Parti,
en 1861, chercher des larves de bombyx au pays du Soleil-Levant, le
Français Hervé Joncour s'éprend d'une belle Japonaise.
En 65 saynètes et 120 pages, Alessandro Baricco retrouve l'art de la
miniature.
C'est, à première vue, une histoire de
rien du tout. Une histoire au fil ténu. Fil de soie, tout de même.
En 1861, pour remédier à l'épidémie qui touche les œufs de vers à
soie, Hervé Joncour est invité à se rendre au Japon afin d'approvisionner
en œufs sains le bourg de Lavilledieu.
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"Et
il est où, exactement, ce Japon?" demande, dubitatif, Joncour.
"Par là, tout droit, jusqu'à la fin du monde", lui répond
Baldabiou, le propriétaire des filatures. Baldabiou sait que ce pays
fermé produit, depuis mille ans, la plus belle soie du monde.
Un jour, il a tenu dans sa main un voile tissé avec un fil de soie
japonais. "C'était comme ne rien tenir entre ses doigts."
Joncour embrassa donc sa femme, Hélène - "Tu ne dois avoir peur
de rien" - et s'en fut avec 80 000 francs or vers "l'île
faite d'îles", où il fit son marché d'œufs, accrochés par
centaines sur des lamelles d'écorce de mûrier.
C'est là qu'il vit pour la première fois la femme dont on ne saura
jamais le nom. Elle avait la tête posée sur les genoux de Hara Kei,
son maître.
"Elle était étendue près de lui, les yeux fermés, les bras
cachés sous un ample vêtement rouge qui se déployait autour d'elle,
comme une flamme, sur une natte de cendre. Hara Kei lui passait
lentement la main sur les cheveux: on aurait dit qu'il caressait le
pelage d'un animal précieux, et endormi." Jamais Joncour et l'
"animal précieux" n'échangeront une parole. Juste d'infinis
regards. Quelques effleurements de doigts, de soie. Et un court billet
d'idéogrammes dessinés l'un au-dessous de l'autre. Encre noire. "Reviens
ou je mourrai."
Pour honorer la fidélité de sa maîtresse, Hara Kei avait coutume de
lui offrir non des bijoux, mais des oiseaux, raffinés et superbes. En
cage. Juste une fois, ces beautés captives s'égailleront dans le ciel,
"en une pyrotechnie jaillissante d'ailes, nuée de couleurs et de
bruits lancés dans la lumière". Puis ils réintégreront leur
cage de fer. A jamais.
A quatre reprises, Joncour se rendra au Japon. Chaque fois il reviendra
vers son épouse et l'immense jardin - également avec volière -
dessiné par ses soins dans la propriété de Lavilledieu. Jusqu'au bout,
Joncour et Hélène recouvriront cette infidélité virtuelle,
entêtante, d'un voile de silence. Ils retisseront leurs liens de la
façon la plus inattendue, par l'entremise d'une prostituée vêtue de
blanc, arborant la "préhistoire d'un sourire".
Ceux qui ont lu, l'an dernier, la première œuvre d'Alessandro Baricco,
Châteaux de la colère (prix Médicis étranger 1995), roman
extravagant, seront sans doute surpris par Soie, tout de silences, de
retenue. Variation infiniment légère et subtile sur le thème de la
trahison, ce roman évoque les délicates estampes de Hokusai, qui
inspirèrent les impressionnistes.
Multipliant les saynètes - 65 pour un roman de 120 pages - utilisant
volontiers la narration répétitive, Baricco excelle dans l'art de la
miniature. Désespéré comme Céline, lucide comme Conrad, inventif et
riche comme Calvino, Baricco est, à 38 ans, la star montante de la
littérature italienne. Et, quelque part, l'un des héritiers de tous
ces maîtres qu'il admire.
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