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Nr.0261

An Marg. Guillot

Lyon, vendredi, Juillet 1851.

J.M.J.

J'ai reçu, ma chère fille, votre triste lettre. Vous avez bien fait de m'écrire, et si je le pouvais, j'irais vous voir, mais je ne le puis en ce moment; mais quand vous avez besoin de moi, venez, et je vous recevrai toujours avec la charité d'un père.

Adorez, ma fille, la sainte volonté de Dieu; et suivez, avec Marie, Jésus montant au Calvaire. Soyez une toute petite enfant dans l'obéissance.

  1. Votre état, est un état de tentation.... humiliez-vous bien, c'est la gloire que Dieu en attend.
  2. Je me charge de tout; continuez vos Communions, vous en avez bien besoin. Allez-y par obéissance, comme la dernière des pauvres.
  3. Faites l'offrande du jour, récitez les trois Ave du T.O.
  4. Allez à la sainte Messe, si votre santé le permet.
  5. Quand vous êtes avec vos soeurs, récitez l'Angelus, les prières des repas.
  6. Je veux le chapelet.

Je vous dispense, pour le moment, de l'examen, de la lecture, de l'oraison du soir; mais je veux, si votre santé le permet, une visite au Saint Sacrement dans l'après-dîner, quand vous êtes à Saint Joseph.

7. Je vous ai permis l'heure de la nuit deux fois la semaine, si la santé le permet.

Allons, ma chère fille, c'est encore une tempête où le Bon Dieu fera son oeuvre. Abandon et obéissance.

Je vous bénis; donnez-moi de vos nouvelles, votre état me fait bien compassion.

A Mademoiselle Guillot Marguerite,

à Bellecour, Façade du Rhône, 9,

Lyon.


Nr.0262

An Frau Jordan

La Favorite, 7 Juillet 1851.

MADAME,

Vraiment j'ai besoin de vite vous dire le malheur de votre lettre pour m'excuser. Je l'avais perdue, ce n'est qu'avant-hier soir que je l'ai trouvée; jugez de mon regret... Sans cesse on me disait que vous alliez revenir bientôt à Lyon et je vous attendais et vous attends; mais je vois que les semaines et les mois passent et Mme Jordan ne revient pas encore. Elle est si heureuse dans son Ermitage, au milieu de ses chalets et des bons habitants dont elle est l'amie, l'infirmière et la mère! Aussi Lyon n'a pas les charmes du coeur, mais seulement de la foi et de la charité des sacrifices.

Mais, Madame, vous allez nous arriver bien portante, bien intérieure, toute joyeuse, toute généreuse. Il est bon de varier l'état de la vie; le coeur veut toujours du nouveau et Dieu aussi. J'aime bien votre pensée, se prêter et ne pas se donner aux choses; conserver ainsi toujours sa liberté et sa présence d'esprit. Continuez bien de passer seulement en faisant le bien, comme notre divin Maître. Je vous remercie bien de vos bonnes prières pour mon Jubilé de Saint-Chamond; le Bon Dieu l'a béni au-dessus de toute espérance; sa grâce est si puissante! Puis je voyais bien que toutes ces belles et consolantes conversions n'étaient pas le fruit de la parole de l'homme, mais d'une grâce cachée: que Dieu en soit glorifié à jamais!

J'ai agrégé, comme vous le désiriez, les personnes que vous me recommandez. Je les connaissais de réputation, hélas! pauvres aveugles bien à plaindre! Si elles connaissaient le don de Dieu, sa bonté, son amour, le bonheur de l'espérance... elles seraient si heureuses!

J'en viens à votre jeune homme; il ne serait pas difficile de le recevoir frère en ce moment, chez nous, présenté et patronné par vous, Madame; je me ferai un devoir de le favoriser. Il faudrait savoir son âge, ses qualités morales, ou plutôt il vaudrait mieux qu'il vînt faire un voyage à Lyon, car ordinairement on ne reçoit pas des postulants sans les voir. Ce jeune homme pourrait se présenter à notre défaut chez Mr Rey à Tullins, ou chez les Frères Maristes à Saint-Chamond, et je pourrais lui donner une lettre de recommandation.

Le Tiers-Ordre est toujours bien consolant et édifiant; beaucoup de membres sont comme ma bonne Dauphinoise à méditer à la vue de la belle nature au milieu du silence et de la paix des vallons et des collines. N'oubliez pas mon rocher, sa chapelle, sa belle vue. Oh! l'heure délicieuse que j'y ai passée il y a quelques années, sur le déclin d'une belle journée! Je sentais mon âme jouir d'une paix et d'une méditation qu'on n'oublie jamais.

Adieu, Madame, vous savez bien que tous les jours je vous nomme et vous bénis au saint Autel, vous, votre chère fille et votre bon mari.

Tout à vous en N.S.

EYMARD, P.

Madame,

Madame Jordan, au Chalet, à Saint-Romans,

par Saint-Marcellin (Isère).


Nr.0263

An Marianne Eymard

J. M. J.

La Favorite, 20 Juillet 1851.

CHERES SOEURS,

J'espère que tout va bien à La Mure et que vous êtes arrivées à bon port, sur les ailes de la divine Providence.

Le but de ma lettre, le voici tout simplement. Mr Cat connaît l'existence du Tiers-Ordre à La Mure, il en sait tous les détails, la Messe du mois à laquelle assistent toutes les affiliées, les exhortations de Mr Pillon à qui on donne le nom de directeur, etc.; il voit dans cela une coterie ou du moins une occasion, un jour, de misères... J'ai répondu que ce n'était qu'une affiliation particulière et privée, comme en effet cela n'est pas autre chose, car jamais je n'ai voulu ni réunions, ni organisation à La Mure. Il paraîtrait que quelques-unes du Tiers-Ordre auraient tout raconté à Mr Le Curé, et je n'en serais pas étonné, il n'en faut qu'une indiscrète et bavarde.

Ce qu'il y a à faire à présent, chères soeurs, c'est de ne point leur communiquer ce que vous recevez de Lyon relativement au Tiers-Ordre. Ne vous fiez pas aux dévotes, elles n'ont point de secrets pour leur directeur.

C'est de ne rien faire qui ait l'apparence de réunion.

Comme Tiers-Ordre privé Mr le Curé ne pouvait rien dire, mais si cela faisait une société il aurait droit de se plaindre. Je désirerais bien que Mr Pillon fût bien prudent, laissât tout cela; je crains les barbouillages des dévotes de La Mure. Je laisse cela à votre grande discrétion. Vous connaissez le terrain, la susceptibilité des personnes.

Vivez heureuses dans votre petit coin, mais ne vous tourmentez pas de tout cela, ce n'est rien. Mr le Curé s'est bien comporté envers moi. Je vais bien et prie bien pour vous, chères soeurs.

Tout à vous en J.-C.

EYMARD, p. s. m.

Mademoiselle,

Mademoiselle Eymard Marianne,

rue du Breuil, à La Mure d'Isère.


