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Nr.0281

An Fräul. Stéphanie Gourd

Tout pour Dieu seul.

19 Octobre 1851.

Mademoiselle Stéphanie.

Je viens répondre quelques mots, ma fille, à votre bonne lettre. Je n'ai pas besoin de vous dire que je l'ai lue avec le plus grand intérêt; vous savez tout le bien que je désire à votre âme et combien je la voudrais toute à votre divin Epoux. Oh! oui, soyez toute à Notre-Seigneur comme il est tout à vous. Point de réserve dans le don, point de partage dans le coeur, point d'autre centre que son adorable et toujours aimable Volonté.

Quand on connaît bien ce bon Jésus, peut-on lui comparer quelque chose? et quand on goûté les délices de son amour, peut-on vivre sans Lui? Oh! non! jamais, on est trop malheureux! Que vous êtes heureuse, ma chère fille, d'être à ce bon Maître et de vouloir toujours être à Lui! Ce choix vaut mieux que toutes les couronnes et que toutes les plus belles positions dans le monde. Celui-là est bien riche à qui Jésus est tout son bien. Mais vous n'êtes pas contente de vous, la méditation vous laisse stérile, froide, elle est sans fruit; la pensée de Dieu ne vous est pas naturelle, l'amour-propre vous fait la guerre : voilà de grandes misères, et ces misères vont vous accompagner tout le long du désert de la vie. Que faire?

Corriger ce qu'il y a d'imparfait et supporter humblement les effets de l'humiliation. Savoir et confesser devant Dieu et en vous-même que vous êtes remplie d'amour-propre, que c'est votre élément naturel, que vous aimez peu le Bon Dieu, que vous êtes bien peu fervente dans son saint service; vous couvrir de tous ces haillons comme des preuves de votre pauvreté et vous présenter ainsi à Dieu en toute confiance: et alors vous changerez le mal en bien et vous trouverez grâce devant ce Dieu de bonté qui arrête ses regards de complaisance sur l'enfant faible et pauvre et aime à l'élever jusqu'à son amour de prédilection.

Habituons-nous, ma chère fille, à tirer de nos défauts le remède même qui doit les corriger; il ne faut pas vivre en paix avec eux, mais bien vivre en paix dans l'humilité: "Apprenez de moi, dit le bon Sauveur, que je suis doux et humble de coeur."

Pour votre méditation, si vous vous apercevez qu'elle soit toujours vague et que vos facultés ne s'y occupent pas, changez-en la matière; si vous êtes dans un état ordinaire, faites une méditation ordinaire sur l'Imitation, mais préparée au moins quant au chapitre ou au verset.

Si vous êtes dans un état extraordinaire, choisissez un sujet analogue à votre état; ainsi, dans la désolation, le chapître 21e du premier livre; les 9e, 11e,12e du deuxième livre.

Dans la répugnances des sacrifices: les chapitres de l'amour, les trois du Ciel: 47e,48e, 49e.

Dans la dissipation: le 1er chapitre du deuxième livre, les premiers du troisième livre.

Il faut ne pas traiter notre âme dans ces divers états comme on traite un malade dégoûté de tout. La grande résolution à prendre c'est de faire promptement et par amour les sacrifices d'abnégation que le Bon Dieu nous demandera dans le jour et dès qu'il nous les montrera.

Alors, nous n'avons qu'une chose à faire, nous tenir vigilants pour le moment du sacrifice, ou mieux, nous tenir toujours prêts à dire à Dieu: Mon coeur est prêt, ô mon Dieu, pour accomplir en tout votre sainte Volonté. Mais cette vigilance doit être libre, sans esclavage, sans contention; c'est la veille de l'amour, et l'amour ne se fatigue pas, il veille en dormant, il veille en travaillant.

Soyez toujours la même envers votre bonne maman. Soyez toujours une toute petite fille dans vos rapports de coeur, et cela, à un point tel que vous ne sentiez même pas le besoin d'avoir un autre coeur ami. Il n'y a que du mérite et du bien à lui montrer votre coeur transparent.

Oh! bénissez Dieu d'avoir une telle mère! Elle vaut pour vous plus que tous les couvents et toutes les religieuses du monde.

Priez toujours pour moi, ma fille; la distance n'existe pas dans l'union spirituelle en Dieu; et même, les distances ne font qu'activer les rapports en sa divine charité.

Je vous laisse en sa divine grâce.

EYMARD.


Nr.0282

An Fräul. Antonia Bost

Tout pour Dieu seul!

21 Octobre 1851.

Mademoiselle Antonia.

MADEMOISELLE,

Vos quelques mots m'ont bien réjoui en Notre-Seigneur. Vous prierez encore pour moi. Vous aimerez et servirez toujours bien le divin Epoux de tout votre être. Il régnera toujours seul sur votre coeur: quel bonheur!

Je crois que notre bon Maître ira toujours en purifiant ce coeur pour se l'attacher plus intimement.

Laissez-le faire. Il ne fera qu'ôter les matières étrangères mélangées à l'or, afin qu'il soit plus pur.

Souvenez-vous que les souffrances du coeur sont le feu de l'amour divin. Oui, aimez votre bonne soeur, vos bons parents, mais en l'amour divin; mais aimez Jésus en tous les états de son amour; et quand vous êtes triste et désolée, aimez avec Jésus désolé, mais aimant toujours de plus en plus.

Mes souvenirs respectueux à l'excellente soeur Madame de Chatelux; au moins je la reconnaîtrai dans le Ciel. Sa visite a été courte.

Adieu, Mademoiselle. Soyez toujours calme dans vos désirs, paisible dans vos peines, douce à l'extérieur, plus douce encore dans votre âme.

Tout à vous en Jésus et Marie.

EYMARD.


Nr.0283

An Frau Franchet

21 octobre 51

Tout pour Dieu seul!

Je viens, ma fille, vous remercier de votre souvenir, pourquoi toujours me mettre dans ce devoir? Je connais toujours là votre bon coeur; enfin que le Bon Dieu vous le rende! moi, je ne le puis pas.

Je n'ai pu vous écrire plus tôt, j'ai été si absorbé par mille choses qu'à peine si je sors de l'eau, mais si je n'ai pas écrit, j'ai prié et prie pour ma pauvre fille désolée, crucifiée, mais cependant toujours vivant pour Dieu et son saint amour.

Voyez: il est des âmes qui ne peuvent être tout à Dieu que par la voie des souffrances et être unies à Lui que par le lien de la croix; or c'est là votre part dans la vie de l'amour divin.

Dieu vous l'a faite; prenez-la de sa belle et aimable main; cette voie est sanglante quelquefois, mais elle est grande, noble, digne des grandes âmes; une âme qui aime Dieu a besoin de sacrifice et de souffrir; autrement son coeur seul, privé de cette action le ferait trop souffrir; puis ces peines la détachent, la dépouillent du vieil homme, la font soupirer après la Patrie, lui font serrer sur son coeur Jésus crucifié, qu'elle appelle son Dieu et son tout.

Allons, ma fille, vous avez déjà accompagné Jésus jusqu'aux Oliviers, jusqu'au milieu du Calvaire, ne redescendez pas, montez, montez toujours. La vie, la mort, la sépulture, la résurrection, tout est sur la montagne du Calvaire. J'ai été votre croix; le Bon Dieu l'a voulu, dites: ah! que le Bon Dieu soit béni de tout! Il me reste encore!

J'en viens au détail de votre lettre.

  1. Pour le directeur tout près, je vous en souhaite un qui vous connaisse et vous fasse tout le bien que je vous désire assurément; si N.S. pouvait vous suffire en beaucoup de choses, ce serait le meilleur, mais quelquefois il veut qu'on s'humilie auprès d'un Ananie.
  2. Pour la question délicate, je vous rappelle ce que je vous ai dit, ne vous tourmentez pas de cela et surtout ne vous fatiguez pas tant la conscience; à mes yeux vous êtes malade!
  3. Pour votre bon Charles, sa santé avant tout, pauvre enfant! il est bien sage! il doit vous consoler; dites-lui un bonjour pour moi. Vous priez donc pour moi, que je vous en remercie!

j'en ai besoin. Et vous ne m'avez rien dit de mon cher T.O.. Soyez-lui toujours fidèle et dévouée! mais je voudrais vous gronder! Quoi! N.S. vous dit: Pauvre fille, souffrante et malheureuse, viens à moi et je te consolerai, puis vous n'y allez pas, vous ne communiez plus! Allons, reprenez cette obéissance et allez à la force, à la Source divine.

Je vous laisse à la grâce de Dieu et vous bénis.

