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Nr.0384
An Frau Jordan Camille
La Seyne 1 janvier 1853
Madame et chère soeur en Marie,
Je ne puis oublier ma chère soeur secrétaire, et viens vous dire en ce jour beau devant Dieu, tout ce que peut dire le P.Eymard pour sa chère soeur et fille en Jésus et Marie. Mes souhaits, vous les connaissez, depuis longtemps. Croissez toujours dans la connaissance et l'amour de N.S.J.C. c'est là la fin du temps et de l'éternité, c'est la vie, c'est le bonheur dans l'exil. Et pour y réussir, devenez une fille d'oraison; l'oraison est la chaîne d'or qui nous attache à Dieu, c'est le foyer de la flamme divine, la nourriture de l'esprit intérieur.
Mais pour devenir une fille d'oraison, il faut demander ce don précieux, il faut s'exercer à la patience, à l'humilité, à la simplicité, à l'abandon...., en un mot, il faut être la mendiante du Bon Dieu. Soyez ainsi et vous serez la plus riche des dons de Dieu.
23. - J'ai honte, ma bonne fille, de vous envoyer une si vieille lettre, elle vous dira du moins que ne je vous ai pas oubliée, et que votre souvenir m'est toujours présent devant Dieu. J'ai été si occupé depuis ce temps que j'ai à peine le temps de faire mes prières.
J'ai reçu avec plaisir votre lettre du 12. - Vous savez que les lettres sont un souvenir, mais il y a une autre lettre devant Dieu qui est toujours en activité.
Je vous suis bien reconnaissant de vos voeux. Demandez que je devienne un saint. Et voilà tout. - Je suis un peu comme vous étiez dans un temps dégoûté du monde. J'en vois trop triste dans la vie. Oh! plus je connais les misères humaines, plus je sens que Dieu seul est Père, Mère, est bon, est aimable, et le bien souverain et la joie pure. Oui, quand serons-nous au ciel! pour ne plus offenser Dieu et ne plus marcher sur la terre mouvante et vénimeuse.
Je prie bien N.S. et sa divine Mère de guérir votre bon mari et de vous conserver toujours bien votre excellente fille, à qui je vous prie de me rappeler à son bon souvenir.
Vous avez besoin d'aimer le bon plaisir divin pour supporter cette maladie de tristesse, elle sera un jour changée en joie.
Vous me réjouissez de me dire que vous êtes toujours toute au T.O., ce cher T.O., que n'ai-je pu lui dévouer ma vie!
Je vais travailler à faire vos étrennes, il faut me donner jusqu'à Pâques, et si je puis vous payer plus tôt, je le ferai de bon coeur.
Si vous étiez ici, je vous donnerais un bon livre intitulé: Méditations de St.Thomas par le P.Antoine Massoulier, à Paris rue des Sts Pères 64, chez Sagnier.
A Dieu en Dieu. Tout à vous.
Eymard.
Nr.0385
An Fräul. v. Revel
Pensionnat de La Seyne (1)
La Seyne 1 Janv. 1853
Chère Soeur en Marie
Comment se fait-il que j'ai tant tardé à répondre à votre bonne lettre? Je ne le sais presque pas, entraîné par un tourbillon d'affaires, & cependant votre lettre m'a fait plaisir; eh bien je viens payer ma dette en ce 1er jour de l'an où vous devez être assiégée par mille visites; assurément vous auriez eu la mienne vous y avez tant de droits & je me regarde aussi comme un des premiers chez vous devant Dieu. Que vous souhaiter bonne & chère Soeur! le ciel un jour, c'est bien sûr; mais pas encore, il faut tresser & embellir tous les jours votre couronne, des épines de notre divin Sauveur, de quelques parcelles de sa Ste. Croix.
Vous êtes la fille du Calvaire, & depuis long temps vous y êtes immolée, laissez toujours bien faire le Bon Dieu, il purge, il coupe, il déblaie le terrain, il écarte les dangers, il veut régner seul sur ce trône d'amour qu'il a cacheté si cher, en nous.
Mais je ne vous ai pas encore dit, bonne Soeur, mon dernier mot; le voici, soyez une fille d'oraison, c'est tout dire, l'oraison est l'échelle mystique qui touche au Ciel, elle est le cénacle des grâces & de l'amour; elle est la chaîne d'or qui nous unit à J. C.; elle est la vie du coeur, la force de l'âme, la mesure de nos grâces & de notre perfection: c'est donc le plus <beau> souhait que je puisse vous faire.
Vous m'avez fait un, vous me le direz, & je vous en remercierai, adieu pour ce soir c'est trop tard pour finir ma lettre. Je tenais à vous dire que ce matin je vous ai mise sur la patène, à demain s'il est possible
21 Janvier
J'ai honte d'être si en retard pour finir & envoyer ma lettre, & encore de la finir dans un jour si triste le 21 janvier! Je suis sûr que nous nous sommes rencontrés ce matin priant à la même fin, pauvre France! depuis ce 21 janvier que de bouleversements, que de crimes! que de larmes! & encore sera-ce fini. Je crains bien que les hommes oublient Dieu, parce qu'ils ont un homme, & qu'ils se croient sauvés, sans retours, hélas! que nous avons besoin de prier Dieu, & pour la France & pour le nouvel Empereur!
Que vous dire, bonne Soeur! que j'ai reçu votre lettre comme la nouvelle d'une naufragée, je finissais par vous croire presque sur le rivage de l'autre vie & j'en étais bien inquiet, & l'attente d'un jour à l'autre m'a fait imiter votre silence.
