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Nr.0301
An Herrn Gaudioz
A Monsieur Gaudioz, Lyon.
La Seyne, 1 décembre 1851
Cher ami et Frère en Marie,
Votre lettre m'a fait un bien grand plaisir, car votre famille est comme ma famille et je vous aime comme un bon et tendre frère. Je vais souvent vous voir d'ici, et bénir votre magasin, vos peines et vos travaux. Je remercie bien le bon Dieu des grâces qu'il vous accorde et vous accordera encore dans sa bonté, car il vous aime comme un bon Père. Aussi, s'il vous envoie quelques petites croix, il faut bien les recevoir, elles viennent du Ciel et de la part de l'amour de N.S.. Malheur à celui qui n'a pas de croix en ce monde! C'est une preuve que Jésus, notre Sauveur, ne le trouve pas digne de lui.
Mais il y a un secret avec les croix, c'est de ne pas les regarder dans leurs souffrances et dans leurs sacrifices, on en aurait peur; mais il faut les regarder dans la volonté et dans la grâce de Dieu, alors elles changent de nature: elles sont légères et consolantes.
Les croix les plus pénibles sont les tentations intérieures, tous les Saints en ont eu, ne vous attristez pas trop des vôtres. Le bon Dieu les permet afin de vous humilier, de vous obliger à prier un peu plus et venir puiser vos forces dans les Sacrements.
Ne les craignez pas trop, méprisez-les plutôt et ne les examinez pas dans le trouble du coeur. Vous devez faire bien attention à une tentation que le démon voudrait vous donner, c'est la tentation du trouble et du découragement après les pénibles tentations dont vous me parlez.
Tenez-vous bien en garde contre tout cela et, quand vous ne voyez pas clairement et bien positivement un péché, croyez qu'il n'y en a point et méprisez vos doutes et vos craintes.
Le bon Dieu permet aussi ces petits nuages dans la maison avec votre bonne Dame, afin que le plus parfait soit le plus généreux. Au fond, ce sont de petites misères; aussi un petit mot, une petite avance, un petit rien d'amitié suffit pour le dissiper.
Vous êtes tous deux bons, mais le démon est jaloux de cette belle harmonie de votre piété.
Ah! le juge de paix n'avait pas grand-peine de mettre la paix entre deux coeurs si chrétiens!
Continuez bien, cher ami, votre petite méditation; on a besoin de réfléchir sur la grande affaire de son salut.
Puis les Sacrements; par une communion, vous vous fortifiez pour plusieurs jours et le bon Dieu est bon, il demande si peu pour un coeur qui désire bien faire.
Vous me faites plaisir de me parler du Tiers-Ordre. Oui, c'est une grâce de lui appartenir, j'espère que le bon Dieu le bénira toujours. J'aime à prier pour mes chers frères.
Adieu, cher ami et frère, donnez-moi de temps en temps de vos nouvelles, elles me seront toujours agréables.
Eymard.
Nr.0302
An Mariette Guillot
Tout pour Dieu seul.
La Seyne-sur-Mer, 2 Décembre 1851.
Votre bonne lettre, ma fille, m'a fait un sensible plaisir; ne craignez pas de m'en écrire de semblables de temps à autre, elles me feront toujours plaisir, car vous savez que vos peines sont mes peines; vos joies, ma joie, et que j'aime votre famille comme ma famille.
Je suis peiné de vous sentir malade, vous la Marthe, la mère de la maison. Ayez soin de vous soigner pour l'amour de Dieu et de vos soeurs. Si l'homéopathie vous fait du bien, tant mieux; il est des personnes à qui elle convient. Mr Rapou est un bon chrétien, on le dit bon médecin; vous pourriez essayer de Mr de Fayotte, je le croirais préférable. Cependant, si vous pouviez vous passer de tous, cela serait encore mieux; vous avez besoin de paix, de repos et de calmants: tout se ramasse à la fin.
Vous me dites que votre âme est malade; mais, qui n'est pas infirme et souffrant? qui aime et sert le Bon Dieu parfaitement?
Vous avez trouvé le bon remède, celui de désirer bien faire, de vous humilier pour vos misères et votre infirmité spirituelles, et j'y ajoute l'amour de la sainte Volonté de Dieu. Oui, ayez confiance en Dieu, abandonnez-vous entre les mains de ce bon Père, laissez-lui le soin paternel de votre avenir .........................................
Jamais le Bon Dieu n'abandonnera une âme que son amour a mise sur le Calvaire.
Pour vos communions, oui, vous pouvez les faire et remplacer un autre jour à votre choix; c'est une règle pour vous. Ne les laissez pas volontairement, vous en avez trop besoin; allez-y toujours avec humilité et confiance, avec le désir de mieux faire et de bien aimer Notre-Seigneur, et vous les ferez très bien. Voyez, ma chère fille, servez le Bon Dieu par fidélité, parce qu'il le veut, et non parce qu'il est doux et aimable de le servir.
Faites les choses par devoir, sans retour propre sur vous-même; plus le coeur est froid, sec, souffrant, plus le sacrifice est grand et agréable à Dieu. Du courage donc, ma chère fille, au ciel vous aurez le temps de jouir et de vous reposer. Mais ce ciel, il faut le regarder comme la glorification du Calvaire. Par conséquent, aimer la croix qui y monte, qui en est la porte, le sceptre et le trône.
Adieu, bonne fille, que Notre-Seigneur vous aide et vous guérisse.
EYMARD.
A Mademoiselle Guillot Mariette, Lyon.
Nr.0303
An Fräul. v. Revel
La Seyne 3 décembre 1851
Tout pour Dieu seul
Mademoiselle,
Je viens répondre à votre dernière lettre et avec plaisir; tout ce qui vous intéresse m'intéresse. Je vous remercie d'abord bien de votre bon souvenir; il m'est précieux et je vous le rends avec usure. Que la prière et le Ciel sont une bonne chose pour l'amitié! On se trouve toujours sur cette voie avec la douce espérance de se rencontrer au jour céleste.
C'est avec bonheur que je dirai la neuvaine pour votre frère et mon cher fils en J.C. Je la commencerai le onze de ce mois.
Toujours je l'ai présent à l'esprit; il me semble toujours le voir. Oh que le bon Dieu lui a fait une grande grâce. Je le crois sauvé!...
Adieu, chère fille en Jésus, ne pensez pas à la mort, mais à la vie en Dieu, dont la mort de chaque jour n'est qu'une preuve et un aliment. Ne séparez pas ainsi la mort de Dieu notre Père qui la veut pour consommer l'union de son amour.
Nr.0304
An Marg. Guillot
6 Décembre 1851.
Tout pour Dieu seul.