Nr.0264

An Frau Gourd

J.M.J.

18 Juillet 1851

Madame,

Je vous remercie d'avoir prié pour moi, et surtout mon saint Patron; si je lui ressemblais au moins un peu dans son amour pour Notre-Seigneur et pour sa gloire! Mais hélas! je suis bien pauvre et bien froid, j'ai besoin que mes filles me fassent l'aumône, et, chose étrange, je pense plus à leur bien qu'au mien.

J'en reviens à votre lettre. Conseillez à cette mère affligée et si malheureuse:

  1. De se tenir toujours bien en état de grâce, afin que le démon, qui paraît dominer cet homme, n'ait aucun pouvoir sur elle. C'est là le point important.
  2. Qu'elle offre bien au Bon Dieu ses souffrances pour le salut de son mari, car, hélas! il est bien exposé.
  3. Elle ferait bien de remettre la précieuse relique de V. Gaspard de Buffalo, en récitant tous les jours quelques prières en l'honneur du Précieux Sang, par l'intercession de ce grand Serviteur de Dieu. Nous unirons ici nos prières aux siennes et aux vôtres, Madame.

Vous êtes donc toujours bien occupée, toujours aux autres! Que Dieu en soit béni! on n'est jamais plus sûr de faire la sainte Volonté de Dieu, que lorsqu'on ne fait pas la sienne propre; et l'on n'est jamais plus libre, plus tranquille que dans l'abandon filial à cette tout aimable Volonté de Dieu. Soyez donc bien contente quand le soir vous (pouvez) dire au Bon Dieu: "Mon Dieu, j'ai renoncé tout le jour à ma volonté propre."

Cependant, n'oubliez pas qu'un âme intérieure ne doit pas sortir tout entière d'elle-même, mais avoir toujours l'oeil sur Dieu présent et sur son devoir;

Conserver intérieurement avec son bon Maître et trouver ainsi Dieu avec les créatures et au milieu du monde.

Mais libérez-vous dans le jour, comme vous le pourrez, de vos prières vocales de dévotion, afin que le soir vous soyez libre.

Adieu, Madame; mon souvenir à Mademoiselle: qu'elle soit toujours simple avec le Bon Dieu, avec elle-même, avec vous; qu'elle aille à l'amour divin par la pureté du sacrifice du coeur et de la volonté.

Tout à vous en Notre-Seigneur.

EYMARD.

Madame Gourd,

à Romanèche (Saône-et-Loire).


Nr.0265

An Marg. Guillot

La Seyne-sur-Mer, près Toulon (Var), le 7 Août 1851.

Je viens, ma chère fille, vous donner de mes nouvelles, et vous dire que l'obéissance me laisse encore ici jusqu'à la fin du mois d'août, pour organiser une nouvelle maison; je ne m'y attendais pas; mais le Bon Dieu m'y attendait, et m'y voici, comme à Lyon, avec sa grâce et sa présence eucharistique. Je suis bien tranquille ici, n'y connaissant presque personne; je m'occupe du matériel, de réparations, etc... cependant, je suis souvent à Lyon et à la petite maison de Saint Joseph, et je prie pour toutes, surtout pour vous, afin que le bon Maître vous porte dans le moment de la faiblesse, vous soutienne dans la misère, soit votre force et votre amour en tout. Ayez bien toujours présents à votre foi, l'amour et la miséricorde de Notre-Seigneur; faites-en votre vie. J'ose espérer de la bonté de Notre-Seigneur qu'il ne vous laissera jamais.

Priant ces jours-ci pour vous d'une manière toute particulière, il me vint une forte pensée, de vous conseiller de vous confesser en mon absence à Mr Rousselon, l'aumônier de Mlle Jaricot. C'est un saint prêtre, bien intérieur, et bien éclairé dans les voies de Dieu; allez-y avec confiance, et de ma part, il ne vous refusera pas. Dites-lui ce que vous pourrez, sans chercher à lui expliquer l'état de votre âme, en lui disant les tentations que vous avez, cela suffit pour qu'il vous connaisse, mais ayez soin de lui dire comment je vous conduis et ce que je veux de vous, quant à la Sainte Communion. Dans votre état de peine de conscience, vous êtes dispensée des explications, vous êtes dans l'état d'une malade qui peut à peine dire quelque chose, mais le Bon Dieu voit les dispositions du coeur.

Je conseille aussi à vos soeurs d'aller trouver ce bon prêtre, ce serait trop long d'attendre mon retour.

Que voulez-vous, ma bonne fille, sinon la sainte volonté de Dieu? or, c'est cette adorable volonté qui me retient ici, et qui veut de vous ce sacrifice, et ce bon Maître est toujours bon et aimable en tout. Qu'on est heureux de trouver Dieu partout, de pouvoir vivre toujours en lui, alors il n'y a plus de pays étrangers, plus de séparation! Dieu est tout en tous.

J'ai bien regretté de n'avoir pu voir Mme.... mais le Bon Dieu ne l'a pas encore voulu, qu'il en soit béni!

Mes respects tout dévoués à toute votre famille, à la bonne mère, qu'elle supporte tout pour l'amour de Dieu; à Mlle Mariette, qu'elle travaille bien pour Dieu et s'estime heureuse d'être la Marthe de la maison; à Mlle Claudine, amour simple et filial de Jésus à Nazareth et sur le Calvaire; à Mlle Jenny, confiance et abandon au bon plaisir de Dieu; à vous, pauvre, sourde, aveugle, muette au service de Notre-Seigneur, vous laissant conduire où il veut et comme il veut.

Je vous bénis toutes en Notre-Seigneur.

EYD.

Et votre numéro?

A Mademoiselle Guillot Marguerite,

Place Bellecour, Façade du Rhône, 9,

Lyon (Rhône).


Nr.0266

An Frau Franchet

La Seyne, 8 août 1851

Madame,

L'homme propose et Dieu dispose. Me voici encore à La Seyne; je croyais n'y rester que quelques jours, et il faudra y rester jusqu'à la fin d'août. Dieu le veut, et moi aussi, et vous aussi.

Que de fois j'ai demandé à Dieu de vous conserver et de vous fortifier dans vos bons désirs! de bien former en vous son esprit d'amour et de sainteté! car vous êtes faite pour lui, les créatures pouvant amuser un instant le coeur, distraire l'esprit; les remplir, les satisfaire, jamais!

Voilà la voie sûre et nécessaire; aller à Dieu par la séparation de soi-même, par le sacrifice de toute la vie. La Sainteté évangélique n'est qu'une immolation, un holocauste, la mort et la vie unies dans l'amour crucifié et crucifiant. Or vous savez, Madame, que N.S. vous appelle à lui par cette voie; elle est bien escarpée, quelquefois bien épineuse, bien affreuse; mais qu'il était beau à l'amour, Jésus au jardin de tristesse, humilié dans Jérusalem, montant péniblement le Calvaire et s'y consumant dans son amour. L'amour est toujours un martyre, et la flamme du sacrifice est toujours l'amour.

