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La Seyne, 19 Mai 1855.
Mademoiselle et chère soeur en N.-S.,
Votre bonne lettre a ravivé tous mes vieux sentiments de guerre. N'admirez pas ce qui est si naturel: pendant quinze jours nous avons fait une retraite militaire aux soldats du 43e. Quelle consolation pour moi de donner 400 scapulaires à ces braves, 5 à 600 médailles, livres, etc.! Nous les avons chargés surtout de prières et de bénédictions.
Comme c'était beau de voir notre église pleine de ces martyrs futurs, de les voir à la Table sainte, - et déjà un grand nombre ont succombé sur le champ de bataille. - Pauvres soldats, ou plutôt heureux soldats à la double couronne! Le soldat français est chrétien! il faut le voir au milieu du danger, il n'y a plus de respect humain.
Je pense comme vous sur la croisade d'Orient; pour moi, c'est la guerre de Dieu, de la vérité contre l'erreur, l'esclavage, la tyrannie. Il faut des sacrifices, du sang chrétien pour enfanter des générations nouvelles. L'épée du Seigneur ne rentrera dans le fourreau qu'après la victoire; il me semble que c'est là l'aurore du grand siècle.
Je prie beaucoup pour le bon et cher Mr Foloppe; bien volontiers je dirai neuf messes pour lui, et à partir du 22 mai, pour finir à la fin du mois de Marie. Je regrette de recevoir l'honoraire, puisque vous le voulez, veuillez le remettre à Mr Gaudioz, papetier, place Leviste, 10; ou au P. Poupinel.
La vie de notre bon et cher ami a dormi; on prend encore des notes; - je vais cependant me secouer un peu.
Pourquoi n'avez-vous pas suivi votre bonne inspiration vers Toulon? C'est court; quelle agréable surprise! que de choses à dire! Je n'y renonce pas encore tout à fait.
Pensez toujours à votre pauvre serviteur devant Dieu. Mon âme est un peu comme mon corps: que m'importerait la dissolution de cette misérable machine, si mon âme était bien agréable à Dieu! Je vois bien que la plus grande richesse est de s'envelopper du manteau de la miséricorde divine, comme ces deux braves zouaves qui se couchèrent sur le drapeau qu'ils venaient de conquérir et y expirèrent.
Volez toujours un peu de temps pour me dire que vous êtes encore de ce monde.
A Dieu...
Tout à vous en J.-C.
EYMARD, P.M.
La Seyne, 19 Mai 1855.
Ma chère fille,
Je reçois une lettre de Nanette désolée, elle vient de perdre son frère, qui lui laisse sur les bras et sans ressource trois enfants, un petit de deux ans, deux petites filles dont l'une à dix et l'autre six. Nanette me prie de voir si à Lyon il n'y aurait pas moyen de placer dans quelque orphelinat ou providence ces deux petites, ou au moins une: veuillez vous enquérir de cela, j'ai perdu de vue ces maisons, et j'en ai presque oublié le nom; et quelles seraient les conditions.
J'ai reçu votre dernière lettre, que j'ai lue avec un grand plaisir. Je l'ai reçue le jour même de la Pentecôte, avec mon don de Conseil, et ce jour-là même, j'avais eu pour mon lot, le don de Force; ah! que j'en ai besoin de force! Si Dieu veut cette pensée eucharistique je la veux de tout mon coeur, et comme il la veut, et toujours. Mais quelquefois, la nature est au jardin des Oliviers. Je prie, j'attends, je m'abandonne à la grâce de Dieu.
Pour votre maison à acheter, si le P. Hug. a 50.000 fr., comme il le dit, ce serait très-bien.
Savez-vous où nous en sommes pour l'Oeuvre eucharistique? - Au jardin des Olives, n'ayant en expectative que la grotte de Bethléem. Les 60.000 qu'on avait promis pour commencer ont passé ailleurs, c'est une bonne chance de succès. Il faut bâtir sur la pauvreté, l'humilité, l'amour.
Adieu, bonne fille.
Toujours tout à vous en J.C.
EYMARD.
La Seyne 19 mai 1855
Madame et bien chère Soeur en Marie,
Je commence seulement à payer mes vieilles dettes, hier j'ai commencé par Melle Elisabeth, aujourd'hui c'est à vous; que d'autres vont rester à Vaise! Depuis quelques mois j'avais résolu de faire faillite, tant ma misère était grande, cependant je vais essayer de vous donner un à compte. Je tiens trop à vous devoir et à recevoir de vos nouvelles.
