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di Jean-Baptiste Harang
Data di pubblicazione: 08/01/98
Libération

Alessandro BariccoUn peintre qui fait le portrait de la mer, un professeur qui écrit des lettres d'amour à la femme qu'il aimera, une jeune fille, un naufrage: quatrième roman traduit d'Alessandro Baricco.

Autant le dire maintenant, puisque l'écriture de Baricco nous épate: les quatre livres traduits en français, c'est-à-dire toute sa littérature, les essais exceptés, l'ont été par Françoise Brun: Châteaux de la colère, Soie (1995 et 1997, Albin Michel), le premier reçut le prix Médicis étranger et le second le triomphe du public (200 000 exemplaires), Novecento pianiste (Mille et une nuits, 1997), et aujourd'hui cet Océan mer, dans le désordre de l'édition française, le deuxième roman de Baricco. 

Sans avoir lu ces livres en italien où ils connaissent un immense succès, on constate que Françoise Brun en donne une version (qu'on suppose fidèle), poétique et jubilatoire qui la range, pour reprendre l'expression de Pavlos Matessis, parmi les "écrivains de traductions". 
Océan mer
, le titre, n'est ni un paradoxe, ni un pléonasme, c'est un superlatif, le livre est tant submergé, noyé de mer, que ce seul mot de trois lettres a semblé trop modeste pour le désigner, Baricco le flanque d'"océan", utilisé comme adjectif tout au long du livre pour dire une mer géante, plus mer encore que la mer elle-même. Les lecteurs de Baricco sont prévenus de se méfier, ils se croient sur leurs gardes, ils savent que derrière le conteur se cache un magicien, un équilibriste, un lanceur de chats, ils font des tours et des détours pour toujours retomber sur leurs pattes quand ce n'est pas sur les nôtres. Et pendant que Baricco agite une main droite pleine de récits, de personnages et de cocasseries, la main gauche pickpocket les déleste d'un bonheur, d'un chagrin ou d'une illusion. 

Cette fois encore, avec Océan mer, le prestidigitateur opère son tour de force: il fait naître le monde, un monde marin, cette pension Almayer et ses curieux pensionnaires, sise entre ciel et eau, entre terre et mer, réel, merveilleux et douloureux comme un vrai monde, un carrefour de destins écrits sur le sable comme on grave dans le marbre, avec le burin des vagues. Et la mer se retire et emporte le monde dans sa tempête, laisse la grève lisse, la page blanche, comme la mémoire du nouveau-né, au seul souvenir de la douleur de naître. Baricco fait émerger ses mondes pour à la fin les engloutir, les escamoter.

Plasson est peintre, il veut faire le portrait de la mer, en commençant par les yeux, il peint à l'eau de mer en posant parfois son pinceau sur la lèvre rouge d'une femme. Ismaël A. Ismaël Bartelboom est professeur, il écrit des milliers de lettres à la femme qu'il aimera et qu'il ne connaît pas, il cherche à mesurer où finit la mer, exactement, ou plutôt où commence la fin de la mer, pour finir la ré- daction de l'Encyclopédie des limites observables dans la nature, avec un supplément consacré aux limites des facultés humaines , il dit: "Vous savez, c'est génial cette idée que les jours finissent", page 44. Elisewin a 16 ans, elle est là pour guérir, guérir d'une maladie qui n'est peut-être que la jeunesse, et le Père Pluche, si affinités. Le père Pluche qui a rédigé 9 502 prières, dont la Prière pour un enfant qui n'arrive pas à dire les "r", page110. Et bien d'autres, et le mystérieux occupant de la septième chambre. 

Avec dans le mitan du livre, là où la mer est profonde, un naufrage dans un siècle passé, un radeau de mille morts, du sang et des larmes, le creuset de l'immonde où naissent les vengeances, comme une voix ultramarine venue d'un autre livre. On veut nous faire croire que rien de cette horreur ne concerne la pension Almayer, on se rassure comme on peut: "Restez tranquille, Bartelboom. Généralement, les pensions ne font pas naufrage", page 161. Généralement, bien sûr, mais nous sommes en compagnie d'un écrivain plutôt particulier, Baricco, celui qui peut "dire la mer", pour dire la mort, pour dire l'amour. Et le dit bien. 

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Ultimo Aggiornamento_Last Update: 2 Mag. 2002