Eymard.

P.S. J'oubliais de vous dire que je vais bien et

que j'aurais bien des occasions de mérite si je savais en profiter.

Mes respects fraternels à votre bon mari, S.V.P.


Nr.0284

An Frau Tholin-Bost

T. P. D. seul.

La Seyne-sur-Mer (Var), 20 Octobre 1851.

MADAME,

J'ai reçu votre bonne lettre du 1er; je n'ai pas besoin de vous dire le plaisir qu'elle m'a fait en Notre-Seigneur; je l'en ai remercié et vous en ai bénie ainsi que votre bonne soeur. J'ai été absorbé jusqu'à ce jour dans l'organisation de la maison que la sainte Volonté m'a confiée; il m'en a coûté de ne pouvoir vous répondre de suite, mais votre charité voudra bien me pardonner, et une autre fois je serais plus prompt.

Me voici donc loin de mes bonnes filles en Jésus et Marie. Ce sacrifice, que le Bon Dieu a voulu, je l'ai fait et le refais chaque jour en les offrant toutes à ce bon Sauveur dans le saint Sacrifice; je vais souvent les visiter et les bénir, et vous savez que vous êtes une des premières.

J'en viens maintenant à votre lettre. Vous pouvez m'écrire sur votre intérieur, et si Notre-Seigneur me donne quelques lumières sur vous, je vous en ferai part. Quant à un directeur à Lyon, je ne saurais, en ce moment, lequel vous désigner. Priez.

Pour l'oeuvre de l'Association de l'Adoration du Très Saint Sacrement, la meilleure réponse que je puisse vous faire, c'est de vous apprendre que je prends pour moi l'heure de neuf à dix. Deux officiers de marine, bons serviteurs de Dieu, ont voulu avoir une heure: Mr de la Sachette et Mr Lacroix. Oui, oui, répandez ce feu sur les coeurs glacés, attisez l'étincelle mourante des âmes languissantes: c'est tout le désir du Sauveur.

L'exposé que vous m'avez envoyé est bien; je ne vois rien à y ajouter ni à retrancher. Pour s'associer, on n'a pas besoin d'approbation; cependant, puisqu'on paraît le désirer, que Mme de Pomey le présente à Son Eminence: elle est sûre d'avance d'être bien accueillie et encouragée. La dévotion au Très Saint Sacrement est la dévotion privilégiée de Monseigneur.

J'ai souvent réfléchi sur les remèdes à cette indifférence universelle qui s'empare d'une manière effrayante de tant de catholiques, et je n'en trouve qu'un: l'Eucharistie, l'amour à Jésus eucharistique. La perte de la foi vient d'abord de la perte de l'amour; les ténèbres, de la perte de la lumière; le froid glacial de la mort, de l'absence du feu. Ah! Jésus n'a pas dit: Je suis venu apporter la révélation des plus sublimes mystères; mais bien: "Je suis venu apporter le feu sur la terre, et tout mon désir est de le voir embraser l'univers." Mettez, Madame, mettez le feu dans tout votre rayon et vous aurez réjoui le coeur de Notre-Seigneur. Suivez bien toujours l'attrait intérieur de la grâce; laissez-vous conduire par Notre-Seigneur, comme un enfant, sans autre désir que celui de son bon plaisir; persuadée que vous n'aurez qu'à suivre Notre-Seigneur marchant toujours devant vous; vous n'aurez qu'à mettre les pieds sur la trace divine de ses pieds.

Priez pour moi, Madame, j'en ai besoin; demandez pour moi l'esprit de sagesse et l'amour de Notre-Seigneur.

Je suis, en sa divine charité,

Tout à vous.

EYMARD, P. M.

P.S. Au pensionnat de la Seyne-sur-Mer (Var).


Nr.0285

An Herrn Creuset, Lyon

T.P.D.S.

La Seyne-sur-Mer, 6 Novembre 1851.

Cher ami et frère en Marie,

Je viens vous remercier de votre bonne lettre et vous dire tout le plaisir qu'elle m'a fait. Vous me parlez de ce bon Tiers-Ordre; quel bonheur pour moi! Je l'ai tant aimé et l'aime toujours, surtout en voyant son bon esprit. Soutenez-le toujours bien en établissant des liens spirituels de fraternité entre ses membres, en le groupant toujours au tronc de la maison-mère. Un jour, un Tierçaire de Marie sera bien heureux de son titre.

Etablissez des quartiers pour annoncer promptement une nouvelle, si on avait à en donner. Il serait bien à désirer que les membres se connussent entre eux; Le P. Lagniet vous donnera le catalogue de tous les membres. Pour les adresses, vous les compléterez. Mr Carrel vous donnera la sienne et celle de Mr Berger; Mr Gaudioz, celles de MMr Bron, Bouru; Mr Givemaud, quelques autres.

J'ai complété le conseil, et je connais trop le dévouement et le bon esprit de tous les frères nommés pour refuser leurs services à la Très Sainte Vierge.

Et vous, cher ami, estimez-vous heureux de servir cette bonne Mère; elle vous le rendra au centuple dès cette vie, j'en ai la confiance. Je me réjouis de vous avoir nommé Maître des novices, cela vous obligera à faire encore plus pour ceux que la Sainte Vierge vous confie et à lui dire: Donnez, et je donnerai. Ecrivez-moi, et vous me ferez le plus grand plaisir. Offrez, s.v.p., mes souvenirs respectueux à votre bonne dame; j'aime bien à prier pour votre famille.

Adieu, cher ami, que Notre-Seigneur vous garde toujours en son saint amour.

Tout à vous.

EYMARD, S.M.

Monsieur,

Monsieur Creuset, rue Bellecour, 13,

Lyon.


Nr.0286

An Marianne Eymard

T. P. D. S.

La Seyne-sur-Mer (Var), 7 Novembre 1851.

BIEN CHERES SOEURS,

Vous devez bien vous plaindre de moi, et avec raison, de ce que je ne vous écris pas. Vraiment je ne sais pas comment le temps passe; tous les jours je me dis: Allons! aujourd'hui au premier moment libre j'écris aux soeurs; et puis ce malheureux moment ne vient pas. Il est vrai que jusqu'à présent j'ai eu à faire par-dessus la tête. J'avais une et presque deux maisons à organiser à la fois, et une maison composée de plus de cent personnes. Cependant, à présent cela commence à marcher.

Mon départ de Lyon vous a peut-être peinées, surtout à cause du Tiers-Ordre; mais que faire? Se soumettre à la sainte Volonté de Dieu qui a tout réglé.

Je ne désirais pas venir dans le Midi, mais puisque le Bon Dieu l'a voulu je m'y trouve très bien; c'est un si beau pays et un climat si doux!

En ce moment vous avez peut-être de la neige et un froid déjà piquant, et nous ici n'avons pas encore besoin de feu; mais partout, dit-on, les pierres sont dures, le monde n'est qu'un grand Calvaire; heureux qui sait y souffrir pour Jésus et avec Jésus.

J'ai reçu des nouvelles de Lyon, le Tiers-Ordre se soutient et marche, c'est ce qui me fait plaisir parce qu'après tout il faut voir l'oeuvre de Dieu et non l'action de l'homme.

Les bonnes demoiselles Guillot ont toujours leurs petites croix, mais elles les portent si bien!

Pour vous, mes chères soeurs, vous avez aussi les vôtres, et d'assez pesantes; portez-les bien avec Notre-Seigneur.

Je viens de lire votre bonne lettre. Je mérite bien les reproches que vous me faites et j'en reçois de tous les côtés parce que je n'avais pas le temps de répondre.

Mais ne vous tourmentez pas sur moi, je me porte bien, c'est un excellent climat puisque les malades y viennent passer l'hiver. Puis, j'y serai un peu plus tranquille qu'à Lyon. Je prierai bien pour La Mure, pour le succès du Jubilé, car on aime toujours bien son pays. Les Murois sont bons; je pense qu'on y enverra le bon P. Ducourneau et qu'il y fera du bien.

Allons, soyez toujours bien unies à Notre-Seigneur et qu'il vous garde dans sa sainte grâce.

Je suis en son amour,

Chères soeurs,

Votre frère.

EYMARD, p. m.

P.S. J'écrirai à Lyon pour le fils Reymond; mes

respects à cette bonne famille, ainsi qu'à la famille Fayolle.

Mademoiselle,

Mademoiselle Eymard Marianne,

rue du Breuil,

à La Mure (Isère).


Nr.0287

An Fräul. Agarithe Monavon, Lyon

La Seyne, 11 Novembre 1854.

