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CHAPITRE VIII
BIENFAITS DU ROI ARGOUN; SA MORT

    L'an 1598 des Grecs(1), le roi Argoun donna ordre de faire venir au camp le Catholique Mar Jabalaha, comme Rabban Çauma l'avait demandé. Pour l'honneur du Catholique et la consolation de tous les chrétiens qui confessent le Christ, et pour accroître leur affection à son égard, Argoun fit élever l'église très proche de la tente royale, au point que les cordes de celle-ci s'enchevêtraient avec celles de l'église.
    Il donna un grand festin qui dura trois jours; lui-même personnellement servit à manger au Catholique et lui présenta la coupe ainsi qu'à ceux qui l'accompagnaient. Or, beaucoup d'évêques, de pères saints, de prêtres, de diacres, de moines, persévéraient dans les veilles et l'office sacré, car le roi Argoun avait ordonné que le son de la cloche(2) ne cessât pas dans cette église.
    L'honneur des chrétiens, tant Orientaux qu'Occidentaux, fut si haut placé que tous unanimement s'écriaient(3): «Béni soit le Seigneur qui nous a enrichis! Le Seigneur a visité son peuple et lui a procuré le salut!»
    Quand le camp changeait de place, les prêtres transportaient aussi l'église et tout ce qui en dépendait(4).
    Rabban Çauma fut le recteur de cette église, le procureur et l'administrateur qui distribuait le traitement aux prêtres, aux diacres, aux employés et aux intendants. Le roi Argoun, en effet, avait ordonné, à cause de sa grande affection pour Rabban Çauma, qu'on ne cessât de dire la messe et de prier pour lui(5).
    L'année suivante, c'est-à-dire l'année 1599 des Grecs(6), au mois d'Iloul (septembre), le roi Argoun se rendit à la résidence de la ville de Maragha, pour voir Monseigneur le Catholique. Il avait fait baptiser son fils(7) au mois d'Ab (août) et voulait lui faire recevoir la sainte communion.
    La prédication vivifiante de l'Évangile grandit et la bonne nouvelle du royaume des cieux fut répandue par tout l'univers, au point que l'on venait de tous côtés à la résidence du patriarche pour en obtenir des secours, et que ce n'étaient plus seulement les chrétiens confessant la foi qui venaient solliciter l'appui de Monseigneur le Catholique pour obtenir ce qu'ils désiraient.
    Peu de temps s'était écoulé depuis les choses que nous venons de raconter, lorsque le Dieu tout puissant, maître de la mort et du trépas, transporta le roi Argoun au festin joyeux dans le sein d'Abraham(8). Ce trépas plongea dans le deuil toute l'Église qui est sous les cieux; car les affaires qui avant lui étaient en mauvais état furent bien conduites de son temps(9).
    Qui donc ne s'affligerait du changement de royauté? Comment cet événement ne serait-il pas pénible pour tous et difficile à exprimer? Car quand on connaît les grands du roi et les familiers du palais il est plus facile de trouver accès auprès du roi lui-même(10).


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1. Cette date, qui nous reporte à l'année 1287 de notre ère, est une erreur évidente, comme le fait observer M. BEDJAN. Rabban Çauma quitta Rome après les fêtes de Pâques 1288; il a donc dû arriver au camp d'Argoun à l'automne, c'est-à-dire au commencement de l'année 1600 des Grecs. Cette erreur se répète encore deux fois, un peu plus bas, où on lit 1599 et 1600 des Grecs, au lieu de 1601 et 1602, puis elle disparaît et le récit présente de nouveau les vraies dates.
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2. Il ne s'agit pas d'une véritable cloche, mais de l'instrument dont on se sert encore dans beaucoup d'églises orientales pour appeler les fidèles à l'office. Il consiste dans une simple planche de bois, suspendue par des cordes, que l'on fait résonner en la frappant à l'aide d'un marteau également en bois.
