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CHAPITRE IV
 
RABBAN MARCOS DEVIENT MÉTROPOLITAIN ET PREND LE NOM DE MAR JABALAHA, ET RABBAN ÇAUMA DEVIENT VISITEUR GÉNÉRAL.

    Ils retournèrent et revinrent près du Catholique qui se réjouit en les voyant et leur dit: «Ce n'est pas le moment d'aller à Jérusalem; les routes sont troublées, les chemins sont coupés. Vous avez vénéré tous les sanctuaires et toutes les reliques qui sont dans nos régions; pour moi, je pense que si quelqu'un les visite avec un coeur pur, leur vénération n'est pas moindre qu'un pèlerinage à Jérusalem. Moi, je vous donne un conseil. Il vous convient de l'écouter. J'ai pensé à établir Rabban Marcos métropolitain et à lui conférer les dons apostoliques(1); quant à toi, Rabban Çauma, je t'ordonnerai visiteur général, et je vous renverrai tous les deux dans votre pays.»
    Ces moines répondirent: «La parole de notre Père est l'ordre du Christ; celui qui ne l'accomplit pas transgresse le commandement; mais, malgré cela, nous voulons faire connaître nos pensées et déclarer le secret de nos coeurs. Nous ne sommes pas venus de là-bas pour y retourner et nous ne sommes pas d'avis, après la peine que nous avons endurée, de la renouveler. L'homme qui se heurte deux fois contre une pierre est un insensé. Nous dirons encore que nous ne sommes pas dignes de ce don. Un tel don est lourd pour des hommes de peu. Nous ne demandons qu'à rester dans le monastère pour y servir le Christ jusqu'à notre mort.»
    Le Catholique leur dit: «Ce don vous convient et sied à votre modestie.»
    Voyant que leurs instances n'avaient aucun résultat, ils dirent: «Que la volonté de notre Père soit faite.»
    Le patriarche reprit: «Jusqu'à présent personne ne s'est appelé Mar Marcos. Je veux nommer ainsi Rabban Marcos; j'ai aussi pensé à écrire des noms et à les placer sur l'autel, et à l'appeler de celui qui sortira par le sort.»
    Il fit cela et le nom de Jabalaha(2) sortit. Il dit, en effet: «Cela vient du Seigneur; qu'il soit béni et nous bénisse.»
    Ils tombèrent d'accord et Rabban Marcos reçut l'ordre de métropolitain du Catholique Mar Denha, à l'âge de trentecinq ans, pour les villes de Kathay et Ouang(3), l'an 1280 de Notre-Seigneur. Rabban Çauma reçut sa bénédiction et fut nommé visiteur général(4).
    Ils prirent tous les deux des lettres patentes, chacun en raison des exigences de son ministère. Après quelques jours, la nouvelle arriva que la route par laquelle ils étaient venus était tout à fait coupée et que personne ne pouvait passer, car les coeurs des rois des deux frontières, de celui d'un côté du Djihon et de celui de l'autre côté, étaient brouillés(5).
    Ces deux flambeaux revinrent donc au monastère de Mar Michael de Tar'el et habitèrent leur propre cellule environ deux ans.
    Une nuit que Mar Jabalaha dormait, il eut un songe.
    Il lui semblait entrer dans une grande église où il y avait des images des saints et au milieu d'elles une croix. Il étendit le bras droit pour recevoir sa bénédiction; plus il l'étendait, plus il s'allongeait; et la croix remontait jusqu'au sommet du temple où il l'atteignit et l'embrassa(6). En sortant de l'église il vit des arbres élevés et chargés de divers genres de fruits. Il se mit à prendre des fruits et à les manger, et il en donnait et distribuait au peuple nombreux qui était assemblé.
    A son réveil il fit connaître la chose à Rabban Çauma: «J'ai vu, lui dit-il, un songe qui m'a troublé.»
    Rabban Çauma lui dit: «Raconte-le moi.»
    Il le lui raconta et Rabban Çauma l'interpréta en disant: «Comme tu as étendu ton bras qui s'est allongé jusqu'à ce que tu atteignisses la croix et les images des saints et en fusses béni, ainsi tu parviendras à la grande dignité des Patriarches. Comme tu as mangé et fait manger au peuple des fruits des arbres, ainsi tu jouiras toi-méme du don céleste qui viendra sur toi; et tu en feras jouir beaucoup de peuples.»
    De nouveau, dans la nuit suivante, Mar Jabalaha eut une autre vision.
    Il lui semblait être sur un trône élevé; autour de lui se trouvait réunie une foule nombreuse qu'il instruisait. Et comme il parlait, sa langue s'allongea au point de sortir de sa bouche: elle se divisa en trois branches et sur chacune il y avait quelque chose qui ressemblait à du feu. Le peuple qui se trouvait là était dans l'admiration et glorifiait Dieu.
    Quand il fut éveillé il raconta de nouveau ce songe à Rabban Çauma qui lui dit: «Ceci n'est pas un songe, mais une révélation, ou quelque chose de semblable à une révélation; car cela ne diffère en rien de l'Esprit-Saint qui se posa sur les Apôtres sous la forme de langues de feu(7). L'Esprit-Saint se posera aussi vraiment sur toi et mettra entre tes mains le trône patriarcal pour exercer son ministère et accomplir son service.»