Mademoiselle,

Merci de votre bonne lettre. Je ris toujours de la rencontre providentielle; il fallait cela pour savoir que nous étions encore sur la terre, car, voisins, on se voyait tous les six mois à peine.

Puis j'aurai de temps en temps de vos nouvelles; car un mot en courant, ou debout devant la cheminée, est vite écrit. Je remercie le Bon Dieu de toute cette aventure. Je cherchais, je rejetais, à présent je me repose en paix et en confiance; j'ai trouvé la personne que le Ciel voulait; c'est bien sûr, on dirait que tout s'est fait pour cela. Bref! voilà votre mission, il faut la remplir; ce sera peut-être la plus belle fleur à la gloire de Dieu procurée par vous.

Des officiers de marine ont lu mes notes et y ont fait des réflexions; en ce moment l'abbé Marin, le directeur de Mr Marceau, les lit, et dès qu'il les aura finies, je vous les expédierai par la diligence.

C'est bien sûr que je verrai avec plaisir que vous mettiez Mme Jourdan au courant, si vous le voulez, cela lui fera du bien; puis elle a un si bon jugement et vous lui donnerez aussi quelque chose à faire.

Cette bonne dame et payse m'a écrit déjà deux fois; c'est bien la dame que je regretterais le plus, si le Bon Dieu ne me consolait de sa piété et de sa fidélité à le servir.

Je prie encore pour Mlle B... Sa maladie est une grâce de Dieu. Dieu la veut toute à lui; qu'elle se donne toute à son amour, voilà ma prière, et peut-être que Dieu lui redonnera tout.

Vous êtes donc pauvre aussi, Mademoiselle! Oh! que le Bon Dieu en soit mille fois béni! Soyez bien pauvre! Servez toujours ce bon Maître avec la pauvreté d'esprit et de coeur. La pauvreté spirituelle est la force et la richesse de l'épouse de Notre-Seigneur, c'est sa dot.

Adieu, Mademoiselle, je vais dire la sainte messe et prier pour vous, pour vos enfants, pour votre travail.

Tout à vous en Jésus et Marie.

EYMARD, P.M.


Nr.0288

An Herrn Carrel

Tout pour Dieu seul.

La Seyne-sur-Mer (Var), 13 Novembre 1851.

Bon cher ami et frère,

Me voici tout à vous; jusqu'à présent j'ai eu la tête cassée, j'ai donc attendu un peu pour vous répondre avec plus de calme. Hélas! cher ami, la vie n'est qu'un passage, heureux, si nous passons en faisant le bien avec Notre-Seigneur; ou plutôt, la vie n'est qu'un adieu de tous les jours. Au Ciel, au moins, il y a la vie éternelle avec Dieu et en Dieu. Cependant, que le Bon Dieu est bon de nous donner son Coeur et son amour comme centre de notre affection pour nos frères, et d'être le lien d'union et la vie de nos coeurs! Voilà ce qui ôtera les distances entre nous, cher frère.

Et mon pauvre Tiers-Ordre? Oui, il m'en aurait bien coûté, si le Bonrère Dieu ne l'avait béni avant par son Vicaire sur la terre, si je n'avais pas eu le bonheur de le voir érigé canoniquement. Le voilà fondé par la main qui fonde pour l'éternité. Et c'est vous, bon frère, qui en êtes la première pierre, le premier apôtre. La Sainte Vierge le sait et l'a écrit dans son coeur: cela doit vous consoler. Soutenez bien votre oeuvre à présent: ce n'est plus une question d'homme, c'est bien une question d'oeuvre de Dieu.

J'en viens à présent au détail de votre lettre:

  1. Sainte Thérèse a d'excellents conseils pour la perfection; mais, sans la défendre à Madame, je lui conseillerais, pour le moment, les ouvrages de Lombez, son Traité de la paix intérieure, le Traité de Rodriguez de la conformité à la Volonté de Dieu, la Pratique de l'amour de N.-S. de saint Liguori. Votre dame a besoin d'aller au Bon Dieu par le recueillement, le calme et le silence de l'amour divin. Ce que vous avez remarqué de scrupule en elle, est une préparation de la grâce, la purification de l'âme. Je remercie bien Notre-Seigneur de ce qu'il opère en elle; elle doit ces grâces précieuses à sa vie de souffrances. O souffrances bénies qui nous unissent si divinement à Jésus! Cependant, vous faites bien de demander sa guérison; c'est souvent une preuve que Dieu veut accorder une grâce, quand il nous inspire la confiance de la demander avec ardeur.
  2. Pour vous, la Communion, cher frère, elle vous est nécessaire comme la respiration aux poumons. Communiez pour aimer, communiez en aimant, communiez pour aimer encore davantage. "Demandez et vous recevrez....." Faisant tous les jours tant de dépense de vie, vous avez besoin de la rafraîchir et de l'augmenter sans cesse à la source divine.
  3. Priez beaucoup pour votre Directeur, afin que le Bon Dieu l'éclaire sur votre direction; mais, cher ami, servez-vous d'un Directeur et n'en soyez pas esclave, c'est-à-dire qu'il vous aide à connaître, à suivre, à perfectionner la grâce de Dieu en vous.

Vous me parlez de la mort et du Ciel. Pas encore, cher frère! Il faut faire mourir en nous ce qui n'est pas encore spirituel, il faut établir le règne de Dieu sur la terre, il vaut mieux être apôtre conquérant que disciple sur le Thabor.

Lisez bien le petit Traité sur la prière, par saint Liguori: c'est un banquet délicieux. Lisez peu, priez beaucoup, aimez toujours.

Adieu, cher ami; mes respects à Madame, à toute votre famille et à Mr Geoffray.

Croyez-moi toujours, en N.-S.,

Votre tout dévoué et affectionné.

EYMARD, P. M.

P.S. Quand vous irez à Tarare, à Amplepuis, mes

souvenirs aux soeurs. Je vous enverrai vos croix.


Nr.0289

An Fräul. v. Revel

La Seyne 13 novembre 1851

Mademoiselle,

Etes-vous au Ciel où près d'y aller, ou enfin malade ? puis rien. Eh bien! c'est moi qui commence, plutôt pour me débarrasser de votre pensée qui me suit partout, et que je renvoie vers le bon Dieu avec une prière pour vous et vos besoins.

Que le bon Dieu est bon! quand je n'avais plus rien à faire à Lyon, il m'a envoyé sur le bord de la mer dans un pays inconnu et à demi-barbare - je n'ose pas dire par ses moeurs.

On souffre ici quand on a vécu au milieu de l'éducation de Lyon, aussi je ne fais aucune visite, aucune connaissance et quand il s'en présente, je me dis: cela ne vaut pas les Lyonnais.

A vous dire vrai, je bénis Dieu de ma position; elle me dit tous les jours mon exil, mon passage, et que Dieu est notre seul et unique bien. Je n'oublie pas le T.O. et surtout le vôtre.

Oh! non, jamais il ne m'a été si utile, il m'a valu tant de grâces. Aimez-le bien, vous aussi, et gardez-le pur. Je crains quelquefois qu'on y mélange mille choses qui ne sont pas le T.O. et son esprit. Si la Ste Vierge l'avait voulu autrement, elle l'aurait fait avant l'approbation du Souverain Pontife et l'érection canonique, j'ai attendu cinq ans pour cela et il en est peut-être qui croiront tout perdu pour quelques paroles dites en l'air, ou en le voyant sans un homme. O bonté! le grain de sable, que vaut-il ? C'est sur Dieu et sur sa grâce qu'il faut bâtir. La Sainte Vierge n'a-t-elle pas été en Egypte ? J'aime le T.O. de la vie intérieure par la vie simple et cachée en Dieu de Nazareth; parce que c'est la meilleure part au service divin.

Je sais que vous l'aimez ainsi. Que faites-vous ? Quel est l'état de votre santé et où en est votre pauvre âme? Voilà ce que j'attends de vous, ou bien je vous croirai au Ciel.

Adieu, bonne soeur, je vais dire la Sainte Messe et bien prier pour vous.


Nr.0290

An Fräul. Elis. Mayet

La Seyne s. Mer (Var) 17 novembre 1851

Tout pour Dieu seul

Mademoiselle,

Je suis bien en retard pour répondre à vos bonnes lettres, votre charité m'a déjà un peu excusé. J'ai été si occupé jusqu'à présent qu'à peine si j'avais le temps de prier Dieu.

