Ils retournèrent et revinrent près
du Catholique qui se réjouit en les voyant et leur dit: «Ce
n'est pas le moment d'aller à Jérusalem; les routes sont
troublées, les chemins sont coupés. Vous avez vénéré
tous les sanctuaires et toutes les reliques qui sont dans nos régions;
pour moi, je pense que si quelqu'un les visite avec un coeur pur, leur
vénération n'est pas moindre qu'un pèlerinage à
Jérusalem. Moi, je vous donne un conseil. Il vous convient de l'écouter.
J'ai pensé à établir Rabban Marcos métropolitain
et à lui conférer les dons apostoliques(1);
quant à toi, Rabban Çauma, je t'ordonnerai visiteur général,
et je vous renverrai tous les deux dans votre pays.»
Ces moines répondirent: «La parole
de notre Père est l'ordre du Christ; celui qui ne l'accomplit pas
transgresse le commandement; mais, malgré cela, nous voulons faire
connaître nos pensées et déclarer le secret de nos
coeurs. Nous ne sommes pas venus de là-bas pour y retourner et nous
ne sommes pas d'avis, après la peine que nous avons endurée,
de la renouveler. L'homme qui se heurte deux fois contre une pierre est
un insensé. Nous dirons encore que nous ne sommes pas dignes de
ce don. Un tel don est lourd pour des hommes de peu. Nous ne demandons
qu'à rester dans le monastère pour y servir le Christ jusqu'à
notre mort.»
Le Catholique leur dit: «Ce don vous convient
et sied à votre modestie.»
Voyant que leurs instances n'avaient aucun résultat,
ils dirent: «Que la volonté de notre Père soit faite.»
Le patriarche reprit: «Jusqu'à présent
personne ne s'est appelé Mar Marcos. Je veux nommer ainsi Rabban
Marcos; j'ai aussi pensé à écrire des noms et à
les placer sur l'autel, et à l'appeler de celui qui sortira par
le sort.»
Il fit cela et le nom de Jabalaha(2)
sortit. Il dit, en effet: «Cela vient du Seigneur; qu'il soit
béni et nous bénisse.»
Ils tombèrent d'accord et Rabban Marcos reçut
l'ordre de métropolitain du Catholique Mar Denha, à l'âge
de trentecinq ans, pour les villes de Kathay et Ouang(3),
l'an 1280 de Notre-Seigneur. Rabban Çauma reçut
sa bénédiction et fut nommé visiteur général(4).
Ils prirent tous les deux des lettres
patentes, chacun en raison des exigences de son ministère. Après
quelques jours, la nouvelle arriva que la route par laquelle ils étaient
venus était tout à fait coupée et que personne ne
pouvait passer, car les coeurs des rois des deux frontières, de
celui d'un côté du Djihon et de celui de l'autre côté,
étaient brouillés(5).
Ces deux flambeaux revinrent donc
au monastère de Mar Michael de Tar'el et habitèrent leur
propre cellule environ deux ans.
Une nuit que Mar Jabalaha dormait,
il eut un songe.
Il lui semblait entrer dans une grande
église où il y avait des images des saints et au milieu d'elles
une croix. Il étendit le bras droit pour recevoir sa bénédiction;
plus il l'étendait, plus il s'allongeait; et la croix remontait
jusqu'au sommet du temple où il l'atteignit et l'embrassa(6).
En sortant de l'église il vit des arbres élevés
et chargés de divers genres de fruits. Il se mit à prendre
des fruits et à les manger, et il en donnait et distribuait au peuple
nombreux qui était assemblé.
A son réveil il fit connaître
la chose à Rabban Çauma: «J'ai vu, lui dit-il, un songe
qui m'a troublé.»
Rabban Çauma lui dit: «Raconte-le
moi.»
Il le lui raconta et Rabban Çauma
l'interpréta en disant: «Comme tu as étendu ton bras
qui s'est allongé jusqu'à ce que tu atteignisses la croix
et les images des saints et en fusses béni, ainsi tu parviendras
à la grande dignité des Patriarches. Comme tu as mangé
et fait manger au peuple des fruits des arbres, ainsi tu jouiras toi-méme
du don céleste qui viendra sur toi; et tu en feras jouir beaucoup
de peuples.»
De nouveau, dans la nuit suivante,
Mar Jabalaha eut une autre vision.
Il lui semblait être sur un
trône élevé; autour de lui se trouvait réunie
une foule nombreuse qu'il instruisait. Et comme il parlait, sa langue s'allongea
au point de sortir de sa bouche: elle se divisa en trois branches et sur
chacune il y avait quelque chose qui ressemblait à du feu. Le peuple
qui se trouvait là était dans l'admiration et glorifiait
Dieu.
Quand il fut éveillé
il raconta de nouveau ce songe à Rabban Çauma qui lui dit:
«Ceci n'est pas un songe, mais une révélation, ou quelque
chose de semblable à une révélation; car cela ne diffère
en rien de l'Esprit-Saint qui se posa sur les Apôtres sous la forme
de langues de feu(7). L'Esprit-Saint
se posera aussi vraiment sur toi et mettra entre tes mains le trône
patriarcal pour exercer son ministère et accomplir son service.»