Ce roman, paru en 1997, nous parle d'un homme très moche, laid, enfin, totalement hideux.
Et c'est lui même qui nous parle en première personne de chaque page de ce roman.
M. Epiphane Otos a toujours eu le problème de faire accepter aux autres son visage monstrueux et
son corps malformé. Mais il réussit à exploiter ses defauts pour devenir célèbre et il connait
aussi una femme très belle, Ethel, dont il tombe amoureux.
Il cache son amour impossibile et deviens le meilleur ami de la belle demoiselle, ce qui provoque
pas mal de malentendus.
La ligne narrative de ce roman est vraiment très simple, mais le thème est éternel : le rapport entre
la beauté et la laideur et puis les désirs, l'amour, l'amitié, etc.
On joue donc un peu à la-belle-et-la-bête ? Bon, oui, sans doute et l'on dit cela exprès, mais nous
avons ici une belle qui n'est utilisée que comme actrice dans un film horrible et une bête qui
devient un celebre mannequin, puisque l'on vit désormais dans un monde dominé par l'apparence, ou,
encore pire, par le choc médiatique.
La trame simple m'a aussi permi de me concentrer mieux sur l'aspect le plus important dans l'œuvre
toute entière d'Amélie Nothomb : la qualité de l'écriture. Laissez le dire à quelcun, comme moi, qui
n'utilise pas cette langue depuis sa naissance : son français est magnifique. Je crois qu'elle a bien
profité des experiences de vie qui l'ont traînée presque partout dans le monde, pendant l'enfance
et l'adolescence. On a envie de lire à haute voix.
Puis, comme tous ses romans parlent, au fond, d'elle-même, on peut se demander qui est vraiment
la belle et qui la bête, ou si les deux personnages ne sont qu'une polarisation de sentiments
normalment melangés dans son âme et dans celle de quelcun d'autre.
Au fond, chacun de nous a de la beauté et de la laideur.
Quelques extraits:
La première fois que je me vis dans un miroir, je ris : je ne croyais pas que c'était moi.
À présent, quand je regarde mon reflet, je ris : je sais que c'est moi. Et tant de hideur
a quelque chose de drôle.
La mémoire s'abattit sur moi comme la foudre : j'avais onze ans. Couché sur mon lit je
me repaissais de Quo Vadis ?, lecture à grand spectacle. C'était formidable.
Il y avait la jeune et belle Lygie, princesse chrétienne, vendue à un jeune, beau,
brutal et bête patricien romain qui la voulait pour esclave. Mais ce Latin imbécile
s'éprenait de cette vierge et préférait conquérir son cœur que la
violer. C'était sans compter sur le prosélytisme naturel aux vierges chrétiennes :
« Vinicius [ainsi se nommait le bête Romain], je serais tienne si tu te convertis à
ma religion. »
Il ne suffisait pas d'apparaître : il fallait aussi se composer un personnage. Sur ce point-là,
j'étais imbattable. On me demandait souvent quel était mon parcours. Mes réponses variaient selon
l'humeur, l'interlocuteur et ma croissante propension à fabuler :
- Quand ma mère vit combien j'étais laid, elle me jeta aux ordures. Un éboueur charitable me repêcha.
Cet homme très bon n'avait pas de culture et m'appela Poubelle, du nom du lieu où il me trouva. À l'age
de raison, je devins susceptible et ne supportai plus d'être ainsi nommé. Je fuguai et fus enlevé par
des bohémiens qui me firent circuler dans les foires : aucune attraction ne rapportait autant que moi.
Entre-temps, le fameux film d'art et d'essai en était à son montage. Il était question de lui trouver
un titre. Chacun y allait de sa suggestion. Moi aussi :
- Pourquoi pas Le Taureau par le cornes ?
- Non, dit le réalisateur en secouant la tête. Trop allusif.
- En haine de la beauté, proposa ma bien-aimée.
- C'est tarte, refusa Pierre.
- Comment, tarte ? intervins-je. L'expression est de Mishima.
- C'est tarte, Mishima, lâcha le grand artiste, très content de lui.
Le lendemain nous apprîmes qu'il avait intitulé son film La condition humaine est un tropisme évanescent.
Il prononçait « tropizme ». Ainsi, il avait réussi cette gageure de loger en sept mots un titre ridicule,
une phrase prétentieuse, une assertion vide de sens et une faute de français.
Une heure plus tard : toujours rien. Combien de milliers de kilomètres ai-je survolés sans voir même un
vestige humain ? Moi qui ai l'angoisse de la surpopulation planétaire, je ne puis que me réjouir d'un tel
spectacle. Le paysage est d'une monotonie admirable ; ces collines perpétuellement dépeuplées sont la vision la
plus réconfortante qui soit. Il y a de quoi retrouver sa foi en l'Apocalypse : comme la Terre se passe bien de nous !
Comme elle sera noble et calme quand nous aurons disparus !
Une heure plus tard : toujours rien. Je vais gagner mon pari. Si mes souvenirs scolaires sont exacts, le fleuve
Amour devrait être dans le secteur. Tout ceci est plein de sens : l'Amour n'a pas choisi pour lit une région
surpeuplée comme le Bangladesh ou la Belgique ; il a élu le territoire le moins fréquenté. L'Amour n'a pas choisi
pour lit une zone chaude ou tempérée ; il se complaît où les glaces ont rendu la vie sinon impossibile, au
moins dure et pénible. Parmi les pays froids, il a opté pour le moins hospitalier, de sorte que sa neige reste vierge.
Quand on dit « Sibérie », personne n'a envie de sourire : c'est un mot qui charrie la prison et la mort.
Les gens normaux n'ont pas envie d'explorer la Sibérie : il faut être fou pour vouloir aller voir où coule
le fleuve Amour.