Je viens de recevoir, ma fille, votre lettre, je l'ai lue avec beaucoup d'intérêt. Le bonheur de votre famille fait mon bonheur. La vôtre est sur la croix, mais avec Notre-Seigneur. Ne vous fatiguez donc pas sur mon état. Je jouis de ma santé de Lyon, j'ai ici tout ce qu'il faut pour être ce que l'on appelle heureux. Quand on dit que je m'ennuie, on se trompe. Qu'il n'y ait pas de sacrifices à faire: oui, il y en a, et j'ai ici plus besoin de grâces qu'ailleurs; aussi je compte sur les prières de mes bonnes filles.
- Dieu aime et protège la France, - Marie en est la Reine, - St Michel le protecteur. Confiance et prière.
Tout à vous in C.
EYD.
A Mademoiselle Guillot Marguerite,
Place Bellecour, Façade du Rhône, 9,
Lyon (Rhône).
Nr.0305
An Marianne Eymard
Tout pour Dieu seul.
La Seyne-sur-Mer (Var), 12 Décembre 1851.
MES CHERES SOEURS,
Je vous remercie bien de votre bonne lettre; elle m'a fait un sensible plaisir, comme tout ce qui vient de vous. Je suis peiné d'apprendre que vous avez été fatiguée, ma bonne soeur; ne négligez pas ce point de côté: un petit remède prompt prévient souvent une grande maladie, comme quelques applications de mauve ou de farine de lin, peut-être quelques sangsues. Vous feriez bien d'avoir toujours un peu d'eau d'arnica, elle est excellente dans ces cas-là; on en trouve à Grenoble.
J'espère que les Pères maristes de La Mure ont la consolation de voir leur ministère béni, le P. Ducourneau doit plaire beaucoup aux Murois; il est très bon. Le P. Dominget est un homme de foi, le P. Codina un petit saint.
Je prie beaucoup pour La Mure afin que le Bon Dieu la rende sainte et heureuse. Le Jubilé arrive là au milieu de tous nos graves événements, il rendra nos pays plus tranquilles. C'est un grand bonheur que le Président ait remporté la victoire sur tous ces malheureux aveugles et coupables. Le Bon Dieu nous a préservés de grands malheurs, car tous ces méchants avaient de bien affreux projets: le Bon Dieu aime la France et ne l'abandonne pas. Il faut bien prier pour le Président: que le Seigneur le dirige et le protège; mais il faut être prudent. Ici nous sommes très tranquilles, rien ne nous est arrivé; ainsi, soyez bien en paix sur nous. J'ai voulu vous écrire tout de suite pour vous tirer de peine.
Bien faire et laisser dire, prenez toujours cette devise et ne vous inquiétez pas de tout ce que l'on pourra dire. Vous êtes les seules personne que je chérisse au monde.
Adieu, chères soeurs, que Jésus et Marie vous aient en leur sainte garde.
Votre frère tout affectionné.
EYMARD, p. m.
Nr.0306
An Frau Franchet
16 décembre 1851
Tout pour Dieu seul et (pour vous seule)
Madame,
Vous êtes donc toujours souffrante, brisée, sur votre croix! hélas! cela m'est aussi une grande croix de vous sentir ainsi crucifiée. Je sais que vous souffrez plus que les autres et le malheur, c'est que vous souffrez souvent seule, concentrée en vous-même et la pauvre nature succombe sous le poids de tant de douleurs et quand les tentations arrivent encore comme d'effroyables tempêtes, et quand l'amour de Dieu n'est plus sensible, quand la piété n'est plus elle-même qu'un sacrifice de vertu habituelle, alors je comprends combien vous devez souffrir, ma chère fille en N.S., et que votre courage recule épouvanté, devant un avenir qui vous apparaît si sombre et si immolant.
Mais ce qui me console sur vous, c'est que le Bon Dieu est toujours votre bon Père, et que, malgré tout, vous voulez le servir et le servirez toujours; en un mot, c'est que le coeur, chez vous, est meilleur que la tête et la volonté du bien plus forte que celle du mal; c'est là une grâce de Dieu. Oh! non! ma chère fille, vous ne laisserez pas le service de N.S. parce que vous ne le trouvez plus qu'au jardin des Olives et sur le Calvaire de ses abandons. Quoi, vous seriez moins généreuse pour ce bon Sauveur que vous ne l'avez été pour vos amis et je dirais même pour ceux qui vous avaient fait du mal! non, non, ce n'est pas possible dans une âme qui a aimé Dieu par dessus tout et qui ne veut que lui, et qui ne souffre que parce qu'elle se croit abandonnée de Dieu; non, ma chère Soeur, le bon Dieu ne vous abandonne pas; si vous étiez dans votre premier état de gloire, de fortune, je dirais, oui, vous devez craindre, car vous n'auriez pas le sceau des élus et des grandes âmes. Vous seriez traitée comme un membre inutile ou languissant, mais quand je compte vos sacrifices, quand j'analyse vos douleurs, oh! alors je vous bénis mille fois de plus, je remercie Dieu de vouloir vous mettre si près de Lui dans le chemin du Calvaire de l'amour, et si je n'étais pas si faible, j'envierais vos croix.
Voyez! ma bonne fille, vos peines ne sont que des peines du coeur! n'est-ce pas assez, me direz-vous? oui, c'est vrai, mais alors le sacrifice est plus simple, le remède plus prompt, l'amour plus pur de Dieu. Aimer Dieu plus que soi-même, aimer Dieu par le sacrifice amoureux de soi-même, espérer contre l'espérance, aimer par la croix, vivre de la croix, ne s'unir à Jésus que par la croix du coeur, vous feriez bon marché des autres, n'est-ce pas? Mais vous savez bien que N.S. ne repose que sur le coeur, ne veut régner que sur le coeur, comme sur son trône. Mais je souffre trop et trop seule! Je ne me sens plus la force de continuer mon premier genre de vie et il me devient impossible!!... non il n'est pas impossible, c'est au contraire le meilleur moyen pour vous d'être en paix, dans une sainte liberté, et même d'être forte au milieu de vos sacrifices, vous en avez d'ailleurs fait l'heureuse expérience. Pour être en paix, vous avez besoin d'être obéissante contre vous-même, de faire ces choses d'abord par vertu au milieu de toutes sortes d'épreuves, la paix vient après...pour la liberté intérieure, elle est attachée à la pureté de votre amour divin; la force, pour vous, est dans la patience, dans la confiance, et pour (vous dire) toute ma pensée, vous avez besoin de souffrir pour être toute unie à Dieu. Mais, ma chère fille, vous êtes encore trop esclave des moyens extérieurs, vous vivez trop avec vos croix comme croix, vous vivez trop avec vous seule; ou bien vous voulez trop vivre avec Dieu seul. Vivre avec Dieu seul, c'est parfait, mais c'est pour le ciel, il faut vivre avec Dieu et avec tout ce que Dieu veut dans son amour. Je prie bien ce bon Père de faire comprendre à sa fille de prédilection toute la perfection de cette pensée, tout est là pour le moment. Maintenant laissez-moi vous dire en toute simplicité: Choisissez un directeur, fixez-vous, vous en avez besoin.
