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(mai 1861)
Je consens bien volontiers, chère fille en N.S., à ce voeu eucharistique, mais annuel, à renouveler tous les ans à la Fête-Dieu.
La matière de ce beau voeu sera vos adorations déterminées par l'obéissance, mais afin de n'avoir aucune inquiétude de conscience, vous saurez que votre voeu ne vous oblige pas en voyage, si vous étiez malade ou fatiguée à ne pouvoir sortir sans imprudence: dans de cas vous offrirez vos souffrances en adoration.
Quant à l'esprit du voeu, il consiste à rapporter toutes ses actions à la gloire de N.S. au T.S.S. et à en faire la fin de votre vie. - Jésus a dit: Celui qui me mange, vivra pour moi.
Faites ce voeu le 1er jour de juin; ce sera la première fleur eucharistique que vous offrirez au Roi d'amour.
Eymard Sup.
Paris, 4 Mai 1860.
Bien chère fille en N.-S.,
Que Notre-Seigneur se forme lui-même en vous par sa grâce et son amour; laissez-le faire et aidez-le quand il travaille, mais suivez bien le mouvement de son divin Esprit.
Soyez comme une journalière qui fait ce qu'on lui commande et qui ne s'inquiète pas de ce qu'elle fera le lendemain. Soyez à Monsieur avant tout autre prochain, c'est l'ordre de la charité, établi par Dieu. J'aime bien vous voir toutes deux bonnes et complaisantes, autour de Monsieur; si Dieu vous voulait ailleurs, il vous en donnerait le temps. Comme cette règle d'amour est belle et facile! contentez-vous de la sainte Volonté de Dieu du moment.
Je comprends, chère fille, qu'il vous en ait coûté de répondre négativement. Dieu le voulait; il arrangera toutes choses pour le mieux.
J'ai commencé de suite vos messes pour votre soeur. Vous savez que le samedi est toujours pour vous.
La parole qui marque une espèce de doute de Monsieur votre père n'est rien. Ce qu'il avait dit et fait avant, marque au contraire une foi positive qui ne veut pas sonder les mystères de l'avenir. J'aime bien ce sentiment des théologiens qui disent que la souffrance endurée en état de grâce est méritoire par l'état même. Ils disent que les Innocents, martyrisés à l'occasion de la naissance du Messie, ont dû avoir une plus belle couronne que les enfants qui, n'ayant pas souffert, meurent après leur Baptême. Ainsi, ce serait donc une grâce que l'état de souffrance de votre cher malade.
Pour votre chapelle, je vous conseille le gothique, mais simple avec peu d'ornements, car autrement il serait trop cher; ce style ogival est très gracieux et a quelque chose de grave et de religieux.
Mais que Monsieur prenne ses arrangements avec les ouvriers et l'architecte. Si vous vouliez, je prierais un ami à moi, Mr Perret, de vous faire un plan; mais il me faudrait la longueur et la largeur de l'emplacement.
Rappelez-moi au bon souvenir de votre bonne et excellente mère, que je serais si heureux de revoir.
Croyez-moi toujours en N.-S.,
Bien chère fille,
Tout à vous.
EYMARD.
P.-S. - Il ne faudrait pas cependant que l'offre que vous fais d'un plan pût contrarier, car les architectes sont susceptibles. Des fenêtres ogivales, voûtes idem, un choeur comme une crypte ou demi-circulaire, c'est tout ce qu'il vous faut.
Paris, 4 Mai 1860.
Bien cher Père,
1· J'ai reçu par M. Signoret deux cent francs pour la cire, et sur votre ordre le frère Carrié m'a remis cinquante francs pour cinquante messes à acquitter. Ainsi, vous êtes en règle.
2· Je vous ai mis une note sur la grande lettre du frère Carrié, par laquelle je vous annonçais que le P. Clavel partirait lundi pour Marseille. Vous aurez là un bon religieux: il a bien gagné depuis ses voeux.
3· Je suis aise que M. Golliet s'en aille, car ce n'est pas une vocation eucharistique; il s'abuse sur les Barnabites: on m'a dit que ceux de Paris n'en voulaient pas.
Il était utile pour le quart d'heure du commencement.