Merci d'abord, de votre bon souvenir. Vous savez combien votre famille m'est chère! Cette famille du bon Dieu et de la Sainte Vierge - que Jésus visite de temps en temps avec sa petite croix, parce qu'il aime à s'y reposer, à y faire un séjour de Béthanie.
Oh! que vous êtes heureuse, ma chère fille, d'avoir su apprécier les grâces de votre position, d'avoir préféré votre solitude au bruit étourdissant du monde, votre maison aux plaisirs et aux fêtes des villes, votre Nazareth à tout. C'est la belle part dans les grâces de la bonté divine.
Aimez donc bien le petit jardin que Dieu vous a confié. - Il y a mis les fleurs de toutes les vertus.
Servez toujours bien le bon Maître en esprit de douceur, de confiance et d'amour.
La douceur doit former le caractère de votre vie, c'est la Reine des vertus, et, comme l'a dit le bon S. François de Sales, être doux au milieu des épreuves et des tribulations, c'est être parfait.
La confiance doit être l'âme de votre humilité, de vos prières, plus je suis faible, dit S.Paul, plus je suis fort en celui qui me fortifie.
L'amour, voilà la fin, le centre, la couronne de tout.... C'est par amour que vous devez faire ce qui vous coûte le plus, aller à la croix comme à la Cène eucharistique, faire oraison...et être à tous.
Mais ne regardez pas trop vos misères - laissez la vue de vos progrès - l'amour divin est comme un abîme, plus on aime, plus il est profond.
Je suis heureux de savoir que vos chers enfants vont bien à S. Chamond. C'était temps, voyez! Combien Dieu vous aime!
Adieu, ma bonne et chère Soeur, pardonnez-moi ma paresse et croyez-moi toujours en N.S.
Votre tout dévoué.
Eymard P.m.
La Seyne 21 mai 1855
Madame et chère soeur en Marie,
Vous avez bien voulu m'écrire deux fois, il est bien juste que je vous réponde au moins une, depuis longtemps je ne réponds guère aux bons souvenirs que j'aime cependant bien devant Dieu; je suis devenu paresseux.
Je suis heureux d'apprendre que vous êtes heureuse sous la conduite du bon P.Marcel: c'est votre Ananie: Soyez bien obéissante et vous arriverez, tout doucement, à la sainteté de votre état.
J'aime beaucoup ce que vous me dites de la lampe eucharistique et surtout que vous voulez être cette lampe solitaire, qui brûle et se consume au service intérieur de Jésus; soyez ainsi et vous aurez la part de la Madeleine, de la T.Ste Vierge au Cénacle et devant le divin Tabernacle; priez pour moi; je le fais pour votre chère âme, pour votre cher enfant que j'aime beaucoup et pour votre bon et pieux mari que j'aime comme mon frère.
Adieu, Madame et chère soeur. Toujours tout à vous en N.S.
Eymard S M.
La Seyne, 23 Mai 1855.
Il y a longtemps, ma chère fille, que je voulais vous écrire. Je le fais avec plaisir en ce moment où l'on couronne notre bonne Mère du Laus. J'aurais eu une grande joie d'en être l'heureux témoin. Je le suis d'ici, et j'applaudis de tout mon coeur à toutes les bénédictions données à l'auguste Reine du Ciel par ces milliers de fidèles qui remplissent la vallon céleste.
J'ai lu et relu votre dernière lettre; je bénis Dieu de cette bonne Retraite, qui sans doute aura fait beaucoup de bien. J'en ai écrit au Père Huguet (sans parler de vous). Dans ce cas-là, votre retraite à vous, ma bonne fille, est de prendre à la volée tout ce que vous pouvez, puis d'être à tout et à toutes en l'amour de Notre-Seigneur qui vous veut sa servante; et vous devez alors être plus heureuse de l'avancement de vos soeurs que du vôtre.
Que Marie est bonne ainsi à ses filles de si grandes faveurs spirituelles!
Pour votre petit compte-rendu, c'est bien. Avec le Père Hug., accordez, condescendez, acceptez l'humiliation, il n'y aura alors pas de guerre possible; faites votre profit spirituel de tout, puis, dans votre vie intime, dans vos voeux, suivez les anciennes règles.
Quelle bonne idée de vous mettre sous la direction de Saint-Joseph! Suivez bien les conseils de ce grand Patron et protecteur des âmes intérieures, et il vous dirigera bien dans l'esprit et les vertus de Jésus et de Marie. Surtout, ma pauvre fille, soyez bien petite, bien mendiante, bien pauvrette aux pieds de ce bon Saint.