Je ne vous laisse pas, mais vous avez besoin de quelqu'un sur les lieux. Puis tenez bien à vos exercices spirituels, selon vos forces, mais pas plus. Soyez une bonne infirmière du T.O.. J'attends cela de vous.
Adieu, bonne fille! Tout à vous en N.S.
Eymard.
Nr.0307
An Frau Franchet
La Seyne 31 décembre 1851.
Tout pour Dieu seul et pour vous seule
J'ai lu et relu votre lettre, ma chère fille, et je viens vite y répondre; votre état m'a fait compassion et m'a fait redoubler de prière pour votre chère âme; je n'ai pas besoin de vous prier d'en garder le secret, je suis si en retard pour répondre à de vieilles lettres.
Vous me dites que ma lettre vous a fait un peu de bien. Oh! que le Bon Dieu en soit béni! Je voudrais vous faire tant de bien! je ne dis pas pour vous rendre heureuse, vous ne le serez jamais qu'au ciel, mais pour vous rendre bien selon le coeur de Dieu, alors vous serez bien en votre coeur et partout. Oui, votre âme m'est bien chère, le Bon Dieu me l'avait confiée, et croyez aussi que je lui suis et lui serai toujours dévoué et que vous tenez le premier rang; j'en viens à vos questions:
1· Je m'accuse de toutes les négligences coupables dans les exercices de piété. Je les ai manqués par négligence (tant de fois)
2· De toutes les infidélités à la grâce, de toutes mes immortifications.
3· Je...de tout ce qui aurait pu offenser Dieu dans les tentations que j'ai eues, sur la foi, contre la confiance en Dieu, contre la Ste Vertu. Je m'en accuse comme le Bon Dieu m'en connaît coupable. (On m'a défendu de m'examiner sur cela).
Telle serait la réponse aux questions sur ces tentations.
4· Contre la charité, quelques paroles peu charitables...pas assez douce avec les miens.
5· Je m'accuse des péchés d'amour propre; et voilà tout et cela suffit parfaitement.
4. Faut-il obéir dans les décisions de conscience? Oui, pour vous mettre sous la direction particulière de l'obéissance; ne vous pressez pas, il faut trouver son Ananie de N.S., il faut quelque chose qui nous ouvre le coeur, il faut l'attrait, la grâce de Dieu. Vous avez le suffisant dans l'état ordinaire; ce suffisant, ce sont les décisions données, c'est votre règlement, c'est la croix de notre divin Sauveur. Pour l'extraordinaire, je n'ose pas dire, vous m'avez à votre secours, je suis bien loin, mais vous avez toujours N.S. et votre remède dans ses mains.
5. Que faire pour sortir de cet état ? Rien, ma fille, attendre en patience les moments de Dieu, y souffrir pour son amour, tout ce que son amour veut que vous y souffriez, et autant de temps qu'il le voudra, pour sa plus grande gloire.
Voilà ce qu'on appelle l'amour pur; c'est le plus parfait, le plus purifiant, le plus crucifiant.
Allons, bonne fille, l'amour pur et parfait, voilà ce que je vous souhaite en cette nouvelle année. Je vois le Bon Dieu jaloux de votre coeur, le voulant tout entier, tout seul et en même temps tout à tous; le moyen dont il se sert, c'est la souffrance intérieure, surtout c'est l'isolement, l'impuissance des créatures à vous consoler. Ah! chère fille, l'amour qui va droit à Dieu est toujours plus prompt et plus pur, demandez à N.S. la science de l'amour de la croix, laissez-vous blesser par les traits divins avec plus de paix, et évitez l'agitation, le trouble, comme on évite la mort.
Adieu donc en N.S.; que sa sainte grâce vous soutienne et que son amour vous rende plus forte que toutes les tempêtes et que la mort.
Eymard.
Nr.0308
An Pater Mayet
AU R.P.MAYET.
/La Seyne, fin 1851/
Bon et bien cher Père,
Merci de votre bonne lettre: elle est venue comme une voix amie me consoler un peu dans ma cellule où seul, avec Dieu seul, je passe mes jours et mes nuits. Je suis content ici, puisque le Bon Dieu m'y veut; je m'abandonne à sa sainte et aimable volonté, puisqu'il ne veut que mon plus grand bien. Ces petits coups de la Providence font du bien à l'âme, ils la dégagent et lui font resserrer plus étroitement les liens qui l'attachent à Dieu seul. J'ai besoin de tout cela pour être heureux ici.
(Simple extrait trouvé dans le notes du P. Mayet)
Nr.0309
An Herrn v. Leudeville
O.D. (La Seyne?)
.......................................................
Que vous êtes bon, cher frère, de me conserver un si bon souvenir! Soyez bien persuadé que je suis heureux de vous le rendre; et si jamais j'allais à Paris, vous auriez ma première nouvelle: notre connaissance a été si providentielle!
Soyez toujours le saint Jean de Marie, un bon Tierçaire. Vous le serez en continuant votre méditation chaque jour; la faisant pauvrement mais fidèlement. "La Méditation, dit saint Augustin, est l'office de notre mendicité auprès de Dieu." Or, que fait un pauvre et quelles sont ses vertus?
La première, c'est l'humilité; voilà pourquoi il reste à la porte, il ne se sert que de termes humbles.
La deuxième, c'est la patience: il sait attendre, il sait espérer, ne se rebute de rien, se sert des humiliations et des rebuts pour devenir plus éloquent. La troisième, c'est la reconnaissance; elle lui ouvre toutes les portes et finit par le rendre cher et estimé.
Ainsi, soyez un bon pauvre du Bon Dieu; servez-vous de vos distractions, de vos sécheresses, de vos péchés mêmes, comme de titres à l'infinie bonté de Dieu.
Connaissez-vous les Méditations de saint Thomas, par le T.R. Père Antonin Massoulié, imprimées à Paris, chez Sagnier, rue des Saints-Pères, 64? - Je vous les conseille, c'est un excellent ouvrage.
