Dal volume:

RÉPUBLIQUE OCCIDENTALE.
Ordre et Progrès. - Vivre pour autrui. - Vivre au grand jour.


SYSTÈME DE POLITIQUE POSITIVE

OU

TRAITÉ DE SOCIOLOGIE,

Instituant la Religion de L'HUMANITÉ;

PAR AUGUSTE COMTE,
Auteur du Système de philosophie positive.

L'Amour pour principe,
et l'Ordre pour base;
le Progrès Pour but.
TOME PREMIER,
CONTENANT LE DISCOURS PRÉLIMINAIRE, ET L'INTRODUCTION FONDAMENTALE.
PARIS.
A LA LIBRAIRIE SCIENTIFIQUE-INDUSTRIELLE DE L. MATHIAS,
15, quai Malaquais ;
ET CHEZ CARILIAN-GOEURY ET VOR DALMONT,
LIBRAIRES DES CORPS DES PONTS ET CHAUSSÉES ET DES MINES,
49, quai des Augustins.

Juillet 1851.
Soixante-troisième année de la grande révolution.

TOME PREMIER (Juillet 1851)

PREMIÈRE PARTIE

ESPRIT FONDAMENTAL DU POSITIVISME

[…]
Tel est le mode naturel suivant lequel, comme je l'annonçais au début de ce discours, l'esprit positif vient aujourd'hui, par la fondation de la sociologie, se replacer à jamais sous la juste domination du coeur, de manière à permettre enfin la systématisation totale, d'après la subordination continue de la base objective envers le principe subjectif. En dissipant sans retour l'antagonisme exceptionnel qui, depuis la fin du moyen âge, dut se développer entre la raison et le sentiment, cette opération philosophique appelle immédiatement l'humanité au seul régime, individuel ou collectif, qui convienne pleinement à sa nature. Tant que ces deux nobles influences sont restées contraires, la sociabilité ne pouvait parvenir à modifier profondément l'empire pratique de la personnalité. Mais, malgré leur faible énergie spontanée dans notre imparfaite organisation, leur concours intime et continu, susceptible, d'un essor immense, pourra désormais, sans altérer le caractère essentiellement égoïste de la vie active, lui imprimer un degré habituel de moralité dont le passé ne saurait fournir aucune idée, vu l'insuffisante harmonie que comportaient jusqu'ici ces deux modérateurs nécessaires de tous nos instincts prépondérants.
Je n'aurais point assez défini la synthèse théorique sur laquelle doit reposer toute la systématisation humaine, si maintenant je n'indiquais la restriction générale de cette construction objective à ce qu'elle offre de vraiment indispensable pour permettre l'élaboration directe du régime final. Sans une telle appréciation, l'intelligence, entraînée par ses habitudes actuelles d'orgueilleuse divagation, tendrait à exagérer son office nécessaire, de manière à éluder le joug continu de la sociabilité, en ajournant la régénération morale et politique au-delà de ce qu'exige ce préambule philosophique. Cette dernière détermination manifestera une nouvelle propriété de ma théorie d'évolution, ainsi représentée comme plaçant déjà la coordination spéculative au point de pouvoir aujourd'hui commencer la systématisation affective et même active, au moins quant à sa partie la plus éminente et la plus décisive, la morale proprement dite.
Pour restreindre convenablement la construction de notre base objective, nous devons d'abord distinguer, dans l'ordre extérieur, deux classes générales de lois naturelles, les unes simples ou abstraites, les autres composées ou concrètes. Mon ouvrage fondamental a tellement établi et appliqué cette indispensable distinction, désormais incontestable, qu'il me suffit ici d'en caractériser la source et l'usage.
Elle résulte, en principe, de ce que nos études positives peuvent toujours concerner ou les êtres existants, ou seulement leurs divers phénomènes. Quoique les corps réels ne nous deviennent appréciables que par l'ensemble des phénomènes qu'ils nous offrent, nous pouvons contempler abstraitement chaque sorte de phénomènes sous un aspect commun à tous les êtres qui nous la présentent, ou faire l'examen concret du groupe particulier de phénomènes qui caractérise chacun d'eux. Dans ce dernier cas, nous étudions les différents systèmes d'existence : dans l'autre, nous déterminons les divers modes d'activité. L'exemple, indiqué ci-dessus, des études météorologiques, constitue le meilleur type de cette distinction générale; car les événements qu'on y considère ne sont jamais que d'évidentes combinaisons de phénomènes astronomiques, physiques, chimiques, biologiques, et même sociaux, dont les lois propres comportent et exigent autant de théories différentes. Si toutes ces lois abstraites nous étaient assez connues, la question concrète ne nous offrirait d'autre difficulté capitale que celle de les combiner assez pour en déduire l'ordre nécessaire de ces effets composés, quoiqu'une telle construction me semble d'ailleurs tant excéder nos faibles facultés déductives que nous ne pourrions encore abandonner, à cet égard, la marche purement inductive.