Nous ferons aussi le Mois de Marie après le chapelet, nous lirons le Mois de Marie de Belley. Oui, alimentez bien la dévotion à la T. Ste Vierge: c'est la Porte du Ciel, la Reine du Cénacle, la Mère de Jean.
Défiez-vous des gens trop pressés, surtout un peu âgés: rarement on dit toute la vérité. Si son Evêque lui donne, non un exeat (ce qui est un refus), mais le dimissoire, on le promet; quand il aura fait ses voeux, alors on craint moins, parce qu'il reste dans la puissance de son Evêque, qui ne l'appellera à l'ordination que sur notre appel.
Il paraît que la question des habits a ses difficultés, des nuages. Eh bien! faites pour le mieux, attendons!
Une nouvelle. L'administration du chemin de fer d'Orléans a bien voulu accorder à tous les religieux de Très Saint Sacrement la faveur de la demi-place sur ses lignes, pourvu que les religieux aient un certificat du Supérieur muni du sceau de la Communauté, lequel certificat (ou lettre d'obédience) restera entre les mains du receveur de gare.
Ainsi Notre-Seigneur nous fait l'aumône et nous ouvre le chemin: remerciez-le.
Nos amitiés à tous, mes remerciements au bon P. Leroyer de tous ses imprimés: j'en suis bien content, puisque cela fait beaucoup de bien, a fructibus...
Adieu, bon Père.
Tout vôtre en N. S.
EYMARD, Sup.
Tout par Jésus-Hostie d'amour.
Paris, 6 Mai 1860.
Bien chère fille en N.-S.,
Je viens répondre à votre lettre que j'ai lue avec plaisir et attention. J'aime ce laisser-aller: l'état de l'âme se montre plus simplement.
1· Venons d'abord à la paresse; je crois que c'est un peu organique, un peu défaut et aussi beaucoup par trop d'affaires.
Que faire pour s'en corriger? Ne pas renvoyer un devoir essentiel; soutenir ses forces par une bonne nourriture; faire gras, même le vendredi, comme le veut le médecin; ne pas vous priver du sommeil nécessaire. Cela fait, il faut regarder le sommeil comme une tentation, et la crainte de la peine comme un mauvais vouloir de la pauvre nature.
2· Laissez faire le Bon Dieu et vous serez toujours bien servie, ou il vous servira lui-même. Cette petite contrariété de manquer la Messe de Mr l'Abbé était voulue de Dieu. Je suis content de votre nouveau confesseur et surtout que vous soyez entre les mains du divin Directeur qui est le Saint-Esprit.
3· Pas de mortification extraordinaire, ce n'est pas votre affaire. Mais j'aime que vous fassiez celle du baiser la terre; seulement, je voudrais moins de respect humain devant votre mère et que vous agissiez comme vous le feriez seule, sauf ce qui serait trop extraordinaire.
J'aime bien que vous baisiez par respect et amour la statue de la très Sainte Vierge et que vous restiez libre, bien libre, très libre du reste. Excepté: 1· la dévotion au Très Saint Sacrement, mais du coeur; 2· la sainte Communion, c'est la dévotion royale et qui remplace tout; 3· un peu de votre chapelet, au moins une dizaine; 4· quelques petites prières de vieille tradition, et puis voilà tout.
Soyez à Dieu, comme l'oiseau dans l'air et le poisson dans la mer.
4· Votre pharmacie est une bonne charité. Eh bien, il vaut mieux donner à tout ce qui se présente, c'est plus chrétien; puis, le papa en faisant les frais, vous n'avez qu'à donner de bonne grâce et vertueusement.
5· J'aimerais mieux votre chapelle comme le papa la veut, alors qu'il n'y aurait des fenêtres que d'un côté, parce que vous pourriez être plus large et faire un joli choeur.
6· Bonne fille, que vient faire autour de vous cette mouche qui bourdonne sur la vie religieuse? Laissez-la donc bourgeonner; pour vous, vivez de la grâce et des devoirs du moment. Vous n'avez point d'autre grâce maintenant. Soyez vous.
7· Etes-vous insensible? Vous dites: Oui; moi, je dis non: vous n'aimez pas les difficultés, les choses ennuyeuses, voilà tout.
N'accusez pas le coeur, il est bon... mais cette pauvre volonté.