Nourrissez bien votre intérieur de l'esprit de mortification et de détachement, afin de mourir à cette vieille nature. Mettez votre piété dans l'union à Notre-Seigneur, afin de perdre votre vie en la vie de ce divin Epoux de votre âme. Aimez à avoir une petite cellule au Cénacle et sur le Calvaire, foyers divins de l'amour, et Notre-Seigneur sera content.
Parlons maintenant de la grande Oeuvre du T.S. Sacrement, elle est toujours dans [la] terre, où elle pourrit. J'ai envoyé les Constitutions au Laus, afin qu'on les mette aujourd'hui sur l'autel privilégié de Marie, et que l'on en fasse un bouquet d'amour à cette bonne Mère.
Ce même jour, je l'espère, elles arrivent à Rome, à un ami puissant pour les examiner: vous voyez combien vous devez prier.
Quelle sera la fin de tout cela? Je n'en sais rien. Quelle forme prendra la pensée eucharistique? Celle que voudra Notre-Seigneur par Marie. Je prie et je conjure ce bon Maître d'agréer cette pensée, ce désir, et de permettre à ce petit grain de froment de s'élever devant son divin Tabernacle.
J'ai reçu la réponse du T. R. P. Favre, il renvoie aux vacances son examen; en attendant, il me fait, ce bon Père, de bien sages réflexions, qui paraîtraient même sévères, s'il n'était pas Supérieur Général; il a bien raison, sans doute, la chose vue sous un aspect ordinaire. Je n'ai pas répondu, j'attends, je prie, et cette pensée, tout en me crucifiant, me fait une douce plaie au coeur.
Je fais comme vous pour votre maison: vraiment, il est bien a désirer que vous achetiez une maison, si vous aviez l'argent prêt: il n'y a rien à perdre.
J'aimerais bien que Dieu choisît Lyon pour la première maison du T.S. Sacrement, et surtout la maison Nolaque. Tout serait prêt. Savez-vous combien on voudrait de cette maison?
Adieu, ma bonne fille, je ne vous dis rien de moi, sinon que je dois bien remercier Dieu et sa Sainte Mère de pouvoir aller toujours. Je croyais, il y a huit jours, qu'une affection de poitrine qui me fatiguait allait s'aggraver, et voilà qu'elle s'en va.
Mes amitiés fraternelles à toute la Maison de Nazareth.
Tout vôtre en N.-S.
EYMARD.
P.S. Veuillez, s.v.p., remettre à Mr Gaudioz l'argent que vous avez, afin qu'il le garde pour payer les lithographies.
Cher ami,
Mr Cat m'a fait espérer que j'aurais le plaisir de te voir ici aux vacances. Je t'en remercie d'avance; ce sera pour moi un grand plaisir, je serai heureux de te recevoir, et le plus tôt sera le meilleur.
J'ai eu l'occasion, il y a près d'un mois, de voir ici un de tes paroissiens de Malbuisson. Nous avons causé de toi et de ta paroisse; il paraît que l'on est bien heureux de t'avoir pour curé.
Si j'ai le bonheur d'aller à Notre-Dame du Laus, j'irai te voir en passant et nous causerons à notre aise.
Que te dire d'ici? Pas grand-chose. Tu sais ce que c'est qu'une maison d'éducation, ce sont de petites choses qui se succèdent sans cesse. Cependant, nous avons bien à remercier Dieu. Notre maison va bien; nous avons 114 élèves, tous jeunes. C'est une grande mission à faire, car l'éducation des familles non chrétiennes (et c'est le grand nombre) est si viciée!
Je vais t'apprendre une nouvelle qui te fera peut-être grand plaisir. C'est qu'en ce moment commence un Ordre nouveau, magnifique par la pensée qui le forme: l'Ordre du Très Saint Sacrement, l'Adoration perpétuelle.
Et, chose étonnante! tous les autres mystères de la vie et de la mort de Notre-Seigneur ont eu leur corporation religieuse, et le plus grand de tous les mystères n'en a pas eu. Cette nouvelle Société me plaît beaucoup. Quand tu voudras te retirer du monde, voilà, cher ami, ton affaire, ta belle part.
Donne-moi de tes nouvelles et des nouvelles de nos anciens amis, cela me fera grand plaisir; et conserve-toi pour la gloire de Dieu.
Adieu, cher ami.
Tout à toi in Christo.
EYMARD, Sup. du Pens.
La Seyne, 28 Mai 1855.