D'après une telle distinction, notre étude fondamentale de l'économie naturelle doit certainement concerner d'abord son appréciation abstraite, décomposée en autant de cas généraux qu'il existe de phénomènes vraiment élémentaires, c'est-à-dire irréductibles à d'autres, et dès lors exigeant, malgré leur connexité nécessaire, autant d'inductions diverses, sans que leur théorie pût jamais s'établir par la seule déduction. La systématisation spéculative ne peut directement embrasser que ces contemplations simples, qui deviendront ensuite le fondement rationnel des contemplations composées. Quand même celles-ci, par leur complication supérieure, ne comporteraient jamais une pleine coordination, l'unité théorique pourrait se borner aux premières, sans rester au-dessous de sa vraie destination, comme base objective de la grande synthèse humaine. Car ce fondement abstrait nous permettrait déjà d'introduire partout, à un certain degré, la marche déductive, de manière à lier assez toutes nos pensées quelconques pour rendre possible une suffisante systématisation habituelle de nos sentiments et de nos actes, suivant le but de la saine philosophie. L'étude abstraite de l'ordre extérieur nous offre donc la seule synthèse qui soit vraiment indispensable à l'élaboration directe de l'unité totale. Elle constitue, en elle-même, un fondement suffisant de l'ensemble de notre sagesse, qui y trouve cette philosophie première, si confusément demandée par Bacon comme base nécessaire du régime normal de l'humanité. Quand nous avons coordonné toutes les lois abstraites des divers modes généraux d'activité réelle, l'appréciation effective de chaque système particulier d'existence cesse aussitôt d'être purement empirique, quoique la plupart des lois concrètes nous restent encore inconnues. Cela est surtout sensible envers le cas le plus difficile et le plus important: car il nous suffit, évidemment, de connaître les principales lois, statiques et dynamiques, de la sociabilité, pour systématiser convenablement toute notre existence publique et privée, de manière à perfectionner beaucoup l'ensemble de nos destinées., Si la philosophie atteint un tel but, ce qui déjà n'est plus douteux, on devra peu regretter qu'elle ne puisse assez expliquer tous les régimes sociaux que le temps et l'espace présentent à nos contemplations. Disciplinée par le vrai sentiment, la raison moderne saura désormais régler sagement une curiosité indéfinie, qui consumerait en recherches oiseuses les faibles puissances spéculatives d'où l'humanité tire ses plus précieuses ressources dans sa lutte si difficile contre les vices de l'ordre naturel. La découverte des principales lois concrètes pourrait, sans doute, contribuer beaucoup à l'amélioration de nos destinées, extérieures et même intérieures; c'est surtout dans ce champ que notre avenir scientifique comporte une ample moisson. Mais leur connaissance n'est nullement indispensable pour permettre aujourd'hui la systématisation totale qui doit remplir, envers le régime final de l'humanité, l'office fondamental qu'accomplit jadis la coordination théologique envers le régime initial. Cette inévitable condition n'exige certainement que la simple philosophie abstraite; en sorte que la régénération resterait possible, quand même la philosophie concrète ne devrait jamais devenir satisfaisante.

Ainsi réduite, la construction de l'unité spéculative se trouve déjà tellement élaborée, en Occident, que tous les vrais penseurs qui se sentent assez sympathiques peuvent y commencer, sans aucun délai, la réorganisation morale qui doit préparer et diriger une véritable réorganisation politique. Car la théorie d'évolution mentionnée ci-dessus constitue, sous un autre aspect, une systématisation directe de toutes nos conceptions abstraites sur l'ensemble de l'ordre naturel.

Pour le sentir, il suffit d'envisager nos diverses connaissances réelles comme composant, au fond, une science unique, celle de l'humanité, dont nos autres spéculations positives sont à la fois le préambule et le développement. Or son élaboration directe exige, évidemment, une double préparation fondamentale, relative d'abord à l'étude de notre condition extérieure, et ensuite à celle de notre nature intérieure. Car, la sociabilité ne saurait être comprise sans une suffisante appréciation préalable du milieu où elle se développe et de l'agent qui la manifeste. Avant d'aborder la science finale, il faut donc avoir assez ébauché la théorie abstraite du monde extérieur et celle de la vie individuelle pour déterminer l'influence continue des lois correspondantes sur celles qui sont propres aux phénomènes sociaux. Cette préparation n'est pas moins indispensable sous le rapport logique que sous le simple aspect scientifique, afin d'adapter notre chétive intelligence aux spéculations les plus difficiles par une suffisante habitude des plus faciles. Enfin, dans cette initiation doublement nécessaire, l'ordre inorganique doit nous occuper avant l'ordre organique, soit en vertu de l'influence prépondérante des lois relatives à l'existence la plus universelle sur les phénomènes propres à la plus spéciale, soit d'après l'évidente obligation d'étudier d'abord la méthode positive dans ses applications les plus simples et les plus caractéristiques. Il serait ici superflu de rappeler davantage des principes que mon ouvrage fondamental a tant établis.
 