Allons, ma fille, ne nous arrêtons pas au milieu de la voie, ne regardons pas trop loin devant nous: c'est un mystère. Ne vivons pas dans nos croix et nos peines, mais en Jésus avec nos croix. Souvenez-vous bien que le Bon Dieu ne demande que la volonté, c'est son trône; le reste, c'est le champ du combat.

Laissez-moi, ma fille, vous répéter, encore une fois, mille fois, méprisez les éclairs et les tonnerres, ils ne peuvent vous toucher, ne donnez pas de l'importance à vos peines intérieures, en un mot: Communiez, voilà votre force, votre victoire et votre voie; vous le faites et le ferez. Le jour sans soleil, est une nuit de tempête ou de tristesse.

Adieu, je vous bénis en N.S.

Eymard.

P.S. Je rouvre ma lettre pour vous accuser réception de la vôtre, et vous dire qu'elle m'a fait joie et consolation. Vous souffrez et souffrez beaucoup, c'est vrai! et je n'ose pas dire à N.S. de vous ôter ces peines; il me semble que ce serait vous stériliser et attrister Jésus notre Maître. L'amour divin enfante toujours dans la douleur, l'union parfaite ne se fait que sur la croix et par la croix; ainsi, bonne fille, pardonnez-moi de ne bénir que vos souffrances et de prier pour vous et votre fidélité. Seulement demandez à N.S. qu'il en voile l'effet extérieur et que s'il veut le coeur crucifié, que l'extérieur soit l'expression d'une douce charité et de la paix du St. Esprit; faites-en votre secret. Cette pensée, Dieu veut cela de moi, sera plus forte que tout; jamais vous n'avez été plus agréable à Dieu qu'à présent.

Oui, communiez, et communiez comme je vous l'avais marqué; chez vous le coeur est meilleur que la tête, et Dieu veut le coeur.

Embrassez pour moi votre bon petit enfant; que le bon Dieu vous le conserve toujours sage.

Mes affections fraternelles au bon Monsieur Franchet.

Eymard.


Nr.0267

An Marg. Guillot

La Seyne-sur-Mer, près Toulon (Var), le 18 Août 1851.

J'ai reçu, ma chère fille, votre lettre du 10 août. Je l'attendais, mais je ne m'attendais pas à tant de peines en vous. L'état extraordinaire de peine dans lequel vous êtes me fait bien désirer vous être utile; vous connaissez ma charité pour vous, et je prie le Bon Dieu de l'augmenter encore. La proposition que je vous ai faite d'aller trouver Mr Rousselon ne partait que de ce principe: parce que je venais de recevoir du Supérieur Général l'ordre de rester ici jusqu'au 5 septembre et je voyais ce temps trop long; puis c'est une grande peine pour moi de vous sentir seule, en proie à toutes ces tempêtes. Ce serait assurément une grande consolation pour moi, et la plus grande que vous pourriez me donner, que de m'apprendre que vous n'êtes pas abandonnée. La crainte d'être dans un état pire après est une peine, car vous n'êtes pas obligée de dire votre état intérieur, mais seulement vos péchés, et encore vos péchés comme vous les pouvez dire seulement, sans chercher à les expliquer. Le précepte de la confession est très simple, c'est de se confesser comme on le peut médiocrement dans le moment. C'est la grâce de l'absolution que l'on doit désirer plutôt qu'autre chose; et cette grâce est la grâce de la bonté et de la miséricorde de Dieu. En agissant ainsi, votre confession sera la confession du pauvre publicain qui s'humilie à la vue intérieure de ses péchés, ou bien de Madeleine humiliée et pleurant aux pieds de Notre-Seigneur sans pouvoir exprimer ses sentiments; ainsi je ne puis que vous conseiller d'y aller. Et qui sait? peut-être que la grâce de Dieu vous attend là, vous savez bien la peine que vous avez toujours éprouvée de changer de confesseur. Le bon Dieu a ses mystères de grâce et ses moments; ainsi, abandonnez-vous un peu plus à la grâce du moment.

Pour votre état, je vous l'ai toujours dit, c'est un état divin, où vous pouvez glorifier beaucoup Notre-Seigneur par la voie des humiliations intérieures et par la souffrance. Ne raisonnez pas cet état, contentez-vous de savoir qu'il n'est pas un obstacle à l'amour de Dieu, mais même le moyen particulier que Dieu a choisi pour vous sanctifier. Il me semble que cela doit vous être une consolation que cette décision positive; alors, entrez dans le désert, les yeux fermés. Voir Dieu en tout, aller à Dieu par toute chose, s'abandonner entièrement à tout son bon plaisir de chaque instant: voilà la Règle invariable d'une âme intérieure.

Ecrivez-moi. Ai-je besoin de vous le dire? mais surtout priez pour moi, pour que la sainte volonté de Dieu s'accomplisse parfaitement en moi. Je suis ici comme je vous désire être, vivant au jour le jour, sans savoir l'avenir, mais le Bon Dieu y pense pour moi.

Je prie toujours pour mes bonnes filles qui me deviennent encore plus chères, et pour ce cher T.O., et pour vous en particulier. Mes respects à votre bonne et chère famille.

Adieu en Notre-Seigneur.

EYMARD.

P.S. Il paraît que je n'irai à Lyon que vers le 5 ou 6 septembre. Si toutefois il vous était impossible de vaincre vos répugnances pour la confession, je vous donne vos permissions ordinaires.

A Mademoiselle Guillot Marguerite,

Place Bellecour, Façade du Rhône, 9,

Lyon (Rhône).


Nr.0268

An Herrn Creuset, Lyon

La Seyne-sur-Mer (Var), 19 Août 1851.

Bien cher ami,

C'est à Toulon que je reçois votre lettre, et je ne veux pas attendre mon retour pour y répondre. Votre lettre m'a réjoui en Notre-Seigneur. J'admets devant Dieu tout ce que vous m'y exprimez; mais ma conclusion reste la même: je vous veux et vous aime Maître des novices; vous seriez à être renommé, que mon premier choix serait sur vous. Tout ce qu'on a dit n'est rien; ce n'est pas moi qui l'ai dit, et ne le dirai jamais. Et je vous avouerai que j'aurais bien mieux aimé que Mr de Fayotte gardât le silence. En cela, il y a une bonne chose: c'est que vous en avez profité devant Dieu, et moi j'en profite pour vous renouveler mon désir et mon affection.

Vous n'avez pas les qualités requises, dites-vous, ainsi que la vertu. Tant mieux! vous les demanderez au Bon Dieu, sa grâce fera tout et fera mieux. Hélas! cher ami, vous êtes humilié de cela... c'est bien moi qui devrais me cacher le visage dans les mains, en voyant l'honneur insigne que Dieu me fait de m'employer au salut des âmes choisies de son amour, et s'il fallait compter avec vous, je l'emporterais infiniment en incapacité et en misères. Je m'en console en disant au Bon Dieu: Je n'ai rien, je ne sais rien, je ne puis que tout gâter; faites tout, arrangez tout. Et puis à la Sainte Vierge: Bonne Mère, c'est votre oeuvre, gardez-la bien.

