Dans la prescience de Dieu, tout est connu: toutes
les pensées des hommes, bonnes et mauvaises, avant même qu'ils
soient dessinées dans le sein, lui sont dévoilées,
et, d'après elles, il choisit et justifie, selon elles il punit
et supplicie. Il fut dit à Moïse(1):
«Voici, je t'ai donné comme dieu à Pharaon,»
et son élection démontre la bonté de sa volonté
et la dureté du coeur de Pharaon; car, avant même qu'il existât,
Dieu connut qu'il serait endurci et il fut rejeté. À Jérémie
[Dieu] dit(2): «Avant de te
former dans le sein, je t'ai connu, et avant que tu sortisses du sein,
je t'ai sanctifié.» Et Paul dit(3):
«Dieu n'a pas rejeté son peuple qui lui fut connu dès
le commencement», certes, à cause de la bonne volonté
et des pensées pures.
Certains signes de cette élection apparaissent
dans la personne de celui qui est élu, et certains traits brillent
en lui, qui démontrent qu'il est digne de la grâce: celui
qui est éclairé les reconnaît, tandis que celui qui
n'est pas éclairé ne les reconnaît pas. Puisque la
personne dont nous avons à parler fut élue pour des choses
sublimes, nous sommes obligés de dire comment elle fut élue
et confirmée dans une volonté parfaite.
Il y avait dans la ville de Koschang(4),
au pays de l'Orient, un homme fidèle, juste, pur et sans tache,
qui travaillait avec persévérance pour Dieu dans l'Église
et observait religieusement ses lois. Il se nommait Bainiel et était
archidiacre. Il eut quatre fils. Le plus jeune d'entre eux (né en
l'année de Notre-Seigneur 1245) s'appelait Marcos. Il s'appliqua
plus que ses frères à l'étude des sciences ecclésiastiques......
Ceux qui le rencontraient lui donnaient ces avertissements et d'autres
semblables. Mais il leur paraissait [si indifférent] qu'ils ne savaient
s'ils parlaient à une statue ou à un être raisonnable(5).
Bien qu'il eût été contrarié en beaucoup de
manières, il ne s'écarta pas de son chemin et sa pensée
ne se détacha pas de son but. Il poursuivit son dessein et parvint
auprès de Rabban Çauma après quinze jours de grande
fatigue.
Il salua Rabban Çauma, qui le reçut
avec joie et allégresse.
Après qu'il se fut reposé Çauma
l'interrogea: «Mon fils, d'où viens-tu? Comment es-tu arrivé
sur cette montagne? Quelle ville habite ta famille? Qui est ton père?
De qui es-tu fils?»
Il répondit: «Je suis fils de Bainiel,
l'archidiacre de la ville de Koschang, et je m'appelle Marcos.»
Çauma lui dit: «Pour quel motif es-tu
venu vers moi avec tant de fatigue et de peine?»
Marcos répondit: «Je veux devenir moine.
Ayant entendu parler de toi, j'ai tout abandonné pour te chercher.
Ne me prive pas de l'objet de mon désir.»
Rabban Çauma lui dit: «O notre frère,
cette voie est dure. Les vieillards peuvent à peine en supporter
la rigueur, tant s'en faut que des jeunes gens et des enfants puissent
y marcher.»
Après avoir essayé, en beaucoup de
manières, de lui persuader de retourner près de ses parents,
comme il s'y refusa, Çauma l'admit près de lui, l'instruisit,
le revêtit d'un habit de laine et l'éprouva; après
trois ans, il reçut la tonsure des mains du vénérable
Mar Nestorios(6) métropolitain,
le dimanche rouha paraklitha(7),
et il s'adonna aux nombreux labeurs de l'ascétisme et aux jeûnes
prolongés jusqu'au soir. Ils travaillaient dans la montagne à
l'oeuvre de leur purification et de leur sanctification, et recevaient
les consolations de Dieu à qui ils s'etaient consacrés.
1. EX. VII, 1.
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2. JÉR. I, 5.
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3. ROM. I, 2.
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4. Cette ville est placée par
l'auteur entre Péking et Tangout, à environ quinze journées
de marche de Péking. Il s'agit donc vraisemblablement de la ville
nommée Kung-Tschang (R. DUVAL). Je serais tenté de l'identifier
avec la cité appelée par MARCO POLO Cacianfu (chapitre
CX), à laquelle le célèbre voyageur, parti de Péking,
parvint en dix-huit jours. C'est la ville appelée alors en chinois
cHô-tchoung
fou «la ville chef-lieu
de département située au milieu du fleuve»,
aujourd'hui ville départementale de Pcou-tchèou
fou, de la province du Chân-si, située,
selon la Géographie impériale (Taï-thsing-i-thoung-tchi,
k. 83), à 2,200 li de Péking. Lat. 34° 54';
long. E. 107°55'. - Sous les Mongols (Yuan-su, k. 58, fol.
34), elle dépendait du Tçin-ming loú. Dès
l'époque de la dynastie des Tchâng elle avait reçu
à cause de sa situation le nom de 'Hô-tchoung fou,
nom qu'elle échangea ensuite en celui de cHô-thoûng
kiun, puisqu'elle reprit sous les Kin ou dynastie d'Or, pour
le conserver sous les Mongols.
Toujours selon la Géographie
impériale, cette ville fournissait à titre d'impôts,
sous la dynastie mongole, des étoffes de soie légère,
des toiles de chanvre et des boîtes de laque. Marco Polo nous dit
que dans la «noble cité de Cacianfu, les gens sont
tous ydres. Et encore vous di que vous devez savoir que tuit cil de la
province du Catay sont tretous ydolatres.» La Chine du Nord (Kathay)
renfermait cependant quelques chrétiens, et rien n'empêche
que la ville de Cacianfu en ait aussi compté quelques-uns parmi
ses habitants. Toutefois le bouddhisme devait y être, a cette époque,
en grand honneur, car on trouve dans le département dont cHô-tchoung
fou (aujourd'hui Pcou-tchèou fou) est le chef-lieu,
vingt-trois temples et monastères bouddhiques fondés pour
la plupart sous les Thâng, les Soung, les Kin et les
Mongols, tandis qu'on n'en rencontre que treize dédiés a
l'ancien culte pratiqué par les sectateurs de Confucius, dont l'un
a été fondé en l'honneur de l'ancien empereur Chun
et l'autre en celui de Yu, qui avaient établi là
leur résidence plus de 2,200 ans avant notre ère.
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5. Il semble qu'il y ait une lacune dans
le texte. Il est probable qu'après avoir parlé des études
de Marcos, le récit continuait par l'exposé des rapports
de celui-ci avec sa famille et de la manière dont il s'en sépara.
On peut traduire diversement ce passage selon l'endroit où l'on
place la lacune.
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6. Probablement le successeur de Mar
Guiwargis.
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7. Selon la disposition du calendrier
liturgique propre aux Syriens. - Les mots rouha paraklitha sont
les premiers mots d'un des chants de l'office des Vêpres; ils servent
à fixer la date du dimanche dont il s'agit. Cette manière
de dater n'a rien d'insolite; on sait qu'elle fut largement usitée
en Occident, au moyen âge; tous les dimanches de l'année étaient
ainsi designés par les premiers mots de l'Introït de
la Messe, et nous disons encore couramment le dimanche de Quasimodo.
On retrouvera plus bas d'autres désignations semblables.
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