La philosophie sociale doit donc, à tous égards, être préparée par la philosophie naturelle proprement dite, d'abord inorganique, puis organique. Cette indispensable préparation d'une construction réservée à notre siècle remonte ainsi jusqu'à la création de l'astronomie dans l'antiquité. Les modernes l'ont complétée en ébauchant la biologie, dont les notions statiques furent seules accessibles aux anciens. Mais, malgré la subordination nécessaire de ces deux sciences, leur diversité trop prononcée et leur enchaînement trop indirect empêcheraient de concevoir l'ensemble du préambule fondamental, si, par une condensation exagérée, on tentait de le réduire à ces termes extrêmes. Entre eux, la chimie est venue, au moyen âge, constituer un lien indispensable, qui déjà permettait d'entrevoir la véritable unité spéculative, par la succession naturelle de ces trois sciences préliminaires, conduisant graduellement à la science finale. Toutefois, cet intermédiaire ne pouvait suffire, quoique assez rapproché du terme biologique, parce qu'il est trop éloigné du terme astronomique, dont l'ascendant direct y exigeait l'emploi de conceptions factices et même chimériques, susceptibles seulement d'une efficacité passagère. La vraie hiérarchie des spéculations élémentaires n'a donc pu commencer à se manifester que dans l'avant-dernier siècle, quand la physique proprement dite a fait surgir une classe de contemplations inorganiques, qui touche à l'astronomie par sa branche la plus générale, et à la chimie par la plus spéciale, Pour concevoir cette hiérarchie d'une manière conforme à sa destination, il suffit dès lors de la rattacher à son origine nécessaire, en remontant jusqu'à des spéculations tellement simples et universelles que leur positivité puisse être directe et spontanée. Tel est l'éminent caractère des conceptions purement mathématiques, sans lesquelles l'astronomie ne pouvait naître. Elles seules constitueront toujours, dans l'éducation individuelle, comme elles l'ont fait dans notre évolution collective, le véritable point de départ de l'initiation positive, en tant que relatives à des spéculations qui, sous la plus complète domination de l'esprit théologique, suscitent nécessairement un certain essor systématique de l'esprit positif, ensuite étendu de proche en proche jusqu'aux sujets qui lui étaient d'abord le plus interdits.

D'après ces sommaires indications, la série naturelle des spéculations fondamentales se constitue d'elle-même, quand on range, selon leur généralité décroissante et leur complication croissante, les six termes essentiels dont l'introduction y est ainsi motivée, et cette disposition fait aussitôt ressortir leurs vrais rapports mutuels. Or, cette opération coïncide évidemment avec le classement propre à la théorie d'évolution ci-dessus rappelée. Cette théorie peut donc être conçue, sous l'aspect statique, comme offrant une base directe à la systématisation abstraite, d'où l'on vient de voir dépendre l'ensemble de la synthèse humaine. La coordination usuelle ainsi établie entre les éléments nécessaires de toutes nos conceptions réelles constitue déjà une véritable unité spéculative, par l'accomplisse ment du voeu confus de Bacon, sur la construction d'une scala intellectui, permettant à nos pensées habituelles de passer sans effort des moindres sujets aux plus éminents, ou, en sens inverse, avec un sentiment continu de leur intime solidarité naturelle. Chacune de ces six branches essentielles de la philosophie abstraite, quoique très-distincte des deux adjacentes dans sa partie centrale, adhère profondément à la précédente par son origine, et à la suivante par sa fin. L'homogénéité et la continuité d'une telle construction sont d'autant plus complètes que le même principe de classement, appliqué d'une manière plus spéciale, détermine aussi la vraie distribution intérieure des diverses théories qui composent chaque branche, Par exemple, les trois grandes classes de spéculations mathématiques, d'abord numériques, puis géométriques, et enfin mécaniques, se succèdent et se coordonnent entre elles d'après la même loi qui préside à la formation de l'échelle fondamentale. Mon traité philosophique a pleinement démontré qu'une pareille harmonie intérieure existe partout. La série générale constitue ainsi le résumé le plus concis des plus vastes méditations abstraites ; et, réciproquement, toutes les saines études spéciales aboutissent à autant de développements partiels de cette hiérarchie universelle. Quoique chaque partie exige des inductions distinctes, chacune reçoit de la précédente une influence déductive, qui restera toujours aussi indispensable à sa constitution dogmatique qu'elle le fut d'abord à son essor historique. Toutes les études préliminaires préparent ainsi la science finale, laquelle désormais réagira sans cesse sur leur culture systématique, pour y faire enfin prévaloir le véritable esprit d'ensemble, toujours lié au vrai sentiment social. Cette indispensable discipline ne saurait devenir oppressive, puisque son principe concilie spontanément les conditions permanentes d'une sage indépendance avec celles d'un concours réel. En subordonnant, par sa propre composition, l'intelligence à la sociabilité, une telle formule encyclopédique, éminemment susceptible de devenir populaire, place d'ailleurs tout le système spéculatif sous la surveillance, comme sous la protection, d'un public ordinairement disposé à contenir, chez les philosophes, les divers abus inhérents à l'état continu d'abstraction qu'exige leur office.