J'ai donc vu Mr. & Me D'Averton, avec Me. leur mère & la soeur. On m'a très bien accueilli; Mr. d'Averton est aimable, Madame m'a paru timide. Sa mère a été bonne, mais me trouvant dans une position délicate, je n'ai pas dit mon nom (ignoré je pense), nous avons parlé de vous, & on a été convenable. Toute la famille m'a rendu ma visite, alors nous avons parlé de votre cher frère, on a été délicat & on m'a remercié des soins & et de mon amitié pour lui. mais Me. la mère étant là, j'étais gêné. Mr. & Me. d'Averton à leur retour d'Avignon sont venus me voir, malheureusement je ne m'y suis pas trouvé, mais j'irai les voir, & si je pouvais leur être utile, ce serait avec bonheur. Mais un officier de marine a besoin de beaucoup de courage, pour arborer son drapeau catholique. Nous venons d'avoir une Mission à Toulon par 16 Pères Capucins, il y a eu de belles conversions on a compté dans une communion générale 2800 hommes, cependant le mouvement du retour n'a pas été bien saillant parmi les officiers de marine, quoiqu'on en compte déjà un certain nombre pratiquants.
J'ai vu aussi Me. Spazier. Je suis allé la voir à Hyères cette excellente Dame était encore bien souffrante, son état précaire me fait peine, elle est cependant si bonne, nous avons beaucoup parlé de vous, c'était si naturel. J'ai vu aussi Mr. de St. Simon il a été très bon, quel dommage que ce Monsieur n'ait pas la foi, il serait si heureux dans sa solitude & ses privations hélas! il sait un peu de tout, & je crains qu'il ne soit un peu pour tout.
Je crois que si vous étiez ici nous y gagnerons /sic/ tous; mais surtout Mr. de St. Simon; vous auriez le courage de lui dire de revenir à la foi .. pratique.
J'en viens à vous, bonne Soeur; je vous plains de vos deux campagnes, vous avez dû souffrir de toutes ce fêtes, car il y a tant de vide & de vain; mais ici il le fallait; l'amitié paye toujours son droit; & c'est souvent à votre tour, car vous ne restez pas en arrière. Cela me fait bien plaisir d'apprendre que Me. Ste. Eudoxie est bien, c'était une rude épreuve pour elle et pour ses soeurs. Dieu soit béni, voilà une bonne oeuvre de plus. J'ai de temps en temps des nouvelles de ces bonnes Dames, par une de leurs pensionnaires qui a son frère chez nous Melle Saurin; en temps opportun, rappelez-moi à leurs bons souvenirs devant Dieu.
Quant à Mr. l'abbé Philippe, il est facile d'obtenir la faculté de recevoir du scapulaire de l'Immaculée Conception, mais il faut quelqu'un qui aille à Rome & présente une Supplique au Saint-Père pour que le Général des Théatins puisse donner ce pouvoir - Je m'en charge, je tâcherai de trouver quelqu'un - tout peut s'arranger, pour ces Dames, la statue dont vous me parlez peut suffire.
Vous êtes bien sage d'être fidèle aux réunions du T.O. Le P. Favre que j'ai vu ici, remplace le P. Lagniet, il est chargé du T.O. j'en suis heureux, c'est l'homme de la Ste Vierge celui que j'aurais choisi parmi tous les autres. Mais procurez-vous bonne fille, un réveil, vous n'auriez pas tant de soucis pour le mardi, faites cela pour me faire plaisir, car une mauvaises nuit, est une maladie pour vous.
Je n'ai pas besoin de vous parler de la neuvaine pour votre cher frère son âme m'est bien chère, elle m'est toujours présente, tous les jours je la mets au memento de la messe & en priant pour le frère, je bénis la soeur.
Servez toujours bien le Bon Dieu dans la simplicité de la foi & dans la confiance de l'amour, ne vous recherchez pas dans la prière ni dans vos communions: allez toujours de l'avant comme on dit en marine lors même que le vent serait debout c'est la fidélité qui fait le principal mérite de la piété; puis à mesure qu'on avance dans la vie, on se connaît mieux, & en sent mieux ses misères la jeunesse a une piété vive, ardente, sensible, la virilité, a une piété de sacrifice & de raison, plus tard c'est l'âge de l'humilité & de la confiance.
Votre Retraite est toujours devant mes yeux, j'ai fait 5 à 6 méditations cependant j'ai bonne volonté; je vous la promets. -(en marge, devant cet alinéa, se trouve écrit verticalement: "j'attends".)
Je n'ai pas besoin, bonne Soeur, de vous dire de prier pour moi, si vous saviez combien j'en ai besoin! mon âme est sèche comme la poussière du grand chemin c'est qu'il y passe tant de monde et tant de choses, par jour, hélas! où est mon temps de Lyon! c'était un temps de repos comparé à celui-ci! enfin le Bon Dieu me veut à 130 personnes du dedans, à 200 du dehors, les parents, à l'économat, à la direction des études puis à ma chère migraine qui depuis le jour de l'an est une amie fidèle, cependant elle est encore charitable, elle ne m'oblige pas de me coucher.-
Comme le temps passe! voilà 8 pages & il me semble qu'à peine s'il y en a une donc vous me pardonnez mon retard!
Adieu, tout à vous en N.S.
Eymard
La Seyne, 1er Janvier 1853.
BIEN CHERES SOEURS,
Il est bien juste que mes premiers voeux et mes prières aujourd'hui soient pour vous, et que je remplisse le vieux devoir de filleul et de frère. Je vous ai souhaité d'abord une bonne année au pied du berceau de l'Enfant Jésus; vous savez que toutes les années j'ai l'habitude de dire la Messe de minuit pour vous deux. Je vous ai donc bien offertes à Notre-Seigneur, afin que vous soyez ses dignes servantes et épouses, et que si, dans sa divine Providence, il vous fait passer par son Calvaire, c'est, mes bonnes soeurs, pour vous avoir plus tôt au ciel et vous avoir plus près de Lui. Les années passent vite et la vie la plus longue arrivée au terme ne paraît qu'un instant; mais ce qui reste toujours, ce qui nous console, ce sont les bonnes oeuvres que nous faisons pour Dieu, c'est l'amour de Dieu. Laissons bien le monde nous oublier, nous exercer à la charité et à la patience: c'est là le fruit de la vie chrétienne.
22 janvier. - Je n'ai pu, mes chères soeurs, finir ma lettre du jour de l'an; j'ai été si occupé que je n'ai pas eu un moment: c'était le temps de nos comptes et de nos examens, et je n'avais pas notre économe, de sorte qu'il a fallu le remplacer, et puis les embarras du jour de l'an.