J'avais votre 1ère lettre en main pour vous répondre quand Mr. Tonny me fait demander au parloir. Jugez de ma surprise, de mon plaisir, de mon bonheur à le voir et à l'embrasser, ce bon et tendre ami, quel dévouement, quelle générosité fraternelle! Il m'en est cent fois plus cher et le bon Dieu le lui rendra au centuple. Fehler! Verweisquelle konnte nicht gefunden werden., me disait souvent le Père Mayet, je le vois et l'admire.

De suite nous sommes partis ensemble pour Toulon, pour voir et embrasser le bon Père, lui faire des reproches de n'être pas venu de suite à La Seyne, lui faire promettre d'y venir souvent, lui promettre d'aller le voir, le recommander à nos connaissances afin qu'il soit bien reçu, bien traité, bien soigné....

Mr.Tonny a dû vous dire la belle journée que nous avons passée ensemble avec Mr. de la Suchette à visiter deux bâtiments; l'arsenal, le bagne...

Le Père Mayet va bien. Son voyage ne l'a pas fatigué, je regrette bien de ne l'avoir pas avec moi. Cela se comprend.... D'un autre côté il sera mieux à Hyères, la température n'est pas si brusque qu'à La Seyne, où il fait subitement très chaud et très froid; puis le P.Viennot me disait que si le P.Mayet était resté encore un an à La Seyne, il y serait mort de fatigue, parce qu'on le faisait trop parler; à chacun un mot, cela finit par devenir bien long.

Croyez bien, Mademoiselle, que ce refus du P.Supérieur n'est pas un refus personnel, mais une détermination générale de ne pas mettre de Pères malades dans nos Collèges, parce que ce séjour leur est plus nuisible qu'utile.

Ainsi j'avais demandé aux vacances, un de nos Pères pour suppléant, et le P.Supérieur n'a pas voulu me le donner, parce qu'il est un peu fatigué, et il a encore retiré le P. Maîtrepierre d'ici pour la même raison.

Voyons, admirons plutôt en tout ceci, les dispositions admirables de la divine Providence qui fait tout pour le plus grand bien.

Soyez toujours bien la petite fille de N.S. et de sa divine Mère, allez à son amour par le mystère de sa Ste Enfance, c'est la voie la plus courte et la plus aimable.

Evitez bien tout ce qui peut vous troubler et vous agiter. Regardez-le comme une tentation.

Le véritable amour est paisible et actif, silencieux et éloquent, souffrant et jouissant;

il fait preuve de tout, il voit partout l'objet de son amour, Jésus le divin époux de son âme.

Oui, priez bien pour moi, j'en ai besoin. Je regrette bien à présent d'avoir été si paresseux d'aller vous voir, ainsi que votre bonne soeur, elle doit m'en vouloir, et cependant moi qui l'estime tant!....

Aimez toujours bien votre cher T.O. C'est le Nazareth de l'âme pieuse, la Sainte Vierge ne l'abandonnera pas, elle le protège encore davantage.

Adieu, Mademoiselle. Je vous laisse entre les mains de N.S.

Tout à vous en J. et M.

Eymard.

P.S. Je rouvre ma lettre pour vous assurer que personne ne lit mes lettres.

Mademoiselle Mayet Elisabeth

Place St.Clair, n 1 au 4e

Lyon (Rhône)


Nr.0291

An P. de Cuers

Tout pour Dieu seul.

La Seyne, 17 Novembre 1851.

Cher Monsieur et ami,

J'ai bien regretté de ne vous avoir pas vu; le Bon Dieu voulait ce sacrifice avec tant d'autres. Ma première pensée, en arrivant, a été d'aller vous voir à Toulon, vous veniez de partir. Toulon vous regrette, vos jeunes gens vous voudraient au milieu d'eux. J'en ai vu quelques uns, je leur ai fait à la Seyne une petite retraite de deux jours à la Toussaint, ce sera un commencement, et je leur ai promis, si le bon Dieu le veut, de leur faire une retraite de huit jours aux vacances. Ils sont bien ces bons jeunes gens, mais il sont trop laissés à eux-mêmes et le clergé de Toulon n'a pas l'esprit, ni la pratique du zèle; c'est fâcheux, il y aurait de bons éléments.

L'oeuvre de l'adoration va à l'ordinaire. Quel dommage de pressentir que ce premier feu n'est et ne sera pas assez attisé! il faudrait l'oeuvre indépendante et universelle.

Mr Liotard se décourage un peu, et vous savez pourquoi. Mr Gallon fait ce qu'il peut, mais il est laïque; dans tout ce que je leur dis, je me borne à recommander de bien conserver l'étincelle, au moins le statu quo jusqu'à ce qu'une meilleure part soit faite à l'Oeuvre admirable.

Dieu a ses desseins, ses moyens, il veut être prié, faites bien prier pour votre pauvre Toulon.

Je vois de temps en temps Mr de la Suchette et il est toujours bon et dévoué. J'ai fait la connaissance de Mr d'Angeville et de Mr Lacroix. J'ai béni et remercié Dieu de cette grâce, on est si heureux de trouver des âmes qui vont droit à Dieu.

Je dois recevoir la visite de Mr Siccard, le second de Mr Marceau à bord de l'Arche d'alliance, il m'a parlé d'une société intitulée Marine catholique, commencée à Paris sous les auspices de Mgr l'Archevêque et de plusieurs évêques, il désirerait y entrer, connaissez-vous ce projet? Y serait-il né viable? Peut-être du haut de la gloire notre cher ami Marceau continue-t-il son vaste plan d'étendre et de soulager les missions catholiques par ce qu'il appelait le viatique apostolique.

Que faites-vous à Brest? Vous y ferez, j'espère, quelque chose de bien pour la gloire de Notre Seigneur.

Priez aussi bien pour moi, me voilà chargé d'une nombreuse maison et bien pauvre devant Dieu.

J'aime à vous recommander à ce bon Maître et le prier pour vous.

C'est dans sa divine charité que je suis heureux d'être,

Cher Monsieur et ami,

Tout à vous.

EYMARD, S. M.

Monsieur de Cuers,

Capitaine de frégate à Brest.

Poste restante.


Nr.0292

An Frau Perroud

La Seyne s/mer (Var), 17 novembre 1851

Tout pour Dieu seul

Madame,

J'ai bien du regret de n'avoir pas répondu plus tôt à votre bonne lettre. Elle m'a cependant fait tant de bien! et j'aime tant à savoir des nouvelles du Nazareth de Bramefaim! Votre charité m'a déjà excusé; c'est vrai, j'en ai besoin.

Je ne vous dis rien de ma position, de mes occupations, de mon état, vous les soupçonnez, c'est une immolation continuelle de la volonté. Le bon Dieu ne me veut pas dans un état de calme et de paix; qu'il en soit mille fois béni! Que c'est une grande vertu que celle de savoir se faire également tout à tous! de se crucifier et de se laisser crucifier de bonne grâce. Oh! que je suis loin de l'avoir, demandez-la pour moi, bonne Soeur!

Toutes les nouvelles que vous me donnez et me donnerez de vous et des vôtres, me feront toujours bien plaisir. Eh bien! nous allons commercer à 46 ans à mieux servir le bon Dieu et il faudra le dire et le faire tous les jours. La vie commence le matin et finit le soir, la nuit, c'est le tombeau de N.S.

Pour votre livre de lecture spirituelle, vous trouveriez un grand profit à lire et à méditer le traité de la conformité à la volonté de Dieu de Rodriguez, seul il tient lieu de tout.

Travaillez bien à cette divine conformité et elle vous donnera la paix, l'égalité de vie et surtout une grande confiance en Dieu.

Et puis, notre T.O.! aimez-le bien toujours, hélas! Je ne suis rien, le bon Dieu est tout et fait tout, que je serais heureux de le voir prospérer et se consolider en l'esprit de Marie dans son amour de la vie simple et cachée.

Mes respectueuses amitiés à votre bon mari: notre cher et bien-aimé frère, le bon Dieu le conduit au Ciel par la croix; à votre bonne petite Marie, qu'elle aime toujours bien le bon Dieu, la Ste Vierge et ses parents - à tous vos chers enfants que le bon Dieu bénit!

Pour la somme en question, si cela ne vous dérange pas trop, ce sera vers le mois de janvier ou de février, mais il ne faut pas vous gêner.

Adieu, bonne Soeur. Tout à vous en Jésus et Marie.

Eymard.

P.S. J'ai eu vendredi la joie et le plaisir de voir et d'embrasser le bon Tonny et notre bon Père Mayet. Ils ont fait bon voyage, le Père va bien. J'aurais voulu l'avoir près de moi.

