XI, 10.
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6. A ce point qu'il épuisa complètement
ses finances par ses prodigalités, comme nous dirons bientôt.
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7. La célèbre reine Dokouz
Khatoun, première femme de Houlaghou, exerça une très
grande influence en faveur du christianisme soit directement, soit par
l'intermédiaire de plusieurs princesses de ses parentes qu'elle
fit élever dans la religion chrétienne et qui épousèrent
ensuite les Khans ou les grands de leur cour. Elle était fille d'Itiko,
ou Ikou, second fils de Ouang Khan, et était, par celui-ci, nièce
de la mere de Houlaghou. Elle avait d'abord été fiancée
au père de Houlaghou, Touloul, peu de temps avant la mort de ce
dernier. Suivant la coutume mongole, Houlaghou épousa sa belle-nièce.
Elle mourut le 19 juin 1265. Voici les témoignages parfaitement
concordants de divers historiens à son sujet: «Cette princesse,
dit l'historien persan RASCHID ED-DIN, née dans le christianisme
que professe la nation Kéraïte, à laquelle elle appartient,
protégeait constamment ses corréligionnaires, et, par égard
pour elle, Houlaghou favorisait, distinguait les chrétiens qui,
profitant de cette époque de prospérité, bâtirent
des églises dans toutes les provinces de sa domination. A l'entrée
de 1'ordou de Dokouz Khatoun, il y avait toujours une église, dans
laquelle retentissait le son des cloches.» Aussi la mort de cette
princesse fut-elle déplorée des chrétiens de l'Asie.
«Au commencement du carême, dit BAR HÉBRÉUS (Dyn.
XI, p. 542), mourut Houlaghou dont la sagesse, la magnanimité
et les hauts faits ne souffrent point de parallèle. L'été
suivant, la reine très fidèle Dokouz Khatoun quitta ce monde.
Par la disparition de ces deux grands astres qui étaient les protecteurs
de la foi chrétienne, les chrétiens, sur toute la terre,
furent plongés dans le deuil.» - «Ils furent tous deux
empoisonnés par l'artificieux Sahib Kodja [le vizir Schams ed-Din
Mohamed]. Le Seigneur sait qu'ils n'étaient guère inférieurs
en bienfaisance à Constantin et à sa mère Hélène.....»
(Hist. des Orpélians dans les Mém. sur
l'Arménie de SAINT-MARTIN, t. II, 123). «Houlaghou
avait une femme chrétienne nommée Dokouz Khatoune..... Cette
dame était une très dévote chrétienne, elle
employait toute son attention à détruire les temples des
Sarazins, qu'elle fit détruire de fond en comble, et réduisit
les Sarazins dans une si grande servitude qu'ils n'osèrent plus
montrer le nez» (HAÏTON, Hist. orient., ch. 27).
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8. Nous savons par l'historien persan
RASCHID ED-DIN, que Kaïkhatou retourna le 7 août à Ala-dagh
où il reçut le lendemain les hommages de plusieurs princes
qui s'étaient montrés opposés à son élection,
et auxquels il avait fait grâce. Il en partit le 1er septembre
pour aller étouffer une révolte dans le Roum.
Ala-tagh, ou mieux Ala-dagh,
avait été la résidence d'été de
Houlaghou, et fut celle de plusieurs de ses successeurs. «Il est
souvent fait mention de ce lieu dans l'histoire de la dynastie Ilkhanienne.
Raschid nous apprend que Houlagou étant parti de Tébriz,
pour son expédition en Syrie, et se dirigeant sur Akhlatt, passa
par les prairies d'Alatac dont il fut charmé. Selon le Djiham-Numa,
l'Alatag est la chaîne de montagnes où le Mourad-tchaï,
c'est-à-dire l'Euphrate, prend sa source. Elle est par conséquent
à une vingtaine de lieues au nord du lac de Van, et non loin du
mont Ararat. Ala-tag veut dire, en turc, mont bigarré.»
(D'OHSSON, t. III, p. 380). Le missionnaire RICOLDO DI MONTE CROCE
passant par le même endroit, fut aussi frappé de la beauté
de ce site: «Inde [ex Mogano] procidentes per regnum Persarum
pervenimus ad terram gratissimam et planiciem pulchram quae dicitur planicies
Delatacta. Ibi sunt lapides, qui habent a Deo virtutem sanandi et
consolidandi omnem inscissuram, ut non sit opus medico nec alia medicina.