Les jours sont toujours trop courts pour mes affaires; aussi voilà plus d'un mois que j'ai laissé toutes mes lettres de côté. - Cependant ma santé se soutient; il faut même qu'elle soit forte pour tenir à tout. Mais maintenant que je ne vais plus prêcher à l'adoration de Toulon, je suis plus libre.
Nos enfants vont toujours bien et nous donnent beaucoup de consolations: ils aiment bien la Sainte Vierge.
Nous avons un temps trop beau. Les arbres sont en fleurs depuis longtemps, les blés sont grands et déjà la rouille s'en empare: on craint beaucoup une mauvaise année. Vous ferez bien de ne pas vendre le vôtre, si vous en avez de reste. L'huile est très chère et mauvaise; le vin a triplé de prix: aussi nous faisons de grandes dépenses. Je voudrais bien savoir combien le bon beurre se vend à La Mure: nous pourrions peut-être en faire venir une caisse.
Je finis enfin ma lettre: voilà au moins dix fois que je la reprends; mais heureusement que vous savez toute l'affection que je vous porte et que vous m'êtes toujours présentes devant Dieu.
Votre frère.
EYMARD, p. m.
Je viens de recevoir à l'instant votre bonne lettre. Merci, mes bonnes soeurs, de vos souhaits et de vos voeux pour moi: ce sont ceux que j'aime.
Comme j'avais donné des pouvoirs à Mr Girolet, il les a avec lui: il peut recevoir ceux qu'il jugera propres au Tiers-Ordre.
Quel dommage que je n'aie pas su plus tôt qu'on voulait le changer! il aurait si bien fait à Monteynard! J'ai été malheureux à Grenoble: je n'ai ni trouvé Mr Rousselot, ni pu voir Monseigneur malade.
Pour Mr le Curé, une bonne explication ferait peut-être bien. Ce brave monsieur s'est laissé monter la tête par ses journalistes. Qu'y faire? vous tenir tranquilles et ne pas croire à ces tristes choses qu'il a eu le courage de vous dire, mais le supporter en patience. Mr le Curé n'a pas le droit de juger votre conscience: c'est le propre des âmes du Bon Dieu de souffrir de la part de ceux qui devraient les consoler. Ainsi, patience et oubli; mais si l'occasion se présente, ayez une bonne explication. Cependant, jusqu'à nouvel ordre, il semble qu'il ne faudrait pas se confesser à lui: vous savez comme il est piquant.
(FRAGMENT DE LETTRE ENVOYE AVEC LA PRECEDENTE).
La Seyne, 1er Janvier 1853.
Mes chères filles,
Mon choix va droit à vous avant toutes les autres, et je me dérobe un moment pour venir vous souhaiter une bonne année à toutes. Mais que vous souhaiter, mes bonnes files? les biens de ce monde? non, le Bon Dieu vous veut comme sa Sainte Mère à Nazareth, et c'est la plus belle position devant Dieu; c'est un martyre, il est vrai, de tous les jours, et quand la croix, les maladies, les épreuves de Dieu et des hommes viennent s'y joindre, c'est le Calvaire parfait. Ah! vous êtes bien toutes sur ce Calvaire d'immolation et depuis bien longtemps. C'est ce qui me remplirait de tristesse, si je savais que le Bon Dieu vous aime et que vous l'aimez et l'aimerez toujours et en tout. Soyez donc une maison toute parfaite de Nazareth. Que Jésus soit le Roi, l'Epoux divin de vos âmes! Marie, la bonne Mère de famille! Saint Joseph, le Protecteur! et Saint Jean, l'avocat bien-aimé! Vivez en communauté, en union à la vie de Nazareth; et pour cela, que vos vertus soient des vertus communes, toutes basées sur la charité qui vit plutôt pour les autres que pour soi, sur la douceur de Jésus et de Marie qui n'ont que des bénédictions, sur la magnanimité qui agrandit le coeur et trouve toujours petits et méritant à peine ce nom, les sacrifices journaliers de la vie de communauté, et surtout, exercez-vous à cette charité toujours digne, toujours pleine de convenance et de prévenance, cela est la fleur embaumée de la charité.....
La Seyne-sur-Mer, 19 Janvier 1853.
Je viens vite vous dire deux mots, ma chère fille, pour vous tirer de peine. J'ai une lettre commencée depuis le 1er et je n'ai pas le temps de la finir encore. Je n'ai pas eu un moment, nos comptes, nos bulletins, les embarras du Jour de l'An, nos examens, tout m'a absorbé. Et je n'ai encore répondu à aucune lettre du Jour de l'An; vous êtes la première en tout, ainsi patience. Ma santé peut soutenir mon travail. Je suis sans économe. Nous avons beaucoup causé du T.O. avec le Père Favre, j'espère que tout ira bien, il est bien disposé, il m'a promis de composer un manuel pour les Tierçaires.
Mais le P. Poupinel aime bien le T.O.; il faudrait tâcher de lui témoigner un peu de confiance.
Quelle triste nouvelle vous m'annoncez pour le P. Ch. (son départ pour Londres!) peut-être qu'elle ne se réalisera pas. Enfin! Dieu est là, ma fille, et le moyen de Dieu passe. Ne vous laissez pas trop impressionner de ces sacrifices. Le P. Favre, à qui j'ai parlé de vous, vous recevra comme moi je vous ai reçue, et vous fera du bien, car il est encore plus intérieur que savant. C'est le coeur le plus simple et le plus éclairé que je connaisse. Ainsi, dans le besoin, je vous le conseille.
Adieu, ma fille, à bientôt. Mes respectueux et affectueux souvenirs à toute la famille. Je vais dire la Sainte Messe et prier pour vous toutes.
EYD.
T.P.D.S.
La Seyne-sur-Mer, 31 Janvier 1853.