Vous le comprenez, mais d'ici à Hyères il n'y a que deux heures, nous irons le voir notre cher Père, il viendra nous voir. Dans un sens il vaut mieux qu'il soit à Hyères qu'ici, la température est brusque à La Seyne, puis le P.Viennot me disait qu'ici on le tuait et qu'il parlait trop, c'est qu'il est si bon!

Soyez assurée, Madame, que j'aurai l'oeil sur lui, et que je serai toujours au courant de tout.

Reposez-vous sur ma fraternelle et vieille amitié.


Nr.0293

An Pater Colomb von den 5 Wunden

Au R.P. COLOMB des Cinq Plaies; Chan. Rég. de l'Imm.C. (Dom Gréa)

Tout pour Dieu seul

La Seyne s/m (Var), 19 novembre 1851.

Bon et Vénéré Confrère,

Il me tardait depuis longtemps de venir vous remercier de toute mon âme de ce que votre charité vous a inspiré pour moi, de votre bonne lettre, de tout ce que vous avez eu la bonté de m'envoyer; le diplôme qui m'associe à tant de bonnes âmes qui sont toutes dévouées à N. S.; le Coeur gage et lien sacré entre nous, puis la promesse que vous daignez me faire de prier pour moi, de me mettre dans votre Memento.

Que vous êtes bon de penser à un pauvre pécheur! et qui ne méritait pas tant de faveurs!

Oui, j'aime beaucoup la dévotion aux Cinq Plaies de N. S.; mon bonheur est de les faire honorer, elles sont notre force, notre espérance, la porte ouverte à l'amour. Vous êtes heureux, cher confrère, d'avoir reçu une si belle mission et plus heureux encore d'en porter les stigmates apostoliques, on m'a dit que vous aviez eu de grandes épreuves; que Dieu en soit béni!

C'est par là que commencent toutes les grandes oeuvres d'un Dieu crucifié.

Il y a longtemps que je désirais faire votre connaissance, depuis surtout que M. votre Cousin, vicaire de Neuville, m'eût parlé de vous; mais le bon Dieu ne l'a pas voulu. Je m'en dédommage par le lien qui nous unit maintenant en N. S.

Je porte le coeur béni que nous m'avez envoyé, puisse-t-il être le gage d'une augmentation d'amour pour Dieu! Je vous remercie bien aussi de votre manuel que vous avez eu la bonté de m'envoyer. Je ne l'ai pas encore tout lu, mais ce que j'en ai lu m'a bien fait plaisir.

Je suis content que mes trois bonnes Soeurs du T.O. soient près de vous, et que vous ayez la charité de leur faire un peu de bien, vous les connaissez et elles en sont dignes: le bon Dieu les visite souvent avec la croix de son amour. Veuillez me rappeler à leur souvenir. Je ne les oublie pas ici. Je les offre souvent à N. S.

Melle Marie, qui est comme la mère de la famille, Melle Pierrette avec sa divine pauvreté, Melle Annette avec ses souffrances.

Adieu, cher confrère, toujours en Dieu, nous avons un centre commun dans le divin Coeur de Jésus.

Tout à vous.

Eymard S.M.


Nr.0294

An die Kleinen Töchter Mariens

Aux "Petites Filles de Marie".

La Seyne s/m (Var)

Fête de la Présentation 1851

Mesdemoiselles et chères filles en Marie,

La voici arrivée votre belle et touchante fête de la Présentation de la Ste Vierge au Temple et je n'aurai pas la satisfaction de la partager avec vous toutes, de vous voir dans la Ste Chapelle, d'entendre vos pieux et jolis cantiques, de vous parler enfin de notre bonne Mère, mais je me plais à penser qu'un autre me remplacera et que vous ferez la fête, votre fête patronale, et que N.S. vous bénira. Pauvre petite Association des petites filles de Marie!

comme elle est gémissante! et cependant toujours fidèle; elle est dans le désert et se croit abandonnée; non, non, je l'espère, ce n'est qu'un petit séjour en Egypte; une de ces épreuves qui enracinent plus profondément un arbuste; seulement, mes bonnes filles, ne vous laissez pas abattre par le vent des tempêtes; priez et ayez toujours une confiance filiale en Marie.

Je vous offre à Dieu tous les matins à 7 heures, dans le S.Sacrifice, c'est là que j'aime à prier pour vous, à vous bénir, et ce que je demande le plus particulièrement pour vous, c'est que vous soyez d'autres jeunes Maries dans vos maisons, au milieu de votre famille, dans vos devoirs, c'est que voyant toujours la Ste Vierge devant vous, comme votre modèle, vous ayez toujours une âme simple, qui ne voit que la vérité et la volonté de Dieu; un coeur simple qui va droit à Dieu et à ses devoirs, avec douceur et pureté, une volonté simple et généreuse, simple en ne voulant que ce que Dieu veut et comme il le veut; généreuse en vous exerçant, chaque jour, à immoler gracieusement votre volonté propre à celle de Dieu et pour Dieu à celle de vos Supérieurs, c'est-à-dire de vos Parents et de vos maîtres.

Ce que j'aime encore à demander pour vous, mes bonnes filles, c'est une véritable et solide piété, fondée sur une vertu douce et forte, surtout sur l'amour divin qui en est le principe et la vie, et dont la piété n'est qu'une belle et odoriférante fleur, le doux fruit d'un amour tout filial.

O, mes chères filles, aimez bien N.S.! vous ne l'aimerez jamais assez, commencez sur la terre ce qui doit faire votre bonheur éternel dans le Ciel; et le commencer même dès ici-bas, sur la terre de passage et de pénitence.

Aimez bien Jésus en son divin Sacrement d'amour, c'est l'oasis divin du désert, c'est la manne céleste du voyageur, c'est l'arche sainte, c'est la vie, le Paradis de l'amour sur terre.

Aimez bien la bonne, la divine Marie, Mère de Jésus et la nôtre; aimez-la comme une bonne fille aime sa mère. Vous êtes sa petite famille encore au berceau; vous avez besoin de ses soins et de son affection maternelle, jeunes et faibles dans la vie vous avez besoin de sa main pour vous guider et vous soutenir, vivant dans un monde terrestre et mauvais, vous avez besoin de son bras tout puissant pour vous défendre et vous fortifier au combat.

Voilà, chères filles, mes voeux et ma prière de chaque jour. Pourrais-je vous oublier ? non...Priez aussi pour moi afin que j'accomplisse bien la Ste Volonté de Dieu, en Dieu.

Adieu, bonnes filles. Je vous laisse à la garde et à la grâce de Jésus et de Marie.

Eymard p.m.


Nr.0295

An Fräul. Mouly

Mademoiselle Claudia,

Je vous remercie de votre bonne lettre au nom de toutes vos amies, elle m'a fait un sensible plaisir, j'allais leur écrire quand j'ai reçu la vôtre. Soutenez-les bien, de concert avec Melle Camus.

Présentez mes respectueux souvenirs à votre bonne Mère, à vos chères Soeurs, et croyez-moi toujours tout dévoué à notre petite et chère association.

Eymard.

P.S. Mille choses de ma part à vos bonnes et pieuses tantes que je bénis de tout mon coeur.

Mademoiselle Dumond aînée

Ancien Quai d'Orléans, n 11 au 4ème

Pour Melle Claudia Mouly Lyon (Rhône)


Nr.0296

An Fräul. v. Revel

La Seyne 21 novembre 1851

Hélas! la croix est toujours la croix! voilà la part glorieuse et bénie que l'amour de N.S. vous a faite. Acceptez-la avec amour aussi, car Dieu ne reçoit que cette monnaie et vos croix sont et seront des croix du coeur. C'est la couronne d'épines pour le garder et le défendre. Le monde n'est pas digne de votre coeur, oh! que le bon Dieu a été bon pour vous et qu'Il sera magnifiquement bon dans le ciel pour celle qui n'a jamais voulu d'autre époux que Jésus crucifié! Vous craignez trop la mort; laissez donc cette pensée où elle est. L'amour est éternel!

Assurément j'ai bien partagé vos souffrances et je voudrais vous en voir délivrée. Aussi je prie et prierai encore, cependant soyez prudente. A votre âge et avec votre faiblesse, il faut des ménagements. Ici, la générosité serait imprudente. Le bon Dieu est chez vous. Il règne dans votre âme, ayez une dévotion de maison.

En politique on se dispute à bon marché, c'est de l'histoire; or l'histoire passée est du domaine de la discussion. On écoute une opinion contraire à la sienne avec charité et comme il est si facile de donner une réponse indifférente, on sort de la question comme on y est entré. Ainsi laissez les morts tranquilles. Vous n'avez pas mal fait. Ayez la grande politique de la divine Providence; celle-ci est toujours calme, heureuse, sûre et surtout sanctifiante. C'est la mienne. Avez-vous lu l'Histoire Universelle de Bossuet? Il faut la lire.