Ainsi, cher ami, abandonnez-vous à la bonté de Dieu et à la protection de la Très Sainte Vierge, et continuez.

J'ai bien regretté de ne m'être pas trouvé à votre réunion d'août, et je regrette bien de ne pouvoir être à celle de septembre. Je suis retenu ici par l'obéissance jusqu'au 5 ou 6; mais je me trompe: j'espère être à celle de septembre, puisqu'elle ne sera que le 6.

Priez pour moi, cher ami, afin que je ne mette pas d'obstacle aux grâces de Dieu sur moi.

Recommandez-moi aux prières de votre bonne dame, et croyez-moi toujours, en N.-S.,

Tout à vous.

EYMARD, P.M.

Monsieur,

Monsieur Creuset,

place et rue Bellecour, N 13,

à Lyon (Rhône).


Nr.0269

An Marianne Eymard

Au Pensionnat de la Seyne-sur-Mer (Var), le 19 Août 1851.

BIEN CHERES SOEURS,

Me voici en Provence depuis quatre semaines bientôt et je dois y rester jusque vers le 5 ou 6 septembre. Je fais exécuter des réparations dans notre établissement. Ma santé va bien d'ailleurs et je n'y ai point de peine, et j'y suis bien tranquille, et, chose étonnante, j'y deviens paresseux et n'ai le temps de rien faire; ces grandes chaleurs accablent l'esprit et le corps. J'ai reçu des nouvelles des demoiselles Guillot; elles vont à l'ordinaire, elles m'apprennent qu'elle vous ont écrit.

Pour la question du Tiers-Ordre avec Mr le Curé, je vous conseille de ne rien faire ni dire. Mr le Curé est sec, il pourrait vous dire quelque chose de mortifiant. Laissez tomber la chose, je la traiterai moi-même avec lui. Ce qui me fatiguerait, ce serait si le bon abbé Pillon devait en souffrir; qu'il se tienne sur ses gardes là-dessus et qu'il méprise tous ces bavardages de dévotes qui tendent à désunir un curé de son vicaire, et je conseille aussi de laisser la sacristie et le repassage de l'église si cela vous attire des misères avec Mr le Curé, parce que la paix avant tout.

Hélas! ce n'est pas tant Mr le Curé comme les personnes qui l'ont monté à qui il faut s'en prendre. Les meilleures choses ont toujours eu des épreuves, mais ne vous en faites pas du mauvais sang; vous êtes du Tiers-Ordre, vous avez part à tous ses biens. Vivez tranquilles chez vous, c'est le meilleur moyen d'être heureuses.

Je pense qu'à présent toutes vos réparations sont finies et que vous vous reposez un peu, c'est bien temps. Ecrivez-moi à l'adresse qui est au commencement de ma lettre.

Je suis en N.-S.,

Chères soeurs,

Tout à vous.

EYMARD, p. s. m.

Mademoiselle,

Mademoiselle Eymard Marianne,

rue du Breuil,

La Mure.


Nr.0270

An Fräul. Julie-Antoinette Bost

La Seyne-sur-Mer (Var), 22 Août 1851.

MADEMOISELLE,

C'est au fond du Midi, à Toulon, que je reçois votre lettre. Elle est venue me rejoindre un peu sous ce ciel brûlant, et je viens vite y répondre, afin qu'une autre fois vous n'ayez pas la même tentation.

Vous êtes triste! et d'une tristesse indéfinissable! C'est un dégoût de tout, c'est un état bien pénible, et l'on a bien besoin de la grâce de Dieu pour se supporter dans cet état. Puis, ce qu'il y a de plus désolant, c'est que rien ne console et ne semble fortifier. Oh! je le connais bien cet état-là, et le Bon Dieu m'y fait passer de temps en temps.

Eh bien, croyez-moi, il faut en remercier Dieu comme d'une grande grâce. Sous ce pressoir l'âme agonise, c'est vrai; mais c'est pour se revêtir d'une nouvelle vie. Dieu la dégoûte et la détache pour se l'attacher plus fortement.

Il lui montre le vide de tout ce qui n'est pas lui.

Dans ces moments de douleurs inexprimables faites à Notre-Seigneur l'offrande de vous-même, et dites-lui bien: Je souffre, je me meurs, mais n'importe, mon coeur et ma vie sont à vous. Je vous aimerai plus que ma peine et ma tristesse, et vous verrez un nouvel horizon d'espérance et d'amour s'ouvrir devant vous.

Mais il est un point sur lequel nous ne sommes pas d'accord. Vous n'aimez pas la vieille fille dans le monde, et moi je la préfère à la vieille religieuse, à la mère la plus méritante. C'est qu'elle est vierge et martyre en même temps. Elle porte au milieu d'un monde païen ou indifférent le drapeau virginal du Sauveur. Elle est sa disciple apostolique bien-aimée. Ainsi, Mademoiselle, pensez comme moi. Une vieille fille est comme cette vieille garde impériale couverte de blessures de gloire, fruits de mille combats. On s'incline de respect devant ce vieux vétéran. Eh bien, qu'en pensez-vous? Au moins consolez-vous par la pensée que vous êtes là où le Bon Dieu vous veut.

J'aime bien cette fidélité à vos exercices quoiqu'il vous en coûte; alors seulement vous pouvez dire: J'aime Dieu plus que moi-même.

Veuillez présenter mes respectueux souvenirs à votre bonne soeur, lui dire de prier pour moi. Pour vous, j'y compte.

J'ai été heureux de recevoir professe [du Tiers-Ordre] Madame de Chatelux, votre excellente amie. J'étais gêné d'abord par la présence d'une dame que je ne connaissais pas et qui l'accompagnait.

Je n'ai qu'une pauvre image à ma disposition; je vous l'envoie tout de même.

Je vous confie à la grâce de Notre-Seigneur, et le prie de vous prendre tout entière et [de] régner souverainement en vous.

EYMARD.

Madame Tholin-Bost, Négt, à Tarare (Rhône).

Mlle Bost. P. A. B.


Nr.0271

An Marg. Guillot

La Seyne-sur-Mer, près Toulon (Var),

22 Août 1851.

Je viens répondre deux mots à votre dernière lettre trop triste cependant; mais puisque le Bon Maître a guéri Mlle Claudine, il vous montre combien il vous aime, et que sa divine Providence est toute paternelle: c'est la plus heureuse nouvelle que vous puissiez m'apprendre, car j'en tirais grande peine; enfin cette bonne fille est guérie, oh! que le Bon Dieu est bon! il me tarde de la voir. Mais il ne faut pas assombrir cette belle fête par des larmes; - mais je serais bien en peine de vous dire que je suis nommé Supérieur ici, puisque tout ce que je sais, c'est que l'on ne m'a pas signifié cette nomination, et que je dois aller à la retraite de Lyon. Je sais, il est vrai, que l'on cherche un Supérieur pour la Seyne et que je suis sur les rangs. Mais voilà tout, et je laisse tout cela à la sainte volonté de Dieu, et ne m'en inquiète pas.