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1. C'est-à-dire l'épiscopat. D'après BAR HÉBRÉUS (Chron. eccl., II, 451), Jabalaha aurait été ordonné pour aller en Chine «parce que Denha ne voulait pas que Bar-Kalig, son ennemi, s'y rendit». Le même auteur raconte (II, 449) qu'en l'année 1590 des Grecs (1279) un certain Siméon, surnommé Bar-Kalig, d'abord évêque de Tous, dans le Khoraçan, fut ordonné métropolitain de Chine par le Catholique Mar Denha. Bientôt, avant de partir pour la Chine, il commença à se montrer arrogant vis-à-vis de Denha. Celui-ci le manda près de lui à Oshna (aujourd'hui Oushnej, entre Ourmiah et Arbèle), le dépouilla de ses biens et le renferma dans le monastère de Mar Behnam dans la ville de Laqah. Il s'en échappa et s'enfuit dans la montagne; mais des montagnards s'étant emparés de lui l'amenèrent au Catholique qui le fit enfermer dans une cellule près de lui. Quelques jours après on le trouva mort ainsi que quelques-uns des évêques et des moines qui lui étaient attachés. L'historien ajoute malicieusement: «Les uns disent d'une manière, les autres d'une autre.»
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2. Ce nom est composé de deux mots syriaques jab, donna, et Alaha, Dieu; il répond donc exactement au français DIEUDONNÉ.
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3. Kathay désigne la Chine du nord; voir Chron. syr. de BAR HÉBRÉUS, éd. Bedjan, p. 218, 1.6 (où il faut lire Kata au lieu de Bata) et p. 441, 1. Ouang parait être une restriction du premier nom trop général; c'est peut-être la contrée arrosée par le fleuve Jaune Hoang-ho (R. DUVAL).
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4. Nous ne voyons rien dans notre histoire qui justifie l'assertion de quelques auteurs, reproduite par HOWORTH (Hist. of the Mongols, III, 283), affirmant que Jabalaha ordonna Rabban Çauma évêque des Ouïgours. On ne voit pas non plus qu'il ait reçu l'imposition des mains de Denha, mais seulement sa bénédiction. D'ailleurs, la charge de visiteur n'impliquait pas nécessairement la dignité épiscopale, comme nous en avons la preuve dans le premier chapitre de notre récit où il est dit que le père de Rabban Çauma était visiteur et marié. Or, les évêques n'étaient jamais pris parmi les hommes mariés. Cependant il faut remarquer que le pape Nicolas IV, dans une lettre à Argoun que nous reproduirons, l'appelle «venerabilis frater Bersauma, episcopus in partibus Orientis».
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5. Locution pour dire que les rois étaient en guerre. - Le nom de Djihon désigne le fleuve actuellement appelé Amou-Daria, l'ancien Oxus. C'est un des plus grands cours d'eau du Turkestan; il a sa source dans la région la plus élevée de l'Asie, à près de 4,800 m. d'alt., et, après un cours d'environ 1,800 kil., va déboucher dans le lac Aral, à 14 ou 15 m. seulement d'alt. au-dessus de la Méditerranée. - Amou-Daria est le nom sous lequel le fleuve est aujourd'hui désigné par les populations riveraines, bien que dans les hautes vallées on rencontre d'autres dénominations locales, notamment celle de Ouakksou (riv. de Ouakhan), d'après le premier pays qu'il traverse. Ce dernier nom a un grand intérêt historique. On le retrouve dans la Géographie sanscrite sous la forme Wakchou, et il parvint après Alexandre à la connaissance des Grecs qui l'adoucirent en Ocos (d'où l'Oxus des Latins). Les Arabes, par une réminiscence de la géographie mosaïque, en ont fait le Djihoun, nom de l'un des quatre fleuves du Paradis terrestre.
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6. C'est un usage, encore habituel chez les chrétiens orientaux, pour témoigner leur vénération à un objet sacré, de le toucher avec la main, qu'ils portent ensuite à la bouche et avec laquelle ils se signent. De là vient que le même mot signifie en syriaque être beni et vénérer.
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7. ACT. II, 3.
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