George Kaldy, "Lutte Ouvrière", 19 mars 2010
Malgré les contorsions verbales des dirigeants de la majorité,
s'il y a une chose incontestable dans ce que montrent les résultats
du premier tour des élections régionales, c'est qu'ils constituent
un désaveu de Sarkozy et du gouvernement.
Cela étant dit, si les élections restent un thermomètre
pour mesurer l'opinion, ce thermomètre n'est évidemment qu'électoral
et sa graduation est de plus en plus faussée par tout un ensemble
d'évolutions qui vont bien au-delà du seul terrain électoral.
Progres de la gauche ou recul de la droite?
Il serait, par exemple, complètement faux de déduire du
recul de la droite, que certains commentateurs qualifient d'historique,
qu'il s'agit d'une poussée à gauche. Sûrement pas.
Même pas sur le plan arithmétique. Si, par exemple, le
Parti Socialiste progresse en voix comme en pourcentage par rapport aux
élections européennes de 2009, qui ont été
particulièrement calamiteuses pour lui, il n'en est pas de même
par rapport aux régionales précédentes en 2004. Il
est, certes, difficile de faire des comparaisons directes car, en 2004,
dans la plupart des régions, le PS dirigeait des listes incluant
notamment le Parti Communiste. Aux régionales de 2010, en revanche,
dans la majorité des régions, le PC s'est présenté,
au premier tour, en concurrence avec le PS, dans le cadre du Front de Gauche
(FG).
Si on compare le nombre de voix obtenues par les listes dirigées
par le PS (avec ou sans le PC) aux régionales, ces listes avaient
obtenu 8 133 645 voix en 2004, contre 5 564 465 en 2010. Si on additionne
l'ensemble des suffrages obtenus par le PS et le PC en 2004, pour le comparer
à l'ensemble obtenu par le PS et le FG en 2010, on constate également
un recul : 8 913 125 voix en 2004 contre 6 663 839 en 2010.
Même en pourcentage, il n'y a pas une progression, mais un recul,
les chiffres passant de 36,95 % en 2004 à 35,43 % en 2010.
Le problème n'est évidemment pas seulement arithmétique,
mais aussi politique. La stratégie du PS n'a pas consisté
à opposer à la politique de droite une « politique
de gauche », si tant est qu'en cette période de crise une
politique de gauche réformiste puisse exister !
La seule stratégie du PS a été « l'anti-sarkozysme
passif », c'est-à-dire attendre que Sarkozy et son gouvernement
se déconsidèrent tout seuls.
Au fond, Sarkozy a été le meilleur agent électoral
de la gauche. Les électeurs, ou du moins cette fraction minoritaire
dans l'électorat qui a jugé utile de se déplacer pour
voter, ont choisi le vote PS comme moyen de marquer leur opposition à
Sarkozy.
Les abstensions
Une autre manifestation du désaveu a été l'accroissement
des abstentions, passant de 39,2 % en 2004 à 53,63 % en 2010. Il
a une signification politique en ce sens que, de toute évidence,
il ne résulte pas d'une multiplication brutale du nombre de pêcheurs
à la ligne. Mais cet accroissement de l'abstention vient aussi bien
de l'électorat populaire, dégoûté de la politique
- celle de la gauche comprise -, que de l'électorat de droite qui
ne se retrouve pas ou plus dans la politique de Sarkozy.
Parmi les départements où le pourcentage des abstentions
est le plus élevé, on trouve aussi bien des départements
avec un électorat populaire très important que des départements
qui votent traditionnellement à droite. Ainsi, par exemple, si c'est
la Seine-Saint-Denis qui est la championne, avec 62,22 % d'abstentions,
talonnée par cet autre département populaire qu'est la Moselle,
ils sont suivis de près par la Haute-Savoie qui n'est pas considérée
comme un département de gauche. Si la ville de banlieue parisienne,
très populaire, de Clichy-sous-Bois est en tête pour l'abstention
avec 71,48 %, dans Paris, les arrondissements huppés du 8e et du
16e sont au-dessus de la moyenne nationale.
Le surplus des abstentionnistes vient plus de l'électorat de
droite que de l'électorat de gauche.
À la déconfiture électorale de l'UMP s'ajoute
la progression du Front National. Une progression toute relative, en réalité,
car, avec 11,6 %, le FN n'atteint pas ses résultats de 2004 (14,7
%) et encore moins ceux de 1998 (15 %). Tout se passe comme si cette fraction
de l'électorat d'extrême droite, que Sarkozy avait détournée
de Le Pen lors de la présidentielle de 2007, revenait au bercail.