La même théorie qui explique l'évolution mentale de l'humanité établit donc la vraie coordination finale de nos pensées élémentaires, de manière à concilier radicalement les conditions, jusqu'ici plus ou moins opposées, de l'harmonie et du mouvement. Son aptitude historique et sa valeur dogmatique se fortifient mutuellement; puisque la véritable liaison de nos conceptions doit surtout ressortir de leurs transformations successives, qui, à leur tour, resteraient inexplicables sans elle, l'histoire et la philosophie devenant ainsi inséparables pour tous les bons esprits.

Une théorie, à la fois statique et dynamique, qui remplit de telles conditions, peut certainement être appréciée aujourd'hui comme constituant déjà l'unité spéculative sur sa véritable base objective, quoique cette unité ait besoin de se développer et de se consolider à mesure que cette base sera mieux étudiée. Mais ce double essor doit réellement dépendre de la destination sociale de cette construction, beaucoup plus que d'une vaine tendance à la perfection scientifique. C'est en dirigeant la réorganisation spirituelle des populations d'élite, que la philosophie abstraite devra surtout sentir le besoin d'une extension nouvelle ou d'une meilleure liaison, quand les exigences morales et politiques y provoqueront l'étude de nouveaux rapports naturels, sans que jamais la conception y doive trop devancer l'application. Il suffit que cette coordination naissante de toutes nos contemplations réelles soit assez élaborée aujourd'hui pour permettre déjà d'aborder la synthèse affective et même active, en commençant à systématiser la morale positive qui doit présider à la régénération finale de l'humanité. Or j'ose assurer que mon ouvrage fondamental ne laisse aucun doute sur la possibilité immédiate d'une telle entreprise, dont l'opportunité sera directement manifestée par l'ensemble de ce discours.

Ayant assez caractérisé l'esprit général du positivisme, je dois maintenant ajouter, à cet égard, quelques explications complémentaires, destinées à prévenir ou à rectifier de graves méprises, trop fréquentes et trop dangereuses pour que je puisse les négliger, sans cependant m'occuper jamais des attaques de mauvaise foi.

L'entière émancipation théologique devant constituer aujourd'hui une indispensable préparation à l'état pleinement positif, cette condition préalable entraîne souvent des observateurs superficiels à confondre sincèrement ce régime final avec une situation purement négative, qui présentait, même dans le siècle dernier, un caractère vraiment progressif, mais qui désormais dégénère, chez ceux où elle devient vicieusement permanente, en obstacle essentiel à toute véritable organisation sociale et même mentale. Quoique j'aie, depuis longtemps, repoussé formellement toute solidarité, soit dogmatique, soit historique, entre le vrai positivisme et ce qu'on nomme l'athéisme, je dois ici indiquer encore, sur cette fausse appréciation, quelques éclaircissements sommaires, mais directs.