J'ai bien remercié le Bon Dieu et sa sainte Mère de cette belle conversion. Oh! oui, Dieu est bon et Marie toute-puissante! Je prierai aussi pour l'autre personne.
Pour vous, cher ami et frère, tous les matins à sept heures, je vous mets sur la patène avec moi; votre âme m'est chère comme la mienne.
Ecrivez-moi de temps en temps; vos lettres me font bien plaisir.
Croyez-moi toujours, en Jésus et Marie,
Tout à vous.
EYMARD.
P.S. Supérieur du Pensionnat, à La Seyne-sur-Mer, par Toulon (Var).
Nr.0310
An Marianne Eymard
Tout pour Dieu seul.
La Seyne, 1er Janvier 1852.
MES CHERES SOEURS,
En bon filleul je vous dois au moins une lettre de bonne année, de bons souhaits; mais, que vous souhaiter? Le ciel un jour, en ce monde un plus grand amour de Dieu, et surtout un grand amour de Dieu dans la souffrance. C'est là la voie sûre, la voie courte et parfaite, celle par laquelle ont passé tous les saints, toutes les âmes favorisées de Dieu; c'est le martyre de chaque jour nous préparant pour le ciel.
Mais la croix est toujours lourde et pénible pour la nature, on ne s'accoutume pas à la souffrance; le Bon Dieu le permet pour rendre nos mérites toujours plus grands en rendant nos sacrifices toujours nouveaux. Allons, mes chères soeurs, du courage! Nous arriverons bientôt à la cité de la paix et du bonheur célestes. Laissons les hommes nous crucifier, mais regardons le ciel qui en est la fin.
J'ai bien prié pour vous le saint jour de Noël, j'ai dit à minuit la sainte Messe pour vous comme d'habitude. Le jour de l'an je suis allé, à quatre heures du matin, vous souhaiter la bonne année devant le Saint Sacrement, en répétant la prière que vous m'aviez apprise dans mon enfance: "Mon Dieu, j'adore le premier jour de l'an, donnez-moi pour étrennes un coeur brûlant de votre amour."
J'ai appris avec peine que vous aviez été un peu souffrante, je bénis le Bon Dieu de ce que vous allez mieux. Ayez bien soin de vous en ces jours de froid et de glace, conservez-vous pour servir encore mieux le Bon Dieu.
J'ai reçu des nouvelles des demoiselles Guillot, elles ont bien leurs croix; écrivez-leur de temps en temps, cela leur fait bien plaisir.
Pour moi, je me porte bien; nous avons un temps très beau, il fait chaud ici comme à La Mure aux jours du mois de mai.
Nous avons été très tranquilles, rien ne nous est arrivé. Ainsi ne croyez pas à toutes les mauvaises nouvelles que l'on pourrait vous donner.
Priez toujours pour moi; tous les jours je vous présente au saint Autel et suis en N.-S.,
Chères soeurs,
Votre frère.
EYMARD, p. m.
Mademoiselle,
Mademoiselle Eymard Marianne,
rue du Breuil,
à La Mure d'Isère.
Nr.0311
An Marg. Guillot
Tout pour Dieu seul.
La Seyne, 1er Janvier 1852.
Je viens, ma chère fille, vous donner les prémices en ce beau jour de Dieu, ainsi qu'à votre chère famille, vous dire que je vous ai ce matin toutes offertes à Dieu en Notre-Seigneur au Saint Sacrifice. Et c'était une consolation pour moi, de pouvoir vous nommer au saint autel, comme mes filles en sa divine charité. Mes voeux pour vous toutes sont toujours et tous les jours les mêmes: que vous aimiez parfaitement notre divin Sauveur, comme le seul Dieu de votre coeur; que dans son amour, vous sachiez souffrir ce qu'il vous envoie de peines et de croix; et que par amour pour ce bon Maître, vous aimiez la souffrance, mais surtout celle que vous n'avez pas choisie, mais que le Bon Dieu vous envoie de sa bonne main. Sans amour point de vertu, et sans souffrance point d'amour.
Mais je vois que le bon Dieu vous a fait une large part dans son amour, et que le feu du sacrifice est comme le feu perpétuel et saint qui brûlait sur l'autel devant l'Arche sainte. Que Dieu en soit béni!
Cependant votre maison, si belle aux yeux de la foi, est triste aux yeux de l'amitié, elle lui apparaît comme un douloureux calvaire, et le coeur en souffre, on aimerait voir plus de repos, plus de santé (...) mais hélas! on adore la sainte volonté de Dieu et l'on regarde le ciel pour s'encourager et vous bénir toutes.
Je reprends ma lette; en ces jours, on est tout dérangé par mille choses. J'ai reçu votre bonne lettre avec celle de Mr et de Mme Gaudioz: c'est un véritable plaisir quand je reçois des nouvelles d'une famille que j'aime comme la mienne.
Je bénis Dieu de venir au secours des Dames Réparatrices. Elles ont besoin de quelqu'un à poste fixe. Je crois que ce sera le P. Barjot de Paris, l'ancien directeur du T.O. à Saint-Etienne. Je le crois bien intérieur, il est simple et prudent.
Si vous êtes interrogée sur l'union du T.O. avec l'oeuvre de la Réparation, je suis très embarrassé pour vous tracer une marche à suivre... voici mon sentiment: je ne voudrais pas la fusion du T.O. avec l'oeuvre de la Réparation; ce serait le confondre et en détruire l'esprit primitif. J'admettrais l'union libre des Tierçaires avec l'oeuvre des Dames Réparatrices, mais chacun selon son attrait; je ne voudrais pas la direction du T.O. par la Réparation, mais seulement liens de charité fraternelle dans le cas où ces Dames formeraient une section ou une branche du T.O.: à chacun son attrait, sa vocation.
D'un autre côté, j'aime l'oeuvre de l'Adoration Réparatrice, et Lyon n'est pas assez reconnaissant pour ces pauvres religieuses. Ce n'est pas moi qui ai donné à Monseigneur la première idée pour ces Dames, c'est une dame qui les connaissait et qui avait donné à Mgr le plan de leur oeuvre, et je n'ai fait qu'exécuter sa volonté, mais j'en suis bien heureux, car c'est une bonne et belle Oeuvre.
Soyez tranquille, tout ce calmera pour le T.O., nous ne voulons que la sainte volonté de Dieu; tant que la chose n'est pas claire et évidente, le T.O. doit préférer le certain au douteux, le positif à ce qui est en examen.
Ne donnez pas d'importance à tout ce que l'on peut dire contre ou pour, ce sont des hommes. Pour moi, il me semble que je suis indifférent à tout ce que voudra le bon Dieu sur le T.O. quant à sa forme et à sa nature, pourvu qu'il soit l'expression de sa volonté d'amour.