MADAME ET CHERE SOEUR EN N.-S.,
Que vous avez été heureuse! Voir Rome catholique, le Pape avec la foi et la piété chrétienne: c'est vraiment la faveur des faveurs. Aussi en voilà pour toute votre vie à vivre de pieux souvenirs! Gardez-les bien; ils aident à servir Dieu, à devenir généreux.
Dieu vous a bien conduites comme des enfants; tout réussit à ceux qui l'aiment et qui le cherchent en esprit de simplicité. J'ai été heureux d'apprendre votre retour sain et sauf; j'espérais un peu de vous voir revenir par Toulon et je me faisais une fête lyonnaise de votre visite. Dieu ne l'a pas voulu.
Vous voilà, ma chère dame, fille et soeur, tous les titres que vous voudrez, vous voilà à Saint-Romans, au milieu de vos vers à soie, puis de la campagne et de la paix; jouissez-en bien, et surtout que Dieu bénisse vos petits êtres soyeux. C'est bien là l'image de la vie chrétienne: graine inerte, état de mort, éclosion, résurrection, vie, ascension, travail, palais, et pour nous le Ciel. Quelle belle leçon d'humilité nous donnent ces vers! ils font les plus belles choses sous la forme la plus misérable.
Quand le prophète David comparait le Divin Messie Rédempteur à un ver, il le mettait au dernier rang des êtres; et c'est là ce Ver divin qui nous a revêtus de sa gloire et nourris de sa substance.
Mais qu'est-ce que je fais là, avec vos vers, au lieu de vous dire de bien vous soigner, de devenir une sainte, de bien prier pour moi et tous les miens, de me rappeler au bon souvenir de votre chère fille que je recommande toujours bien à Notre-Seigneur, afin qu'elle soit votre joie et votre couronne?
Adieu, bonne et chère soeur, vous m'écrirez bien encore d'ici aux vacances, nous nous verrons si Dieu le veut.
Tout à vous en N.-S.
EYMARD, P. M.
La Seyne 5 juin 1855
Madame et chère soeur en N.S.
J'admire comme Dieu a mis sur votre voyage quelques épines douloureuses et bien imprévues, alors que tout semblait heureux et avantageux! Que faire ? Voir Dieu et voiler la face humaine qui est devenue l'épine; si j'avais eu le temps d'arriver comme le télégraphe, je vous aurais dit: faites votre affaire vous-même - mais c'est fini- Dieu vous comptera vos désirs pour la réalité. - Croyez avoir réussi - et remettez votre âme en paix et en solitude - et abandonnez-vous entre les mains de la divine Providence - ah! quand donc ce cénacle de paix, d'oraison et d'amour sera-t-il donc ouvert! prions bien.
Pour les dessins du mois Eucharistique, je n'ai encore pu m'en occuper, nous verrons. Nous sommes près de nos examens et je suis très occupé; mais je serai toujours à votre service.
Je crois que votre lithographie en dépôt aura toujours sa vente, ne vous en inquiétez pas.
Adieu, ma chère soeur, confiance.
Tout à vous en J.C.
Eymard S.m.
L.J.C.
La Seyne, 5 Juin 1855.
Cher Monsieur et frère en Marie,
J'ai reçu votre aimable lettre du 18 mai. Je me suis vite empressé d'agréger l'enfant dont vous me parlez. Je désire bien que la Très Sainte Vierge l'ait prise sous sa protection et conservée à l'affection de sa chère famille.
Oui, cher ami, j'ai prié pour vous et votre grande oeuvre. Quand Dieu inspire à quelque âme qu'il aime la pensée et la mission de la prière, c'est preuve qu'il veut accorder quelque grâce, quelque faveur. L'inspiration de la prière vient du Saint-Esprit, et le Saint-Esprit prie avec nous et en nous.
Ainsi vous priez pour la pensée que je vous ai dite, et moi, je prierai bien pour la vôtre. Dieu prépare de grands événements pour le salut des hommes et pour la gloire de Jésus-Christ notre Sauveur. Bientôt viendra le temps où la parole à deux tranchants de Jésus-Christ confondra l'erreur qui serpente partout, dissipera les ténébreux abîmes des méchants, où, comme dans un conseil infernal, ils machinent contre Jésus-Christ et son Eglise, contre les principes de justice et d'équité, contre tout homme de bien.
La Toute-Puissante Vierge Immaculée paiera sa fête au monde catholique, comme nous l'avons célébrée.
Et vous, cher frère, faites toujours du bien et devenez un grand saint entre les mains de Jésus et de Marie. Adieu.