Même sous l'aspect intellectuel, l'athéisme ne constitue qu'une émancipation très insuffisante, puisqu'il tend à prolonger indéfiniment l'état métaphysique en poursuivant sans cesse de nouvelles solutions des problèmes théologiques, au lieu d'écarter comme radicalement vaines toutes les recherches inaccessibles. Le véritable esprit positif consiste surtout à substituer toujours l'étude des lois invariables des phénomènes à celle de leurs causes proprement dites, premières ou finales, en un mot la détermination du comment à celle du pourquoi. Il est donc incompatible avec les orgueilleuses rêveries d'un ténébreux athéisme sur la formation de l'univers, l'origine des animaux, etc. Dans son appréciation générale de nos divers états spéculatifs, le positivisme n'hésite point à regarder ces chimères doctorales comme fort inférieures, même en rationalité, aux inspirations spontanées de l'humanité. Car le principe théologique, consistant à tout expliquer par des volontés, ne peut être pleinement écarté que quand, ayant reconnu inaccessible toute recherche des causes, on se borne à connaître les lois. Tant qu'on persiste à résoudre les questions qui caractérisèrent notre enfance, on est très-mal fondé à rejeter le mode naïf qu'y appliqua notre imagination, et qui seul convient, en effet, à leur nature. Ces croyances spontanées ne pouvaient radicalement s'éteindre qu'à mesure que l'humanité, mieux éclairée sur ses moyens et ses besoins, changeait irrévocablement la direction générale de ses recherches continues. Quand on veut pénétrer le mystère inaccessible de la production essentielle des phénomènes, on ne peut rien supposer de plus satisfaisant que de les attribuer à des volontés intérieures ou extérieures, puisqu'on les assimile ainsi aux effets journaliers des affections qui nous animent. L'orgueil métaphysique ou scientifique a pu seul persuader aux athées, anciens ou modernes, que leurs vagues hypothèses sur un tel sujet sont vraiment. supérieures à cette assimilation directe, qui devait exclusivement satisfaire notre intelligence jusqu'à ce qu'on eût reconnu l'inanité radicale et l'entière inutilité de toute recherche absolue. Quoique l'ordre naturel soit, à tous égards, très-imparfait, sa production se concilierait beaucoup mieux avec la supposition d'une volonté intelligente qu'avec celle d'un aveugle mécanisme. Les athées persistants peuvent donc être regardés comme les plus inconséquents des théologiens, puisqu'ils poursuivent les mêmes questions en rejetant l'unique méthode qui s'y adapte. Aussi le pur athéisme est-il, même aujourd'hui, fort exceptionnel. Le plus souvent on qualifie ainsi un état de panthéisme, qui n'est, au fond, qu'une rétrogradation doctorale vers un fétichisme vague et abstrait, d'où peuvent renaître, sous de nouvelles formes, toutes les phases théologiques, quand l'ensemble de la situation moderne cesse de contenir le libre essor des aberrations métaphysiques. Un tel régime indique d'ailleurs, chez ceux qui l'adoptent comme définitif, une appréciation très-exagérée, ou même vicieuse, des besoins intellectuels, et un sentiment trop imparfait des besoins moraux ou sociaux. Il se combine le plus souvent avec les dangereuses utopies de l'orgueil spéculatif quant au prétendu règne de l'esprit. Dans la morale proprement dite, il procure une sorte de consécration dogmatique aux ignobles sophismes de la métaphysique moderne sur la domination absolue de l'égoïsme. En politique, il tend directement à rendre indéfinie la situation révolutionnaire, par la haine aveugle qu'il inspire envers l'ensemble du passé, dont il empêche toute explication vraiment positive, propre à nous dévoiler l'avenir humain. L'athéisme ne peut donc disposer aujourd'hui à là vraie positivité que ceux chez lesquels il constitue seulement une situation très-passagère, la dernière et la moins durable de toutes les phases métaphysiques. Comme la propagation actuelle de l'esprit scientifique facilite beaucoup cette extrême transition, ceux qui parviennent à l'âge mûr sans l'avoir spontanément accomplie annoncent ainsi une sorte d'impuissance mentale, souvent liée à l'insuffisance morale, et peu conciliable avec le positivisme. Les affinités purement négatives étant toujours faibles ou précaires, la véritable philosophie moderne ne peut pas se contenter davantage de la non-admission du monothéisme que de celle du polythéisme ou du fétichisme, que personne ne jugerait suffisantes pour motiver des rapprochements sympathiques. Une semblable préparation n'avait, au fond, d'importance que pour ceux qui durent prendre l'initiative dans la tendance directe de l'humanité à une rénovation radicale. Elle a déjà cessé d'être vraiment indispensable, puisque la caducité du régime ancien ne laisse plus aucun doute essentiel sur l'urgence de la régénération. La persistance anarchique, caractérisée surtout par l'athéisme, constitue désormais une disposition plus défavorable à l'esprit organique, qui devrait déjà prévaloir, que ne peut l'être une sincère prolongation des anciennes habitudes. Car ce dernier obstacle n'empêche plus la vraie position directe de la question fondamentale, et même il tend beaucoup à la provoquer, en obligeant la philosophie nouvelle à ne combattre les croyances arriérées que d'après son aptitude générale à mieux satisfaire tous les besoins moraux et sociaux. Au lieu de cette salutaire émulation, le positivisme ne pourra recevoir qu'une stérile réaction de l'opposition spontanée que lui présente aujourd'hui l'athéisme chez tant de métaphysiciens et de savants, dont les dispositions anti-théologiques n'aboutissent plus qu'à entraver, par une répugnance absolue, la régénération qu'elles préparèrent, à certains égards, dans le siècle précédent. Loin de compter sur l'appui des athées actuels, le positivisme doit donc y trouver des adversaires naturels, quoique le peu de consistance de leurs opinions permette d'ailleurs de ramener aisément ceux dont les erreurs ne sont pas essentiellement dues à l'orgueil. Il importe davantage à la nouvelle philosophie d'éclaircir la grave imputation de matérialisme que lui attire nécessairement son indispensable préambule scientifique. En écartant toute vaine discussion sur des mystères impénétrables, ma théorie fondamentale de l'évolution humaine me permet de caractériser nettement ce qu'il y a de réel au fond de ces débats si confus.