Dites donc à Mlle Claudine de ne pas m'affliger en s'affligeant. Je vais commencer demain votre neuvaine.

Pour la question que vous me soumettez, tout ce que je puis conseiller, c'est de rester tranquille; je sais positivement que le Supérieur Général ne veut pas abandonner le T.O. et que s'il me retirait, il ferait plutôt venir à Lyon un sujet exprès. Ces bonnes demoiselles s'alarment trop, puis tout cela n'aboutirait à rien. Si elles tiennent à leurs pensées, laissez-les faire; le Bon Dieu fera le reste. Et quand vous aurez dit votre façon de penser, soyez et restez calme.

Si vous voyez M.G., présentez-lui mes respectueux souvenirs. Je fais un peu comme elle, je voyage sous le vent de la divine Providence.....

Allons! et le bon Mr Rousselon? Que vous êtes enfant! du courage donc!

Je vous bénis en N.S.

EYD.

A Mademoiselle Guillot Marguerite,

Place Bellecour, Façade du Rhône, 9,

Lyon (Rhône).


Nr.0272

An Frau Franchet

La Seyne, 25 août 1851

Madame,

Je viens de recevoir votre lettre pleine de tristesse et de gémissement. Mon Dieu! que de misères! Quand seront-elles adoucies ? Pauvre nacelle, comme elle est ballottée! puis, le rivage est encore loin et le ciel est toujours sombre, puis point de secours. Quelle position!

Que faire ? Se tenir toujours au gouvernail, jeter l'eau qui entre peu à peu dans la petite nacelle, puis l'abandonner à la Providence; votre nacelle est assurée, Madame, elle ne peut sombrer et périr. Non, non le bon Dieu la bénit à chaque instant du jour, mais vous n'êtes pas encore une bonne passagère, vous avez trop peur; puis votre coeur se meurt de ne voir que le ciel et le désert. Que voulez-vous ? Il ne faut pas lui en trop vouloir pour cela; il souffre, il est malade, il se soulage en se plaignant un peu, mais quand il veut aller plus loin, il faut lui dire: Or, sus, mon pauvre coeur, tu n'es pas sage, tu vas déplaire à ton Dieu et te rendre malheureux par son amour, tu n'iras pas plus loin, et pour son amour, tu souffriras encore un peu, et ce coeur, qui, dans le fond est bon, se rendra et reprendra la voie de Jésus, partout où il lui plaira de le conduire et il retrouvera la paix et la liberté avec la force et l'amour.

Communiez, ma fille, la malade a besoin de nourriture. Communiez malgré vos misères, elles ne vous ôtent pas la vie de l'amour divin, elles ne font que l'éprouver, que la purifier; le fruit qui vient dans une serre chaude est toujours un peu fade et l'arbre qui le produit bien délicat et bien faible. Mais le fruit qui vient en plein vent, qui mûrit en son temps est le meilleur. Communiez, et N.S. sera votre force dans les grandes épreuves; dans les grandes tentations on a un besoin, je dirais presque nécessaire de N.S. Eucharistique; c'est le moment du combat et si Jésus semble dormir au milieu de la tempête, ce n'est que pour éprouver notre confiance, contentez-vous, alors, de vous tenir à ses pieds. Son amour ne dort jamais.

Pauvre fille! ce que vous m'écrivez de ce sentiment n'est rien; vous lui avez donné trop d'importance, et surtout vous l'avez trop analysé; en s'en confessant on n'en dit qu'un mot en fuyant.

Ah! vous vivez trop dans votre coeur. Je voudrais que votre coeur vécût tout entier dans le coeur divin de N.S..

Je ne puis pas! la souffrance est le commencement de cette vie divine, la fidélité dans la souffrance en est la force et le lien. Allons! Vous aimerez le Seigneur Jésus de tout votre coeur, de tout votre esprit, et de toute votre volonté, et de toutes vos forces et le ciel et la terre vous béniront avec moi.

Tout à vous en N.S.

Eymard.


Nr.0273

An Marg. Guillot

La Seyne, Mercredi, 3 Septembre.

Mademoiselle,

J'ai reçu votre lettre. Je regrette de n'avoir pas le temps de répondre à la première partie: vous direz que vous n'avez rien reçu.

Pour votre question personnelle, hélas! que le Bon Dieu vienne à votre secours!

J'ai reçu hier l'ordre de me rendre à Lyon pour la Retraite; je pars demain matin. J'arriverai à Lyon samedi. J'irai vous voir, je l'espère, le dimanche ou le lundi. Ainsi, tenez-vous prêtes. Ce sera avec plaisir que je verrai Mlle Jenny.

Je suis bien sensible aux bons souvenirs de toutes vos soeurs et de toute votre famille. Vous savez combien je l'aime en Notre-Seigneur.

Adieu. Le temps presse.

EYMARD.

A Mademoiselle Guillot Marguerite,

Façade du Rhône, 9, Place Bellecour.

Lyon (Rhône).


Nr.0274

An P. de Cuers

J. M. J.

Lyon, 12 Septembre 1851.

Cher Monsieur,

J'ai reçu avec un sensible plaisir votre bonne lettre et j'en ai béni Dieu. Peut-être serez-vous l'homme de Dieu pour organiser et compléter cette oeuvre apostolique si nécessaire aux missions et qui serait si utile à l'Eglise.

Je ne puis que vous engager à vous arrêter à Lyon à votre passage, ici nous converserons ensemble, et vous pourrez causer de cela avec notre T. R. P. Supérieur Général qui est au courant de votre lettre, c'est un projet à méditer.

Si vous restez cette année à Toulon, j'aurai le plaisir de vous y voir; l'obéissance me renvoie au pensionnat de la Seyne, et j'y serai vers les derniers jours de Septembre.

Adieu en Notre Seigneur.

Tout à vous.

EYMARD, S. M.

Monsieur de Cuers,

Capitaine de frégate, place Vieux Palais, 6

Toulon.


Nr.0275

An Marg. Guillot

La Seyne, 5 Octobre 1851.

Mademoiselle,

Je n'ai que le temps de vous envoyer votre procès-verbal. Je l'ai trouvé très bien, c'est cependant dommage que l'on y parle encore de moi.

Votre souvenir m'est toujours présent, et je vous présente tous les jours toutes à Notre-Seigneur. Priez pour moi, j'en ai besoin. Je suis bien occupé et surtout bien absorbé. Ma santé va à l'ordinaire. Adieu, j'ai peur de manquer la poste.