Tout à vous.
EYMARD.
à Leudeville, près Marolles-en-Hurepoix (Seine-et-Oise).
La Seyne, 11 Juin 1855.
Bien cher ami et frère en N.-S.,
Réjouissons-nous, l'oeuvre de Dieu commence et elle commence à s'enraciner sur le calvaire; tout va bien, on souffre avec joie et on désire souffrir davantage pour l'arroser avec plus d'abondance du sang divin de Jésus-Hostie. Nos quatre frères sont de plus en plus éprouvés, deux ont été renvoyés par leur directeur, qui ne veut pas même les absoudre sans rétractation; on se moque d'eux. C'est une tempête et eux souffrent comme des enfants de J. C. et n'en sont que plus fermes dans leur résolution. Ils valent mieux que nous.
Pour nous, j'ai reçu la réponse à ma seconde lettre, le T. R. P. Général me dit:
"Vous êtes mariste avant tout; la société, c'est votre barque de salut. Soyez donc si prudent qu'on n'ait pas même l'ombre d'un prétexte pour vous accuser de vous occuper plutôt d'une oeuvre qui n'est qu'un projet, qui n'est pas la vôtre, que de celle à laquelle vous vous devez tout entier par votre consécration absolue et irrévocable. Le mieux est souvent ennemi du bien."
Puis il m'annonce qu'il viendra à la Seyne vers la fin du mois; or je m'applique à remplir de mon mieux les devoirs de ma charge; il me semble que je fais plus que je n'ai jamais fait.
Maintenant, j'attends cette visite, qui doit trancher la question, je suis bien décidé, avec la grâce de Dieu, de faire sa sainte volonté, de mettre de côté tout motif humain, toute crainte naturelle. Vous prierez bien pour moi. Dieu ne veut pas que j'aille à votre ordination, on me dit que le T. R. P. Général partira de Lyon le 21 Juin. Mr Audibert me remplacera, il ira à Marseille, il est toujours tout à l'Oeuvre.
Voici maintenant du nouveau! Vous l'examinerez devant Dieu; nous le faisons ici.
I· Faut-il décidément se fixer à Marseille pour la première maison? J'entends la première maison de préparation, de formation, la maison-mère; les raisons pour, vous les connaissez, voici quelques raisons contre:
1· Mgr l'Evêque le voudra-t-il? Supposé son consentement, nous laissera-t-il bien libres? comme fondateur d'un Ordre, ne voudra-t-il pas s'ingérer dans celui-ci? On le dit minutieux, petit quelquefois dans ses idées, l'expérience prouve qu'un vieux fondateur n'a qu'une idée. 2· Dans la France, on n'estime pas beaucoup les missionnaires de Marseille, cela n'éloignera-t-il pas les vocations? Le diocèse de Marseille, la Provence même donne peu de vocations; souvent elles ne persévèrent pas.
Mgr de Marseille donnera difficilement ses sujets.
Voici un autre plan: on nous recevrait volontiers dans le diocèse de Valence; l'Evêque me porte beaucoup d'intérêt, il n'a jamais rien fondé, son diocèse donne d'excellentes vocations et les diocèses voisins sont riches en bons sujets.
On nous propose à acheter un couvent tout fait et en état parfait; c'est un couvent de bénédictins, une belle église à trois nefs adjacentes, un clos magnifique de plus de quatre hectares, tout fermé; le couvent peut loger quarante personnes, autour de l'église, il y a quatre cents âmes et près de là, la ville de Montélimart, dix mille âmes.
Là nous serions tranquilles pour les premiers à former, pour nos jeunes gens; excellent climat. Le prix est de 60.000 fr. environ; cela vaudrait 150.000, s'il fallait le bâtir. On donnera du temps pour le payement; on écrit au maître de ne pas s'en dessaisir sans me prévenir.
Puis quand nous serons transformés en de véritables adorateurs, nous irons fonder à Marseille notre première fondation. Et là nous formerions de suite notre champ de bataille.
J'attends de Rome une réponse, j'ai su qu'on s'en occupait.
Nous prions beaucoup pour vous, cher frère, surtout le 24 je serai à genoux devant le Roi des Rois, afin qu'il vous donne la plénitude de son esprit d'amour.
Priez pour moi, afin que j'immole la nature et sois bien fidèle à la grâce. Toutes ces tempêtes éclaireront le temps et Dieu aura le dernier mot.
Adieu, je n'ai que le temps de me dire
Tout à vous in X·.
EYMARD S.