L'esprit positif, longtemps borné aux plus simples études, n'ayant pu s'étendre aux plus éminentes que par une succession spontanée de degrés intermédiaires, chacune de ses nouvelles acquisitions a dû s'accomplir d'abord sous l'ascendant exagéré des méthodes et des doctrines propres au domaine antérieur. C'est dans une telle exagération que consiste, à mes yeux, l'aberration scientifique à laquelle l'instinct public applique sans injustice la qualification de matérialisme, parce qu'elle tend, en effet, à dégrader toujours les plus nobles spéculations en les assimilant aux plus grossières. Une semblable usurpation était d'autant plus inévitable, que partout elle repose sur la dépendance nécessaire des phénomènes les moins généraux envers les plus généraux, d'où résulte une légitime influence déductive par laquelle chaque science participe à l'évolution continue de la science suivante, dont les inductions spéciales ne pourraient autrement acquérir une suffisante rationalité. Aussi toute science a-t-elle dû longtemps lutter contre les envahissements de la précédente; et ces conflits subsistent encore, même envers les plus anciennes études. Ils ne peuvent entièrement cesser que sous l'universelle discipline de la saine philosophie, qui fera partout prévaloir un juste sentiment habituel des vrais rapports encyclopédiques, si mal appréciés par l'empirisme actuel. En ce sens, le matérialisme constitue un danger inhérent à l'initiation scientifique, telle que jusqu'ici elle dut s'accomplir, chaque science tendant à absorber la suivante au nom d'une positivité plus ancienne et mieux établie. Le mal est donc plus profond et plus étendu que ne le supposent la plupart de ceux qui le déplorent. On ne le remarque aujourd'hui qu'envers les plus hautes spéculations, qui, en effet, y participent davantage comme subissant les empiétements de toutes les autres ; mais il existe aussi, à divers degrés, pour un élément quelconque de notre hiérarchie scientifique, sans même excepter sa base mathématique, qui semblerait d'abord en être naturellement préservée. Un vrai philosophe reconnaît autant le matérialisme dans la tendance du vulgaire des mathématiciens actuels à absorber la géométrie ou la mécanique par le calcul, que dans l'usurpation plus prononcée de la physique par l'ensemble de la mathématique, ou de la chimie par la physique, surtout de la biologie par la chimie, et enfin dans la disposition constante des plus éminents biologistes à concevoir la science sociale comme un simple corollaire ou appendice de la leur. C'est partout le même vice radical, l'abus de la logique déductive ; et le même résultat nécessaire, l'imminente désorganisation des études supérieures sous l'aveugle domination des inférieures. Tous les savants proprement dits sont donc aujourd'hui plus ou moins matérialistes, suivant la simplicité et la généralité plus ou moins prononcées des phénomènes correspondants. Les géomètres se trouvent ainsi le plus exposés à cette aberration, d'après leur tendance involontaire à constituer l'unité spéculative par l'ascendant universel des plus grossières contemplations, numériques, géométriques ou mécaniques. Mais les biologistes qui réclament le mieux contre une telle usurpation méritent, à leur tour, les mêmes reproches, quand ils prétendent, par exemple, tout expliquer en sociologie par des influences purement secondaires de climat ou de race, puisqu'ils méconnaissent alors les lois fondamentales que peut seule dévoiler une combinaison directe des inductions historiques.

Cette appréciation philosophique du matérialisme explique à la fois la source naturelle et la profonde injustice de la grave méprise dont j'indique ici la rectification décisive. Loin que le vrai positivisme soit aucunement favorable à ces dangereuses aberrations, on voit, au contraire, qu'il peut seul les dissiper irrévocablement d'après son aptitude exclusive à procurer une juste satisfaction aux tendances très-légitimes dont elles n'offrent qu'une empirique exagération. Jusqu'ici le mal n'a été contenu que par la résistance spontanée de l'esprit théologico-métaphysique ; et cet office provisoire a constitué la destination, indispensable quoique insuffisante, du spiritualisme proprement dit. Mais de tels obstacles ne pouvaient empêcher l'énergique ascension du matérialisme, ainsi investi, aux yeux de la raison moderne, d'un certain caractère progressif, par sa liaison prolongée avec la juste insurrection de l'humanité contre un régime devenu rétrograde. Aussi, malgré ces impuissantes protestations, l'oppressive domination des théories inférieures compromet-elle beaucoup aujourd'hui l'indépendance et la dignité des études supérieures. En satisfaisant, au delà de toute possibilité antérieure, à ce qu'il y a de légitime dans les prétentions opposées du matérialisme et du spiritualisme, le positivisme les écarte irrévocablement à la fois, l'un comme anarchique, l'autre comme rétrograde. Ce double service résulte spontanément de la simple fondation de la vraie hiérarchie encyclopédique, qui assure à chaque étude élémentaire son libre essor inductif, sans altérer sa subordination déductive. Mais cette conciliation fondamentale sera surtout due à l'universelle prépondérance, logique et scientifique, que la nouvelle philosophie pouvait seule procurer au point de vue social. En faisant ainsi prévaloir les plus nobles spéculations, où la tendance matérialiste est la plus dangereuse et aussi la plus imminente, on la représente directement comme non moins arriérée désormais que son antagoniste, puisqu'elles entravent également l'élaboration de la science finale. Par là, cette double élimination se trouve même liée à l'ensemble de la régénération sociale, que peut seule diriger une exacte connaissance des lois naturelles propres aux phénomènes moraux et politiques. J'aurai bientôt lieu de faire aussi sentir combien le matérialisme sociologique nuit aujourd'hui au véritable art social, comme disposant à méconnaître son principe le plus fondamental, la division systématique des deux puissances spirituelle et temporelle, qu'il s'agit surtout de rendre maintenant inaltérable, en reprenant, sur de meilleures bases, l'admirable construction du moyen âge. On reconnaîtra ainsi que le positivisme n'est pas moins radicalement opposé au matérialisme par sa destination politique que par son caractère philosophique.

