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A SOEUR BENOITE
Paris, 4 novembre 1864
Chère fille en Notre-Seigneur,
Vous êtes donc souffrante! Offrez toutes vos souffrances pour mon voyage à Rome, car tous les démons sont contre, et cependant Dieu le veut, il y va de sa gloire.
N'augmentez pas vos souffrances, en prenant encore celles des autres, même les miennes, il faut seulement prier pour moi.
Vous savez bien que c'est votre mission pour la Société, vous vous reposerez au Ciel, mais pas encore. - La souffrance pour N. S. et en N. S. est si bonne!
Je vais bien prier aujourd'hui et demain pour votre soulagement.
Priez aussi pour le Nonce du Pape à Paris.
Aimez bien le Bon Dieu, faites-le bien aimer de vos filles. Je prie pour cette pauvre tête de Soeur Rose.
Mais quand même je suis loin de corps d'Angers, j'y suis d'esprit en N. S. Je vous bénis bien.
Tout vôtre en N. S.
EYMARD.
Marseille 7 novembre 1864
Chères Soeurs,
Je pars ce soir pour Rome; j'y resterai un mois environ. Je tacherai de vous apporter quelque chose pour votre loterie.
Je vais pour traiter une fondation à Jérusalem, pour le Cénacle; que je serais heureux si j'y voyais un jour Notre-Seigneur, car ce sont les Turcs qui l'ont.
Si je puis avoir un jour libre, j'irai vous voir. Je le désire autant que vous, bonnes soeurs, mais mes affaires vont toujours en augmentant, de sorte que je suis toujours très occupé.
A bientôt, chères soeurs.
Tout vôtre.
Eymard.
Nota: La lettre suivante (No. 8) fut adressée au R. P. Boone, s.j. mais concernait la fondation projetée avec Melle de MEEUS.
Marseille, 7 Novembre 1864.
Cher Père,
Je pars ce soir à 7 heures pour Rome; priez.
Fr. Eugène est arrivé ce matin à 9 heures par un très mauvais temps; je lui ai dit de rester à Marseille jusqu'à mon retour.
Il a placé l'argent à Jérusalem, fort heureusement; je vous envoie les reçus, faites tirer celui de St Joseph de Cluny; pour celui de Mlle Michel, elle va écrire à ses frères.
Je vais à Rome avec espérance, mais en m'attendant à des épreuves.
Que Dieu soit grâce et force!
Ménagez-vous bien, bon Père.
Tout vôtre en Notre-Seigneur.
EYMARD.
Marseille, 7 Novembre 1864.
Chère fille,
J'arrive à Marseille, je pars ce soir pour Rome, écrivez-moi au Séminaire français. Donnez-moi de vos nouvelles et de soeur Benoîte. Tout va bien ici.
Je pars à la garde de Dieu. Priez toutes pour Jérusalem.
Je vous bénis.
EYMARD.
Rome, 15 Novembre 1864.
Merci de votre lettre. Seulement, comme à Rome ce n'est que 7 grammes, il m'a fallu payer deux francs de plus, ce que vous avez mis de timbres-poste ne comptant pas, puisqu'ils étaient insuffisants. Une autre fois, faites-les peser à la poste.
La lettre de Mlle Lautard de Marseille ne dit rien, sinon qu'elle renonce à vous, puisqu'elle veut fonder un Carmel. Pauvre demoiselle, elle est plus à plaindre qu'à blâmer.
J'ai vu avant mon départ Mlle Sterlingue. A la fin du mois de novembre, elle vous portera dix mille francs.
Attendez encore un peu pour ce passage, nous verrons s'il n'y a pas un autre moyen.
J'ai dit à cette demoiselle Brenet que c'était fini, qu'elle avait montré trop d'incertitude et peu de courage. Je l'ai même bien grondée d'être sortie de frayeur et que vous ne la prendriez plus.
Il est fâcheux que soeur Mariette ait fait tant de chemin pour rien; vous avez bien fait de lui écrire de revenir si cela ne va pas à Lyon. Dites-lui aussi qu'elle n'est pas tenue à l'Office; pour vous, faites comme vous me le dites. C'est le besoin et la raison qui vous ont appris à faire ainsi; et même, si cela vous fatigue, suspendez-le, ou, du moins contentez-vous [de suivre] des yeux. Oui il faut bien prier, car c'est tout à recommencer à Rome, c'est comme s'il n'y avait rien de fait; et qui sait même si le Saint-Père permettra? J'espère avoir mon audience à la fin de la semaine, priez bien pour cela, puisqu'il s'agit de la gloire de Dieu.
Nous avons eu bien mauvais temps; j'ai eu le mal de mer bien fort. - Maintenant c'est passé et je n'y pense plus.
Adieu, chère fille. Je vous bénis et toutes vos filles.
Tout à vous en Notre-Seigneur.
EYMARD.
P. S. - Vous recevrez les Règles de Mr Le Clère. Ecrivez-lui pour qu'il vous envoie le dernier tirage seulement, et que je prendrai le premier pour le corriger.
La première chose à faire en attendant la passerelle, faites ouvrir la porte de la buan-
derie afin que vous ne passiez pas par les jardins.
Rome, Séminaire français, le 15 Novembre 1864.