Nr.0297

An Frau Jordan Camille

Tout pour Dieu seul.

23 Novembre 1851.

MADAME,

J'ai reçu votre triste mais bonne lettre; j'aime à la relire, j'y vois votre âme. Oh! que le Bon Dieu la bénisse, la remplisse toujours cette chère âme! Comme elle a été éprouvée, pressurée, crucifiée! C'est le bon Maître qui l'a fait et le fera encore pour la purifier, la simplifier et se l'unir tout entière à Lui.

Oh! Madame, n'est-il pas vrai: quand on a Dieu on a tout? Il remplace infiniment tout; il est père, mère, ami, protecteur, consolateur. Mon Dieu est mon tout! disait souvent saint François d'Assise.

Le vide immense qui travaille et attriste votre âme est un vent précurseur de la grâce. La nature, disait-on autrefois, a horreur du vide; mais Dieu aime le vide du coeur, il le fait quand il n'existe pas. Immense dans son amour, il veut l'être dans son règne, dans notre âme, il veut l'environner de son infini, la remplir de son amour divin; et voilà pourquoi il fait le vide en vous: c'est à la fois une leçon et une grâce. Mais prenez garde à la tristesse et à l'irritation intérieures qui accompagnent et suivent ordinairement ce dépouillement de l'âme; il en faut peu pour l'opération divine, mais vous ne devez pas la cultiver ni la nourrir, ni vous en faire un état. Oh! gardez-vous-en comme de la mort; ou plutôt, souffrez cela comme on endure une douleur d'opération.

Que faites-vous à présent que vous voilà à Lyon? avez-vous peur? Oh! non, il y a un Dieu Père et sauveur au Ciel!

Etes-vous calme, paisible, dans votre assiette ordinaire? J'aime à le croire. Quand on est bien avec le Bon Dieu, on est bien avec soi-même. Mettez, bonne dame, votre paix en Dieu seul, et elle ne sera jamais ébranlée ni troublée.

Pour votre confesseur, allez au plus facile et plus près; vous avez plus besoin du Bon Dieu que des hommes, d'amour que de conseils, de paix que d'action, de confiance que de crainte. Or, quand vous aurez fait tout cela je vous dirai: Allons, bonne soeur, le Ciel s'incline vers la terre.

Faut-il vous parler de moi? Oh! non: vous priez pour moi, je prie pour vous, je vous souhaite tout le bien que Dieu vous veut; n'est-ce pas assez?

Oh! si vous saviez ce que je fais ici, vous viendrez le voir, si ce n'était pas si loin. Le dirai-je? mais en secret, excepté pour Mlle Agarithe: je recueille la vie de notre cher Mr Marceau. Que de belles choses à écrire! J'ai vu hier son lieutenant à bord de l'Arche d'alliance; il m'a raconté de ce bon ami des choses admirables; cela me fait plus de bien que tous les sermons du monde.

Adieu, je vous quitte vite pour aller à mille choses. Mes souvenirs à votre bonne fille, à la bonne demoiselle Agarithe.

Tout à vous en N.-S.

EYMARD.

P.S. J'oubliais notre Tiers-Ordre. Je vous en charge; faites qu'il aille bien. Recueillez, s'il est possible, nos anciens procès-verbaux. Il serait bon peut-être qu'un cahier fût toujours en course; Mme Franchet avait eu la bonté de m'en faire un pour cela.


Nr.0298

An Marg. Guillot

La Seyne, 26 Novembre 1851.

Tout pour Dieu seul.

Mademoiselle,

Je vous prie de m'excuser, dans votre charité, si je n'ai pas encore répondu à votre lettre du 12 octobre, et si je ne vous ai pas donné de mes nouvelles: j'attendais toujours un moment bien libre pour bien examiner les demandes que vous me faites pour notre cher T.O.; et puis, peut-être aussi le démon m'a-t-il toujours fait différer. Enfin, je suis un peu négligent. J'en viens donc à votre lettre.

1. Je pense sans cesse à notre cher T.O. et l'offre tous les jours à Dieu, au Saint Sacrifice. Le bon esprit des soeurs, la bénédiction de Dieu et de la Sainte Eglise, la protection visible et prodigieuse de la T.Ste Vierge sur le T.O. me consolent, me réjouissent et me font espérer avec confiance que le T.O. est né viable, et qu'il portera un jour de précieux fruits de salut, et que beaucoup d'âmes lui devront la perfection de leur salut même, que Notre-Seigneur et sa divine Mère seront bien glorifiés par lui. Le T.O. vient de Dieu, oui! que de preuves visibles pour celui qui l'a suivi depuis le commencement! que d'épreuves dont il est sorti victorieusement! que de fruits de sainteté il a déjà produits! Pour moi, je lui dois beaucoup, et je m'estime bien heureux d'avoir été choisi pour le servir; et je le confesse, j'y ai toujours travaillé avec bonheur; pour lui, rien ne me coûte, rien ne me répugne. J'aime tout ce qui lui appartient, mais je l'aime d'un amour de prédilection. Aussi, une soeur qui n'a pas pour le T.O. un peu de cet attrait, je crois, ou qu'elle n'a pas bien correspondu à la grâce de sa vocation, ou qu'elle n'en est encore que l'étrangère et non la fille; et toute soeur qui ne s'attache pas au T.O. par l'esprit qui lui est propre, n'en goûtera jamais la douceur ni la bonté! Ah! si nos soeurs savaient combien il est beau et sublime ce titre de T.O. de Marie de la vie intérieure! comme il y a de perfection, dans cette seule règle du T.O. "l'amour de la vie simple et cachée de Marie avec Jésus!" Comme il est puissant ce moyen de perfection! Ah! dis-je, nos soeurs s'estimaient bien heureuses d'avoir été choisies par la T. Ste Vierge pour composer sa famille de Nazareth et au pied du Cénacle! Quand une personne se porte bien, l'exercice et les fatigues du travail fortifient ses forces; quand un arbre est bien enraciné, les vents et les tempêtes ne font que l'enraciner d'avantage, mais alors, malheur aux fruits qui ne tiennent pas bien à l'arbre! qui ont laissé pénétrer dans leur sein un insecte rongeur! ils tomberont et seront délaissés par le passant; mais celui qui a tenu tête à la tempête, restera jusqu'à sa pleine maturité.

Il en est des oeuvres de Dieu comme des âmes que Dieu appelle à une haute perfection: une oeuvre de Dieu passe par plusieurs phases, par plusieurs mains, pour arriver à son état pur et parfait, pour que Dieu en soit lui seul le centre et la vie. Et quand une oeuvre en est arrivée là, elle est assurée contre les tempêtes, contre tous les changements. Ah! plût à Dieu que le T.O. de Marie en fut là aussi! je l'espère un peu.

Si nos soeurs ont bien l'esprit de Dieu, elles seront la preuve et la force du T.O. L'Eglise eut ses catacombes, ses exils, ses dépouillements de tout! et l'Eglise alla toujours en grandissant, en se fortifiant. C'est qu'elle a une grâce de victoire et d'immortalité. Et le T.O. de Marie est le fruit béni de la Ste Eglise.

Encouragez bien vos soeurs, de concert avec la soeur rectrice, dans la sainteté de leur vocation première. Ne faites pas de changements essentiels au T.O.: souvent, pour détruire une oeuvre de Dieu, le démon la pousse hors de sa grâce, et de son esprit; alors, elle ne peut plus marcher, elle n'est plus dans sa voie. Une personne seule peut aller au-devant du bien, une oeuvre de Dieu doit attendre patiemment, mais fidèlement, les temps de Dieu, les preuves de sa sainte volonté, il faut mûrement réfléchir avant de changer ce qui a été établi au commencement d'une oeuvre spirituelle. Tout ce que je dis là, n'est pas un reproche, Dieu m'en garde! mais c'est pour l'avenir.

Une chose que je désire bien vivement voir toujours régner parmi les soeurs, c'est un esprit de charité fraternelle qui ne fait en Dieu qu'un coeur et qu'une âme, qui n'établit point de distinction entre soeurs, sinon celle de l'humilité, qui parle toujours en bien des autres, qui ne veut que leur bien spirituel, qui se réjouit de leurs grâces et de leurs bonnes oeuvres: voilà la bonne et parfaite charité, c'est ce que l'on peut appeler la simplicité de la charité. C'est celle que je vous souhaite à toutes. Priez pour moi aussi, et regardez comme fait à la Ste Vierge tout ce que vous ferez pour le T.O.