Afin de rendre cette sommaire appréciation à la fois plus impartiale et plus décisive, j'y ai écarté à dessein les graves inculpations morales que suscite ordinairement une telle accusation. Même quand elles sont sincères, ces imputations, si souvent démenties par l'expérience, se trouvent, en effet, contraires à la vraie théorie de la nature humaine, puisque nos opinions, saines ou vicieuses, sont heureusement incapables d'exercer sur nos sentiments et notre conduite l'empire absolu qu'on leur attribue communément. D'après leur relation provisoire avec l'ensemble du mouvement d'émancipation, les aberrations matérialistes furent, au contraire, souvent liées, chez les modernes, aux plus généreuses inspirations. Mais, outre que cette solidarité passagère a déjà cessé, il faut aujourd'hui reconnaître que, même dans les meilleurs cas, une telle tendance intellectuelle a toujours altéré, à un certain degré, l'essor spontané de nos plus nobles instincts, en disposant à écarter ou à méconnaître des phénomènes affectifs que ces grossières hypothèses ne pouvaient représenter. On en voit un exemple trop décisif, dans le déplorable arrêt prononcé par l'éminent Cabanis contre l'admirable chevalerie du moyen âge. Quoique le coeur de ce philosophe fût aussi pur, et même aussi tendre, que son esprit était élevé et étendu, le matérialisme contemporain l'a essentiellement empêché d'apprécier l'heureuse organisation du culte habituel de la femme chez nos énergiques ancêtres.

Cette rectification décisive des deux principales inculpations naturellement adressées aujourd'hui au positivisme systématique, par suite de sa solidarité initiale avec le positivisme empirique, me dispense d'insister autant sur les fréquentes accusations de fatalisme et d'optimisme, dont l'injustice est beaucoup plus facile à caractériser,

Quant à la première, il faut peu s'étonner que, depuis la naissance des théories réelles, elle ait toujours accompagné chaque extension nouvelle du domaine positif. Lorsque des phénomènes quelconques passent du régime des volontés, même modifiées par les entités, au régime des lois, le contraste de leur régularité finale avec leur instabilité primitive doit, en effet, présenter d'abord un caractère de fatalité, qui ne peut disparaître ensuite que par une appréciation très-approfondie du véritable esprit scientifique. Cette méprise est d'autant plus inévitable que notre type initial des lois naturelles se rapporte à des phénomènes immodifiables pour nous, ceux des mouvements célestes, qui nous rappelleront toujours une nécessité absolue, qu'on ne peut s'empêcher d'étendre aux événements plus complexes, à mesure qu'on y introduit la méthode positive. Il faut même reconnaître que le dogme positiviste suppose partout une stricte invariabilité dans l'ordre fondamental, dont les variations, spontanées ou artificielles, ne sont jamais que secondaires et passagères. Les concevoir dépourvues de toutes limites équivaudrait, en effet, à l'entière négation des lois naturelles. Mais, en expliquant ainsi l'inévitable imputation de fatalisme qui s'adressa toujours aux nouvelles théories positives, on voit également que l'aveugle persistance d'un tel reproche indique aujourd'hui une très superficielle appréciation du vrai positivisme. Car si, pour tous les phénomènes, l'ordre naturel est immodifiable dans ses dispositions principales, pour tous aussi, sauf ceux du ciel, ses dispositions secondaires sont d'autant plus modifiables qu'il s'agit d'effets plus compliqués. L'esprit positif, qui dut être fataliste tant qu'il se borna aux études mathématico-astronomiques, perdit nécessairement ce premier caractère en s'étendant aux recherches physico-chimiques, et surtout aux spéculations biologiques, où les variations deviennent si considérables. En s'élevant enfin jusqu'au domaine sociologique, il doit aujourd'hui cesser d'encourir le reproche que mérita son enfance, puisque son principal exercice se rapportera désormais aux phénomènes les plus modifiables, surtout par notre intervention. Il est donc évident que, loin de nous inviter à la torpeur, le dogme positiviste nous pousse à l'activité, surtout sociale, beaucoup plus que ne le comporta jamais le dogme théologiste. Dissipant tout vain scrupule et tout recours chimérique, il ne nous détourne d'intervenir qu'en cas d'impossibilité constatée.