Je viens, ma chère fille, répondre à toutes vos lettres, en commençant celle-ci. Je la reprendrai, peut-être, vingt fois, n'importe! J'ai toujours attendu d'avoir quelques heures un peu libres et seul, et je vois que cela est toujours à venir. J'ai fait ici comme à Lyon, quand pour vous donner plus de temps, je vous priais d'attendre et puis la fin était pressée: que faire? - me croire toujours tout dévoué à votre âme, et la première dans mon désir spirituel; d'ailleurs, vous êtes la seule que je suive pas à pas. D'abord, il faut que je vous remercie de mes deux billets, de celui de Noël et du Jour de l'An, ils m'ont fait un sensible plaisir, et je tâche d'en faire le but de mes efforts ordinairement; il m'ont bien servi: c'était comme l'étoile. Je vois par là que je suis toujours de vos fêtes spirituelles et des grâces de passage. Il en est de même de moi pour vous, je ne puis vous séparer de mes demandes: c'est bien juste, c'est promis. Je ne sais si je vous ai dit que j'avais célébré la Sainte Messe pour vous le Saint jour de Noël, ce sont mes étrennes annuelles.
Vous ai-je dit que nous avions beaucoup causé du T.O. avec le P. Favre? Ce qui me fait plaisir, c'est qu'il m'a paru apprécier cette oeuvre de la T.Ste Vierge, et vouloir se dévouer à sa perfection. Pauvre T.O.! il vous a bien fait souffrir! mais pourvu que la gloire de Jésus et de Marie s'y trouve dans la sanctification des Tierçaires, on est bien récompensé. Je ne vous ai jamais dit un sacrifice que le Bon Dieu m'a demandé pour le T.O., et cela vous expliquera une restriction que je vous fis à son égard: c'est que le R. P. Supérieur me dit formellement de ne plus m'occuper du T.O. de Lyon, et le P. Lagniet me le renouvela. Devant cela, je ne pouvais plus faire qu'une chose, prier pour lui et ne plus donner de conseils de gouvernement. Ainsi, ma fille, ne m'en voulez pas de ce que je vous avais dit; continuez à me demander les conseils dont vous pouvez avoir besoin pour le T.O., mais je ne puis vous répondre que comme votre directeur et pas plus. Que voulez-vous? il fallait cela, mais n'importe! que je meure pourvu qu'il vive et grandisse, c'est tout mon désir!
Laissez-moi vous parler un peu de moi. Pour ma santé, je ne sais que vous en dire, ma migraine est revenue depuis la Noël, et assez souvent; cependant je puis la supporter et travailler, mais sans goût; aussi, je n'ai pas le courage de me mettre à répondre à ce paquet de lettres que j'ai sur mon bureau: de les voir, cela m'effraye. J'ai à peine le temps de prier Dieu. Si je ne me levais pas à quatre heures, je serais dans la presque impossibilité de me recueillir. Puis, je sens que l'esprit de recueillement s'en va avec tout ce monde.
Ah! du moins, je puis bien pratiquer l'esprit de renoncement..... ceci m'attriste parfois, et je j'osais désirer la solitude ou le ciel, je le ferais de grand coeur; mais j'ai promis au Bon Dieu de ne rien demander, ni de rien refuser. Ainsi, vous voyez que vous avez besoin de prier pour moi. Vous le faites, j'en suis sûr. Puis il faut prêcher le dimanche, parler tous les jours à ses enfants, mais ceci me va, au moins on parle de Dieu. Voilà ma vie. Puis, les petites misères de ménage, les travers de caractère, vous savez que la misère humaine est partout. Oh! oui, elle est grande! que le Bon Dieu est bon de nous aimer malgré cela, et de nous recommander la charité et la patience!
Pauvre lettre! que de fois déjà sur le métier! mais que cela ne vous gêne pas, ni ne vous fasse pas écrire une fois de moins; vos lettres me font toujours plaisir et elles sont les premières.
1· Vous souffrez de ce que mes réponses sont vagues, vous craignez que ce ne soit à ... non, non, d'ailleurs vous n'êtes pas obligée..... mais vous savez que j'ai pour principe de laisser un peu l'âme à elle-même, afin qu'elle soit plus libre de suivre les impressions de la grâce, et aussi afin que dans le doute, je connaisse mieux les sentiments de l'âme et ses besoins par les demandes réitérées.
Je suis bien aise que vous ayez un Enfant Jésus, je vous le pardonne, pourvu que vous n'y retourniez pas.
Il est temps cependant de clore ma lettre. J'ai lu votre dernière, ma bonne fille, vous avez bien raison de gronder un peu. Cette fois-ci, j'ai manqué à tout le monde. Je viens seulement de terminer une lettre au T. R. P. Supérieur datée du 1er. Non, non, je ne vous oublie pas.... Toutes les autres lettres que j'écris ne valent pas la moitié des vôtres. Je vous le répète, vous êtes la seule que je suive pas à pas; ainsi, croyez-moi toujours en N.S.
Votre Père tout dévoué et tout uni en sa divine charité,
EYMARD.
P.S. Soyez bien sûre que vos lettres me sont très agréables, et les plus longues sont les meilleures. Laissez aller votre plume et votre âme comme elles voudront.
Je vous envoie une petite lettre.... et j'y en joins une pour le P. Champion. Vous êtes donc toujours bien tourmentée, ma pauvre fille! que de croix, que de tortures! souffrez-les bien pour Dieu, en union à Jésus tenté au désert, triste au Jardin des Olives, abandonné sur la croix. Ne vous laissez pas surprendre par les examens et les raisonnements sur vos tentations. Sortez de la maison quand le feu y est, et allez vous cacher dans les plaies de votre divin Epoux. Que ce bon Maître tire de vous toute la gloire possible, et vous soutienne en cette rude guerre. Courage! arrivera un jour, le jour de l'amour triomphant!
Je ne vous envoie pas ma lettre du 1er; cependant, réflexion faite, je vous en envoie un lambeau, ce sera ma preuve.
La Seyne, 31 Janvier 1853.