Je m'unis à vos prières pour votre pauvre soeur Jenny. Hélas! quelle croix! oui, promettez-lui le Laus, peut-être y trouvera-t-elle la santé, puis nous nous en tirerons bien d'un autre côté...
Je vous laisse pour aujourd'hui, je tiens à vite envoyer ma lettre; ma santé va bien. Pour vos tentations si pénibles, regardez-les comme votre Purgatoire.
Adieu, je vous écrirai là-dessus encore. Mais passez par-dessus. - Et mes étrennes?
EYD.
On doit vous adresser de Paris un moule de Ste Vierge, recevez-le et payez de l'argent du T.O.; 13 francs d'achat et le port, je crois. C'est Mr Perret qui l'envoie.
Merci de la recette.
A Mademoiselle Guillot Marguerite,
Place Bellecour, Façade du Rhône, 9,
Lyon (Rhône).
Nr.0312
An Fräul. Stéphanie Gourd
Tout pour Dieu seul.
3 Janvier 1852.
Mademoiselle Stéphanie.
Je viens, ma chère fille en Notre-Seigneur, répondre quelques mots à votre lettre: je vous remercie bien des voeux spirituels que vous faites pour moi. J'ai bien besoin que mes filles prient pour mes besoins: ils sont grands, bien grands!
Demandez pour moi un peu plus d'amour de Dieu et de son aimable Croix.
Continuez, ma fille, a servir Dieu pour Dieu seul; que son service passe avant nos goûts. Que la fidélité à accomplir sa sainte Volonté soit la première de toutes nos vertus, le premier acte de notre divine charité: n'oubliez jamais que l'amour du Jardin des Olives et du Calvaire est plus grand que la gloire du Thabor;
Que rester fidèle à Jésus triste, solitaire, abandonné est le propre des âmes parfaites: de la Très Sainte Vierge, de saint Jean et de sainte Madeleine.
Ne vous étonnez pas de vos sécheresses et de vos aridités spirituelles; c'est le désert de la terre promise; c'est la fournaise de purification.
Alors on aime le Bon Dieu plus que soi-même.
Mais ce qui vous peine, ce sont vos méditations que l'aridité et le sommeil accompagnent. C'est le froid de vos communions.
Continuez-les toujours. Et un beau jour Notre-Seigneur, content de votre patience à l'attendre, changera ces nuages en une pluie bienfaisante.
Quand vous êtes dans cet état d'impuissance, au lieu de vouloir réfléchir et considérer les vérités, produisez des actes de la vertu de foi, de confiance, d'humilité, d'amour, comme si vous étiez bien contente.
Plus vos actes seront froids, secs, plus ils seront parfaits, parce qu'au moins ils seront dégagés de tout retour d'amour-propre.
Vous feriez peut-être bien, dans ces états stériles, de choisir un chapitre de l'Imitation analogue à vos dispositions présentes et le lire posément pour en pénétrer doucement votre âme; essayez-le dans votre méditation.
Pour la sainte Communion, suivez vos actes, quand vous ne pouvez mieux faire; mais, ma fille, jamais de contention de tête, jamais de violence de coeur: tout cela ne servirait qu'à agiter, qu'à fatiguer votre âme et à la tirer de cet état de paix et de recueillement qui vaut mieux que tout.
Soyez toujours comme une petite enfant dans la nacelle que le Bon Dieu gouverne. Au Bon Dieu le soin de prévoir, à vous d'être prête à accomplir sa sainte Volonté.
Adieu, chère fille; que Notre-Seigneur soit toujours votre centre, votre joie, votre Epoux.
Tout à vous en sa divine charité.
EYMARD.
Nr.0313
An Marg. Guillot
Tout pour Dieu seul
La Seyne, 10 Janvier 1852
Mademoiselle,
Je viens réclamer un acte de charité de votre part, et ne peux mieux m'adresser.
Je désirais avoir deux statues de la Ste Vierge pour les mettre dans les cours de nos enfants, afin que cette Bonne Mère les garde, et que ses petits enfants l'honorent comme leur Mère. La première statue serait comme celle de la cathédrale, je la voudrais en plâtre pierre. Vous la trouverez chez Gaspari, rue Saint-Dominique, N 11. C'est la même que celle de notre pensionnat de Saint-Chamond. Cet homme demande 75 francs. Vous verrez si vous pouvez l'avoir à meilleur marché; l'autre statue serait en plâtre passé à l'huile; j'aimerais une Immaculée Conception ouvrant les bras; cet homme en demande 50 francs. Si on pouvait l'avoir en plâtre pierre pour 60 francs, je le préférerais; mais prenez la première à 75 francs, s'il ne voulait pas en rabattre, et la seconde à 50 fr.; il se chargera de l'emballer et de la porter au roulage de Mr Perret, à qui je vous prie de bien présenter mes sentiments affectueux. Vous aurez la bonté de payer avec l'argent que vous avez à me faire passer et nous vous tiendrons compte du surplus. Vous prierez Mr Perret de vite nous l'expédier, pour que nous puissions l'avoir à la fin de Janvier.
J'espère recevoir une bonne nouvelle de Notre-Dame du Laus.
Je n'ai pas encore répondu à Mlle David. Je vous remercie de votre lettre sur le T.O., elle m'a bien fait plaisir. J'aimerais bien en effet voir Mlle de Revel entrer dans le conseil pour la raison que vous avez dite: aux esprits faibles et faciles à tourner, il faut les retenir dans le devoir, par un peu de crainte quelquefois. Rien de nouveau ici. Je vais bien. Mlle du Rousset est à Toulon, je l'ai
vue ici, mais elle a mal rencontré, car j'étais bien dérangé. C'est une bonne fille. Adieu, je vous bénis. La poste part.
Tout à vous et aux vôtres en Notre-Seigneur.
EYD.
A Mademoiselle Guillot Marguerite,
Place Bellecour, Façade du Rhône, 9,
Lyon (Rhône).
Nr.0314
An Herrn Bethfort (Advokat)
La Seyne-sur-Mer 11 janvier 52
Cher Monsieur,
Que vous êtes bon de penser encore à moi. J'ai été et je suis bien sensible aux sentiments d'amitié que vous daignez me témoigner et me conserver. Oui, que Dieu bénisse et conserve votre chère petite fille, c'est l'enfant de la prière et de la confiance, c'est l'enfant de miracle.