Bien sûr, l'importance du nombre d'électeurs qui ont voté
pour les listes du FN donne une indication inquiétante de l'influence
des idées réactionnaires et chauvines. Plus inquiétant
encore est le poids électoral du FN dans certaines villes ou certains
quartiers populaires. Mais cet électorat d'extrême droite
n'a pas disparu pendant les quelque deux ans où Sarkozy prétendait
l'avoir détourné de Le Pen. Il a changé, un moment,
de représentant, mais il n'a jamais cessé de peser sur la
vie politique.
Les deplacements de voix a l'interieur de la gauche
Que peut-on déduire des déplacements internes des votes
à l'intérieur de la gauche, la principale bénéficiaire
de ce premier tour ?
Les écologistes se sont installés comme le troisième
parti du pays et comme la deuxième composante de la gauche. Ce n'est
certes pas non plus l'expression d'une poussée à gauche.
Cela fait bien des années, sinon des décennies, que l'expression
« parti de gauche » a perdu cette partie de sa signification
qui indiquait une origine plus ou moins liée au mouvement ouvrier.
Cela fait des dizaines d'années que le PC et, à plus
forte raison, le PS sont devenus, de par leurs perspectives et leur politique,
des partis bourgeois. Mais la nature de leur électorat, leur langage
et jusqu'à leur étiquette rappellent encore leurs lointaines
origines dans le mouvement ouvrier.
Le parti écologiste n'a, en revanche, aucun lien avec le mouvement
ouvrier. Le fait qu'il devienne la deuxième composante de la gauche
au détriment du PC est significatif de l'évolution de l'ensemble
de la gauche.
Le PC, de son côté, se réjouit de ses résultats
acquis dans le cadre du Front de Gauche, en alliance avec le Parti de Gauche
de Mélenchon.
Mais si la jonglerie entre l'indépendance par rapport au PS
au premier tour et l'alignement derrière lui au second permettra,
peut-être, au PC de garder sensiblement le même nombre de conseillers
régionaux, on ne peut même pas dire que le FG aura réussi
à mordre de façon significative sur l'électorat du
PS. Ce dernier, même lorsqu'il est écarté des responsabilités
nationales, est riche d'un grand nombre de notables, de réseaux
présents partout dans le pays. Le seul à pouvoir concurrencer
sur le même terrain l'UMP et ses réseaux.
Contrairement à la droite parlementaire qui, avec l'UMP, s'est
donné un parti quasi unique, la gauche reste dispersée. Les
régionales ont néanmoins illustré l'évolution
vers la bipolarisation entre un camp de droite et un autre dit de gauche
dont les politiques respectives sont quasi identiques mais qui, en étant
susceptibles de se succéder au pouvoir, donnent l'illusion de l'alternance.
Cette fameuse alternance représente l'alpha et l'oméga
de la démocratie bourgeoise. Elle laisse aux électeurs la
possibilité de choisir entre deux camps. Mais le changement n'est
en réalité qu'un moyen d'assurer la continuité. Il
donne aux électeurs l'illusion du changement pour que rien ne change
!
Les resultats de Lutte ouvriere
Les résultats des listes Lutte Ouvrière indiquent, bien
sûr, la faiblesse de l'influence électorale d'un courant politique
qui ne veut pas jouer le jeu des institutions de la bourgeoisie. Les causes
de cette faiblesse ne sont pas purement électorales. Elles tiennent
surtout aux circonstances politiques mais aussi à la taille et à
l'implantation de l'organisation qui incarne ces idées. Et elles
ne peuvent pas être surmontées uniquement dans les élections.
Autant il est important que le courant communiste participe à
toutes les élections qui sont à sa portée, ne serait-ce
que pour ne pas laisser le monopole de la politique aux partis de la bourgeoisie,
autant la renaissance d'un courant communiste dans ce pays ne passera pas
par les urnes. Le crédit ne se gagne pas dans les élections,
mais dans les luttes sociales. C'est pourquoi les résultats électoraux
doivent inciter à « ni rire, ni pleurer, mais comprendre ».
Laissons aux journalistes les spéculations sur les résultats
qu'aurait obtenus une alliance de toutes les listes « à la
gauche de la gauche ». La question n'a aucun intérêt.
Abandonner son programme au nom d'une unité électorale factice
est non seulement un abandon mais, de toute façon, inefficace.
Pour notre part, à Lutte Ouvrière, nous avons choisi
d'intervenir dans ces élections pour exprimer une politique et pour
défendre des objectifs correspondant aux intérêts des
travailleurs dans une situation marquée par la crise, les attaques
de la bourgeoisie contre les travailleurs. Cette politique et ces objectifs,
nous continuerons à les défendre après les élections,
tout comme nous les avons défendus avant.
Et, au-delà d'une élection donnée, aussitôt
faite, aussitôt oubliée, c'est de cette façon-là
qu'en contribuant à la présence des idées communistes
dans toutes les occasions politiques, on contribue à ce que renaisse
un parti qui reprenne le drapeau que le Parti Socialiste et le Parti Communiste
ont, l'un après l'autre, abandonné il y a longtemps.