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di Olivier Le Naire
Data di pubblicazione: 08/01/98
L'Express

Avec Océan mer, la nouvelle vedette de la littérature italienne prend le risque de dérouter. Ses fulgurances méritent pourtant qu'on s'y arrête.

"Nous vendons trop de livres, Tony, nous vendons trop de livres", soupire parfois Alessandro Baricco quand il rencontre son éditeur, Tony Cartano. Avec 350 000 exemplaires de Soie écoulés en Italie et près de 200 000 en France, l'étoile montante de la littérature italienne ne donne, il est vrai, pas précisément dans la dentelle lorsqu'il entre dans les listes des meilleures ventes. 

A moins de 40 ans et par-delà son talent personnel, Baricco mesure-t-il bien, lorsqu'il "déplore", non sans humour, ses records de librairie, ce que sa chance peut avoir d'insolent? Par une sorte de grâce en partie inexplicable, tout semble lui sourire. Prix Médicis étranger pour son premier livre, Châteaux de la colère, Baricco ne s'étonne pas vraiment que l'une de ses courtes œuvres, Novecento anno, soit prochainement mise à l'écran par Tornatore (le réalisateur de Cinéma Paradiso). Il trouve presque normal que Soie fasse déjà rêver nombre de producteurs. Il s'amuse des parodies de ses livres que l'on s'arrache dans les librairies italiennes comme s'il était déjà une sorte de Duras, de Sagan ou d'Umberto Eco. Il s'offre même le luxe de refuser les interviews et décline les invitations de Bernard Pivot. 

Baricco n'est pas pour autant un snob. Sans doute pas non plus un gros malin qui a appris à se faire désirer. Mais simplement un cas. Un touche-à-tout, capable de changer d'éditeur comme de chemise sans réclamer d'à-valoir supplémentaire. Un musicologue qui anime volontiers des ateliers d'écriture et bouscule sa partition selon l'humeur du moment. Oui, un cas. On rêve d'un Baricco français. Avec Océan mer, écrit en 1993 - donc avant Soie - la déferlante Baricco va repartir de plus belle. Exubérante, cette fois. 

Au départ, un peintre, son chevalet amarré à la grève, telle une sentinelle de Buzzati. Pour peindre l'océan, Plasson n'utilise que l'eau de la mer et le rouge carmin cueilli sur les lèvres de la "femme au manteau violet". Peu à peu, et selon le classique procédé du récit à tiroirs, entrent alors en scène, à pas comptés, les divers personnages de ce roman maritime plutôt insolite. Bartleboom, auteur d'une Encyclopédie des limites, qui aimerait comprendre où finit la mer et écrit chaque jour des lettres éperdues d'amour à une femme imaginaire; Elisewin, "sensible comme un voile de soie", qui ne se console de sa peur de vivre qu'avec les livres; Adams, ex-naufragé qui panse d'indicibles blessures dans le jardin de roses de l'amiral Langlais; le père Pluche, "chaperon" d'Elisewin, qui rédige les prières les plus folles comme d'autres égrèneraient un rosaire; Dira, la petite fille de 10 ans, "qui pouvait, quand elle le voulait, en avoir mille de plus". Sans parler de l'habitant de la mystérieuse "septième chambre".

Tout ce monde-là va se rencontrer, s'échanger d'incroyables histoires et soigner d'intimes fêlures à la pension Almayer, auprès de la mer, cette déesse - la véritable héroïne du roman - que les plus sages finiront par bénir. On navigue ici - et de façon assez paradoxale - entre Saint-Exupéry et Buzzati. On effleure parfois Conrad. On oscille entre la mièvrerie surécrite, habilement ficelée, et le roman d'aventures philosophique savamment construit. Bref, Baricco déroute un peu, énerve pas mal et charme beaucoup. Malgré ses tunnels, malgré ses coquetteries, malgré ses tics et ses ficelles stylistiques, Océan mer confirme l'authentique tempérament d'un écrivain encore occupé à défricher sa voie littéraire, à maîtriser son ultra-haute sensibilité. 
Et l'on rêve qu'en France surgisse aussi une sorte de Baricco. Petit ou grand prince de la littérature tombé de sa planète qui débarquerait comme ça, avec la mer, pour nous raconter des histoires.

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Ultimo Aggiornamento_Last Update: 2 Mag. 2002