J'en viens maintenant, Mademoiselle, à vos questions particulières.

1. Pour la secrétaire, puisque Mlle Brison n'a pas le temps, il faut la remplacer; elle a été, cette bonne soeur, bien dévouée au T.O.; et elle est surchargée de devoirs de famille. Par qui la remplacer? il faut une secrétaire qui connaisse bien l'esprit du T.O., parce qu'il est facile de glisser son propre esprit dans une rédaction; puis, une secrétaire ne doit analyser que selon l'esprit du T.O., c'est-à-dire, si l'on disait jamais quelque chose en opposition avec l'esprit primitif, on doit le passer sous silence; c'est une fleur perdue, voilà tout, mais elle n'allait pas au bouquet du jardin de Nazareth.

La secrétaire doit avoir un peu l'esprit d'analyse, et surtout l'esprit juste. Mlle Laval est peut-être trop jeune dans le T.O. - Si Mlle Mayet avait le courage, je crois qu'elle ferait peut-être bien; mais vous pourriez bien, vous, si votre courage vous le permet, suppléer un peu; ne pourrait-on pas aussi nommer sous-secrétaire Mlle Tournu? elle ne serait pas du conseil, elle aurait la capacité, elle est déjà ancienne dans le T.O. Pour Mlle de Revel, je ne crois pas qu'elle puisse remplir cette charge. Je ne m'y oppose pas cependant.

2. Je ne suis pas pour les réunions particulières, cela irait bien quelque temps, puis cela tomberait; à Lyon, plus qu'ailleurs, on n'aime pas une réunion purement laïque; la pensée de lire un procès-verbal etc. est bonne, celle de l'esprit d'union aussi, mais on est si susceptible entre femmes! Ajournez encore cela.

3. Pour la cire, le T.O. la fournissait, comme vous le savez. Pour le vin, cela n'en vaut pas la peine; d'ailleurs, on n'a pas entendu cela à Puylata. Pour les petites hosties, de même. Je pense que l'on ne s'est pas compris, car tout cela est si peu de choses; on n'aurait pas même dû mettre en question le vin et les hosties. Est-ce donc que les Tierçaires seraient de pire condition que les étrangères qui vont communier à la grande chapelle? le prêtre dira toujours sa messe, qu'il y ait du monde ou non.

4. Pour l'honoraire des messes, comme chaque Tierçaire en fait célébrer une chaque année, il vaut mieux la donner à celui qui préside la réunion; alors, il la dit pour les défunts du T.O. et tout se trouve concilié: c'est comme cela que je faisais. On pourrait mettre l'honoraire à 2 francs, cependant tout en le conseillant, et non en l'imposant. Mais comment et quand donner cette messe? on s'entend plusieurs et on en donne une dizaine à la fois....(prier Mlle David de suggérer cette mesure à la soeur Rectrice des Dames).

5. J'écrirai quelquefois, s'il m'est possible et si c'est utile; mais vous sentez, pour le moment, la délicatesse de la chose, j'aurais l'air de vouloir diriger le T.O. d'ici.

6. Pour la direction, la chose viendra d'elle même; c'est une des pratiques essentielles du T.O., non de précepte pour chaque Tierçaire, mais de facilité pour celles qui en auraient besoin; il ne faut pas trop presser pour cela. Il faut attendre les moments de Dieu, et l'homme de sa droite: voilà pourquoi il faut beaucoup prier.

7. Il serait utile de donner une sous-aide à Mlle Olive, je dis une sous-aide, car il vaut mieux qu'il n'y en ait qu'une chargée en premier. Je suis d'avis que vous ne vous chargiez pas de cela, à cause de votre infirmité; vous ne pourriez pas le faire, et c'est toujours pénible de prier les autres.

Voilà mes réponses. Je me hâte de vous les envoyer, et vous prie de bien exprimer à nos soeurs, et surtout aux soeurs du conseil et en particulier à notre bonne Rectrice tous mes sentiments d'estime, de dévouement à notre T.O. et combien je suis heureux de les voir elles-mêmes toutes dévouées, et que mon bonheur, c'est de prier pour elles.

Je vous laisse en Notre-Seigneur, et vous prie de ne pas m'oublier dans vos prières.

EYMARD,

S.M.


Nr.0299

An Frau Gourd

Tout pour Dieu seul.

[La Seyne], 28 Novembre 1851.

Madame,

Vous m'avez fait grand plaisir de me faire donner de vos nouvelles et de celles de votre cher malade par Melle Stéphanie; et, chose étrange! j'en attendais encore ne sachant où vous prendre! Je vous suis autour de votre malade et je bénis vos soins et surtout votre saint esclavage. C'est par ce continuel esclavage du renoncement que Notre-Seigneur veut régner en vous, et il veut que votre piété, vos vertus, votre amour aient ce caractère universel. Bénissez-le bien de cette voie; elle est bien riche, elle abrège le chemin du désert, elle a moins de dangers. le Bon Dieu est et doit être votre soleil de chaque jour; tous les jours il se lève pour vous, mais non de la même manière. Il faut que vous l'aimiez toujours ce divin Soleil de justice et d'amour, soit qu'il vous apparaisse radieux, soit qu'il se montre voilé au milieu des ardeurs de l'été, comme sous l'influence des glaces de l'hiver; c'est toujours le même soleil.

Vous avez bien vos peines, et j'y compatis de toute mon âme; il m'en coûte de vous savoir si loin, mais le Bon Dieu le veut: qu'il en soit béni et vous toujours aussi.

Cependant, que le Bon Dieu est bon! il est le centre vigilant de toute union en lui et pour lui. Oh! beau Ciel, je commence à te désirer, non pour ne plus souffrir, mais pour aimer Dieu parfaitement. Mon Dieu! Madame, j'ai tort; la souffrance est une si belle chose! et surtout une souffrance mystérieuse, cachée, voilée sous l'apparence du contentement; bonne souffrance! qui vous détache de vous-même, qui vous immole à l'amour pur de Jésus. Oh! que je le remercie de m'avoir envoyé ici! Il veut me forcer, ce bon Maître, à ne vivre qu'en lui, à ne me consoler, à ne me fortifier, à ne me reposer qu'en lui. Je me dis quelquefois: Ou le Bon Dieu va m'appeler bientôt à lui, ou il veut, quand je serai bien mort à moi, se servir de mon néant pour sa gloire.

Hélas! qu'est-ce que je dis là? excusez-moi, j'ai laissé aller trop vite ma plume...N'allez pas croire que je sois malade ou malheureux ici; du tout, j'y suis bien, j'ai de bons confrères; mais quand Dieu veut immoler une âme, il en a le secret divin.

J'ai appris par Melle G. que votre cher malade allait mieux; que le Bon Dieu en soit remercié! Prenez garde à présent à vous, ayez soin de réparer le sommeil perdu.

Je vous donnerai des nouvelles du P. Mayet à Hyères; je suis allé le voir jeudi passé, j'espère que le climat d'Hyères lui sera favorable; il y fait comme ici un temps magnifique. C'est le printemps de nos pays. On doit commencer le Jubilé dimanche; M. le Curé nous disait qu'il y avait bien d'indifférence dans sa paroisse.

Adieu, bonne dame, priez pour moi, et faites-moi donner de vos nouvelles.

Tout à vous en Notre-Seigneur.

EYMARD.

P.S. Mes souvenirs, mes voeux à Melle Stéphanie; la remercier de sa bonne lettre, lui dire de suivre toujours son même chemin, allant droit au coeur de Dieu, traversant tout sans s'arrêter ou se détourner.

Madame,

Madame Gourd,

à Lyon.


Nr.0300

An Marg. Guillot

28 Novembre 1851.

Tout pour Dieu seul.

J'ai reçu hier, ma fille, votre lettre. J'étais à lire et à relire vos écrits, et je puis dire avec plaisir, car votre âme m'est chère et plus chère encore ici qu'à Lyon; mais je ne puis que lui faire un peu de bien de loin; aussi, quand vous m'apprenez que vous allez toujours, malgré les tempêtes, malgré les misères de l'exil et les contradictions des passants, je suis content et je bénis Dieu de m'avoir confié votre âme, et de la voir se perfectionner dans l'obéissance. Oui, vivez bien de la vie de l'obéissance, vous en avez besoin. C'est là votre force et la condition de votre avancement et de votre persévérance au service de Dieu: alors, travaillez toujours à prendre l'obéissance comme la règle de vos jugements, le motif de vos actions, le mobile de vos oeuvres extérieures, et vous serez alors plus semblable à Jésus obéissant jusqu'à la mort de la croix.