CHERE DAME EN N.-S.,
Me voici à Rome depuis cinq jours; j'y suis venu pour l'affaire de Jérusalem, car tous les démons en sont furieux; mais j'espère en la gloire de Notre-Seigneur.
Je m'occupe de votre affaire, mais, mais.... que c'est difficile! Il faudrait un personnage comme votre Cardinal de Rouen, ou même votre frère ici, avec sa foi vive. C'est une grâce à enlever dans une audience particulière.
Je ne vous oublie pas, ainsi que votre soeur bien chère; priez pour moi aussi, car j'en sens le besoin.
Rome est calme comme un enfant dormant sur les genoux de sa mère.
Dieu veille, et les méchants sont nombreux.
Adieu en N.-S.
Tout à votre service.
EYMARD, S.
A Monsieur Romain de Sèze.
Rome, Séminaire français, le 15 novembre 1864
Cher Monsieur et ami en N.S.,
Ce n'est qu'aujourd'hui que j'ai pu lire votre lettre, c'est donc venir bien tard vous répondre, je le fais cependant pour vous prouver mon vif intérêt et aussi pour vous dire mon sentiment personnel; c'est que vous vous mariez avec la personne dont vous me parlez, cela me paraît providentiel.
Quant à votre vocation religieuse, je ne vois certainement rien contre en vous, - mais tout mis dans la balance, il me paraît que le mariage a plus de raison d'être pour vous.
Je vais bien prier pour vous, car c'est vous, en dernière analyse, qui devez dire le Oui ou le non.
J'ai conservé et conserverai de vous toujours un bon et religieux souvenir devant Dieu en qui je suis,
Cher Monsieur, votre tout dévoué.
Eymard.
M.Romain de Sèze, au château d'Eyran, par Brède (Gironde)
(Cette adresse a été biffée et remplacée par la suivante: Rue de Verneuil 11, Paris)
Rome, Séminaire français, le 15 Novembre 1864.
Cher Père,
Me voici à Rome depuis cinq jours; nous avons eu un gros temps, un retard de douze heures. Je suis arrivé ici le jeudi et le soir j'ai vu le Cardinal Barnabo, qui ne m'a guère encouragé. D'après lui, tout est à l'examen, tout ce qu'on a fait ne devait avoir aucun côté de fondation religieuse, mais simplement un achat de terrain. Bref, je n'y ai rien compris, sinon qu'ils voient de grosses difficultés et qu'ils n'osent les aborder. Ce bon Cardinal a parlé tout seul, longtemps, pour me dire tout ce que je savais et montrer sa position délicate vis-à-vis du Patriarche et des franciscains.
Enfin, ce n'est qu'aujourd'hui que j'ai pu saisir Mgr Capalti, après quatre voyages à la Propagande: mêmes réponses.
La conclusion de tout est que je porterai à Sa Sainteté la question religieuse qui est le fond de tout et la grosse et unique affaire. J'ai fait ma demande d'audience, je l'espère vers la fin de la semaine; priez et faites bien prier. Je sens une tempête autour du St Père, mais Notre-Seigneur, qui semble dormir, se réveillera au moment de sa gloire.
J'ai reçu la lettre du P. Blot et du P. Chanuet; je ne puis rien dire encore, j'ai besoin de prier pour savoir si c'est l'heure de cette seconde classe d'adorateurs, priez bien aussi pour cela.
Je ne vais pas mal, le temps est toujours à la pluie ici.
Adieu, bon Père, amitiés à tous et surtout au P. Chanuet.
Tout à vous en Notre-Seigneur.
EYMARD.
Nota: Cette Supplique fut présentée le 17 novembre 1864.
TRES SAINT PERE,
Pierre Julien Eymard, Supérieur de la Société du T. S. Sacrement canoniquement instituée à Paris, expose, prosterné aux pieds de Votre Sainteté: que dans le désir de racheter le Cénacle des mains des infidèles, et de la profanation mahométane, il a, le 2 février, fête de la Présentation, soumis au S. Siège son projet de commencer par acquérir, en temps favorable, les terrains voisins du Cénacle, dont une grande partie a déjà été achetée par les schismatiques et les protestants, assurément dans un but hostile à la Ste Eglise; en ce moment même, m'écrit un religieux de notre Société, de Jérusalem, à la date du 12 octobre, les Anglais veulent acheter un beau terrain, voisin de la Porte de Sion, à l'endroit où était la maison de la T. S. Vierge, pour y bâtir une école protestante; notre religieux a fait surseoir à la vente en offrant 5.000 francs de plus, et attendant la réponse favorable du S. Siège pour l'acquérir.
Sur les encouragements de la S. C. de la Propagande, du 31 mai dernier, de donner suite à notre projet, et sur sa recommandation à cet effet au Patriarche de Jérusalem, nous avons envoyé au mois de juillet nos religieux à Jérusalem, avec les ressources nécessaires pour louer d'abord une maison, y commencer l'adoration, selon le but de notre Société, en attendant de pouvoir acquérir le Cénacle lui-même, ou du moins les terrains voisins.