P. S. - Ne m'oubliez pas auprès du bon Père Brunello.
Au R.P. HERMANN COHEN o.c.d.
/La Seyne/ 14 juin 1855
Je vous ai bien porté envie dans un si délicieux Sanctuaire (*). Mais continuez bien à prier. - C'est le grand moment. Nous attendons le T.R.P. Général. Quelque chose se décidera vers la fin du mois. Vous savez que le projet est à Rome.
ROME AVANT TOUT! A Dieu, cher Père, l'oeuvre est sur la croix.
Tout pour Dieu seul.
La Seyne, 19 Juin 1855.
Je suis peiné de vous donner tant d'occupation, ma chère fille; si j'avais su que cela fût si difficile, je n'y aurais pas donné lieu. Enfin, que Dieu vous le rende au centuple! Je vous en remercie bien.
J'ai écrit à Mme D'haimyue à Paris, nous verrons ce que cela produira: à la volonté de Dieu! Quand on a fait ce que l'on a pu, on se repose aux pieds de la toujours aimable Providence.
Que de choses semblent m'attendre aux vacances à Lyon! Si le bon Dieu le veut, je le veux de tout mon coeur. Assurément, j'aimerais bien voir fait ce Manuel du T.O., mais la retraite que j'ai faite est si mal faite que ce serait nuire à ce manuel: imaginez donc que je l'ai composée pendant que Mlle Daniel la faisait; je faisais comme le boulanger qui nourrit ses pratiques avec le pain du jour. Je serais heureux, si cela donnait l'idée d'en composer une toute parfaite.
Cette maison qui vous fait tant envie, est toujours là debout et à prendre. Il faut toujours bien prier. Je suis de votre avis, il faut que la première personne se sacrifie, parce qu'avec trop de prudence et de calculs, on n'ose pas même faire un commerce d'épingles; il faut s'assurer que Dieu le veut, ou le désire, et puis jeter son filet: voilà ma marche pour le projet de l'Oeuvre du T.S. Sacrement. Nous attendons vers la fin du mois le T.R. Père Général, j'espère qu'il décidera quelque chose; priez bien jusqu'alors.
Adieu. Courage et joie du coeur.
Tout à vous en J. et M.
EYMARD.
La Seyne-sur-Mer, 1er Juillet 1855.
Merci, ma chère fille, de vos bons souhaits pour la fête de mon Saint Patron. J'ai bien besoin de sa protection et surtout de sa générosité en l'amour du divin Maître.
Le T.R. Père Général est à Maubel. Je le verrai mardi ici; là, nous traiterons les grandes affaires de l'Oeuvre eucharistique, priez bien, afin que la gloire de Dieu seul soit la fin de tout.
Il ne s'agit pas de Toulon pour l'Oeuvre, mais bien de l'Oeuvre des hommes, avant celle des femmes....; c'est naturel que les directeurs et les pères spirituels se perfectionnent avant tous. Tout pourrait, il est vrai, commencer en même temps. J'ai reçu, il y a quelques jours, la lettre de ma soeur et de Nanette, elles se sont trompées d'adresse. - Non, non Nanette ne peut rien avoir contre vous, sinon qu'elle vous aime beaucoup: agissez toujours comme par le passé.
Je brûle toujours vos lettres, dès que je les ai lues: c'est prudence. Encore un mois, et peut-être que j'aurais la consolation d'aller vous voir toutes.
En attendant, priez pour moi.
Tout à vous en J. et M.
EYMARD.
P.S. Ayez la bonté de prier Mr Gaudioz de demander à Mr Brunet, le lithographe, son compte pour les lithographies du Laus. Je serais aise, quand vous aurez la bonté de
m'écrire, de me donner le détail des messes dont vous avez l'argent.
Mes vives amitiés à Mr Gaudioz, à sa chère dame et à toutes vos soeurs.
2 Juillet 1855.
Merci, ma chère soeur, de votre lettre; elle m'a attristé, vous sachant malade, et je prie pour votre guérison.
Soignez-vous bien: c'est l'avis de saint François de Sales; il y a du mérite à se soigner. Vous allez me renvoyer la morale: hélas! je le fais et Dieu le fait pour moi. On veut m'envoyer aux eaux d'Evians ou de Vichy. Tout ce que Dieu voudra. Cependant, mes migraines ne m'alitant pas comme l'an passé, je puis mieux les supporter. C'est, dit-on, le coeur qui est malade; plût à Notre-Seigneur qu'il fût tellement blessé de son divin amour qu'il éclatât de sa violence, et que toutes ses palpitations si nombreuses fussent autant d'actes d'amour et de sacrifice!