EYD.

P.S. Je vous écrirai au long, ces jours-ci. Mes respects à toutes.

A Mademoiselle Guillot Marguerite,

Place Bellecour, Façade du Rhône, 9,

Lyon.


Nr.0276

An den Bischof von Grenoble

La Seyne-sur-Mer, 7 8bre 1851

Monseigneur,

J'ai reçu avec un sentiment bien profond de respect et de reconnaissance la lettre que Votre Grandeur a daigné m'écrire, pour offrir à la Société de Marie l'ancien petit séminaire de Bourg d'Oisans: je l'ai communiquée à notre Supérieur général, qui a été vivement touché de votre bienveillance si paternelle pour une Société que vous avez bénie, Monseigneur, il y a 16 ans, et que, sur votre supplique, Grégoire XVI a approuvée le 26 avril 1836. Votre nom, Monseigneur, est inscrit dans notre Bref constitutif, comme une preuve perpétuelle que vous êtes un de nos Premiers Pères.

Notre Supérieur général m'écrit à Toulon, où je suis depuis quelques semaines, qu'il serait heureux de répondre à votre confiance; qu'il regrette bien, que deux établissements nouveaux qu'il vient de fonder cette année, l'aient mis dans l'impossibilité cette année d'accepter votre maison; il vous prie d'agréer sa vive reconnaissance et moi, Monseigneur, je suis toujours votre enfant et je prie tous les jours le Dieu de bonté de vous conserver longtemps à votre cher troupeau.

Bénissez encore celui qui est toujours heureux d'être

de Votre Grandeur, Monseigneur,

le très humble fils

Eymard

p. s. m.


Nr.0277

An Marg. Guillot

La Seyne-sur-Mer (Var), 15 Octobre 1851.

Tout pour Dieu seul.

Je viens commencer par vous, ma fille en Notre-Seigneur, par rompre un si long silence. Jusqu'à ce jour, il ne m'a pas été possible d'avoir un moment à moi; ajoutez à l'organisation d'une maison la Retraite que j'ai prêchée à nos enfants etc... enfin, vous êtes la première à qui j'écris: donc je ne vous oublie pas; oh! comment pourrais-je oublier ma famille du calvaire, que le Bon Dieu aime tant, et pour laquelle il m'a donné le coeur d'un père! aussi m'êtes-vous présentes sans cesse devant Dieu, ainsi que vos peines et vos souffrances. Sous ce rapport, je suis faible, je vous voudrais quelquefois sans croix, mais Notre-Seigneur le veut autrement. Que sa Sainte Croix soit donc bénie, aimée et glorifiée en nous!

Me voici donc au milieu des enfants, et j'en bénis Dieu, puisque c'est sa sainte volonté qui m'a envoyé ici, et c'est ce qui me donne de la force et un peu de bonne volonté. Je cherche à m'emprisonner ici avec mon devoir, car je redoute de faire des connaissances. Hélas! j'ai peur de moi, jusqu'à présent je suis libre. Mais qu'il y a à faire ici! que j'ai besoin de patience, de prière, d'amour de Dieu! Et mon pauvre T.O.! oh! que le Bon Dieu le bénisse toujours et le fasse fleurir par sa sainte grâce! c'est là le faible de mon coeur; mais je serais si heureux de le savoir bien tout à Dieu! Cependant; je dois ne vouloir que ce que Dieu veut, et s'il en voulait la fin, qu'il en soit également béni!

A vous, maintenant. Pour la lettre anonyme, c'est plutôt un avis qu'une correction; vous l'avez prise ainsi, c'est bien, car on vous a attaquée du côté le plus fort, cela vous rendra encore plus forte. Mais pour moi, je ne crois pas que cette lettre soit d'une femme, je la crois d'un homme, de quelque dévot qui aura entendu quelque calomnie sur vous et qui, par charité, aura sottement cru faire un acte de charité. Cette écriture ne m'est pas inconnue, mais je ne puis m'en souvenir.

Pour vos tentations à l'égard de vos confessions, ne vous troublez pas tant, accusez-vous en général de tout ce qui a pu offenser Dieu dans vos tentations humiliantes, contre la foi, la charité, de désespoir, et cela suffit, même en rigueur de théologie, et d'après tous les auteurs sévères. Ne vous troublez pas de ne pouvoir les expliquer, les faire connaître en détail, de bien distinguer ce qui a été coupable; non, non, le Bon Dieu ne le veut pas. Servez-vous du motif d'obéissance pour répondre à toutes ces inquiétudes. Puis, malgré tout cela, faites et continuez vos Communions. sachez bien qu'une des plus grandes peines intérieures, ce sont les peines de conscience qu'on ne peut ni expliquer, ni bien comprendre. Dieu se réserve souvent ce secret pour tenir l'âme dans le mystère de l'obéissance et dans l'immolation entière de la raison, et c'est dans cet état crucifiant que l'âme s'épure de tout ce qu'il peut y avoir de trop naturel en elle-même: voilà je crois le plus parfait qui vous a été montré dans la prière; car alors on ne fait plus reposer sa paix intérieure sur ces actes ou sur le témoignage intérieur de la conscience, mais seulement sur l'acte de foi à l'obéissance aveugle. Soyez bien fidèle, ma fille, à cette règle, il y a déjà longtemps que le Bon Dieu vous met dans cet état et veut de vous ce sacrifice.

Pour vos péchés à accuser, ne vous inquiétez donc pas tant; le précepte de l'accusation des péchés véniels est large et le pardon en est facile. Mais dans le doute si mes péchés sont mortels ou véniels, que dois-je en penser? - Les regarder comme véniels, toujours; et même, si vous êtes troublée, les mépriser et passer par-dessus. Voilà qui est clair. - Mais je suis presque sûre d'avoir consenti? - Même réponse. Il ne faut pas juger du consentement par les impressions, l'inquiétude, le sentiment, mais par le jugement de la volonté: il faut une raison positive. N'examinez pas ces tentations de trouble, passez comme sur des charbons ardents.

Puis, quand votre confesseur vous arrête, obéissez tout simplement et ne cherchez plus à le ramener sur la question. Faites un acte pur d'obéissance en disant: le Bon Dieu se contente de ma bonne volonté.

J'en viens maintenant au T.O. C'est une grande joie pour moi de vous voir toute dévouée au T.O. de la Très Sainte Vierge. Elle vous en bénira. Quand on vous consultera, répondez selon l'attrait du moment, inclinez vers le calme, pas tant d'agitation, de se contenter de ce que l'on a, enfin que l'on sache attendre les moments de Dieu. Je trouve trop d'agitation dans ces bonnes demoiselles.