Allons, bonne fille, soyez une bonne Stéphanie, c'est-à-dire une couronne à Notre-Seigneur. Que vous êtes heureuse d'être libre et toute à Dieu! Soyez-Lui bien unie par l'amour de reconnaissance et redonnez-vous mille fois à Lui.
Adieu. Je vous bénis de tout mon coeur en N.-S.
EYMARD.
Paris, 6 Mai 1860.
Bien cher Père,
Je vous envoie le P. Clavel; il est content d'obéir et aussi d'aller vers vous; vous avez toute sa confiance et son affection, servez-vous en pour achever de le rendre parfait religieux. Il nous a bien édifiés: c'est un religieux à la lettre et bien généreux.
Il vous porte trois exemplaires de la Règle que j'ai donnée ici à tous, que j'explique tous les jours au chapitre. C'est celle que j'ai apportée à Rome, que vous avez vue. Assurément, ce n'est pas une Règle parfaite, ni définitive; l'expérience, l'amour de Notre-Seigneur, l'esprit de la Société nous viendront en aide.
Le prooemium, qui est à la tête, vous dira ce qu'elle est dans ma pensée. je serai toujours heureux et reconnaissant de vos observations et de votre fraternelle charité, car nous servons la même cause, nous avons le même Maître, nous avons le même désir.
Tous vous embrassent ici, et vous sont tendrement unis en N. S. et surtout celui qui est
Tout vôtre.
EYMARD.
P. S. - Vous en donnerez un exemplaire au P. Leroyer et prêterez l'autre à M. Bossy, que je regrette bien [de] voir encore indécis.
Paris, 20 Mai 1860.
MADAME ET BONNE FILLE EN N.-S.,
Je viens vous annoncer que je dois prêcher l'octave du Très Saint Sacrement à Tours, dans l'église de Saint-Julien, à partir du dimanche 10, au 17.
Si près de vous, j'ai de suite eu la pensée d'aller après vous faire une petite visite à Nantes.
J'irai vers Notre-Dame du Bon Secours à Rouen et là je lui dirai tout ce que vous lui diriez à cette bonne Mère.
Vous avez cueilli quelques bonnes fleurs à cette retraite, c'est bien: on ne perd rien de rendre son âme plus vigilante; mais vous, faites-la plutôt en Dieu et avec Dieu. Il faut vous éviter et vous fuir, parce que cela vous trouble.
Il y a une idée qui me poursuit sur vous: c'est de vous faire fonder à Nantes, dans votre maison même, une petite famille d'adoratrices. Nous en causerons. C'est peut-être ridicule, mais enfin je vous le dis. Pauvre fille! ne vous inquiétez pas de cette fièvre vers cette ancienne affection, ce n'est que nerveux. Jésus vous suffit, et tout est bon en Jésus.
La Salette! je voudrais bien y aller; mais je suis dans un nuage qui me laisse à peine voir devant moi.
Adieu. Je vous reste bien uni en N.-S.,
Et tout vôtre.
EYMARD.
Tout pour Jésus Hostie.
Paris, 25 Mai 1860.
Mademoiselle et chère soeur en N.-S.,
Ce m'est une grande joie de savoir que vous êtes toute dévouée à Notre-Seigneur en son amour au Très Saint Sacrement. C'est là le motif de mon désir de vous voir et de conférer avec vous, dans mes moments de liberté, de ce qui est notre vie.
Je pars le dimanche de la Trinité pour Rouen, j'y resterai jusqu'au samedi; puis je repartirai pour Tours, où l'on m'attend pour y établir une Association du Très Saint Sacrement. Si vous préféreriez venir à Rouen, là vous pourriez profiter de cette petite retraite et nous nous verrions peut-être plus à l'aise.
Dans ce cas, j'écrirai au bon prêtre chez qui je vais et qui est aumônier d'une communauté, pour le prier de vous y faire recevoir.
J'ai prié ici une petite et simple communauté de famille de vouloir vous recevoir au moins pour quelques jours avec votre bonne. La Supérieure est fatiguée, mais, malgré cela, on m'a fait espérer de vous recevoir pendant cinq à six jours, parce qu'on attend du monde après. - Cela vous facilitera le moyen de me voir plus facilement, étant à côté de nous, rue Faubourg-Saint-Jacques, 66, chez Mlle Guillot.
Ainsi donc, à bientôt.
