LA
QUARANTAINE Arrivés devant la baraque à laquelle nous sommes affectés, un «sbire» bien gras, chaussé de bottes de cuir, nous attend. C'est le chef de block («Blockältester») entouré de son secrétaire («Schreiber») et de ses hommes de chambre («Stubedienst»), tous droits communs». Alignés au garde à vous dans la nuit froide, vêtus de notre chemise et de notre caleçon, nous subissons sa harangue, bien entendu en allemand, pleine de menaces et d'injures, vomissant constamment le mot «Krématorium». La baraque ou block est divisée en deux chambres ou stube. Un par un, nous pénétrons dans la stube qui nous est désignée, et le chef de bloc procède à la distribution des vêtements qui ne sont autres que d'extravagantes guenilles: vestes bleues ou vertes, pantalons rouges ou kaki, généralement d'anciennes culottes de cavaliers, puis des bérets ridicules et grotesques. Ainsi affublés, nous avions peine à nous reconnaître. La capacité des baraques, conçues pour abriter normalement soixante personnes, en réceptionnait trois à quatre cents. Dans la pièce, pas de lit, seulement des paillasses de faible épaisseur et distribuées le soir pour s'allonger sur le plancher. Nous nous couchons sur le coté droit, tête bêche (en sardines), tassés les uns contre les autres, nos hardes servant d'oreillers. La couverture se partageant à cinq. Le «Stubedienst» prend un malin plaisir à courir sur nos corps, la stube étant dépourvue d'allée centrale. Nous sommes tous mélangés sans distinction de nationalité. Il est difficile de trouver son sommeil, car l'incommodité du couchage entraîne des cris et des bruits qui sont aussitôt dissipés par l'arrivée des capos piétinant et frappant au hasard. L'hiver, les fenêtres sont retirées pour aggraver la mortalité; malheur à celui qui est obligé de se lever la nuit: les corps se sont étirés et, à son retour, il lui est impossible de récupérer sa place. Le matin, à 5 heures, réveil: les paillasses remplies de vermine et de poussière sont rangées. Une journée va commencer... |