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3. ZACH., XI, 5. - LUC, I, 68.
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4. On saisira mieux le sens de ces passages en les rapprochant des lignes suivantes tirées du tableau que D'OHSSON (Hist. des Mongols, I, p. 12 et suiv.) a tracé, d'après les récits des voyageurs, des moeurs et des usages mongols:
    «Les Mongols habitaient des huttes construites avec des claies de la hauteur d'un homme, posées en cercle et supportant des perches dont les extrémités étaient fixées dans un anneau de bois. On couvrait ce mince échaffaudage de pièces de feutre liées ensemble et assujetties par des cordes de crin qui entouraient la hutte. La portière, également en feutre, était toujours tournée vers le midi. Le cercle supérieur restait ouvert pour donner passage à l'air et à la fumée du foyer qui occupait le centre de cette habitation où se tenait toute une famille. - Leurs troupeaux qui consistaient en chameaux, boeufs, moutons, chèvres et surtout en chevaux, fournissaient à leur subsistance et composaient toute leur richesse... La nourriture de leurs troupeaux (et aussi le climat) obligait ces peuples pasteurs à émigrer sans cesse. Dès que le district où ils se trouvaient était épuisé d'herbages, on défaisait les huttes, on en chargeait le dos des animaux qui transportaient aussi les meubles, les ustensiles de ménage, les plus jeunes enfants, et la horde allait chercher de nouveaux pâturages...»
    Le camp royal n'était, en réalité, que le lieu de campement du prince et de ses principaux chefs, dont les migrations ne différaient pas beaucoup de celle qui vient de nous être décrite.
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5. On lit dans la note de Buscarel: «Jour de Pâques proche passé, ledit Argoun fit chanter la messe en une chapelle qu'il fait porter à soi à Raban-ata, évêque nestorin, que l'autre an vous vint en message».
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6. Lire 1601 (1289). Voir ci-dessus, note 1.
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7. Ceci est confirmé par le témoignage des ambassadeurs d'Argoun prés du pape Nicolas IV qui l'en félicite dans une lettre que nous reproduirons. Il s'agit de son troisième fils Kharbandé, né en 1281, qui devint plus tard roi sous le nom de Oldjaïtou. Voir ci-dessous, chap. XVII.
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8. Argoun tomba malade à sa résidence d'hiver à la fin de l'année 1290. Comme il allait déjà mieux, un bakhchi, prêtre lamite, lui fit prendre une potion qui lui causa une rechute suivie de paralysie. Les médecins désespérèrent de sa guérison. On rechercha les causes de cette rechute. Les magiciens consultés déclarèrent qu'elle était l'effet d'un sortilège. On en accusa l'une des femmes d'Argoun, nommée Toutchac. On la fit comparaître avec les autres Khatouns; elle fut mise à la torture, et déclara, que pour s'attirer la tendresse du prince elle avait employé, comme font les femmes, un charme consistant en quelques mots écrits. Cet aveu fut sa perte; on la noya, le 19 janvier 1291, avec d'autres femmes.
    Cette mort n'amena pas d'amélioration dans l'état de la santé d'Argoun, et, malgré les aumônes, les actes de bienfaisance, les remises d'impôt, l'élargissement des prisonniers, les grâces nombreuses que son ministre prodiguait dans le but de détourner la colère du ciel de la tête du souverain, le mal empira. Enfin, après cinq mois de maladie, ce prince mourut le 7 mars, dans sa résidence de Bagtché-Arran. Il fut inhumé sur la montagne de Sidjas que les Mongols appellent Avizé (D'OHSSON, t. III, p. 53-58).
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9. Nous parlerons plus amplement de la conduite d'Argoun, vis-à-vis des chrétiens, des faveurs qu'il leur accorda, de la liberté dont ils jouirent sous son règne, dans notre Étude sur les relations du roi Argoun avec les princes chrétiens.
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10. Traduction douteuse de ce paragraphe dont le texte paraît fortement altéré.
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