Que Jésus vous conduise et vous comble de ses bénédictions.
Tout à vous.
EYMARD, Sup.
P.-S. - J'ai été bien heureux de faire la connaissance de l'excellente dame de Mauvise.
Paris, 29 Mai 1860.
Bien cher ami et frère en N.-S.,
Que Dieu soit béni de tout! Mais votre chère lettre me fait faire un bien grand sacrifice. Votre amitié spirituelle était pour beaucoup dans la balance du choix pour Tours; mais ce sera un motif pour moi pour vite arriver le dimanche 10, et jouir au moins quelques heures de votre séjour.
Je vous porterai vos feuilles d'agrégation. Je viens voir Mr le Curé de Saint-Julien, qui tient à ce que je loge chez lui. Ce qui m'est un sacrifice en un sens, car j'aime la cellule du pèlerin, la Sainte Face et son serviteur. Si vous étiez resté à Tours, la chose était emportée; vous en allant, je ne pourrai m'en dispenser.
J'irai dimanche soir passer la soirée avec vous et partager votre pain de frère.
A bientôt donc!
Tout vôtre en N.-S.
EYMARD, Sup.
P.-S. - Mes amitiés, s.v.p., à ma chère famille Rosemberg. Je n'ai pas le temps de leur écrire, mais je les aime bien en N.-S.
Tours, 18 Juin 1860.
BONNE DAME,
Je pars de Tours demain à six heures trois quarts du matin pour Nantes, - au moins par le second convoi. Je vous arriverai directement un peu fatigué du gosier, mais heureux d'aller vous voir.
Tout à vous en N.-S.
EYMARD, Sup.
A Madame de Couchies
à Faij près Nemours, Seine-et-Marne
Paris 22 juin 1860
Madame,
J'arrive de mon voyage et je trouve une lettre de l'excellente Dame Chanuet pour vous. Je vous l'envoie avec tous mes souhaits et mes voeux.
Je ne cesse de prier pour cette grande affaire, et il me semble que c'est la divine Providence qui l'a préparée et la veut. Il y a toutes les garanties voulues et désirables.
Je me mets donc à votre disposition pour cette seconde visite, veuillez m'en dire votre sentiment et me croire en N.S., Madame, votre tout dévoué et respectueux serviteur.
Eymard Sup.
Paris, 24 Juin 1860.
Bien cher Père,
J'ai été bien affligé à la nouvelle de la mort du bon M. Brunello; hélas! si tôt et si promptement! quelle leçon!
Il faut aussi bien nous mettre entre les mains de la Divine Providence, à la vue de cette nouvelle épreuve du P. Clavel: c'est une bien grande peine et une croix, mais qu'il faut porter en sa sainte grâce. Sa bonté qui nous a soutenus si merveilleusement jusqu'à présent ne nous abandonnera pas, et pour un ou deux qui se retirent, elle doublera le mérite et le personnel.
Il me demande une lettre, je l'envoie, car on ne peut retenir les gens malgré eux: il ira, fera l'expérience de ce qu'il perd.
Les trois personnes de Marseille sont donc ici. Mlle Gagnerie, qui était d'abord tout feu et tout bonheur, commence aujourd'hui par craindre et redouter cette vie contemplative, je l'ai un peu remontée; la Delle Bretonne s'y plaît.
La Delle de vingt-cinq ans est une excellente personne, mais elle a une infirmité qui ne permet pas de la garder; elle a une haleine mauvaise à un tel point que les personnes qui sont à côté d'elle ne peuvent ni manger, ni la supporter; puis elle a l'estomac faible, au point qu'elle peut à peine rester quelques minutes à genoux. Son directeur, qui savait cela, aurait d- le dire, et au lieu d'invoquer la charité, commencer par la vérité; cela m'a bien contrarié.
Je n'ai pas besoin, bon Père, de vous redire avec quel plaisir nous nous reverrons tous à Paris; ce n'est pas de la diplomatie qui me fait dire cela, mais bien une charité bien affectueuse et dévouée. Je pense que votre séjour à Paris sera utile pour examiner bien des choses; vous me direz alors de vive voix des observations sur la Règle que je vous ai envoyée avec plaisir, espérant vous en faire un aussi.
Mr Golliet m'a écrit huit jours après sa sortie une lettre assez convenable, mais il ne comprend pas encore sa position civile: cela le regarde.