Son Excellence Mgr le Patriarche a reçu nos religieux avec une grande affection et désire autant que nous cette fondation; mais ne se croyant pas assez autorisée formellement, par la lettre de S. E. le Card. Préfet de la Propagande pour nous donner la faculté d'ouvrir une maison d'adoration à Jérusalem, à cause d'un ancien Décret qui prohibe en Terre Sainte tout autre ordre religieux que celui des Franciscains, en a référé au S. Siège, et nous a même encouragés à venir solliciter cette grâce formelle, afin de lever tout doute; nous devons ajouter avec bonheur, T. S. Père, que les Franciscains de Jérusalem et surtout le nouveau Custode Général nous sont favorable et ont très bien accueilli nos religieux.
Notre maison d'adoration à Jérusalem fera un autre bien, celui de relever le culte du T. S. Sacrement, hélas! bien pauvre et bien abandonné dans la Ville Sainte où toutes les communions chrétiennes se disputent la croix du Sauveur et laissant son Tabernacle désert.
L'humble Suppliant, et ses frères prosternés aux pieds de Votre Sainteté, la supplient de lever tout obstacle à leur fondation religieuse à Jérusalem, pleins de confiance que Dieu touché par les prières de l'adoration perpétuelle et la pénitence hâtera le moment heureux de la délivrance du Cénacle des mains des infidèles, le rendra au culte catholique, et avec ce triomphe, s'ouvrira une ère nouvelle de grâces et de bénédictions sur le monde, et peut-être dans les desseins de la Divine Providence, ce moment heureux n'est-il pas bien éloigné!
Et l'orateur priera etc...
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Nota (nur in Rom-Ausgabe; S. 107):
Cette supplique fut présentée au Pape dans une audience. le 17 novembre 1864. - Quant à la Supplique du 2 février, le texte imprimé dans la Vie du Bx. (Troussier, Vol. II, p. 422-423) est un peu différent, particulièrement l'alinéa (antepenultima) "C'est à cette fin...", qui est ici incorrect, parce qu'il manque quelques mots.
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Rome, Séminaire français, le 22 Novembre 1864.
Je n'ai pu vous écrire encore de la Ville Eternelle; je le fais aujourd'hui pour vous dire que j'ai vu le Saint-Père jeudi, que l'affaire de Jérusalem a été bien accueillie par Sa Sainteté et renvoyée à l'examen de la Congrégation générale des Cardinaux de la Propagande: c'est tout ce que le Saint-Père pouvait faire de plus favorable. Maintenant je fais un mémoire sur la grande et colossale affaire, et dont les conséquences seront très importantes, si elles ouvrent la Terre-Sainte à la Société et, avec elle, à toutes les autres.
J'espérais voir la chose vite terminée comme me le faisait espérer le bon Père de Cuers, mais elle prend tant de proportion qu'elle va devenir une question générale.
Que Dieu en tire sa gloire!
Le Saint-Père va très bien, Rome est calme et tranquille comme la foi et la confiance en Dieu, on y prie beaucoup: d'ailleurs vous savez que la prière est grande à Rome.
Priez pour moi ou plutôt pour la grande affaire du Cénacle.
Amitiés à tous.
Tout vôtre en N.-S.
EYMARD, S.
Rome, 22 Novembre 1864.
Cher Père,
J'ai vu le St Père, il a bien écouté ma supplique que j'ai lue à Sa Sainteté jusqu'au bout.
Elle n'a fait aucune objection, et cependant j'ai tout exposé: le Décret ancien, la lettre de la Propagande, votre voyage à Jérusalem pour commencer la fondation, l'état de misère et d'abandon du culte eucharistique à Jérusalem où l'on ne parlait que de la croix, laissant le tabernacle désert.
Le Pape m'a dit qu'il renverrait la question à la Congrégation de la Propagande; c'est le seul moyen qui fût possible, parce que c'était la Congrégation qui avait fait le Décret contraire.
J'ai vu le Cardinal Barnabo, qui me paraît très bien disposé; mais il faut que la question soit portée devant la Congrégation générale des Cardinaux. Son Eminence m'a dit de faire un mémoire complet sur l'affaire, qu'il fera imprimer pour le distribuer ensuite à tous les Cardinaux de la Congrégation.
Ce bon Cardinal m'a dit dans quel sens il fallait le faire; j'y travaille; il m'a dit les trois grandes difficultés à vaincre: la diplomatie française, la congrégation religieuse française, les franciscains. Mgr Capalti m'a ajouté que l'on craignait toujours la présence de plusieurs Corps dans les missions.
Plusieurs fois le Cardinal Préfet m'a répété: On aurait dû commencer par acheter. Il avait l'air de dire le fait accompli. Et si Mgr le Patriarche avait commencé la fondation avec la lettre à nous écrite, et à son Excellence, la question aurait eu un grand pas de fait; mais comme me l'a dit le Cardinal Préfet, on sait à Rome sa pensée d'appeler tous les Corps religieux, et alors on s'en défie; puis en ce moment, m'a-t-il dit, les Lazaristes, les Jésuites et un autre Corps de la Servie, demandent l'entrée. - Ils sont venus après nous.
Voilà, cher Père, où en sont les choses; assurément je n'y vois aucun clair, dans ces nuages; je n'espère pas beaucoup, cependant je fais tout comme si la chose devait réussir: c'est une affaire colossale, à effrayer par sa gravité et ses conséquences. Jugez de mon embarras.