J'ai souvent pensé à elle et prierai encore davantage, qu'elle fasse un jour votre consolation et votre gloire. Madame doit être heureuse, le bon Dieu l'aime bien et vous la rendez doublement heureuse, un double lien vous unit. Que Dieu le conserve: la religion seule peut rendre deux coeurs heureux en les rendant saints.
Nous sommes à présent tranquilles, mais on ne peut se faire une idée juste de la démoralisation où était tombé le peuple ignorant et indifférent, il faut être sur les lieux. J'ai failli être massacré et brûlé avec tout le pensionnat que je dirige; ces monstres voulaient jouer à la boule avec la tête de nos enfants. Deux mille hommes, le 6 décembre, à 1 h. après minuit, se dirigeaient sur notre maison; ils n'étaient qu'à une demi-heure, lorsqu'un chef manquant à l'appel, on résolut de renvoyer l'affaire au lendemain, et le lendemain nous fumes sauvés.
Nos prisons de Toulon, les forts, tout regorge de prisonniers; il y a 3 jours, on a amené 40 femmes compromises: c'est une horreur à voir. Que nous devons, cher Monsieur, bénir et remercier la divine Providence de nous avoir préservés!
Veuillez faire agréer au bon curé de S.Pierre, mes respects affectueux; et quand vous aurez un moment à perdre, je recevrai de vos nouvelles et de votre bonne famille avec le plus vif plaisir.
Agréez et daignez agréer à Madame les sentiments tout dévoués avec lesquels je suis, Cher Monsieur,
Votre très humble serviteur.
Eymard.
Nr.0315
An Marg. Guillot
La Seyne-sur-Mer, 13 Janvier 1852
Je n'ai que le temps, chère fille de vous envoyer votre direction. Je dois faire un voyage de trois à quatre jours, je vais voir Mgr l'Evêque de Fréjus. A mon retour, je vous écrirai sur votre intérieur. Je vais bien, puisque je me lève à 4 heures et me couche à 9h.½ ou 9, et que, Dieu aidant, je travaille beaucoup. D'ailleurs, ici, je n'ai qu'un acte continuel de la vertu d'abnégation de ma volonté. Que le bon Dieu en soit béni et glorifié! Pauvre T.O.! comme tout s'agite! mais le Bon Dieu et la Ste Vierge l'aiment!
EYD.
Nr.0316
An ehrw. Bruder Franz, 2. Generaloberer der Maristenbrüder
Réf. Photocopie (publiée dans le Bulletin de cet Institut, en avril 1963).
/La Seyne-sur-Mer 22 janvier 1852/
(date de la Poste)
Mon Très cher frère,
J'ai une consolante mission à remplir auprès de vous. Mr. le Maire de notre ville est venu aujourd'hui me prier de vous écrire pour vous demander 4 frères pour la ville<.> Mr. le curé ne désire que cela, tout ce qui est honnête soupire après cette grâce de salut pour la jeunesse abandonnée. Jusqu'à présent on avait échoué, le conseil municipal ne voulait pas en entendre parler, aujourd'hui ce sont d'excellents conseillers qui sont à la tête et il faut en profiter. Avant d'en parler à son conseil municipal notre excellent Maire voudrait savoir s'il peut /sic/ compter sur 4 frères, aux vacances de cette année, en un mot à la rentrée.
Les conditions d l'établissement.
Si je pouvais joindre mes prières aux siennes, je vous prierais, Très cher frère, de faire l'impossible pour accepter cette faveur à cette ville, elle en a trop besoin.
- on y fera un bien immense, ils sont presque tous marins. Puis votre voisinage nous fera beaucoup de bien, et nous tâcherons de vous le rendre et d'avoir bien soin des frères. Par cet établissement vous vous ouvrez tout le département.
J'attends au plus tôt votre réponse, mais bonne, mais consolante, mieux vaut en ajourner une autre.
Toute la maison va bien - nous sommes très tranquilles.
Je me recommande bien à vos prières, et vous prie de présenter mes sentiments affectueux à tous nos bons Père(s) et aux chers frères Louis Marie et Jean Baptiste.
Je suis en Notre Seigneur,
Bien cher Frère
votre tout dévoué
Eymard
Sup. du Collège
Pressée
Très-honoré frère François Directeur Général des frères maristes à l'Ermitage près St. CHAMOND, Loire.
Nr.0317
An Frau Jordan Camille
T. S. D. S.
La Seyne, 22 Janvier 1852.
MADAME,
Je vous ai souhaité une bonne année le premier jour de l'an, je vous la souhaite tous les jours au saint Autel et je le ferai jusqu'à ma mort parce que je vous l'ai promis, et que votre âme et votre salut me sont aussi chers que mon âme et mon salut.
Vous m'avez écrit et votre lettre est toujours devant mes yeux, attendant ma réponse. Je connais votre charité et vous savez bien que je ne vous oublie pas; ce que j'aime à demander à Dieu pour vous, c'est la fidélité invariable dans l'amour de sa sainte et toujours aimable Volonté, sur vous particulièrement; que la consolation ou la désolation, la joie ou la peine, les créatures ou l'absence des créatures, ne changent pas l'intérieur de votre âme; que vous le mettiez au-dessus des régions des tempêtes et des variations atmosphériques et que tout, au contraire, ne produise en vous qu'un changement d'exercice, d'action, mais la volonté restant toujours unie à la sainte Volonté de Dieu. O heureuse, mille fois heureuse l'âme qui vit de cette vie divine! Alors elle comprend ces paroles brûlantes de saint Paul: "Qui me séparera de l'amour de Jésus-Christ? Rien." Le fruit de cette divine conformité sera d'abord la patience, l'égalité de caractère à l'extérieur, puis la paix à l'intérieur et la force et la générosité dans l'action. Une âme qui veut vivre de Dieu consulte avant tout sa sainte Volonté; elle craint de consulter en premier son coeur, sa propre raison, elle s'en défie, et pour elle la Volonté de Dieu connue, c'est sa suprême loi, c'est son invariable règle et sa première science. Demandez bien, Madame, au Bon Dieu pour moi, cette Reine des vertus; ce serait la plus grande grâce que vous pourriez me faire.
Vous voulez que je vous parle de moi; ma vie passe et s'écoule comme l'eau du torrent, avec précipitation, bruit et presque tumulte; une maison d'éducation a tant d'incidents, de variétés, de visites! Que le Bon Dieu en soit béni! Mais j'ai bien matière au renoncement habituel à ma volonté.
