Ayant décidé de continuer la lecture de l’œuvre complète d’Amélie Nothomb, ce qui est bien plus
facile de ce qu’on pourrait penser tout d’abord, grâce à la brévité des textes, j’ai lu maintenant
son tout premier roman.
L’histoire est tout à fait simple : un vieux écrivain, prix Nobel de la littérature, va mourir
de cancer en quelque mois. Plusieurs journalistes vont donc l’interviewer pour en savoir enfin
plus sur se vieux misanthrope qui n’a jamais voulu dévoiler son âme. Mais chaque interview se
transforme en un combat verbal, où le journaliste finit par s’affaisser et par être chassé
dans la rue, dégoûté et déçu.
Mais la dernière journaliste résiste aux premiers assauts et continue son interview, qui
arrivera à reconstruire toute la vie de l’écrivain, y compris des détails aussi scandaleux
que sanglants.
Quand on lit se livre, on comprend bien pourquoi Amélie Nothomb est devenue célèbre d’un jour à
l’autre, car c’est vraiment remarquable qu’une fille de 24 ans ait su créer un tel personnage de
misogyne, misanthrope, pervers et égocentrique. J’arrive même à dire de certaines phrases isolées,
eh bien, qu’il semble d’avoir écouté des choses pareilles dans des interviews télévisées à des
écrivain francophones. Et j’ai décidé inconsciemment que la voix de M. Tach, l’écrivain, est
semblable à celle de certains vieux types de français que l’on voit parfois.
Le roman n’est en effet qu’un long dialogue ininterrompu, ce qui le rapproche au monde du théâtre,
dont un exemple explicit est l'une des œuvres suivantes, Les Combustibles.
Quant aux thèmes du dialogue, ils sont nombreux : la vie, la mort, la jeunesse, la beauté et la
laideur, la solitude choisie, le passage de l’enfance à l’adolescence, le refus de grandir,
la nourriture et l’obésité, la haine envers les femmes.
Mais on parle aussi beaucoup de littérature, du style, des motivations des écrivains et des
habitudes des lecteurs, ce qui fait aussi du livre un méta-roman, où la littérature parle
d’elle-même. Comme on sait bien, ces choses-ci provoquent des orgasmes très forts chez les
critiques littéraires, et c’est donc plutôt normal que ce livre ait fait tant de bruit quand
il apparut en 1992. Il faut dire aussi que face à ce roman, certaines œuvres suivantes
de Mlle Nothomb risquent même d’apparaître moins importantes.
Quelques extraits:
- Un écrivain qui hait les métaphores, c'est aussi absurde qu'un banquier
qui haïrait l'argent.
- Je suis sûr que les grands banquiers haïssent l'argent.
Rien d'absurde là-dedans, au contraire.
- Et les mots, pourtant, vous les aimez ?
- Ah, j'adore les mots, mais ça n'a rien à voir. Les mots, ce sont
les belles matières, les ingrédients sacrés.
- Alors la métaphore, c'est la cuisine - et vous aimez la cuisine.
- Non, monsieur, la métaphone n'est pas la cuisine - la cuisine c'est la syntaxe.
La métaphore, c'est la mauvaise foi ; c'est mordre dans une tomate et affirmer que
cette tomate a le goût du miel, ensuite manger du miel et affirmer que ce
miel a le goût du gingembre, puis croquer du gingembre et affirmer que
ce gingembre a le goût de la salsepareille, après quoi...
- Mais si. Vous savez, il y a toujours une poignée de désoeuvrés, de végétariens,
de critiques novices, d'étudiants masochistes ou encore de curieux, qui vont
jusqu'à lire les livres qu'ils achètent. C'étaient ces gens-là que je voulais
expérimenter. Je voulais prouver que je pouvais impunément écrire le pires
horreurs à mon sujet : cet acte d'autoaccusation, comme vous le formuliez
avec justesse, est rigoureusement authentique. Oui, mademoiselle, vous aviez
raison d'un bout à l'autre : dans ce bouquin, aucun détail n'est inventé.
On pourrait bien sûr trouver des excuses aux lecteurs : personne ne
sait rien de mon enfance, ce n'est pas le premier bouquin affreux que
j'écris, comment imaginer que j'aie pu être si divinement beau, etc.
Mais moi, j'affirme que ces excuses ne tiennent pas. Connaissez-vous la
critique que j'ai lu dans un journal, il y a vingt-quatre ans, concernant
Hygiène de l'assassin ? "Un conte de fées riche de symboles, une
métaphore onirique du péché originel et, par là, de la condition humaine."
Quand je vous disais qu'on me lisait sans me lire ! Je peux me permettre d'écrire
les vérités les plus risquées, on n'y verra jamais que des métaphores.
Ça n'a rien d'étonnant : le pseudo-lecteur, bardé dans son scaphandre,
passe en toute imperméabilité à travers mes phrases les plus sanglantes.
De temps en temps, il s'exclame, ravi : "Quel joli symbole !"
C'est ce qu'on appelle la lecture propre. Une invention merveilleuse,
très agréable à pratiquer au lit avant de s'endormir ; ça calme et ça ne salit
même pas les draps.