J'ai été bien content de la Semaine eucharistique que le P. Leroyer m'a envoyée; vous pouvez faire tout cela à Marseille, mais ici on est froid, puis notre chapelle est si petite!
Quelques bruits circulent que l'on travaillera bientôt à notre boulevard. Que Dieu en sot béni!
Mes amitiés à tous les Pères et frères, vous avez celles de tous;
Tous vôtre en N. S.
EYMARD, Sup.
P. S. - J'ai pris des renseignements sur vos affaires chez Mr Marzioux; il n'y a pas encore de dividende, mais il paraît que cela va bien marcher, et que vous en retirerez de grands avantages.
Pas de vocations! Mr de Leudeville a fait se retraite rue de Sèvres, on l'a dirigé vers Rome pour y faire ses études théologiques. Le reste à l'ordinaire.
Que Dieu est bon de vous envoyer le secours de Mlle Marin! Il faut le garder pour vous, puisqu'ici nous sommes les mendiants de Dieu: un peu plus ou un peu moins, cela ne change rien à l'état.
Je désire bien cette expropriation pour nous liquider, car si vous avez des charges, les nôtres ici sont bien lourdes; nous avons aussi des intérêts à payer, des frais énormes d'imposition, etc., etc., jusqu'à présent Dieu a été si bon Père!
La Delle Auzert (celle de 25 ans) n'a pas d'argent pour s'en retourner à Marseille; il faudrait que ses parents lui en envoient.
Paris, 27 Juin 1860.
Bien cher ami,
Votre grande question est enfin décidée! et décidée pour Rome de préférence! Que Dieu en soit béni! Vous avez cherché simplement et généreusement sa divine Volonté; vous lui sacrifiez même vos goûts et votre amitié : en cela, j'en suis content, car: Dieu avant tout!
Cette voie du sacrifice ne trompe pas. Dieu la récompense toujours. Ainsi suivez-la, ou comme préparation, ou comme vocation, selon la grâce de Dieu.
Mon amitié pour vous, cher ami, n'a pas de couleur, ni de conditions; elle était avant, elle sera après, parce qu'elle est en Dieu.
(Ce qui suit est écrit par Mr de Leudeville) :
"Ma visite est venue interrompre cette lettre." (Il a voulu l'emporter néanmoins).
An Frau Tholin
Paris, 28 Juin 1860.
MADAME ET CHERE SOEUR EN N.-S.,
J'arrive de prêcher deux retraites eucharistiques: une à Rouen, l'autre à Tours.
Comme la sainte Eucharistie est lumière et vie, amour et force! Les âmes pieuses sont accourues aux exercices de la retraite et j'espère que Notre-Seigneur en tirera un peu de gloire et ces bonnes âmes quelque profit.
De Tours, je suis allé à Nantes où l'on nous désire un peu pour un établissement, mais nous sommes encore trop petits et trop faibles.
J'ai été bien surpris, en recevant votre lettre; je croyais vous avoir écrit avant mon départ, il y a trois semaines, et il paraît bien que non.
Ce que vous me dites de Saint-Chamond me fait plaisir; c'est ma ville de prédilection où j'ai le plus travaillé; aussi je suis heureux de savoir que l'adoration y prospère. Assurément, j'y retournerais avec joie pour cette retraite eucharistique, si, toutefois, la question des Pères Maristes ne devait pas être un obstacle et même une peine. Pour ma part, je les aime toujours autant et j'irai les voir, ces bons Pères, avec plaisir. Ces petites questions de corps ou d'influence sont si laides et si misérables que de les soupçonner me ferait mal; ne sommes-nous pas tous les soldats de Jésus-Christ? avec un uniforme varié, voilà tout. Mais n'est-ce pas le même Maître, la même table? Il me semble que toutes ces pensées personnelles, ou d'honneur de corps, ne sont pas dans mon coeur, ni chez vous.
On m'a demandé à Lyon; c'est bien plus près que Saint-Chamond.
Quant à l'Agrégation de Saint-Chamond, je conseillerais à Monsieur le Curé de n'en faire qu'une grâce ajoutée à son oeuvre et non pas une oeuvre à part; et alors ce ne serait qu'un encouragement et une sanction de faveur pour le règlement établi: c'est ce que nous avons fait à Rouen et à Tours.