L'accusation d'optimisme est encore moins fondée que la précédente; car, cette tendance n'offre point, comme l'autre, une certaine solidarité initiale avec l'esprit positif. Sa source est, au contraire, purement théologique; son influence décroît toujours à mesure que la positivité se développe. Quoique les phénomènes immodifiables du ciel nous suggèrent naturellement l'idée de perfection autant que celle de nécessité, leur simplicité y manifeste tellement les vices de l'ordre réel que jamais l'optimisme n'y aurait cherché ses principaux arguments, si la première ébauche de leurs théories n'avait pas dû s'accomplir sous le régime monothéique, qui nécessairement faisait supposer une sagesse absolue. D'après la théorie d'évolution sur laquelle repose aujourd'hui le positivisme systématique, la philosophie nouvelle s'oppose spontanément de plus en plus à l'optimisme, comme au fatalisme, à mesure qu'elle embrasse des spéculations plus compliquées, où les imperfections de l'économie naturelle se prononcent davantage, comme ses modifications. C'est donc envers les études sociales que cette imputation, ainsi que l'autre, doit être le moins méritée. Si elle y semble encore motivée, cela n'y tient aujourd'hui qu'à une insuffisante introduction du véritable esprit scientifique, par des penseurs qui n'en pouvaient assez connaître la nature et les conditions. Faute d'une convenable préparation logique, on a, de nos jours, souvent abusé, en effet, d'un caractère propre aux phénomènes sociaux pour y représenter comme absolue une sagesse spontanée qui est seulement supérieure à ce que comporterait leur degré de complication. En tant que dus à des êtres intelligents, qui tendent toujours à corriger les imperfections de leur économie collective, ces phénomènes doivent offrir un ordre moins imparfait que si, avec une égale complication, leurs agents pouvaient être aveugles. La vraie notion du bien s'y rapportant toujours à l'état social correspondant, il est impossible que chaque situation et chaque changement quelconques n'y soient pas, à certains égards, justifiables, sans quoi ils deviendraient aussitôt inexplicables, comme contraires à la nature des êtres et à celle des événements. Tels sont les motifs naturels qui maintiennent aujourd'hui une dangereuse tendance à l'optimisme politique chez les penseurs, même éminents, qu'une sévère éducation scientifique n'a point préparés à s'affranchir assez des habitudes théologico-métaphysiques envers les plus hautes spéculations. Dans l'harmonie spontanée de chaque régime avec la civilisation correspondante, leur vague appréciation suppose une perfection chimérique. Mais il serait injuste d'attribuer au positivisme des aberrations évidemment contraires à son véritable esprit, et dues seulement à l'insuffisante préparation logique et scientifique de ceux qui ont jusqu'ici abordé les contemplations sociales. L'obligation de tout expliquer ne conduit à tout justifier que ceux qui ne savent point, en sociologie, distinguer l'influence des personnes de celle des situations.

En considérant dans son ensemble cette sommaire appréciation de l'esprit fondamental du positivisme, on doit maintenant sentir que tous les caractères essentiels de la nouvelle philosophie se résument spontanément par la qualification que je lui ai appliquée dès sa naissance. Toutes nos langues occidentales s'accordent, en effet, à indiquer, par le mot positif et ses dérivés, les deux attributs de réalité et d'utilité, dont la combinaison suffirait seule pour définir désormais le véritable esprit philosophique, qui ne peut être, au fond, que le bon sens généralisé et systématisé. Ce même terme rappelle aussi, dans tout l'Occident, les qualités de certitude et de précision, par lesquelles la raison moderne se distingue profondément de l'ancienne. Une dernière acception universelle caractérise surtout la tendance directement organique de l'esprit positif, de manière à le séparer, malgré l'alliance préliminaire, du simple esprit métaphysique, qui jamais ne put être que critique : ainsi s'annonce la destination sociale du positivisme, pour remplacer le théologisme dans le gouvernement spirituel de l'humanité.

Cette cinquième signification du titre essentiel de la saine philosophie conduit naturellement au caractère toujours relatif du nouveau régime intellectuel, puisque la raison moderne ne peut cesser d'être critique envers le passé qu'en renonçant à tout principe absolu. Quand le public occidental aura senti cette dernière connexité, non moins réelle que les précédentes quoique plus cachée, positif deviendra partout inséparable de relatif, comme il l'est aujourd'hui d'organique, de précis, de certain, d'utile, et de réel. Dans cette condensation graduelle des principaux titres de la vraie sagesse humaine autour d'une heureuse dénomination, il ne restera bientôt à désirer que la réunion, nécessairement plus tardive, des attributs moraux aux simples caractères intellectuels. Quoique ceux-ci soient seuls rappelés jusqu'ici par cette formule décisive, la marche naturelle du mouvement moderne permet d'assurer que le mot positif prendra finalement une destination encore plus relative au coeur qu'à l'esprit. Cette dernière extension s'accomplira lorsqu'on aura dignement apprécié comment, en vertu de cette réalité qui seule la caractérise d'abord, l'impulsion positive conduit aujourd'hui à faire systématiquement prévaloir le sentiment sur la raison, comme sur l'activité. Par une telle transformation, le nom de philosophie ne fera, d'ailleurs, que reprendre à jamais la noble destination initiale que rappela toujours son étymologie, et qui n'est devenue pleinement réalisable que depuis la récente conciliation des conditions morales avec les conditions mentales, d'après la fondation définitive de la vraie science sociale.