En tout, ma chère fille, sachez bien apprécier chaque chose et ne donnez à toutes les paroles, les reproches et les peines que vous entendez de la part des autres, ne leur donnez, dis-je, que la portée qu'elles ont devant Dieu. Ne les jugez que comme Dieu les juge dans la vérité. Quand quelqu'un vous parle, faites la part de sa trempe d'esprit, de son caractère, de son état de peine ou de passion; et après avoir dépouillé la chose de tout ce qu'elle à d'humain, elle vous apparaîtra dans toute sa simplicité, et souvent dans sa nullité.

Allons! je vous laisse en l'amour de Notre-Seigneur, croyez que vos lettres me font plaisir, et elles me font réellement plaisir. Je les ai toutes reçues et lues avec le plus vif intérêt.

Que Notre-Seigneur vous bénisse et vous garde en sa sainte grâce!

EYD.

P.S. Voulez-vous que j'écrive à mon curé dont je vous avais parlé pour placer dans son couvent, comme pensionnaire, Mlle Jenny? Ce curé, c'est Mr Dupuy, à Saint- Maurice, près de Rive-de-Gier.

J'écris à Mlle Jenny, à Chasselay. Mes amitiés à la bonne famille Gaudioz, elle n'en fait qu'une avec la vôtre.

A Mademoiselle Guillot Marguerite,

Façade du Rhône, 9, Place Bellecour,

Lyon (Rhône).


Nr.0278

An Frau Jordan Camille

Tout pour Dieu seul.

La Seyne-sur-Mer (Var), 16 Octobre 1851.

MADAME,

Je sors comme du chaos d'une tempête, comme vous pouvez le penser, après deux mois au milieu de toutes sortes de gens, d'ouvriers, etc., puis renvoyé ici à la tête d'un Pensionnat à organiser, à faire la rentrée, la retraite, etc... La conclusion est celle-ci: Donc je mérite un peu d'indulgence de votre part.

J'ai bien regretté de ne pas vous voir, Mlle Agarithe a dû vous le dire. Ma pensée en revenant à Toulon était de vous dire un bonjour, en passant à Valence, mais on m'apprit que vous n'étiez pas à Romans, mais dans la campagne; il fallut y renoncer, je n'avais pas assez de temps.

Eh bien! Madame, que de choses depuis notre dernière entrevue! que de peines, que de sacrifices vous attendaient! Hélas! hélas! que je vous ai plainte! J'ai presque craint le découragement; mais une pensée me rassurait: cette bonne soeur est généreusement à Dieu; non, elle ne faiblira pas, elle s'attachera encore plus fortement à Dieu seul. Pauvre Curé de Saint-Marcellin! cette nouvelle ma percé le coeur; il était si bon, il a été si bon pour moi, il m'a fait tant de bien au début de mon ministère! Hélas! le Ciel doit se réjouir, mais pour nous c'est une grande perte, et pour vous surtout, Madame. Puis arrive encore cette triste mort de votre amie. Adorons les desseins de Dieu et espérons encore en sa miséricorde pour cette pauvre âme; Dieu est si bon! Quand on pense que pour être sauvé il ne faut qu'un soupir du coeur, un acte d'amour, de repentir, de confiance! Oh! que Dieu est bon! il veut nous sauver presque malgré nous. Ainsi, Madame, mettez de côté toutes ces inquiétudes, tous ces reproches de votre lâcheté, etc... Vous comprenez bien que votre action n'était ici qu'un acte de conseil et que vous ne pouviez aller plus loin. Restez tranquille là-dessus; c'est mon conseil: le reste deviendrait tentation.

Tenez-vous toujours, Madame, bien en garde contre le trouble intérieur et la tristesse du coeur; le démon vous prendrait par là pour vous faire du mal. Il faut que, comme à Samson, il vous aveugle. Dites-vous toujours: Je suis troublée, donc il y a une tentation cachée sous l'apparence du bien; puis allez en avant. Oh! de grâce, ne laissez pas vos communions, vous vous désarmeriez, vous tomberiez d'inanition; nourrissez bien votre faiblesse et vous serez forte; souvenez-vous que la sainte Communion est un grand feu qui dévore en un instant toutes les pailles de nos imperfections quotidiennes; mais dans la méditation de chaque jour, glanez autour de Notre-Seigneur quelques miettes divines; faites le matin la provision de la manne, et la paix et la force ne vous quitteront jamais.

Mais il me reste une morale un peu dure à vous dire: Cherchez en Jésus seul force, joie et consolation. Ah! Madame, que le Bon Dieu vous fasse connaître et apprécier ce trésor caché et qui nous met au-dessus de la région des tempêtes et des vicissitudes de cette vie de passage.

Adieu, bonne dame et chère soeur; voilà une longue lettre, mais mon coeur en dit plus long tous les jours au Bon Dieu pour vous, car il sait combien je vous désire sa grâce et son amour.

Un souvenir à votre bonne demoiselle; qu'elle soit toujours simple, bonne avec vous.

Priez pour moi.

Tout à vous en N.-S.

EYMARD.

P.S. Et le Tiers-Ordre? Soutenez-le bien avec Mme David, et la sainte Vierge vous le rendra au centuple. Je vais écrire à la bonne demoiselle Agarithe avec qui j'ai eu le plaisir providentiel de voyager.


Nr.0279

An Fräul. Agarithe Monavon

Tout pour Dieu seul.

La Seyne-sur-Mer (Var),

17 Octobre 1851.

Mademoiselle,

J'aime me rappeler souvent ce voyage providentiel, j'en ai bien souvent remercié Dieu, et je commençais à me plaindre quand votre bonne lettre est arrivée. Je vous en remercie; elle m'a fait du bien et plaisir. Je crois que votre caractère et votre manière de voir seraient vite sympathiques; mais au fait!

Je me repose en paix et confiance dans la pensée que c'est vous que le Bon Dieu a choisie pour la vie de notre ami commun. Jusque-là, j'avais cherché, on m'avait parlé d'un grand nombre de personnages distingués, mais toujours un sentiment pénible me disait: non! Non, ce n'est pas là le David du coeur de Dieu. Mais il est tout trouvé! Il faut qu'il s'exécute à élever un temple à la gloire de Dieu. Ainsi, Mademoiselle, je vous ferai la guerre et une guerre juste; de grâce, ne revenez pas sur votre parole; vous seriez la cause de mon découragement. Ainsi j'y compte toujours.

J'ai écrit à la bonne dame Jourdan. Je la regretterais bien, si je ne connaissais son coeur généreux pour Dieu; elle a fait de grands sacrifices, et elle le fera encore, car Dieu l'appelle à la perfection; mais vous l'aiderez un peu, car elle a grande confiance en vous.

Si je n'avais une large part dans le saint ministère, j'envierais votre position; vous pouvez faire un bien immense, et le Bon Dieu le fait par vous. Continuez bien cette direction large et solide de vos jeunes personnes, c'est le gain évangélique du centuple. C'est, il est vrai, une pénible existence, du matin au soir; mais c'est aussi l'application de ce grand principe divin: "Si quelqu'un veut me suivre, qu'il se renonce soi-même à ma suite."