En retour, le climat est très bon, le ciel très beau, la nature très riche et toujours verte, ce qui fait croire à un printemps perpétuel. Je ne vous dis rien des habitudes du Midi; je ne les connais pas bien. Le Bon Dieu y a de belles âmes bien généreuses. Il y a ici, plus que de nos côtés, de quoi admirer la puissance de la grâce; car ces méridionaux, avec leur tête volcanisée, avec leur esprit si léger, avec leur coeur si sensible, deviennent des saints et de grands saints. Seulement, pour nous, gens du Nord, il nous en coûte de nous faire à ce genre; mais quand le Bon Dieu nous y envoie, on a grâce d'état.
Je n'ai guère pu m'occuper de la Vie de notre bon Mr Marceau parce que je recueille toujours des notes sur sa vie. Je vous en ferai part. Mes respects tout dévoués à votre bonne demoiselle; je la bénis de toute mon âme. Je vais écrire à Mlle Agarithe.
Adieu, bonne soeur, priez pour moi.
Tout à vous en N.S.
EYMARD.
Madame,
Madame Jordan, rue de Castries, 10, au 2e, Lyon
(Rhône).
Nr.0318
An Fräul. David
Tout pour Dieu seul
La Seyne 26 janvier 1852
Je viens enfin, ma chère Soeur, répondre à vos désirs et à vos bons souhaits pour moi, ceux que vous me faites me sont bien précieux et surtout bien sensibles, car ma chère famille du T.O. m'est toujours bien chère et me le sera jusqu'à la mort et je m'estime heureux d'avoir pu lui consacrer quelques instants de ma vie; d'ailleurs je n'avais pas grand-peine, quand le coeur aime, le travail et les souffrances sont des jouissances spirituelles. Je remercie aussi bien le bon Dieu de vous avoir donné pour le T.O. ce même sentiment, un plus grand dévouement encore.
C'est là la preuve de votre vocation. Maintenez toujours bien l'esprit primitif du T.O.; un esprit primitif est la première grâce d'une oeuvre divine. C'est son élément, son caractère, sa force et sa gloire. Quoi de plus beau et de plus aimable que l'esprit de la vie simple et cachée de Marie à Nazareth vivant en son divin Fils avec S.Joseph! Quoi de plus parfait que la vie intérieure! quoi de plus nécessaire à la charité, même apostolique, que cette vie intérieure sous le voile de la simplicité et de la modestie! Quoi de plus vaste que les oeuvres du T.O..Il embrasse toutes les vocations, il s'identifie à tous les attraits, il sympathise avec toutes les oeuvres de charité, sans se lier à aucune, il n'est jaloux que d'une chose, de son nom et de son esprit.
Entretenez bien aussi l'esprit de charité entre vos Soeurs. Si chacune se tient à son affaire, à son amour de la Règle, tout ira bien. Mais veillez à ce que celles qui ne sont pas du Conseil, ne s'ingèrent pas à gouverner la Fraternité, à faire des démarches auprès des Supérieurs ecclésiastiques, ce sont des choses que le bon Dieu ne bénit pas, parce qu'elles ne sont pas selon l'ordre de la divine Providence.
Assurément on a de bonnes et saintes intentions, mais n'ayant pas la grâce d'état, on fait surgir mille difficultés et on expose la vie de la fraternité. Ainsi je ne serais pas pour l'union des Petites Filles de Marie avec la Fraternité des Vierges chrétiennes, qu'on les reçoive isolément, quand elles ont 23 ou 24 ans, et qu'il y a apparence probable qu'elles ne se marieront pas, c'est bien alors; agir autrement, c'est tomber dans l'enfance et ôter à la Fraternité son véritable caractère.
Ainsi, si on vous en parlait, vous connaîtrez ma pensée. C'était un noyau que je préparais au T.O. en lui inculquant dès la jeunesse, son esprit, ses pratiques et je crois que c'est encore le meilleur moyen de former un jour de bonnes T., la direction première de la jeunesse ne s'oublie pas.
Pour la Réparation, je l'aime beaucoup comme oeuvre, je regrette que Madame la Supérieure et moi soyons allés trop vite, de prime abord, sur la question du T.O. de Marie. J'ai fait comme qui, se voyant mourir, s'accroche à tout pour vivre; mais cependant le bon Dieu a permis tout cela pour le bien des uns et des autres. Pour moi, jusqu'à ce que les Soeurs de la Réparation soient T. de Marie, ayant fait leur profession dans le T.O. de Marie, je ne voudrais pas d'une fusion, qui ne peut tourner qu'à une absorption. Car enfin si la S.Vierge aurait voulu son T.O. ainsi, il l'aurait été tel dès son institution (ainsi votre réponse est claire: "Quand vous serez Tierçaires de Marie, alors nous verrons").
A chacun sa vie, son esprit, mais à tous l'amour de Dieu et de sa gloire. Pauvre T.O.! tout le monde se le dispute! on le condamne à mort. S'il vient de Dieu, s'il est le T.O. de Marie, il traversera les orages et les tempêtes.
Mais ce que j'aimerais pour les Soeurs T., c'est de leur laisser pleine liberté de suivre leur attrait. C'est de favoriser cette oeuvre si belle! on peut parfaitement être T. de Marie et faire partie de l'oeuvre de la réparation.
Pour la Congrégation des Dames, j'espère que le bon Dieu la bénira; mais vous savez que la discrétion est l'âme des grandes choses, aussi je pense que le meilleur moyen d'union avec les Dames, c'est de les laisser se gouverner elles-mêmes, et de vous laisser aussi indépendantes. Seulement quand vous aurez quelques conseils à suggérer à Madame David, qu'elle s'en serve comme d'elle-même. Les Dames doivent avoir le même esprit, mais l'application, mais la vocation sont toutes différentes: ce qui doit unir les Tierçaires, c'est l'amour de la vie simple et cachée, l'esprit d'oraison - en un mot la vie intérieure de Jésus et de Marie. C'est le drapeau, le mot d'ordre.
Le bon P.Viennot avait reçu l'offre de M.Perret d'un beau moule d'une statue de la S.Vierge et il m'avait permis de le demander à M.Perret pour le T.O. et M.Perret a bien voulu nous l'envoyer. Je l'ai fait adresser à Melle Guillot. Cette statue a été donnée par S.Louis de France, à des religieuses.
Vous pourrez en faire tirer quand vous voudrez, mais gardez-en la propriété, qu'elle appartienne à la fraternité des Vierges.
Pour le registre des agrégés, je l'ai envoyé au P. Preuvot par le P.Viennot, il agrégera toutes les personnes que vous voudrez. Les enfants sont à part, dans le même registre. Je l'avais apporté ici pour le compléter.
Encouragez le P.Preuvot en le mettant un peu au courant, et qu'il sache faire le bien au milieu des petites épreuves; pourvu que la nacelle vogue vers le port bien-aimé, qu'importe qu'elle soit agitée par la vague inconstante et sans retour qui l'accompagne.
