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CHAPITRE II
HISTOIRE DE MAR JABALAHA, CATHOLIQUE,  PATRIARCHE DE L'ORIENT

    Dans la prescience de Dieu, tout est connu: toutes les pensées des hommes, bonnes et mauvaises, avant même qu'ils soient dessinées dans le sein, lui sont dévoilées, et, d'après elles, il choisit et justifie, selon elles il punit et supplicie. Il fut dit à Moïse(1): «Voici, je t'ai donné comme dieu à Pharaon,» et son élection démontre la bonté de sa volonté et la dureté du coeur de Pharaon; car, avant même qu'il existât, Dieu connut qu'il serait endurci et il fut rejeté. À Jérémie [Dieu] dit(2): «Avant de te former dans le sein, je t'ai connu, et avant que tu sortisses du sein, je t'ai sanctifié.» Et Paul dit(3): «Dieu n'a pas rejeté son peuple qui lui fut connu dès le commencement», certes, à cause de la bonne volonté et des pensées pures.
    Certains signes de cette élection apparaissent dans la personne de celui qui est élu, et certains traits brillent en lui, qui démontrent qu'il est digne de la grâce: celui qui est éclairé les reconnaît, tandis que celui qui n'est pas éclairé ne les reconnaît pas. Puisque la personne dont nous avons à parler fut élue pour des choses sublimes, nous sommes obligés de dire comment elle fut élue et confirmée dans une volonté parfaite.
    Il y avait dans la ville de Koschang(4), au pays de l'Orient, un homme fidèle, juste, pur et sans tache, qui travaillait avec persévérance pour Dieu dans l'Église et observait religieusement ses lois. Il se nommait Bainiel et était archidiacre. Il eut quatre fils. Le plus jeune d'entre eux (né en l'année de Notre-Seigneur 1245) s'appelait Marcos. Il s'appliqua plus que ses frères à l'étude des sciences ecclésiastiques...... Ceux qui le rencontraient lui donnaient ces avertissements et d'autres semblables. Mais il leur paraissait [si indifférent] qu'ils ne savaient s'ils parlaient à une statue ou à un être raisonnable(5). Bien qu'il eût été contrarié en beaucoup de manières, il ne s'écarta pas de son chemin et sa pensée ne se détacha pas de son but. Il poursuivit son dessein et parvint auprès de Rabban Çauma après quinze jours de grande fatigue.
    Il salua Rabban Çauma, qui le reçut avec joie et allégresse.
    Après qu'il se fut reposé Çauma l'interrogea: «Mon fils, d'où viens-tu? Comment es-tu arrivé sur cette montagne? Quelle ville habite ta famille? Qui est ton père? De qui es-tu fils?»
    Il répondit: «Je suis fils de Bainiel, l'archidiacre de la ville de Koschang, et je m'appelle Marcos.»
    Çauma lui dit: «Pour quel motif es-tu venu vers moi avec tant de fatigue et de peine?»
    Marcos répondit: «Je veux devenir moine. Ayant entendu parler de toi, j'ai tout abandonné pour te chercher. Ne me prive pas de l'objet de mon désir.»
    Rabban Çauma lui dit: «O notre frère, cette voie est dure. Les vieillards peuvent à peine en supporter la rigueur, tant s'en faut que des jeunes gens et des enfants puissent y marcher.»
    Après avoir essayé, en beaucoup de manières, de lui persuader de retourner près de ses parents, comme il s'y refusa, Çauma l'admit près de lui, l'instruisit, le revêtit d'un habit de laine et l'éprouva; après trois ans, il reçut la tonsure des mains du vénérable Mar Nestorios(6) métropolitain, le dimanche rouha paraklitha(7), et il s'adonna aux nombreux labeurs de l'ascétisme et aux jeûnes prolongés jusqu'au soir. Ils travaillaient dans la montagne à l'oeuvre de leur purification et de leur sanctification, et recevaient les consolations de Dieu à qui ils s'etaient consacrés.


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1. EX. VII, 1.
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2. JÉR. I, 5.
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3. ROM. I, 2.
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4. Cette ville est placée par l'auteur entre Péking et Tangout, à environ quinze journées de marche de Péking. Il s'agit donc vraisemblablement de la ville nommée Kung-Tschang (R. DUVAL). Je serais tenté de l'identifier avec la cité appelée par MARCO POLO Cacianfu (chapitre CX), à laquelle le célèbre voyageur, parti de Péking, parvint en dix-huit jours. C'est la ville appelée alors en chinois cHô-tchoung fou «la ville chef-lieu de département située au milieu du fleuve», aujourd'hui ville départementale de Pcou-tchèou fou, de la province du Chân-si, située, selon la Géographie impériale (Taï-thsing-i-thoung-tchi, k. 83), à 2,200 li de Péking. Lat. 34° 54'; long. E. 107°55'. - Sous les Mongols (Yuan-su, k. 58, fol. 34), elle dépendait du Tçin-ming loú. Dès l'époque de la dynastie des Tchâng elle avait reçu à cause de sa situation le nom de 'Hô-tchoung fou, nom qu'elle échangea ensuite en celui de cHô-thoûng kiun, puisqu'elle reprit sous les Kin ou dynastie d'Or, pour le conserver sous les Mongols.
    Toujours selon la Géographie impériale, cette ville fournissait à titre d'impôts, sous la dynastie mongole, des étoffes de soie légère, des toiles de chanvre et des boîtes de laque. Marco Polo nous dit que dans la «noble cité de Cacianfu, les gens sont tous ydres. Et encore vous di que vous devez savoir que tuit cil de la province du Catay sont tretous ydolatres.» La Chine du Nord (Kathay) renfermait cependant quelques chrétiens, et rien n'empêche que la ville de Cacianfu en ait aussi compté quelques-uns parmi ses habitants. Toutefois le bouddhisme devait y être, a cette époque, en grand honneur, car on trouve dans le département dont cHô-tchoung fou (aujourd'hui Pcou-tchèou fou) est le chef-lieu, vingt-trois temples et monastères bouddhiques fondés pour la plupart sous les Thâng, les Soung, les Kin et les Mongols, tandis qu'on n'en rencontre que treize dédiés a l'ancien culte pratiqué par les sectateurs de Confucius, dont l'un a été fondé en l'honneur de l'ancien empereur Chun et l'autre en celui de Yu, qui avaient établi là leur résidence plus de 2,200 ans avant notre ère.
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5. Il semble qu'il y ait une lacune dans le texte. Il est probable qu'après avoir parlé des études de Marcos, le récit continuait par l'exposé des rapports de celui-ci avec sa famille et de la manière dont il s'en sépara. On peut traduire diversement ce passage selon l'endroit où l'on place la lacune.
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6. Probablement le successeur de Mar Guiwargis.
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7. Selon la disposition du calendrier liturgique propre aux Syriens. - Les mots rouha paraklitha sont les premiers mots d'un des chants de l'office des Vêpres; ils servent à fixer la date du dimanche dont il s'agit. Cette manière de dater n'a rien d'insolite; on sait qu'elle fut largement usitée en Occident, au moyen âge; tous les dimanches de l'année étaient ainsi designés par les premiers mots de l'Introït de la Messe, et nous disons encore couramment le dimanche de Quasimodo. On retrouvera plus bas d'autres désignations semblables.
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