Notre distribution est fixée au 30 juillet, et je pense être à Lyon vers les premiers jours d'août.
Je n'ose presque pas, ma chère soeur, vous envoyer cette lettre commencée depuis si longtemps, elle vous dira ma bonne volonté. Mais qu'est ce que j'ai appris par une lettre de votre bonne soeur? que le bon Mr Tholin s'est fracturé la jambe; que vous et votre soeur avez failli périr! Oh! Dieu, quelle triste nouvelle! Mais est-elle aussi grave qu'on me l'annonce? Quelle peine mon âme a soufferte d'apprendre tant de croix! Je ne puis que prier le bon Maître de vite guérir celui qu'il aime: ce sera une raison puissante pour moi, pour aller, s'il m'est possible, visiter ce cher malade, le consoler, et, si je pouvais, le guérir, - Voilà la vie: un jour dans la joie, le lendemain dans la douleur. Mais cette douleur bien soufferte pour Dieu peut devenir la source d'une joie éternelle et divine: voilà la consolation chrétienne.
Je ne vous dis rien de votre bonheur et de votre richesse du saint Tabernacle; ma première pensée a été de faire votre autel de manière qu'on y puisse un jour dire la sainte Messe. Tout ce que vous y faites est bien. Mr Adolphe doit être heureux d'être l'architecte du Dieu d'amour. Je lui en fais mon compliment, même de son Socrate; mais, au-dessus, j'aimerais à voir le Sauveur tenant aussi son calice de vie et d'immortalité.
Mes remerciements à Mademoiselle de sa lettre, triste il est vrai, mais toujours bonne.
Croyez-moi toujours en N.-S.,
Ma chère soeur en N.-S.,
Votre tout dévoué.
EYMARD, S. M.
P.-S. L'Oeuvre du Tabernacle divin s'avance lentement, à travers les sentiers du Calvaire.
Pensionnat de La Seyne (Var), 2 Juillet 1855.
MADEMOISELLE,
Je viens vous faire une petite visite aujourd'hui, fête de la Visitation. Je voudrais bien qu'elle fût comme celle de la Très Sainte Vierge, qu'elle remplît votre âme de la joie de saint Jean, du Saint-Esprit donné à sainte Elisabeth.
Il y a si longtemps que votre âme ne m'avait rien dit, cette chère âme que j'offre tous les jours à Notre-Seigneur, et qui a tant de puissance d'amour en ce divin Epoux!
Je partage bien votre douloureux sacrifice, ma chère fille. C'est le plus grand que vous puissiez faire. L'union étant parfaite, hélas! il faudra bien le faire, puisque Dieu le veut. Votre union n'en deviendra que plus étroite. L'absence fait souffrir et aimer. Voilà les saints qui désirent Dieu, le Ciel.
J'ai été vivement peiné d'apprendre la maladie de votre bonne mère et de votre excellente soeur. Je prierai bien le Bon Dieu de vous les guérir toutes les deux, parce que vous en avez un si grand besoin.
Et cette bonne dame de Chatelux, quelle croix! quelle tristesse! Dieu l'a voulu: il n'y a que cela pour voiler une si triste plaie.
Pour vous, chère soeur, Dieu veut que vous soyez toute à lui en la simplicité et plénitude de votre être. Soyez donc toute à ce grand Roi des coeurs, toute fière et heureuse de lui appartenir. Que vous serez heureuse au Ciel un jour!
Voici bientôt les vacances. Je ne sais si j'aurai le plaisir d'aller à Tarare, je suis tenté de le désirer.
En attendant, priez pour mes misères, et croyez-moi toujours,
Chère soeur en Marie,
Votre tout dévoué.
EYMARD, P. M.
P.-S. Quand vous écrirez à votre bonne soeur, mes religieux souvenirs.
La Seyne, 11 juillet 1855.
Madame et chère soeur,
Quelle triste nouvelle pour votre coeur! hélas! qu'elle est à plaindre, cette pauvre Dame! l'humiliation la ramènerait peut-être au devoir - mais tenez-vous en dehors de tout, vous n'êtes pas obligée à une révélation inutile, et qui vous attirerait beaucoup de désagréments. -
Soyez étrangère à tout cela, hélas! vous voyez ce que c'est que ce beau monde, où les airs prétentieux aboutissent presque toujours à l'esclavage et à la sensualité.