Adieu, bonne Soeur, priez pour moi, mes affectueux respects à votre bonne famille, à votre bonne Mère qui m'a promis ses prières et pour qui j'aime à prier, à Melle votre soeur, qu'elle aime toujours le bon Dieu, à votre excellent Père, à votre chère Belle-soeur, et croyez-moi en J. et M.
Votre tout dévoué
Eymard P.M.
Nr.0319
An Fräul. Agarithe Monavon
Tout pour Dieu seul.
La Seyne, 28 Janvier 1852.
Mademoiselle,
Je suis encore à temps pour vous offrir mes voeux de bonne année. Or ces voeux sont que vous alliez un jour en paradis, mais bien haut dans la gloire de l'amour; qu'en cette pauvre et triste vie vous aimiez bien le Bon Dieu, que vous le fassiez encore plus aimer par les autres; enfin, que vous fassiez ce que vous avez promis à notre ami commun. Esope demandait des matériaux pour sa ville aérienne; pour cette vie céleste vous attendez les miens. Vous les aurez bientôt; j'en attends encore d'un sergent converti par le bon Mr Marceau et le compagnon de son retour des Marquises. Puis, si vous vous mettiez en rapport avec la bonne et sainte mère de Mr Marceau, à Tours, au couvent de la Présentation; ou mieux, peut-être vous irez la voir aux vacances.
J'ai appris par Mlle du Rousset des nouvelles de Mlle Brosset. Hélas! qu'elles sont tristes, et peut-être est-elle morte cette pauvre enfant! Ah! elle a été trop contrariée; on aurait bien fait de la laisser un peu libre. Mais, hélas! peut-être est-elle déjà délivrée de l'esclavage de l'exil. Je m'intéressais beaucoup à cette chère âme parce que, Mademoiselle, vous me l'aviez confiée, et que je voyais dans elle de grands besoins.
Mlle Agathe m'a écrit; je vais lui répondre au premier moment libre. J'approuve bien votre pensée : elle a besoin de sortir un peu d'elle-même, et de dépenser au dehors la surabondance d'activité et d'énergie de son caractère.
Et vous, Mademoiselle, que faites-vous? A quoi occupez-vous vos petits instants de liberté? A souffrir peut-être, et à philosopher sur l'instabilité et le néant des choses humaines. Que de choses incroyables dans le siècle des révolutions! Je pense comme vous: ce qui s'est passé n'est qu'un avertissement, et peut-être un des signes précurseurs des grands signes du dernier jour. Hélas! si les incrédules ne reconnaissent pas le doigt de Dieu, si les indifférents ne se réveillent pas au milieu de ce bouleversement, si les riches ne deviennent pas chrétiens pratiquants, il faut se préparer à la foudre de la vengeance divine. L'émeute est vaincue, mais elle n'est pas détruite; on a fait des arrestations, mais le foyer reste: l'irréligion, les passions mauvaises. Dans notre Var, on a arrêté deux mille insurgés, je crois; et je viens d'apprendre d'un haut fonctionnaire que les sociétés secrètes avaient 30.000 affiliés dans notre département. Il faudrait maintenant prêcher la pénitence. Ce qui me désole, c'est ce que je viens d'apprendre: Lyon, dit-on, recommence de plus belle ses bals et ses fêtes mondaines. Hélas! hélas! et la terre est encore brûlante...
Vous êtes triste, et puis voilà tout ce que vous m'annoncez. Mais de quoi? mais pourquoi? mais y-a-t-il un remède? J'aurais aimé vous témoigner une sympathie plus pratique. Au moins je vais bien prier pour vous, et vous le ferez pour moi.
Adieu, je vous laisse en la grâce de Notre-Seigneur.
Votre tout dévoué.
EYMARD, P. M.
P.S. J'attends la veille des calendes grecques qui m'apportera de vos nouvelles.
Mademoiselle,
Mademoiselle Monavon Agarithe,
rue de Castries, N 10,
Lyon (Rhône).
Nr.0320
An Marg. Guillot
Tout pour Dieu seul.
La Seyne, 1er Février 1852.
Mademoiselle.
J'ai reçu hier bien fidèlement les deux caisses des statues; elles étaient arrivées le 30 et bien recommandées, grâce à vous et au bon Mr Perret, à qui, je vous prie, de faire agréer mes sincères remerciements; je le ferai par écrit. Maintenant, sont-elles arrivées à bon port? il y a du bien et du mal, mais bien guérissable. La statue de Valbenoite a peu de mal: un morceau de son manteau est brisé, mais la figure, le corps, les mains, tout va bien. La statue de l'Immaculée Conception a du mal. Toute la tête est brisée en cent morceaux, avec un peu du piédestal; à en juger par le reste, cette statue doit être bien faite. Maintenant, ne vous tourmentez pas trop de cela, voici le moyen de tout guérir, et à peu de frais:
1· C'est de demander à Gaspari, qui l'a faite, une autre tête, de bien l'emballer, mais sans mettre des fils sur la figure pour la tenir, puis de nous l'envoyer par la diligence de Messageries générales ou nationales;
2· De lui demander le moyen de les arranger. Nous avons un bon plâtrier et sculpteur ici, il m'a dit que cela pourrait s'arranger avec du plâtre; si le plâtre ne suffit pas, s'il fallait du plâtre pierre, Mr Gaspari en mettrait un peu dans la petite caisse de la tête. Mais je ne veux pas que Mr Gaspari vienne ici pour la raccommoder, ce serait la payer trop cher.
Je n'ai que le temps de vous remercier de tout l'embarras que je vous ai donné, de vous prier d'offrir mes humbles respects à toute votre famille, et surtout au bon Mr Gaudioz et à Mme Gaudioz.
Je suis en Notre-Seigneur, Mademoiselle,
Votre très humble serviteur,
EYMARD.
P.S. J'ai lu votre bonne lettre avec le plus vif intérêt. C'est le bon Dieu qui veut tout ce qui peut humilier, contrarier la pauvre nature: oublions la pauvre misère humaine, ses paroles, ses intentions, ses actions naturelles, tout cela ne pèse pas un cheveu dans la balance de la divine Providence. En tout voyons ce que le Bon Dieu veut de nous, les actes de vertu qu'il fait naître du concours de ses créatures libres et de sa grâce.
Je vous répondrai sous peu. Je vais bien.
Vous recevrez bientôt l'argent du tableau, vous rendrez alors le billet à Mme Perroud.
A Mademoiselle Guillot Marguerite,
Place Bellecour, Façade du Rhône, 9,
Lyon (Rhône).