Il faut cependant arriver au 31 janvier, ma chère fille, pour répondre à votre bonne lettre du Jour de l'An et à la plus vieille que vous m'aviez écrite par le P. Champion. Je vous remercie bien des deux, et si je suis resté si longtemps sans répondre, c'est que le temps a été si court pour moi, par conséquent si rempli, qu'à peine si je puis croire qu'il y a deux mois que je vous dois une réponse.
Merci de vos voeux et de ceux de toute votre maison, j'y suis bien sensible; priez bien pour moi, voilà tout ce que j'espère de votre charité!
Je suis bien content d'apprendre que vous avez fait une retraite, et que le bon Père Champion vous l'a dirigée, puis ma joie a été à son comble d'apprendre qu'enfin une maison de Nazareth se rouvrait et que vous aviez repris la règle. C'est bien qu'on vous ait choisie pour assistante. Sous la Supérieure céleste, vous n'avez rien à craindre, la bonne Mère fera tout. Vous aurez besoin de changer quelque chose dans la première Règle, ayant changé de position: comme le conseil du dimanche, et l'accusation des fautes à la direction; ce que vous faites est très bien.
En vous confiant au P. Champion, je savais bien que vous trouveriez en lui un bon Père, et un Maître Conrad. Vous sentant entre ses mains, et le sachant tout dévoué à votre âme, j'en remercie Dieu et suis en paix. Soyez bien obéissante et petite, et vous aurez une grande paix.
Pour vos peines, Dieu en soit béni! le martyre est le plus beau triomphe de l'amour divin, et le martyre spirituel intérieur est le plus grand de tous.
Adieu, ma chère fille, priez toujours pour moi, j'en ai besoin. Ma santé est variable, mais je vais toujours, le Bon Dieu sait ce qu'il me faut. Priez pour notre Pensionnat, il va assez bien.
Tout à vous en N.S.
EYMARD.
P.S. Mes respectueux sentiments à toute votre famille.
La Seyne-sur-Mer, 31 Janvier 1853.
MA CHERE FILLE EN JESUS ET MARIE,
Votre bonne lettre m'a bien fait plaisir, je l'attendais; je l'ai bien lue et bien comprise; ainsi, sans amour-propre, elle se lit bien mieux que celles de ma soeur.
Je suis bien content d'apprendre que vous êtes maintenant réunie avec vos soeurs; vous serez un peu plus calme et vous aurez moins de peine, vous en aviez bien besoin. Cependant, ma bonne fille, n'oubliez pas que vous ne serez heureuse qu'au ciel, et qu'il faut toujours souffrir sur cette terre d'exil, sur le Calvaire chrétien.
Vous avez fait une retraite, bénissez-en Dieu, on en retire toujours du bien. Puis, vous voilà Tierçaire de Nazareth; vous êtes le premier couvent, soyez bien sage et bien obéissante.
Oui, ma fille, continuez vos communions, faites-les comme nous vous l'avions dit; ne vous attachez pas scrupuleusement aux jours, mais remplacez-les quand vous n'avez pu les faire aux jours ordinaires. Mais vous êtes pauvre! tant mieux! Que vous le sachiez bien, c'est là votre carte d'entrée auprès de Jésus le Roi des pauvres. - Mais je suis pleine de misères! remerciez-en Dieu de les connaître, portez-les avec humilité et patience, comme la croix de pénitence que le Bon Dieu vous donne. Ah! sachez bien que la plus grande vertu est celle qui nous fait porter notre croix et nous tient humbles et confiants aux pieds de Notre-Seigneur.
Comme je vous connais bien, je vous dirai que pour plaire à Dieu vous n'avez qu'à imiter l'office de sainte Marthe, à faire tout pour plaire à Dieu sans trop examiner; faites les choses de votre mieux, et tout ira mieux. L'amour de Dieu a ses mystères comme la foi. - Adieu, ma bonne fille, soyez assurées que vous m'êtes toujours bien chères, toutes, en Notre-Seigneur, et que vous m'êtes toujours présentes devant Dieu.
Mille souvenirs affectueux à votre bonne et chère mère; dites-lui que je pense tous les jours à elle, et que j'aimerai toujours sa famille.
Tout à vous en N.-S.
EYMARD.
(1) (La Seyne) 31 janvier 1853
Cher Monsieur et frère en Notre Seigneur,
Vous aviez eu la bonté et la charité de m'écrire à la mort de notre et vénéré ami, M. Marceau. Je vous en ai conservé une bien vive reconnaissance. J'espérais toujours que le Bon Dieu me donnerai l'occasion d'aller jusqu'à Tours voir et consoler la bonne Madame Marceau que je regarde comme une mère, puis vous voir. Notre Seigneur ne l'a pas voulu. Que son saint nom en soit béni!
Vous savez peut-être que nous nous sommes occupés à recueillir quelques traits de la sainte vie du bon M. Marceau, afin de la faire connaître aux fidèles et surtout à ses compagnons d'armes. Priez pour cela afin que si c'est pour la gloire de Dieu, tout réussisse. Nous aurions besoins d'une plume exercée et bien catholique pour y mettre la dernière main.
J'ai appris avec bonheur que l'Adoration était établie à Tours. Nous l'avons aussi à Toulon et Notre Seigneur a bien voulu me faire l'honneur de travailler à cette belle oeuvre. Nous avons huit cent Dames adoratrices et cent hommes.
Quel bonheur si la dévotion au Très Sacrement s'étendait partout! Il faut du feu divin pour réveiller tant de chrétiens engourdis.
Je désir>er>ais bien, cher Monsieur, que vous eussiez la charité de faire une neuvaine pour la guérison de la Présidente de l'Adoration de Toulon. Elle est très souffrante et ne peut marcher par suite d'une douleur rhumatismale. Je lui ai promis que vous la commenceriez le 25 janvier pour la finir le 2 février, fête de la Purification. J'ai compté sur votre charité. Puis je recommande à votre prière le Tiers-Ordre de Marie de la vie intérieure afin que Marie les perfectionne et le propage.
Enfin, j'ai bien besoin de prières, chargé <que je suis> d'un nombreux pensionnat à La Seyne près Toulon, où nous élevons beaucoup d'enfants pour la Marine. Je réclame votre secours, car à peine si j'ai le temps de penser à moi. (3) Demandez, s'il vous plaît, pour moi à Notre Seigneur son saint amour et l'esprit intérieur.