Si vous devez écrire à Mad. écrivez tout simplement. Quant à une position dans un couvent, je m'en informerai au mois d'août. Blois est bien loin! et surtout votre tante n'étant pas désireuse de vous avoir! attendez un peu.
Quant aux lithographies à vendre à Hyères, j'aimerais mieux le silence sur l'oeuvre, dans la crainte que cela finît par se savoir.
Pour Marseille, ce serait bien, là l'oeuvre connue n'a point de dangers à craindre. - Faites beaucoup de cailloux pieux.
L'oeuvre est toujours sur la croix, ayons confiance.
Adieu, à Jésus, bonne soeur.
Tout à vous.
Eymard.
La Seyne, le 24 juillet 1855
Priez bien pour moi, bien cher Père, afin que je fasse bien la Ste Volonté de Dieu, et surtout que ni la chair ni l'esprit, ni ce misérable moi ne soient un Satan sur mon chemin.
...L'Oeuvre Eucharistique est toujours sous terre. Dans sa sagesse, le T.R.P. Général n'a pas cru devoir donner la permission temporaire. Est-ce une épreuve? ou bien Dieu veut-il un autre David mieux selon son coeur? - Quid ad me? - Pourvu qu'il soit connu, aimé et glorifié de tous, qu'il m'immole et me pulvérise, pourvu que l'Oeuvre de sa gloire vive et grandisse comme le grain de sénevé.
Eymard.
La Seyne, Sainte Anne, (26 juillet) 1855.
MES CHERES SOEURS,
Je viens vous souhaiter votre fête à toutes deux, vous dire d'abord que je vous l'ai souhaitée ce matin au saint Autel en disant la sainte Messe pour vous.
J'ai demandé à Notre-Seigneur, par l'intercession de votre bonne et toute puissante Patronne, l'amour de Jésus et de Marie; avec cela on a tout. Je l'ai prié aussi cette bonne sainte Anne de vous servir de mère, surtout en ce moment de peine et d'embarras.
Je ne pourrai pas encore aller vous voir à La Mure, les médecins veulent que j'aille prendre les eaux de Vichy pour mes migraines, et comme on ne peut prendre les dernières eaux que dans le mois d'août, on veut que j'y aille tout de suite; ainsi, si Dieu le veut, ce ne sera que vers le milieu de septembre que je pourrai aller vous voir.
Ma santé va cependant mieux que l'an passé.
Notre attribution des prix a lieu le 30 juillet, de sorte que je partirai pour Lyon du 2 au 3 août.
Je m'occuperai aussi des deux petites; on m'écrit de Lyon que peut-être on en prendrait une. Je verrai ce que c'est.
Je suis très pressé en ce moment. Je vous écrirai plus long plus tard.
Priez toujours bien pour moi.
Tout à vous.
EYMARD, p. m.
La Seyne, 26 Juillet 1855.
Monsieur le Président,
Mr Dorbes, ami de la maison, a besoin d'un conseil, et peut-être d'un mot bienveillant. Vous êtes si bon que j'ose vous l'adresser en toute confiance. Si la chose est possible, il vous en devra toute la reconnaissance.
Daignez agréer les sentiments respectueux et tout dévoués,
Monsieur le Président,
de votre affectionné serviteur
EYMARD.
P.-S. - Je vous envoie enfin mon pauvre discours de l'an passé.
Monsieur Clappier, président du Tribunal,
La Seyne-sur-Mer, 27 Juillet 1855.
Je viens, ma chère fille, vous dire au moins un mot; merci de vos bonnes lettres. J'en ai béni et remercié le bon Maître. Oui, suivez ce qu'il vous a dit. Tenez-vous calme, et [en] silence aux pieds de Notre-Seigneur. Faites vos affaires avec sa bonté; les hommes ne sont que ses instruments.
J'ai été bien satisfait de la lettre du P. Ch.; gardez-la, c'est une belle âme....... (cinq lignes effacées).
Pour moi, j'en suis là: le T.R. Père Général ne veut pas donner son concours à l'Oeuvre eucharistique. Peut-être est-ce un bien pour l'Oeuvre! Dieu le sait.
L'affaire se terminera pendant les vacances; j'espère de la miséricorde de Dieu que cette Oeuvre ne sera pas étouffée sous terre, et qu'il enverra plutôt un Ange pour la diriger de la terre d'épreuve du désert, à la terre promise.
Notre distribution est le 30 Juillet. Je compte partir d'ici le 2 ou [le] 3. Vous aurez, je l'espère, ma première visite. En attendant, priez pour moi.
Tout à vous.
EYMARD.