Le Card. Barnabo m'avait dit: le Pape est ennuyé de cette question de Jérusalem, il n'aime pas qu'on lui en parle, on craint la Russie, on redoute la France; on est mal disposé contre la France, parce qu'elle va laisser tomber la coupole du Sépulcre. Le Saint Père à demandé à Constantinople de la réparer tout seul à ses frais; on lui a répondu que c'était trop tard, qu'on ne l'avait même pas consulté pour faire appel à la Russie, mais que la note du Saint Père servirait de note d'opposition en cas de besoin.
Voilà, cher Père, en quels sentiments je suis allé à mon audience papale; mais Dieu m'a consolé, car le Saint-Père a été si bon et si bienveillant. Reste maintenant la Congrégation qui va décider, ou plutôt la gloire de la divine Eucharistie contre une question personnelle, d'un Corps, ou de pauvres idées de nationalités, ou de langues, ou de rapports.
Exurgat Deus! - Domine iudica causam tuam. - Adveniat Regnum tuum. Voilà ma prière continuelle!
Adieu, cher Père, amitiés à tous.
Tout vôtre en Notre-Seigneur.
EYMARD, S. S. S.
/Rome 24 novembre 1864/
R A P P O R T à S. E. le Card. Préfet de la PROPAGANDE.
Eminence,
La bienveillance avec laquelle vous avez daigné nous recevoir, et favoriser notre désir de racheter le Cénacle pour y fonder l'adoration perpétuelle, votre dévouement pour étendre le royaume de Dieu, m'encouragent à venir soumettre à Votre Eminence nos pensées sur cette grande question, et en résumer les différents phases.
Le 2 février de cette année, je soumis d'abord à Sa Sainteté le premier projet d'acheter le Cénacle lui-même dans le but de l'adoration perpétuelle et solennelle; Sa Sainteté ordonna à la S. C. de la Propagande, de prendre des informations sur cette question, auprès de S. Exc. Mgr le Patriarche de Jérusalem, qui répondit favorablement à notre projet de fondation en général, dit l'impossibilité pour le moment d'acquérir le Cénacle lui-même devenu mosquée, et sous laquelle se trouve, d'après les Turcs, le tombeau de David, qu'ils ont en vénération.
C'est aussi ce que Votre Eminence daigne m'écrire à la date du 31 mai dernier; les deux religieux que j'avais envoyés sur les lieux me firent aussi la même réponse. Ce fut alors que la pensée de fonder dans Jérusalem même une maison d'adoration préparatoire nous vint. Mgr le Patriarche la trouva bonne, parce qu'elle nous donnerait la facilité, étant sur les lieux, de profiter des occasions favorables pour acheter les terrains voisins du Cénacle et qui appartient à des particuliers; car déjà les protestants et les schismatiques en ont acheté une grande partie dans un but certainement hostile à la Ste Eglise et dans la prévision d'un événement peut-être prochain, d'un bouleversement politique qui pourrait leur livrer le Cénacle.
La S. Congrégation dans la même lettre du 31 mai et dans une seconde du mois de juillet, daignait nous encourager dans ce second projet et nous avait même recommandés à Mgr le Patriarche; heureux de cet encouragement si honorable, j'envoyai deux religieux P. de Ceurs et un autre profès à Jérusalem avec les premières ressources pour bâtir une chapelle provisoire et y commencer l'adoration. Ce fut alors que Mgr le Patriarche ne se croyant pas assez formellement autorisé à nous permettre une fondation religieuse nous allégua un Décret existant depuis 700 ans, et qui suspendit par sa teneur, la fondation de toute autre Congrégation religieuse que celles existantes en terre sainte et nous promit d'écrire en notre faveur à la S. C. de la Propagande pour le dilata à suspendre pour nous ou à infirmer pour tous.
J'ai dû, suivant le sage conseil que m'a donné Votre Eminence, soumettre à Sa Sainteté l'état nouveau de la question de la fondation à Jérusalem. Je l'ai fait, et voici le résumé de ma supplique. J'ai exposé que dans l'impossibilité actuelle d'acquérir le Cénacle, il serait opportun et très utile d'acheter les terrains voisins du Cénacle, possédés en partie déjà par les Anglais étaient en marché d'un beau terrain de 1500 mètres, près de la porte de Sion et du Cénacle, pour y bâtir une école protestante; qu'un de nos religieux, laissé à Jérusalem, l'ayant appris, en a offert un prix plus élevé, il attend ma réponse, pour l'acheter, on dit que c'est l'emplacement où était la maison de la T. S. Vierge près du Cénacle même. J'ai dit aussi la difficulté du Décret allégué par Mgr le Patriarche, et j'ai supplié Sa Sainteté d'ôter cette barrière à notre entrée, désirée par le Patriarche lui-même, et que le nouveau Custode Général de la terre sainte accueillait avec bienveillance vos religieux, dont il savait la pensée de fondation religieuse. J'ai terminé ma supplique par l'exposé de la pauvreté du culte du T. S. Sacrement à Jérusalem, surtout dans les communautés schismatiques, et l'on pourrait même dire chez les catholiques.
Tel est, Eminence, le résumé de mon adresse au S. Père, il a daigné l'écouter avec bienveillance, m'a promis de le soumettre à l'examen de la S. C., et m'a laissé dans la douce confiance de son heureuse issue, elle est entre vos mains, Eminence. Je ne me fais pas illusion sur les difficultés de la position; elles sont grandes, votre prudence ne me les a pas cachées; heureusement, avant de ne rien entreprendre nous les ignorions; car peut-être nous n'aurions jamais eu le courage de les aborder.