Je ne désire pas que Monsieur le Curé m'écrive, cela pourrait le gêner. Je comprends sa position délicate.
Je désire bien que Mademoiselle Hervier obtienne de grandes indulgences; mais je crains qu'elle n'ait pas toutes celles qu'elle pourrait désirer.
Je suis heureux de voir que vous avez su prendre votre parti pour votre santé; les petits soins sont une grande mortification; aussi, faites-la.
Que Dieu bénisse vos chers enfants, votre excellent mari, et vous, bonne fille, vous remplisse, vous comble de ses bénédictions d'amour et de tendresse.
Je suis, bonne soeur, en sa divine charité.
Tout à vous.
EYMARD.
P.-S. Ici, tout va bien à l'ordinaire et moi aussi; seulement le bon Maître daigne me donner bien de l'ouvrage.
Paris, 1er Juillet 1860.
Bien cher Père,
J'ai reçu votre lettre renfermant un billet de 100 fr., dont 20 fr. pour des messes. Je vous en remercie; c'est notre Providence du moment.
Le P. Clavel est donc parti! C'est une épreuve que Dieu nous envoie; serait-ce une punition, il faudrait la prendre en bon esprit de pénitence.
La conclusion de votre lettre est, je pense, dictée par la peine que vous avez dû ressentir; c'est ainsi que je l'ai reçue et lue.
Je ne puis vous envoyer ce jeune aspirant, c'est top tôt; puis comment continuera-t-il ses études classiques à Marseille? Ici, il travaille beaucoup, et je suis donc bien peiné! Votre première lettre du 25 me disait d'attendre encore, et j'ose vous dire que c'était bien forcé, puisque je n'avais pas de quoi lui fournir les frais de son voyage; et encore aujourd'hui, je n'ai que vos 80 francs.
Nous allons bien prier pour que Dieu nous donne quelque moyen. Je suis sur le point de renvoyer un des frères nouveaux, qui ne paraît pas avoir bon esprit.
Melle Gagnerie doit partir vers mardi; je n'ai rien à dire sur sa vocation, sinon qu'elle n'en a pas l'ombre, ni la volonté, et que l'on ne peut rien faire avec sa trempe d'esprit et son caractère si changeant; elle vous dira ce qu'elle voudra, mais pour moi elle me paraît dangereuse, même dans une communauté.
Melle Marie fait se retraite, au milieu de toutes les bourrasques de Melle Gagnerie; elle recueillera, je crois, les fruits de ce voyage; elle me paraît avoir la vocation.
J'ai vu aujourd'hui encore Mr d'Herceville, associé avec Mr Marzioux. Vos 1000 fr. sont bien bons avec l'intérêt, mais les actions de l'Union Maritime n'ont encore aucun dividende.
On vit d'espérance.
Rien de nouveau pour l'expropriation; nous ne saurons quelque chose de fixeé dit-on, que vers le mois de septembre.
Je vous laisse en N. S., cher Père.
EYMARD, S. S.
A Monsieur Rattier, frère de Mme de Couchies
Paris 3 juillet 1860
Cher Monsieur Rattier,
Je vous adresse sous ce pli la lettre que m'a écrite M. Chanuet, vous y lirez toute son âme et son bonheur.
Je suis revenu de Faij comme on revient d'un parterre délicieux, embaumé que j'étais du parfum de la piété et de la si douce amitié qui m'environnaient. J'en conserve avec bonheur la douce pensée et si j'osais dire, la douceur.
Dieu a tout fait - il couronnera son oeuvre et nous serons tous heureux.
Je reste en N.S., cher Monsieur, Tout vôtre.
Eymard Sup.
Paris, 3 Juillet 1860.
Cher Père,
Je suis bien en peine de vous. Il m'est venu en pensée de vous envoyer le frère Martin, diacre; il est vrai, il nous rend ici de bien grands services; il est excellent jardinier, et cette année notre jardin est bien plein; mais votre nécessité doit passer avant notre utilité. Il partira demain mercredi, et vous arrivera jeudi dans l'après-midi, vers le soir. Il est plein de bonne volonté et va vers vous avec plaisir. Je lui ai dit que vous seriez un bon Père, et il faut que vous le soyez pour être un bon supérieur en J. C. Il n'est pas parfait, tant s'en faut, vous n'en trouverez point en ce monde. Aussi faut-il se servir des hommes comme on désire qu'ils soient, et les rendre bons comme la grâce qui est en eux.