Pour moi, je ne puis que prier le bon Maître de vous immoler à sa gloire et au salut des âmes, et de vous remplir de mille bénédictions célestes.
Je suis en Notre Seigneur,
cher Monsieur,
votre très humble serviteur
(signé) Eymard
Sup(érieur) du Pens(ionnat) et p(rêtre) mariste
Notes:
La lettre porte le nr.: 2.
noté au crayon: De St Pierre Julien Eymard à Mr Dupont.
au verso, adresse: Monsieur Dupont à Tours
recommandée aux soins obligeants de Madame Marceau.
Autographe: Oratoire de la Ste-Face, Tours.
Photocopies: Archives SSS, Rome et Paris.
En cette fin de janvier 1853, le P. Eymard, Supérieur du Pensionnat Sainte-Marie de La Seyne, poursuit ses recherches sur le commandant Marceau.
Il fait était de l'oeuvre florissante de l'Adoration à Toulon et recommande aux prières de M. Dupont "la guérison de la Présidente de l'Adoration", Mme Duhaut-Cilly. Bien qu'il n'en ait plus la charge, il n'oublie pas le Tiers Ordre de Marie.
(La Seyne) 8 février 1853
Je viens, bonne fille, vous remercier de votre si bonne lettre, elle m'a fait bien plaisir, car elle si bonne toute la famille Mayet, aussi je l'aime comme la mienne, toutes les nouvelles qui la regardent m'intéressent cordialement. Je suis allé voir le bon Père Mayet à Hyères, il est l'ange de la maison, tout le monde l'aime et le vénère, c'est le bon Père qui met tout en train, qu'on est heureux de l'avoir! Il est bien gras, joyeux, cependant cette pauvre voix ne peut vibrer encore.
Hélas! quel sacrifice. Je l'ai grondé, ce bon Père, il parle. Je m'abstiens d'aller le voir souvent, le plaisir lui fait mal.
J'ai reçu une charmante lettre de Madame Emma. Je suis paresseux, je ne lui ai pas encore répondu, je suis aujourd'hui à payer toutes mes dettes.
Elle est donc dans l'éternité, cette bonne Dame Chaudier, quelle sainte âme! Elle priera bien pour le T.O. Je le lui ai recommandé.
Ainsi ce cher T.O. aura deux Directeurs au lieu d'un: le P.Favre et, en son absence, le P.Poupinel, quelle consolation pour moi! que je meure pourvu qu'il grandisse, fasse aimer et bénir Jésus et Marie! Puis on m'écrit qu'on va réunir de temps en temps les petites filles de Marie, cela me console.
Pour vous, bonne fille, soyez la petite fille de la T.S.Vierge: simple, pauvre, toujours contente de tout, toujours gracieuse envers tous les Anges que le bon Dieu vous envoie, pour vous porter ses ordres, ou une croix; la vie la plus belle c'est la vie qui nous fait aimer plus parfaitement Jésus crucifié et Marie à ses pieds. Or c'est depuis longtemps votre voie. Que la grâce de N.S. vous y soutienne et vous élève jusqu'au coeur brûlant de votre divin Epoux.
Les sentiments les plus affectueux, les plus dévoués à toute la famille Mayet à qui je souhaite le ciel et la terre, les bénédictions d'Abraham et celles de St.Jean.
Adieu, ma chère fille, Tout à vous en N.S.
Eymard S.
8 février 1853
Je vous remercie bien, ma chère fille, de votre lettre. Je ne vous dis pas le plaisir qu'elle m'a causé. J'aime votre famille et votre âme comme mon âme.
Merci de vos voeux et de vos prières pour moi. J'en ai besoin au milieu de mes 110 enfants.
Mais le bon Dieu me soutient. J'ai toute la force nécessaire à mes devoirs. Je suis étonné de moi. Ma migraine me visite de temps en temps, c'est un bien, elle me fait réparer le sommeil perdu et me repose. Mes douleurs m'ont quitté. Je n'en ai plus qu'une: celle de ne pas servir le bon Dieu comme je le dois. Ici je fais un bon apprentissage de ma misère et de ma faiblesse. Je comprends mieux que jamais les besoins d'une pauvre mère de famille, occupée tout le jour à son ménage et à tout le monde.
Je comprends qu'en faisant tout pour Dieu, pour son amour, on doit lui être bien agréable au milieu de tous ces sacrifices toujours renaissants. Voilà pourquoi, ma bonne fille, faites tout pour Dieu en union à Jésus et à Marie. Travaillez sous les yeux de Dieu, renvoyez-lui tout l'honneur et l'hommage de ce que vous faites et vous serez la fille de Nazareth.
Quant à votre direction; elle est très simple et vous êtes facile à connaître. Quand vous irez à Lyon, essayez du P.Fabre. C'est un saint Prêtre et bien éclairé, il est bien simple, bien doux, il connaît bien le coeur humain. Cependant, si vous le craigniez, laissez la direction. - C'est un ami intime du bon Père Mayet. Conservez M.Néron, il vous connaît, tout exorde est fait d'avance. - Les détails d'une bonne direction sont simples: on dit d'abord son état, ses occupations, puis ses exercices de piété, surtout sur la méditation, comment on la fait, ce qu'on y souffre, ce qu'on s'y reproche, puis la résolution habituelle.
2. On parle de ses tentations et de ses peines pour demander les meilleurs moyens d'en tirer profit.
3. On dit son attrait, si l'on a quelques mouvements de grâce, mais forts et suaves, constants et faciles, c'est-à-dire si l'on a quelques bons mouvements vers une vertu, un mystère de Notre-Seigneur.
Or, quand un directeur connaît la vie intérieure, le caractère des grâces de Dieu, il peut bien diriger une âme.
Oui, ma chère fille, communiez et volez quelques moments de temps en temps pour vous fortifier. Notre-Seigneur fait beaucoup en nous, en peu de temps. Puis il aime tant les pauvres, les mères chrétiennes, que vous serez bien reçue.