Permettez-moi, Eminence, d'examiner les quatre grandes difficultés qui paraissent être contre nous.
La première, il est à craindre que la Diplomatie des puissances ne s'émeuve de cette fondation, ou que notre Gouvernement français ne s'y ingère.
Cette difficulté pourrait être sérieuse, s'il s'agissait du Cénacle lui-même, mais il ne s'agit que des terrains voisins que tout le monde a le droit d'acheter. D'ailleurs ce n'est pas comme français, ni sous la protection de notre gouvernement que nous irons à Jérusalem, mais comme religieux de la Ste Eglise Romaine et sous la juridiction de Mgr le Patriarche. Avant toute démarche auprès du S. Siège, j'avais cru prudent de demander au Ministre des Affaires Etrangères si le gouvernement verrait avec opposition notre désir de fonder à Jérusalem une maison d'adoration, comme nous en avons à Paris, à Marseille, à Angers, et on nous répondit que non, mais que la chose dépendait entièrement de la Propagande, on ne pouvait que nous recommander; c'est tout ce que nous voulions. M. le Ministre Drouyn de Lhuis nous donna même une lettre pour le Consul français à Jérusalem, M. de Barrère. Assurément la Diplomatie nous laissera tranquilles et nous la laisserons aussi.
En seconde difficulté, c'est la crainte de la désunion des corps entre eux, ce qui serait un scandale bien triste au milieu des diverses communions schismatiques à Jérusalem.
Je ne sais si la désunion viendra du côté des R.R.P.P. Franciscains; assurément elle ne viendra pas de notre part. Le culte du T. S. Sacrement établit partout, au contraire, un lien fraternel de charité; d'ailleurs, il ne peut pas y avoir matière de désunion à notre sujet, puisque nous ne serons pas sur le même terrain de zèle. Nous sommes absorbés jour et nuit par le service successif de l'adoration perpétuelle et de l'office divin au choeur. Non, non, Eminence, je puis vous assurer que nous ne serons pas un sujet de discorde à Jérusalem. J'ai même confiance que nous serons comme un trait d'union entre les deux autorités spirituelles des lieux saints. Si vous nous donnez une église d'adoration à Jérusalem, Eminence, nous n'avons plus rien à envier, nous n'aurons qu'à adorer, qu'à prier pour tous, en respectant et faisant respecter les droits de chacun.
La 3ème difficulté est peut-être plus sérieuse, c'est l'élément français contre l'élément italien seul en usage en Orient.
S'il s'agissait, Eminence, d'une question de nationalité, la position pourrait devenir une rivalité, mais ici il ne s'agit pas des personnes, mais bien des oeuvres différentes. Nous apprendrons l'italien de l'Orient quoiqu'il soit barbare à côté de celui de Rome, car c'est un mélange informe de turc, d'arabe, etc., mais c'est plutôt l'arabe que nous apprendrons pour faire le catéchisme, si Mgr le Patriarche le trouve bon. Plût à Dieu, Eminence, qu'on y parlât encore le français de Godefroy de Bouillon!
Permettez-moi, Eminence, d'ajouter à cela, qu'il importe peu que l'on soit italien, ou français ou allemand, pourvu que l'on procure la gloire de Dieu et le triomphe de la Ste Eglise Romaine. Ne sommes-nous pas tous les enfants de la S. Mère l'Eglise? Je conviens que nous, français, nous avons plus d'initiative que les italiens, c'est le caractère national, mais après tout le mélange de divers éléments de zèle produit l'émulation: on s'endort vite sur ses lauriers passés, quand on est maître absolu de la place.
La 4ème difficulté est la plus terrible, les privilèges accordés aux franciscains sont contre toute autre fondation.
Si le privilège empêche un plus grand bien, il me semble qu'il faut ou l'éteindre ou le limiter, Eminence!
L'autorité pontificale qui l'a accordé, a toujours le même pouvoir. D'ailleurs les privilèges suivent les temps, mais ne les dominent pas; il arrive toujours un moment où ils sont impossibles ou tombent en désuétude.
En rétablissant le Patriarcat de Jérusalem, le S. Siège a bien limité les privilèges franciscains! ou plutôt, le Patriarcat a repris ses droits, et certes la S. Congrégation doit se féliciter de ce rétablissement, qui déjà a opéré des fruits si merveilleux en Syrie. Les franciscains gardent les Saint Lieux, le Patriarche reconquiert les autres, ou du moins les âmes hors du bercail.
D'ailleurs Sa Sainteté, en déclarant, il y a deux ans, que les Pères de la terre sainte garderaient ce qu'ils ont actuellement, mais ne pourraient acquérir de nouveaux sanctuaires, a tranché la question, ou du moins l'a fixée. En fondant donc une maison d'adoration, avec l'approbation du S. Siège, dans le but du rachat, si désiré, du Cénacle, et sous l'autorité de Son Eminence Mgr le Patriarche, nous n'infirmons aucun privilège franciscain, nous les confirmons, au contraire, par l'autorité qui nous envoie et celle qui nous dirigera. Vous m'avez dit, Eminence, que l'affaire sera portée devant la Congrégation générale de la Propagande, j'en suis heureux, parce que, de sa décision, sortira l'expression de la volonté de Dieu sur nous; si elle approuve notre désir de fondation à Jérusalem, en vue du rachat du Cénacle, (ce qui, Eminence, n'est peut-être pas bien éloigné), nous partirons joyeux et dévoués corps et biens à cette oeuvre éminemment catholique; si au contraire elle juge, dans sa sagesse, qu'il n'y a pas lieu à nous approuver pour Jérusalem, nous nous soumettrons et nous attendrons le moment de Dieu.