Vous avez été dans l'épreuve; mais, cher Père, pensez aux épreuves de Paris et prenez confiance; soyez grand et bon dans l'épreuve, c'est le jour de la gloire de Dieu. Vous me parlez de fixer pour les voyages les troisièmes absolument. J'y répugne, je vois les autres Corps ne pas le faire. Souvent ce n'est pas convenable, ce serait quelquefois trop pénible. Mon sentiment est donc entre les secondes et les troisièmes. Je laisse les troisièmes au choix de la vertu.
Il ne faut pas, mon cher Père, sur un champ de bataille attaquer son voisin, parce qu'on a reçu une blessure. Nous ne sommes pas des Anges, mais des hommes faibles, et plutôt dignes de compassion, toujours de miséricorde.
Parce que quelqu'un sort, ce n'est pas toujours la faute du Supérieur; il peut être coupable, mais cependant le sortant l'est davantage. Allons! que la grâce domine la nature et la confiance l'épreuve.
Dieu sait combien je désire le bien de votre maison et la consolation de votre coeur: c'est là ma prière habituelle.
Je vous suis bien uni en N. S., cher Père.
Tout vôtre.
EYMARD, S. S.
Paris, 7 Juillet 1860.
Bien cher Père,
Je viens vous accuser réception de votre lettre chargée, et vous en remercier.
Mr Ménage vous enverra vos deux factures, elles n'étaient pas prêtes.
Je pense que vous aurez reçu le frère Martin, il était bien content d'aller à Marseille; il est généreux.
Nous sommes en retraite du mois. Soeur Benoîte est à Lyon pour régler des affaires de famille; elle est bien souffrante; si Dieu ne la soutenait pas, elle serait morte depuis longtemps.
Amitiés de tous et à tous.
Tout à vous en J. C.
EYMARD, S. S.
Paris, 8 Juillet 1860.
BIEN CHERES SOEURS,
J'ai reçu vos lettres avec grand plaisir, car tout ce qui vous touche m'intéresse bien. Je vois avec reconnaissance que le Bon Dieu vous est venu en aide pour un bon fermier; ainsi, ayez toujours bien confiance en sa paternelle Providence et il ne vous laissera manquer de rien.
Vous devez recevoir une bonne visite de Mr Ratel, de Tours, qui va à La Salette avec sa pieuse dame.
L'excellente Madame Marceau, mère de ce saint commandant dont je vous ai souvent parlé, veut vous envoyer une petite image; ce n'est pas celle d'un saint, mais d'un pauvre prêtre qui veut le devenir.
Nous avons échoué dans notre demande pour la mère Oddoux ; on avait réussi auprès de Mr le Ministre, puis le colonel de son régiment a tout arrêté.
Nous avons essayé d'un autre côté.
Je ne sais, chères soeurs, quand je pourrai aller à La Mure; je suis si occupé que je n'ai pas un moment; ce ne serait que dans le cas où j'irais à Marseille. Ce sont les sacrifices que Dieu demande; il me serait assurément bien doux de vous voir et de converser un peu avec vous sur notre belle Oeuvre que Dieu bénit toujours.
Je suis allé donner une retraite du Saint Sacrement à Rouen et une à Tours; Dieu m'a bien consolé dans ces deux villes.
Ma santé est bonne.
Adieu mes chères et bonnes soeurs; à vous la mission de prier, et à moi celle de prier et de prêcher N.-S. J.-C.
Tout vôtre
EYMARD, Sup.
Paris, 9 Juillet 1860.
BONNE DAME,
Hier, saint Camille, j'ai pensé bien à vous, et je voulais vite vous l'écrire parce que j'ai pensé que c'était votre belle fête et fête. J'étais tout content de cela, quand je n'ai pas eu le moment de vous écrire.
Je trouvais que vous étiez bien paresseuse, car c'est bien moi qui avais le droit premier: vous me deviez.
Puis voilà donc ces vers à soie encore manqués! ce sera peut-être la dernière fois; il ne faut pas pourtant vous décourager, Dieu vous rendra en une fois tout le passé.