J'en viens d'abord à votre dernière lettre sur le T.O.

1. Ne cherchez pas à savoir qui vous a écrit cette lettre anonyme, laissez-en le secret à la divine Providence qui fait tout pour notre bien; gardez-vous bien d'y répondre, le Bon Dieu ne le veut pas. Voyez, ma chère fille, le Bon Dieu sait le besoin d'estime et de confiance dont vous avez besoin pour le glorifier au service du prochain. Et si vous le glorifiez davantage par l'humiliation, vous devez vous en réjouir. Je me serai bien gardé de recevoir vos demandes d'être remplacée au conseil, j'y voyais un bon moyen, pour vous, pour mourir à vous-même et glorifier Dieu par ses petites épreuves, c'est une mine d'or, et voilà pourquoi je ne vous ai pas changée, c'est votre pur intérêt que je cherche. Un jour, Notre-Seigneur apparut à St Jean de la Croix, et lui témoignant son contentement pour tout ce qu'il avait fait pour lui, lui dit: " Demande-moi, en récompense, tout ce que tu voudras, mon fils! " " Seigneur, répondit le Saint, le bonheur de souffrir et d'être méprisé pour votre amour"; et vous savez combien il fut exaucé! Ainsi, je suis d'avis que vous ne fassiez pas de démarche pour vous décharger, que vous restiez Maîtresse des novices jusqu'à ce qu'on vous remplace, et que, lorsqu'une personne crucifiante viendra vous raconter quelque chose de pénible, vous tâchiez de l'envoyer de suite en hommage d'amour à votre Epoux crucifié; ne laissez pas entrer le raisonnement sur cela; vite, renvoyez la flèche.

Je comprends qu'attendre trois ou quatre heures vers le P. Colin, c'est trop fort; il vaudrait mieux aller au plus près, par exemple, chez Mr Burillot de la Charité, et y aller de ma part. Si vous avez besoin d'une lettre pour lui, je la ferai bien volontiers. Je ne connais pas les Messieurs de St François, mais il faut en prendre un pour votre bonne mère; la raison est bonne, elle a habité la campagne et n'a point de confesseur. Cette pauvre mère est donc plus fatiguée, cela m'attriste, j'aimerais aller la voir et la consoler; dites-lui bien que je prie toujours pour elle et que j'aime toujours bien sa chère famille.

Travaillez à faire nommer une Sous-Rectrice, afin que le conseil soit bien au complet; je ne vois pas qui. Si Mlle de Revel voulait accepter, je la préférerais à beaucoup d'autres, elle a bon jugement, puis elle ne ferait rien sans consulter. Vous me direz: On la craindra? Ce n'est pas un mal pour quelques-unes à idées particulières, elle serait toute pour vous. Il y aurait, peut-être, Mlle Crouette, mais je préférerais Mlle de Revel.

2. Pour Mlle Jenny, elle serait bien à Notre-Dame du Laus. Là, elle y serait bien, je la recommanderais à Mr le Supérieur et à quelques personnes; nous verrons donc d'ici là.

3. Pour les Soeurs malades du T.O., ce n'est pas à vous à aller les visiter, vous souffrante et malade; il n'y a qu'à y envoyer une conseillère, ou plutôt, il faudrait nommer deux soeurs infirmières d'office.

4. Vous allez vous ruiner en Messes, c'est trop une neuvaine. Je vous dirai une messe, et c'est bien assez. Vous venez seulement d'en faire dire pour vos parents. Je dois ménager un peu votre bourse, je vais dire celles de Mlle J., mais n'en ayez pas jalousie, car c'est bien pour vous aussi.

5. Pour votre confession ordinaire, suivez bien la marche que je vous ai tracée; pour les infidélités et les péchés contre vos exercices de piété, contentez-vous de dire: Mon Père, je m'accuse de toutes les négligences coupables dans mes devoirs de piété, de toutes mes infidélités à la grâce; pour l'orgueil, accusez-vous-en toujours: Mon Père, je m'accuse de tous les péchés d'amour-propre que j'ai commis en pensées, en paroles et en actions, comme le bon Dieu les voit. Pour les tentations: Je m'accuse de tout ce qui aurait pu offenser Dieu dans les tentations que j'ai eues, surtout contre le prochain, ou contre la chasteté; je ne crois pas d'y avoir consenti volontairement; je m'en accuse comme le Bon Dieu m'en connaît coupable. Si on vous fait quelques questions pour vouloir examiner à fond ces tentations, dites que votre confesseur vous défendait de les examiner et de raisonner vos doutes et vos craintes et qu'il voulait que vous passiez par-dessus tout cela. Accusez-vous simplement de vos impatiences. Pour le prochain, quand vous avez eu le malheur de faire quelque péché positif et certain, dites simplement: J'ai manqué de charité en pensées, ou en paroles, contre mon prochain, sans dire l'histoire, les circonstances. Si on vous demande une explication sur quelque péché, répondez tout simplement comme vous le voyez dans ce moment.

Vous confessant ainsi, vous suivrez la règle que donnait St Vincent de Paul à ses religieuses: Accusez-vous, leur disait-il, de quatre ou cinq péchés, et tout est dit. Et je vous répète la même chose; et toutes vos autres fautes vous seront pardonnées en même temps; elles sont toutes renfermées dans cette accusation générale. Seulement, la raison ne sera pas satisfaite, mais vous la soumettrez à la foi de l'obéissance et à la grâce de l'humilité. Le Bon Dieu voit votre coeur, c'est l'humilité et la confiance qu'il veut voir régner dans la confession. Regardez toujours l'absolution comme un Baptême qui efface tout, et datez de là votre vie nouvelle. Vous me direz, peut-être: Mais je trompe mon confesseur, je lui dis des choses fausses, je ne sais ce que je lui réponds. Je suppose tout cela vrai, que s'ensuit-il? que vous n'avez pas eu toute votre liberté et toute votre présence d'esprit, voilà tout. Par conséquent vous ne devez pas vous en troubler, le Bon Dieu arrangera tout. Que faire alors? Rien, continuez comme si vous étiez bien confessée, cela a été une tentation, une épreuve.

Ma chère fille, vous cherchez trop à vouloir être bien connue d'un confesseur ordinaire et passager, c'est-à-dire, vous voudriez qu'il lût dans votre âme, qu'il comprît votre état, qu'il fût, en un mot, directeur; mais cela n'est pas nécessaire, et souvent dangereux pour la paix de votre âme; vous avez mes décisions, la direction par écrit: jusqu'à ce que le Bon Dieu en décide autrement, cela doit vous suffire; ainsi vous avez déjà reçu quelques bonnes leçons, je vous ai dit souvent: Le Bon Dieu donne un directeur.

Pour votre tentation de désespoir et ses suites, soyez tranquille, ce n'est rien. Je la regrette cependant et cela m'a fait de la peine de vous voir réduite à ce triste état, mais vous voyez que le Bon Dieu ne vous a pas abandonnée. Ah! que le démon est méchant et qu'il vous en veut! si jamais ces tentations vous revenaient, écrivez-les moi de suite, et je prierai pour vous et vous en serez soulagée.

J'ai relu votre article de l'union en Dieu, que vous êtes enfant! vous faites comme un petit enfant avec la pensée de sa mère...! La pensée qui m'est venue de tout cela, c'est qu'il faudrait que ce fût Notre-Seigneur lui-même; mais au moins, faites de ma misère la porte pour aller à Notre-Seigneur, vous êtes unie à un pauvre malheureux avec ses haillons, et, s'il vous plaît, que vous supposez riche et saint: j'en ai ri, je vous l'avoue, et en ris encore.

Allons! bon courage, bonne patience, au milieu de toutes vos croix de ménage, celles-là sont meilleures, elles n'engendrent pas l'orgueil et ne nourrissent pas l'amour-propre: c'est la rosée du jardin de Nazareth; mais surnagez toujours au-dessus de toutes ces petites vagues, ne vous laissez pas attrister, déconcerter, par tous ces petits coups d'épingles. Il faut vous regarder comme l'enclume sur laquelle tout le monde a le droit de venir battre son fer, et plus on frappe sur l'enclume, meilleure elle devient.

Allons! adieu en Notre-Seigneur, et je vous bénis en sa sainte grâce.

EYMARD.

P.S. Oui, répondez en temps convenable que mon éloignement de Lyon n'a été fait que par nécessité, et c'est très vrai. Point de mal avec Mlle de Revel. Pour l'annuel pour le T.O., je laisse libre.


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