Afin d'éclairer votre religion sur nous, Eminence, je joins ici le Décret de notre approbation et un exemplaire de nos Constitutions.
Je baise avec vénération votre Pourpre sacrée et suis heureux de me dire en Notre Seigneur,
De Votre Eminence
Le très humble et très obéissant serviteur.
Pierre-Julien Eymard
Supérieur de la Société du T. S. Sacrement.
Rome 24 novembre 1864
Nota (Rom-Ausgabe, 113): même attestation d'authenticité que la lettre précédente)
Rome, 25 Novembre 1864.
Chère fille,
Je viens vous écrire un petit mot. Je ne vais pas mal, disons même bien.
J'ai vu le Saint-Père le 17, jeudi; il a été très bon et a renvoyé à la Congrégation de la Propagande l'examen de la fondation religieuse de Jérusalem. Je n'ose pas l'espérer, si je regarde les difficultés; mais je l'espère de tout mon coeur, quand je consulte la gloire de Notre-Seigneur et sa bonté à nous confier une si belle mission.
Je ne vous ai pas oubliée auprès du Saint-Père. Il m'a donné une bonne et précieuse bénédiction pour vous toutes. J'apprends aujourd'hui que le P. Binet sort pour raison de santé, et que le P. Garreau d'Angers est sorti pour entrer chez les Dominicains. Il voulait une vie de mission et de prédication. Dieu soit béni!
Notre bon Maître ne garde que ceux qui viennent pour lui absolument. Ces sorties m'ont fait de la peine, mais Notre-Seigneur saura bien les remplacer. Je désire ne pas rester longtemps à Rome et m'en aller dans une quinzaine de jours, si Dieu le veut.
Adieu, chère fille.
J'espère que soeur Benoîte va bien maintenant. Je la bénis tout spécialement ainsi que vous, chère fille.
EYMARD.
P. S. - Lisez la lettre que j'écris à Mr le Curé; cachetez-la et la lui remettez.
Rome, 2 Décembre 1864.
Chère fille,
J'ai reçu avec joie de vos nouvelles à toutes.
Je prie le bon Maître de guérir votre chère soeur Eustelle, de vous bénir toutes en son bon et aimable service.
Il faut bien, chère fille, que vous arrosiez l'arbre eucharistique de quelques sueurs de sang, afin qu'il fleurisse sur la terre et dans le ciel!
Regardez les épreuves comme des grâces; portez-les par amour, car c'est le fruit vrai de la vertu. Rappelez-vous souvent qu'une mère doit souffrir pour tous ses enfants et les enfanter au service de Dieu par ses propres souffrances. Les saints coûtent beaucoup à former, et il faut acheter chèrement leur couronne. - Ce n'est pas en vain qu'il faut dit à notre première mère qu'elle enfanterait dans la douleur. Notre seconde Mère, la T. Ste Vierge, nous a enfantés à la vie de la grâce en union à Jésus crucifié; vous, troisième mère, ou succédant aux deux premières, il faut bien avoir leur part en la vie surnaturelle.
Pour vos chaises, il faut tenir au principe qu'il y aura des abonnements. - Je voudrais que chez vous, on fît payer les chaises aussi; mais comme à Marseille, sans abonnements, parce qu'il y a bien aussi son inconvénient, qui est que les chaises sont vides quand on n'y est pas. Aussi faudrait-il dire aux personnes abonnées que, lorsqu'un exercice est commencé et que leurs chaises sont occupées, c'est au premier occupant; autrement il arriverait que l'on serait plus maîtresse chez vous que vous-même. Tenez à l'abonnement puisqu'il est fait, mais voyez à arranger ou à prévenir l'inconvénient de ce dérangement.
Faites bien et laissez dire: on ne contente jamais tout le monde, vous êtes maîtresse chez vous. Qui en murmurera finira par se taire ou s'en aller.
Il n'y a encore rien de fait. Le Cardinal, qui devait traiter l'affaire, est malade; il va mieux. Que Dieu soit béni!
Soeur Benoîte, je vous bénis, soyez bien sage, voici la Noël, le beau temps! Faites une jolie crèche à l'Enfant-Jésus.
Tout à vous en Notre-Seigneur.
EYMARD.
Rome, 2 Décembre 1864.
Bien cher Père,
Encore une épreuve!
J'ai remis mon mémoire à Son Eminence le Card. Préfet, jeudi 24, et le lendemain ce bon Cardinal devenait gravement malade de la goutte remontée; on a craint un instant, enfin aujourd'hui j'ai pu le voir; à sa première audience du Saint Père, il parlera du décret Dilata. Il me disait: il faut lever cet obstacle pour tous, parce que ce serait presque injurieux de ne le lever que pour un Corps. Ce bon Cardinal a été plein de bienveillance, mais il faut qu'avant la Congrégation générale des Cardinaux il voie le Saint Père.