Et voilà ce qui me coûte beaucoup, ce renoncement à tout instant du jour ; être à mille choses, entendre des choses si loin de mes goûts et de mon attrait! Dieu le veut: voilà ma seule consolation au milieu de tout ce petit monde, et de cette foule de parents, hélas! pour la plupart sans éducation solide et chrétienne.

Si vous le désirez, j'écrirai à Mr Danjou de Montpellier, et vous mettrai en rapport avec lui pour l'étude de l'éducation. Ce bon Monsieur a établi un journal qui ne s'occupe que de l'éducation et de ses véritables principes; il combat à outrance cet enseignement païen donné à la jeunesse. Déjà Mr d'Alzon de Nîmes partage son sentiment, et l'on commence à battre en brèche ce paganisme de nos institutions.

Je ne puis rien vous dire de mon séjour ici; je n'ai pas encore fait une promenade hors de notre établissement. Je suis resté à la glèbe du matin au soir; la poésie de la mer, de l'escadre, du beau ciel de Provence ne m'a pas encore réjoui. Il y a si peu de poésie dans le positif d'une maison d'éducation, à repasser les auteurs morts, de grammaire, de grec et de latin!

Priez bien pour moi, et je vous le rendrai en bon frère.

Quand m'écrirez-vous? quand vos réparations auront-elles besoin de vous faire impatienter? J'en ai bien ri, car c'était là ma croix de chaque jour depuis deux mois.

Adieu en Notre-Seigneur.

Tout à vous in Christo.

EYMARD.


Nr.0280

An Frau Gourd

Tout pour Dieu.

La Seyne-sur-Mer (Var), 18 Octobre 1851.

Madame,

Je suis un peu débarrassé des grosses occupations d'une maison à organiser, d'une rentrée à faire, etc., et je viens à vous. Votre lettre m'a fait grand plaisir. J'espérais vous voir à Lyon, mais le Bon Dieu ne l'a pas voulu; qu'il en soit également béni! Eh bien, Madame, nous voilà à 140 lieues de distances, éloignés pour toujours, peut-être. Ce que c'est que la vie! et cette vie d'exil et de passage! Mais ce qui console, c'est qu'il y a notre bon Père entre nous et que sa grâce, son amour, et la même espérance nous unissent dans son coeur divin.

Je vous l'avouerai, Madame, je remercie Dieu de cet éloignement de Lyon, et je crois que c'est pour moi une grâce; le Bon Dieu a voulu me forcer à ne vivre que de lui seul. Au milieu de mes embarras de Lyon, j'avais encore de grandes consolations de mes filles. Il en a voulu le sacrifice: oh! qu'il en soit mille fois béni! Pourvu qu'elles le servent et l'aiment de tout leur coeur, c'est là tout mon bonheur. Et vous, ma bonne fille, vous aimerez toujours ce bon Maître et le ferez aimer au milieu de vos embarras et de votre misère; et vous vous laisserez voler de bonne grâce votre temps, vos occupations, vos goûts, et cela par tout le monde.

Mais votre coeur sera à Jésus et à l'abnégation de son amour; vos lettres me feront toujours plaisir, et si je puis vous être utile d'ici, vous savez combien je désire le bien de votre âme, comme de la mienne.

J'en viens à votre lettre. Vous vous reprochez votre négligence dans le service de Dieu, dans vos devoirs envers vos domestiques, vous avez des peines sur vos communions. Il faut, il est vrai, bien combattre la négligence dans le service de Dieu, parce qu'elle produit vite la faiblesse spirituelle, la répugnance dans les sacrifices; l'âme s'étiole comme la plante sans suc. Oui, combattez doucement, mais fortement, cette négligence intérieure: c'est par ce côté que le démon voudrait vous attaquer; économisez votre temps, vos moyens, mais trouvez toujours un moment seul pour Dieu; le contact du monde, même du monde pieux, a cela de commun: c'est d'user la force intérieure de l'âme. Il faut faire quelquefois comme Notre-Seigneur: quand le jour a été tout pour le prochain, il faut monter sur la montagne, et là, dans la solitude du coeur, converser un peu avec Dieu seul. Comme aussi, ma fille, quand le bon Maître vous a mise dans un état extraordinaire de charité pour le prochain, il faut tout laisser pour ce cher prochain; mais j'ai dit "dans un état extraordinaire", et alors plus on fait de dépense au dehors, plus il faut alimenter l'intérieur par son union à Dieu.

Ah! si nous étions comme les anges gardiens! ils voient continuellement Dieu et s'occupent en même temps toujours de nous. C'est que Dieu est leur centre absolu.

Et vos dissipations! Oh! pour elles, je ne m'en inquiète pas; ce sont de ces rhumatismes qu'il faut supporter dans cette vie. C'est là la misère de notre pauvre nature. Hélas! que c'est humiliant pour un coeur qui ne devrait vivre qu'en Dieu! Vous ne ferez donc qu'une chose, quand votre âme aura trop longtemps oublié le Bon Dieu: vous la ramènerez tout doucement à ces pieds, dans l'humilité de votre coeur, comme une pauvre brebis qui s'est égarée loin du Bon Pasteur.

Pour vos devoirs de maîtresse, si vous avez des domestiques fidèles et dévoués, vous pouvez bien vous reposer un peu sur eux; cependant il faut toujours le coup d'oeil du maître, et vous tenir toujours au courant, au moins un peu en gros, de votre maison; parce que autrement il vous faudra gronder trop souvent. Priez beaucoup pour votre maison et pour tous ceux qui vous servent.

Quant aux communions, n'en laissez aucune par votre faute, vous en avez besoin; puis ce serait bien mal quand Notre-Seigneur vous appelle, malgré votre misère, à venir vers lui, de vouloir par humilité rester loin de sa table eucharistique. Allez-y donc, ma fille, malgré vos misères, allez-y au contraire avec vos misères et votre pauvreté: c'est votre carte d'entrée vers ce bon Maître.

Je regrette de n'avoir pu voir cette bonne femme que vous m'avez adressée plusieurs fois; vraiment il faut dire, le Bon Dieu ne le voulait pas, car elle est venue si souvent!

Le remède n'a rien de dangereux; il serait bien, s'il guérissait une aussi désespérante maladie. Oui, elle peut payer ses dettes, comme vous le dites, malgré les colères etc. Pauvre femme; qu'elle prie beaucoup, car il y a quelque chose de diabolique dans tout cela.

Et vous, ma pauvre fille, vous avez donc une nouvelle croix! Mr G. est malade; oui, j'ai prié et prie bien pour lui et pour vous. Cette nouvelle m'a affligé; donnez-m'en, s'il vous plaît, des nouvelles quand vous le pourrez. Ne viendrez-vous pas passer l'hiver à Hyères? Là, j'irai vous voir, s'il est possible.

Adieu, je vous laisse à la bonté divine, et croyez-moi toujours en Notre-Seigneur.

Votre tout dévoué.

EYMARD.


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