Je vous portais envie avec vos belles et aimables montagnes, ces échelles du Ciel; le Ciel est plus beau du haut des montagnes; l'âme est plus près de Dieu.
Vous avez lu de bien bons livres; il en est un excellent et toujours nouveau: c'est celui que Dieu a écrit sur toutes les plantes, sur tous les grains de sable, dans vous-même, c'est le livre de l'amour divin. Faites donc honneur à ce beau livre et ajoutez-y quelques pages d'admiration et de reconnaissance. Lisez tous les livres en celui-ci et interprétez-les tous avec sa lumière, et vous aurez la clef de la science des créatures et de Dieu lui-même.
Si vous saviez combien Dieu vous aime! Vous en seriez fière et presque orgueilleuse. Si vous connaissiez bien votre grâce, comme vous seriez riche! Allons! bonne fille! il ne faut pas pleurer ni se traîner à la suite d'un si bon Roi que le Roi de l'amour, Jésus!
A mesure que la prison tombe en ruines, le prisonnier temporaire doit se réjouir, sa réclusion sera finie.
Tâchez de m'attendre, pour ne pas arriver trop avant moi vers le Père céleste; mais aidez-moi, car j'ai bien à faire encore. Votre bonne Mathilde est en voyage? Je voudrais bien qu'elle passât par Paris. Quand vous verrai-je? Je n'en sais rien; l'Ange ne sait rien d'avance, le serviteur non plus. Je suis là comme le planton du Bon Dieu, heureux d'être à ses pieds, et là je pense à vous et à tous les vôtres.
Adieu, je vous bénis et suis, en N.-S.,
Tout vôtre.
EYMARD, S.
(*) Ces mots sont typographiés.
Paris 11 juillet 1860
Tout pour Jésus-Christ
Madame et chère soeur en N.S.
Soyez en paix et repos pour votre bon Charles! Il est toujours digne de sa mère, de sa piété, de son amour, il est toujours bien sage, je le vois souvent, il n'y a que deux jours que je l'ai vu, à son ordinaire le samedi.
Sa santé n'est pas mauvaise, je lui ai dit, comme vous, de prendre une côtelette le vendredi, puisqu'il sent un peu de faiblesse; il m'assure aller mieux.
Seulement je lui fais la guerre pour qu'il ne se couche pas trop tard, ainsi que c'est la triste et mauvaise habitude à Paris, car il faut qu'il dorme. Je veille sur votre bon Charles, bonne Dame, ainsi ne vous tourmentez pas.
Je vous vois bien triste dans votre lettre. Je comprends que l'éloignement de votre bon Charles en est la cause, mais ce qui me console, c'est que vos craintes ne sont pas fondées, puisque vous aimez bien le Bon Dieu. Vous me parlez du Coeur de Jésus, vous me réjouissez bien l'âme, car c'est là le trésor de l'amour divin et le moule. Prenez-le bien où il est, dans la divine Eucharistie: tout vivant, tout brûlant, tout bonté. Malheureusement ce divin et aimable coeur n'est ni connu, ni aimé, même par beaucoup de personnes pieuses qui s'amusent à mille petites dévotions, bonnes en soi, mais négligent celles qui doivent être la vie et la fin de toutes. Le Coeur de Jésus qui a fait le Calvaire et l'Eucharistie.
Vous n'êtes pas sages, à Lyon; on me dit que M.M. les Curés ont prié son Eminence d'ajourner l'exposition promise; ils redoutent les dépenses; les tentures, les cierges; ils redoutent qu'il n'y ait pas d'adorateurs; voilà qui est beau pour Lyon! quand les pays qu'on regarde comme païens, en parallèle avec Lyon, se réveillent, s'enthousiasment pour l'adoration; même le triste diocèse de Versailles. Il paraît qu'on a grand peur que la petite Société du T.S. Sacrement aille élever un trône à Jésus à Lyon; pauvres gens! Le jour et l'heure où Jésus, notre grand Roi, aura dit: Je veux avoir une maison à Lyon, il y en aura une, malgré, eux ou plutôt appelée par eux, car J.C. est toujours le Maître.
En attendant, je vous garde votre vieille place, je prie beaucoup pour vous, je vous bénis, vous, votre cher mari, et suis en N.S., Bonne Dame, Tout à vous.
Eymard.