Quelle grosse affaire!
Prions! c'est le jeudi que Son Eminence a son audience: quel bonheur si c'était jeudi prochain, fête de l'Immaculée Conception!
Ainsi me voilà à Rome; jusqu'à quand, je n'en sais rien. Mais je ne puis en partir, sans voir l'affaire ou enterrée, ou approuvée.
Certes le Cénacle en vaut la peine! Et si à Rome on ne pousse pas, si on n'est pas là, c'est long!
Je travaille tant que je peux sur la science eucharistique liturgique! Le temps sera ainsi moins long et plus utilement employé.
Adieu, cher Père, amitiés à tous en Notre-Seigneur.
Tout vôtre.
EYMARD, S. S.
P. S. - Vous rappelez-vous la maison du Capitole, non la première, mais la deuxième neuve, avec un jardin à côté pour l'église, et ayant derrière encore un jardin? eh bien! elle est à vendre, on en veut 80.000 fr. C'est la plus belle position de Rome, c'est la gloire du Maître au Capitole; mais, mais, ni hommes, ni argent pour le moment.
Adveniat Regnum tuum.
Rome, 2 Décembre 1864.
Madame,
Je veux pourtant vous écrire un mot de la Ville sainte pour vous dire que je vous nomme à tous les Saints et à toutes les Saintes qui remplissent Rome! mais je vous donne tous les jours à Notre-Seigneur à sept heures au saint Autel afin qu'il vous bénisse et vous rende digne de tout son amour et sa vraie servante au Très Saint sacrement.
Que vous êtes heureuse! vous avez chez vous Notre-Seigneur, il est là pour vous spécialement; il vous aime donc bien, puisqu'il reste avec vous et se donne à vous jour et nuit!
Servez-le avec honneur.
Adorez-le avec amour.
Restez à ses pieds comme Marie, et servez-le comme Marthe.
Faites-le beau par son autel, encore plus par son Coeur.
Je reste ici à la disposition du bon Maître, je ne sais quand j'en partirai; je croyais n'y rester que quinze jours et voilà bientôt un mois. Qu'il en soit béni! je suis à lui avant tout!
Priez pour le Cénacle, car les démons sont furieux et les hommes même ici ont peur; mais la gloire du bon Maître l'emportera!
Je vous bénis en N.-S.
EYMARD.
Madame d'Andigné, à remettre en mains propres.
Rome, 3 Décembre 1864, Séminaire français.
BONNE DAME,
Je ne puis écrire à la fille sans dire un mot à la chère mère.
Me voici à Rome jusqu'à fin décembre, peut-être; c'est pour le Cénacle. Il faut l'acheter un peu cher, car le diable le possède; les hommes ont peur, et me voilà seul avec ma prière et Notre-Seigneur.
Priez en union à cette grande pensée, car le Cénacle réouvert au culte du Très Saint Sacrement semble ouvrir une ère de grâce et de gloire à Notre-Seigneur. Quel bonheur! si j'allais mourir à Jérusalem, si je voyais un jour le Très Saint Sacrement exposé au Cénacle même! Plus on me dit que c'est difficile, plus j'espère, parce que le Bon Dieu y mettra son bras tout entier.
Rome est calme comme sa foi, le Pape est souriant de confiance en Dieu, le démon s'agite ici plus qu'ailleurs; mais puisque le divin Maître a voulu être le soutien de son vicaire, il le soutiendra avec rien, comme cela arrive aujourd'hui.
Aurai-je la consolation de vous voir en passant, bonne dame? je n'en sais rien; je suis comme un nuage qui passe comme le vent le pousse.
Cependant je serai aise de vous voir; si je le puis, je le ferai.
Vous voilà seule à Lyon, ou plutôt à votre vie ordinaire; rendez-la nouvelle tous les jours pour Dieu, car elle doit l'être en votre grâce et en votre amour pour Notre-Seigneur. Mr Peurière vous a été ôté: c'est une perte, je prie Dieu de vous en donner un meilleur encore; rappelez-vous les trois qualités d'un directeur:
Si vous n'en trouvez pas de suite, confessez-vous et réservez votre confiance pour l'heure de Dieu, et vivez du jour au jour pour la vertu et de l'esprit de Dieu pour la loi de vie.
Adieu, bonne dame, je vous bénis de tout mon coeur.
Tout à vous en N.-S.
EYMARD, S.
Rome, 3 Décembre 1864. Au Séminaire français.
MADAME ET CHERE FILLE EN N.-S.,
C'est de Rome que je viens répondre à votre lettre du 25 octobre.
Je suis ici depuis un mois. J'espérais n'y rester que quelques semaines, mais je vois bien qu'il faudra y rester ce mois encore. Enfin, tant qu'il plaira à Dieu!...
Je suis ici pour l'affaire de la fondation de Jérusalem. Il y a de grandes difficultés, mais tout s'aplanira si Notre-Seigneur veut avoir à Jérusalem une maison d'adoration.
J'attends la bonne dame Nugues et je la verrai ici avec grande joie ainsi que ses deux enfants; j'ai vu Mr Nugues qui va bien.
J'en viens à vous.
Vous avez raison: travaillez au saint recueillement; c'est la racine de l'arbre, la vie des vertus, et même de l'amour divin.