Avec le bon Dieu, allez-y toujours tout simplement mais généreusement, tout fortement, mais suavement. Soyez toujours en compte ouvert avec la divine miséricorde et le bon Dieu sera content de vous.
J'ai vu à Hyères le bon Père Mayet - je l'ai trouvé bien - mais surtout aimé, soigné, vénéré comme ne ferait pas mieux la mère la plus tendre. Il le mérite bien. Nous sommes en lettres.
J'ai souvent de ses nouvelles; il est content. Je voudrais le voir plus souvent, car il est si bon !
Je suis heureux de tout ce que vous dites de cette bonne petite Marie, c'est votre Ange.
Gardez-la pour vous tant que vous le pourrez. - Je sais bien que cette parole n'est pas en rapport avec la pensée d'un coeur qui aime son enfant pour lui: mais où peut-elle être mieux?
Pour son bonheur, je lui souhaite, à cette bonne petite Marie, de ne vous quitter jamais.
Mille amitiés au bon Monsieur Perroud, notre cher frère en Marie, oui, il est Tierçaire, la médaille n'est qu'accessoire, puis il est si facile d'en avoir une et de la faire demander au P. Fabre ou au P.Poupinel.
Adieu, ma bonne fille, soyez bien assurée que je suis bien content de recevoir et de savoir de vos nouvelles. Nous avons bien prié pour votre cher mari: que Dieu soit béni de vous l'avoir rendu, qu'il vous le conserve et le bénisse toujours.
Tout à vous en N.S.
Eymard.
8 février 1853
Cher Monsieur,
Que vous êtes bon de m'avoir conservé un si bon souvenir! il m'est bien doux de vous le rendre et de vous souhaiter toutes les bénédictions du Ciel et de la terre, vous les méritez si bien! Dieu vous aime.
Que j'aurais été heureux si j'avais eu le plaisir de vous recevoir et de vous garder quelques jours avec nous. Je vous suis reconnaissant de votre bon désir, et si la même occasion se présente, pensez à Toulon. Si aux vacances j'allais près de vous, cher Monsieur, soyez assuré que vous auriez ma première visite. Je fais des voeux pour la conservation de votre petite Ange: que Dieu vous la conserve, qu'elle fasse un jour votre consolation.
Veuillez me rappeler au bon souvenir de Madame et de Madame sa Mère, et croyez aux sentiments d'estime et d'affection avec lesquels je suis,
Cher Monsieur Bethfort,
Tout à vous.
Eymard.
P.S. De vos nouvelles de temps en temps, elles me seront bien agréables. Pour moi, je suis bien et mes 112 enfants. C'est une belle mission que j'ai là, - priez pour moi.
9 Février 1853.
CHERE SOEUR EN MARIE,
Merci de votre bonne lettre, de vos voeux et de vos prières pour moi. J'aime à vous les rendre et à vous bénir. Vous savez bien que je ne puis passer à Bellecour sans dire un bonjour en passant. C'est ma maison de prédilection. La pensée d'une retraite pour Mr Gaudioz et pour vous me fait grand plaisir; vous ferez bien, on en a besoin, surtout quand on a tant de tracas et d'affaires.
Prenez toujours la bonne résolution, ma chère soeur, de ne jamais vous décourager, de vous remettre toujours en la confiance en Dieu, et puis commencez et dites: Allons! aujourd'hui je serai douce et généreuse, fidèle à mes prières, et le soir le Bon Dieu vous comblera de ses divines consolations.
Hélas! ma fille; la vie n'est qu'un Calvaire, un état de sacrifices continuels. Pour s'y rester fidèle, il ne faut pas perdre de vue le ciel qui est sur notre tête; Jésus, notre bon Sauveur, qui nous aime et nous aide à le suivre; Marie, notre bonne Mère, qui nous précède au Calvaire et nous conduit à Jésus.
Merci de votre jolie image, elle m'a fait un bien grand plaisir; pour moi; je ne puis que vous bénir, vous, votre famille, et le dire toujours en Notre-Seigneur, chère soeur.
Votre tout dévoué
EYMARD.
P.-S. Mes sentiments dévoués à vos chères soeurs.
Je viens, ma chère fille, vous dire aussi mes voeux, mes souhaits, mon désir aux pieds de notre divin Maître, offrande que je renouvelle tous les jours à sept heures, alors j'ai l'honneur et le bonheur d'être prêtre sur l'autel d'amour et sur le Calvaire mystique. Je demande donc que Jésus règne et vive en vous dans toute la plénitude de son amour. Ah! comme le Ciel doit se réjouir, comme la Sainte Trinité doit écouter avec complaisance quand une âme chrétienne s'écrie: "Non, ce n'est pas moi qui vis en moi, c'est Jésus qui vit en moi! Sa vérité voilée ou lumineuse vit dans mon esprit, le tableau de ses vertus et de ses souffrances s'anime dans mon imagination; son coeur couronné d'épines, ouvert par la lance, brûlant d'amour, son coeur divin absorbe, pénètre, anime mon coeur; les stigmates sacrés de son corps s'impriment sur mon corps comme sceau divin de son alliance éternelle avec moi; sa volonté est la règle, la vie, l'instinct de ma volonté. Je demeure en Jésus et Jésus demeure en moi. Tant qu'il y a une place à la souffrance, un sentiment, un désir, une affection à vous sacrifier, ô mon Dieu, laissez-moi sur le Calvaire de la vie. J'ai le temps de jouir, je veux souffrir avec vous, je n'ose pas dire par vous; eh bien! oui, par vous, ô feu dévorant et consumant!"
Voilà, ma fille, ce que nous demandons à Notre-Seigneur d'être en sa grâce et son amour; demandez-le pour moi. Oh! que j'en ai besoin! J'aurais besoin de ne dormir que très peu, pour me refaire, la nuit, des pertes du jour. L'âme souffre, elle se perd de vue dans une vie trop extérieure.
