Annibale Gianuario avait la mémoire d'un certain son. Annibale Gianuario
a remué le ciel et la terre d'Italie pour nous faire entendre le son de
l'antique parole italique. Le cantus obscurior de la voix latine,
ce chant certes propre a chaque langue mais, qui dans la péninsule
contient, en plus de son évidente aptitude au chant, toute la poésie de
Virgile, de Dante, de Pétrarque ou de Leopardi. Avec lui, la musique
retrouve sa véritable fonction culturelle: se mettre au service de la
parole des poètes et participer avec elle à la reconstruction éthique et
politique de la cité.
Ces idées, qui donnent une portée morale à la musique et en font un
élément fondamental dans la vie des hommes, Gianuario ne les a pas
inventées. Non seulement elles guident toute la réflexion de Platon sur
la musique, mais c'est Monteverdi lui-meme qui, dans ses lettres et ses
préfaces, en a rappelé l'actualité éternelle en des phrases qui
constituent comme autant d'emblèmes de la pensée d'Annibale Gianuario.
Le
but de Gianuario n'a jamais été de reconstituer une musique du passé,
mais de renouer avec l'esprit d'une civilisation et d'en continuer le
message dans le contexte tourmenté de la modernité. L'esprit d'innovation
de Monteverdi était ainsi compris en profondeur: la tache du musicien
véritablement créateur n'est pas celle de l'archéologue, elle est celle
d'un artiste vivant ouvert aux suggestions de l'époque, tout en se
montrant capable d'y insérer toujours la mémoire de l'antique, cette
présence ancestrale qui confère aux audaces les plus résolues leur
cohérence et leur véritable légitimité.
De
là ce versant spécifique de l'activité du Maitre: les colloques d'été
dans les villas médicéennes de Poggio a Caiano et d'Artimino, au cours
desquels les chercheurs du monde entier étaient appelés a un libre débat
avec celui qui paraissait souvent l'esprit de Socrate réincarné, d'un
Socrate
musicien.
Pour nous ses amis et ses élèves, Gianuario restera une haute figure de
l'Italie, profondément morale et noble, intransigéante sur les lois du
beau et parfaitement affable et accueillante dans les circonstances de
la vie. Je suis sur qu'Annibale Gianuario arpente toujours la terrasse
de Poggio a Caiano. C'est lui qui avait attiré mon attention sur la
frise de céramique qui orne le fronton: on y voyait le char de l'ame qui
partait au galop vers le soleil de l'immortalité.
Prof. Bruno PINCHARD
Filosofo
(Université de Lyon)
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