La dissipation de l'esprit fait bien du mal au coeur, parce que l'esprit voltigeant partout, s'amusant de tout, se préoccupant de mille petits riens, laisse le coeur à sec, ne l'alimente plus de bonnes pensées; la mémoire ne lui rappelle plus la présence de Dieu; l'imagination s'amuse et amuse l'esprit de ses folles inventions. Alors ce pauvre coeur se trouve réduit à ces sentiments de Dieu de piété, à l'inspiration de la grâce, et, comme il n'est pas bien enraciné en Dieu, plein de son amour, vivant de l'Esprit-Saint, il s'épuise vite et s'ennuie.
Allons, chère fille, il faut travailler au saint recueillement en vivant de la loi de Dieu, de sa vérité, des dons de sa bonté, des témoignages incessants de son amour. Il faut vous faire un centre de vie en Dieu, une demeure, afin que l'esprit de Notre-Seigneur remplisse votre mauvais esprit et soit la lumière, la joie et la vie de votre coeur.
L'essentiel dans le service de Dieu est de réparer toujours ses forces. On le fait par une retraite d'abondance; mais quand on ne le peut pas, il faut diriger son oraison, ses lectures spirituelles, ses petits sacrifices, sur le grand et unique point du recueillement dans l'esprit intérieur, selon le mouvement de la grâce du moment.
Au lieu de huit jours, mettez-en quinze, et souvenez-vous que le mieux de votre âme dépend de votre plus grande facilité à vous recueillir en Dieu. Le reste n'en est qu'une application pratique. C'est comme la plante qui tire sa vie de sa racine, et la racine qui la tire de l'humidité de la terre.
Allons, courage! Ramassez tous les matins la manne de la journée. Tous les matins elle tombe pour vous, et qu'elle vous soit tout en toutes choses.
Je vous bénis en N.-S.
Tout à vous.
EYMARD, P. S.
P.-S. Je ne vous dis rien du Tiers-Ordre de Marie. Cependant, comme votre mère en fait partie, ce serait un lien de plus avec sa grâce.
Rome, 3 Décembre 1864, au Séminaire français.
BIEN CHERES SOEURS,
Je viens vous écrire un petit mot de Rome où je suis arrivé après une rude traversée, avec le gros mal de mer; mais une fois à terre, on l'oublie vite. C'est un peu comme au ciel, on oublie ses peines passées. Je vais bien, il fait très beau temps à Rome.
J'ai eu le bonheur de voir le Saint-Père le 17 novembre. Sa Sainteté m'a reçu avec beaucoup de bonté et m'a accordé ce que je lui demandais pour aller à Jérusalem fonder une maison d'adoration près du Cénacle où Notre-Seigneur a institué le Très Saint Sacrement de l'Eucharistie; mais, maintenant l'affaire devant passer par la Congrégation de la Propagande, cela traîne un peu parce que on a tant de choses à faire à Rome! Le Saint-Père va très bien et Rome est bien tranquille, malgré les desseins mauvais des ennemis de l'Eglise.
Je vais bien prier, chère Nanette, pour le repos éternel de vos deux neveux; ils sont morts bien chrétiennement, c'est la plus grande des grâces.
Vous avez eu vos épreuves, chères soeurs, c'est preuve que vous faites le bien; on ne le fait qu'à cette condition. Seulement dans ces mauvais moments, il faut prier, souffrir en silence, faire bon profit pour soi des humiliations et attendre en patience le moment de Dieu; toujours le Bon Dieu bénit la croix portée pour lui !
Les hommes sont des feuilles agitées par le vent, mais elles ne font pas de mal.
Je suis encore ici pour le mois de décembre; je voudrais bien aller vous porter mes étrennes au jour de l'an et recevoir les vôtres.
Adieu, chères soeurs, mes respects à Mr le Curé; je remercie bien Dieu de l'avoir conservé, Notre-Dame du Laus ne pouvait pas l'abandonner.
Je vous bénis du tombeau des saints Apôtres.
Tout à vous
Votre frère en N.-S
EYMARD, S.
Rome, 6 Décembre 1864.
Chère fille en Notre-Seigneur,
Je [ne] crois pas que la maison dont on vous parle soit celle dont je vous avais parlé moi-même, et qui donne dans l'impasse d'un côté et dans votre cour où est le menuisier; par conséquent il n'y a rien à faire. Cette dame qui s'en va, n'est, il paraît, qu'une locataire qui vous céderait son bail; à quoi bon se charger de cela? Remerciez-la bien, et voilà tout... (vingt trois lignes effacées)... Le Pape ... (trois lignes effacées) ... quand je lui ai présenté ma supplique d'indulgences pour vous... (deux lignes effacées)... ajouté de sa main, une parole bien consolante, bien honorable pour vous; mais je ne veux pas confier à la poste un papier si précieux. Je vous le porterai avec respect et bonheur.
Pour les chaises, faites donc comme vous me dites, et laissez crier; vous êtes maîtresse chez vous. Il faut favoriser les âmes eucharistiques du voisinage.
Adieu, Je vous bénis, soeur Benoîte aussi, et toutes vos soeurs.
EYMARD.
P. S. - Pourquoi n'auriez-vous pas la sainte Messe à minuit et la sainte Communion, si Monseigneur l'autorise? J'ai demandé la permission pour nous.