Je suis bien content des nouvelles que vous me donnez de vos enfants; vous êtes leur meilleur maître; les trois premières classes de la latinité ne sont que l'étude et l'application des principes de la Grammaire. Ecrivez-moi où ils en sont, et je pourrai vous indiquer quelque ouvrage utile. L'essentiel c'est de les faire rendre compte de tout par l'analyse grammaticale et logique, c'est de leur faire appliquer dans les thèmes les règles de la syntaxe qu'ils possèdent, c'est de les habituer à toujours bien parler français et à éviter tout terme trivial dans la conversation; cela fausse le goût.
Je suis heureux des bonnes nouvelles que vous me donnez de M.Tholin. Que Notre-Seigneur le fasse croître, de plus en plus, dans la connaissance de son amour! Je désire bien que votre bonne soeur soit heureuse; mais il ne faut pas la trop presser: c'est une douleur au coeur qui lui fait du bien dans un sens, le Bon Dieu le complétera.
Adieu, ma chère fille, je n'ai pas besoin de vous dire que vos lettres sont bienvenues.
Tout à vous en N.-S.
EYMARD.
P.-S. Vous feriez bien de vous procurer ce petit ouvrage: Exercices latins élémentaires et méthodiques appliqués à la Grammaire latine de Lhomond, par J. Geoffroy. A Paris, chez l'auteur, rue St. Louis, 27, au Marais.
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9 Février 1853.
CHER AMI ET FRERE EN MARIE,
Je regrette bien de vous faire attendre ma réponse; vous êtes toujours pour moi le père Gaudioz, mais j'ai eu la tête cassée ces temps passés par des malades, des affaires de tout genre; excusez-moi dans votre vieille amitié.
Il me serait certainement bien doux de vous voir, de partager vos peines et vos joies; mais je ne puis les partager qu'en priant le Bon Dieu pour vous et pour votre chère famille, qu'en appelant sur vos travaux les bénédictions de Dieu et de la Très Sainte Vierge.
Votre pensée d'une retraite, cher ami et frère, m'a fait bien plaisir. Oui, tâchez de vous dérober quelques jours à vos nombreuses occupations, et allez vous enfermer cinq à six jours à La Favorite sous la conduite du bon P. Maîtrepierre ou du P. Champion; là, votre âme se reposera un peu dans la prière et les réflexions saintes. Puis, vous y feriez une petite revue sur les principales fautes de la vie, mais courte et sans inquiétudes, et cela vous fera du bien. Quand on est toujours au milieu du monde, on s'affaiblit. Si nous, malgré la sainteté du saint ministère, nous ne faisions pas une retraite tous les ans, et de petites dans le courant de l'année, notre âme se dessécherait. Puis, on est si content à la mort de dire: J'ai fait une bonne retraite !
Mais prenez bien garde, les premiers jours de la retraite, de ne pas vous fatiguer la tête; allez-y tout simplement et avec bonne volonté. Je prierai bien pour vous. Cela me fait bien plaisir d'apprendre que le Juge de paix n'aurait qu'à encourager.
Aimez-vous, supportez-vous; que le plus parfait aille au-devant de l'autre pour avoir plus de mérite, et tout ira bien.
Je vous embrasse de tout mon coeur. Donnez-moi de temps en temps de vos nouvelles et croyez-moi toujours,
Cher ami et frère,
Tout à vous en N.-S.
EYMARD.
P.-S. Mes souvenirs religieux à vos soeurs. Pauvres
filles! elles doivent bien avoir besoin de vous!
[La Seyne-sur-Mer], 17 Mars 1853.
Bien cher ami et frère en Marie,
Merci de votre lettre, de votre bon souvenir. J'y suis bien sensible, et vous le rends de toute votre âme.
Mais quelle triste nouvelle vous m'annoncez: votre dame est bien malade! Hélas! hélas! comme Notre-Seigneur vous éprouve! Que la Croix doit être pesante! Vous le savez, saint Paul dit: Quoniam per multas tribulationes oportet nos intrare in regnum coelorum.
C'est là la voie du Ciel pour qui y porte bien la croix de Jésus! Portez bien la vôtre, cher frère. Le chemin n'est pas long, le repos est éternel; le crucifiement dure quelques heures, la gloire qui le suit est éternelle! Puis: Dieu le veut. Que ce mot divin vous soutienne, vous fortifie et vous console...
Nous allons tous bien prier pour la guérison de votre chère dame. Le jour de saint Joseph, nous allons commencer une neuvaine pour obtenir cette grâce.
Vous avez bien fait de quitter cette modique place de Saint-Régis. La Providence est bien bonne; ayez confiance en sa bonté, elle vous précédera toujours.
Soyez toujours un bon Tierçaire de Marie, de là vous viendront tous les biens. les devoirs d'état, il est vrai, avant tout.
J'écris deux mots à la bonne dame.
Adieu, cher ami, vos nouvelles me sont toujours agréables.
Tout à vous in Christo.
EYMARD, S.M.
[La Seyne-sur-Mer], 17 Mars 1853.
Madame et chère soeur en Marie,
J'apprends avec beaucoup de tristesse que vous êtes souffrante, et je désirerais bien être à Lyon pour aller vous consoler et vous aider à porter votre croix.
Ayez confiance en Jésus et Marie, ma chère soeur; unissez vos souffrances à nos prières: nous commençons samedi une neuvaine à saint Joseph pour vous et votre guérison.
Pour vous, ma chère fille, tirez tout le profit possible de vos souffrances, unissez-les aux souffrances de Jésus et de Marie; la souffrance chrétienne est le purgatoire de l'âme fidèle. Quand on souffre, on n'a pas le courage de réfléchir, ni de prier, mais on peut bénir Dieu, et l'honorer encore plus parfaitement par la soumission à sa sainte et toujours aimable Volonté. Allons, ma chère fille, regardez le Ciel éternel et si divin que Jésus vous donne. et prenez courage et confiance. Au Ciel, vous serez si contente d'avoir souffert quelque chose pour l'amour du Seigneur Jésus!
Je vous laisse pour aller dire la sainte Messe et bien prier pour vous.
Tout à vous en N.-S..
EYMARD, S.
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