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LES DOUCHES

Nous voilà parqués au garde à vous, à droite du portail, devant un bâtiment en pierre muni d'un escalier descendant à un sous-sol. Autour de nous s'agitent des personnages bizarres, vêtus de costumes rayés de bleu et de blanc, au numéro cousu sur le coté gauche de la veste et coiffés d'une cas­quette plate. Certains sont muni de matraque renforcée d'un câble appelée «Goumi», et ces hommes sont les «capos» ou chefs, voués aux ordres des SS, ayant le droit de vie ou de mort sur nous tous. Des officiers SS, accompagnés de chiens, arrivent, menaçants, nous invectivent. Dans leur jargon, ils vomissent sans arrêt les mots «communistes» et «crématorium». Ordre est donné de nous dévêtir; on doit remettre argent, bijoux, tout ce qui nous reste, et nous sommes précipités par l'escalier dans une grande salle éclairée où des hommes en blouse blanche, assis derrière des tables, nous attendent. Ce sont des médecins. Ils nous interrogent sur nos antécédents pour savoir si nous ne sommes pas atteints de maladies contagieuses qui entraînent irrémédiablement la mort. Bousculés, nous entrons dans une autre salle plus éclairée encore, aux mura recou­verts de mosaïques blanches et servant aussi bien de douches qua de chambre à gaz. Là, nous sommes rasés de la tête aux pieds et enduits au, pinceau de pétrole en guise de désinfectant; sous la douche tantôt glacée, tantôt  brûlante, nous essayons quand même d'étancher notre soif. Tondus, lavés, dépouillés de tout, on nous distribue une chemise, un caleçon rayé, une paire de claquettes en bois, et on se retrouve, toujours alignés par cinq, dans l'ave­nue intérieure, bordée de baraques et qui servait de place d'appel. A la nuit tombante, de puissants projecteurs illuminent le campo. Du haut des miradors, les hommes de garde braquent leurs mitrailleuses sur nous. Nous sommes entraînés par les «capos» scandant les pas: «links, zwei, drei, vier» (1, 2, 3, 4), dans cette nuit hallucinante, dans ce décor dantesque, respirant l'odeur de chair humaine brûlée, vers un groupe de baraques entouré d'un réseau de barbe­lés qui était réservé aux nouveaux arrivants et que l'on nommait «la quarantaine».