- Inde venimus im Thaurisium...» (éd. Laurent,
p. 122).
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9. Dibag, c'est-à-dire
vêtement de soie (BEDJAN).
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10. Les princes et les princesses.
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11. C'est-à-dire par la glorification
des chrétiens, souvent désignés, dans les auteurs
ecclésiastiques, par l'expression «fils du royaume de Dieu.»
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12. Sur Mar Maris voir ci-dessus, chap.
III.
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13. Saint Georges, «le grand martyr»,
comme l'appellent les livres liturgiques des Grecs, est plus connu par
la célébrité de son culte que par la certitude de
son histoire. Ses Actes latins sont certainement apocryphes; il
se cache un peu de vérité sous les légendes dont sont
ornés les Actes grecs. Dans ses légendes orientales,
il est généralement représenté comme un prince
de Cappadoce qui aurait été martyrisé sous Dioclétien
après avoir soutenu de longues luttes contre un magicien nommé
Athanase; dans une autre, il délivre au bord d'un lac, grand comme
une mer, une jeune fille qui allait être la proie d'un monstre. D'anciennes
peintures grecques le représentent perçant ce monstre (dragon
ou crocodile) à coups de lance et monté sur un cheval ailé:
ce qui a fait rapprocher cette légende de celle de Persée.
Quelle que soit la personnalité du héros chrétien
qui se cache sous ces images, son culte se répandit de bonne heure
dans tout l'Orient, et aussi en Occident, surtout après les croisades.
Les Russes ont adopté son image avec le dragon pour emblème
de leurs armoiries et ont donné son nom au premier de leurs ordres
militaires. Les Anglais et les Génois l'ont pris pour patron.
On montre encore aujourd'hui dans
l'église de Saint-Georges à Lydda (l'ancienne Dyospolis)
en Palestine, le tombeau de ce saint qui aurait souffert le martyre en
cet endroit, selon une tradition qui n'est pas dénuée de
tout fondement. (Cf. Acta sanctorum au 23 avril, jour où
se célèbre la fête de saint Georges.)
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14. Il s'agit des Quarante Martyrs persans
mis à mort pendant la persécution de Sapor II, en l'an 356,
qu'il ne faut pas confondre avec les Quarante Martyrs de Sébaste,
en Arménie, qui souffrirent le martyre sous Licinius, en 320 (voir
sur ces derniers Acta sanctorum, au 10 mars). Les Actes syriaques
des Quarante Martyrs persans ont été publiés par BEDJAN,
Acta mart. et sanct., t. II, pp. 325-347.
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15. Saint Étienne, premier martyr,
l'un des sept diacres ordonnés par les Apôtres, fut mis à
mort par les Juifs environ neuf mois après l'Ascension de Jésus-Christ.
(Act. des Ap., VI-VIII.)
Son culte fut toujours très
répandu en Orient, mais surtout après la découverte
de ses reliques faite au commencement du Ve siècle. (Voir Acta
sanctor., au 2 août.) L'Église latine célèbre
sa fête le 26 décembre.
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16. Saint Jacques, surnommé l'Intercis,
à cause du genre de mort qu'on lui fit subir, fut martyrisé
le 27 novembre 421, sous le règne de Warharan V, roi des Perses,
selon ses Actes syriaques publiés par ASSÉMANI, Act.
martyr. Orient., t. Ier, p. 237, et reproduits dans BEDJAN,
Act. martyr. et sanct., t. II, pp. 539-549. Il était
né à Beth Lapéth, en Perse. D'abord chrétien,
il apostasia sous le règne de Izdegerde; mais, après la mort
de ce prince, il revint au christianisme. Wahraran lui reprocha sa conversion
et le pressa d'abjurer. Sur son refus, il le condamna à être
attaché à un chevalet et à avoir tous les membres
coupés successivement.
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17. Il y a un si grand nombre de martyrs
du nom de Démétrius qu'il est impossible de conjecturer duquel
il s'agit ici.
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18. Voir ci-dessus, chap. V.
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