LA MONNAIE SOCIALE: LEVIER DU NOUVEAU PARADIGME ECONOMIQUE


Chantier Monnaie Sociale - Document de synthèse pour discussion produit suite à la rencontre de Findhorn, en juin 2001, rédigé par Heloisa Primavera.
Résumé

Au cours des deux dernières décennies, dans des contextes socioculturels différents, de multiples expériences de monnaies complémentaires se sont développées pour s'opposer à l'absence ou à la rareté d'argent. On peut retrouver ce type d'initiatives dans le contexte d'expériences à tendance absolument néoliberale, dont le but consiste simplement à améliorer la rentabilité économique d'entreprises d'importances différentes (des multinationales aux microentreprises, en passant par les entreprises publiques), ou, au contraire, être porteuses d'initiatives de résistance à la globalisation néolibérale. Le chantier MONNAIE SOCIALE s'est appliqué à étudier plus particulièrement les formes de monnaies complémentaires, dont l'objectif prioritaire est de développer des instruments de contrôle social et qui tentent de démontrer qu'il est possible d'élaborer une "économie alternative". Cette économie, au départ simple complément du marché formel, peut aider à consolider l'économie solidaire et mettre en place - graduellement - un nouveau modèle d'organisation, capable d'inverser le modèle d'accumulation capitaliste. Etant donnée la situation actuelle de crise (et de nouveaux possibles) des modèles de transformation sociale radicale réclamés par l'ensemble des sociétés, nous estimons être face à une situation de rupture d'avec le paradigme traditionnel. Dans ce contexte, un changement du système monétaire, opéré du bas vers le haut, --face aux résultats peu encourageants des réformes des institutions qui dirigent la finance internationale --, pourrait nous conduire vers la construction possible de ce monde responsable, pluriel et solidaire auquel nous aspirons.

Le présent travail est le résultat de différents moments de réflexion - toujours en cours pour le moment- et ne prétend être rien de plus qu'une contribution au "chantier élargi" qui s'est créé au sein du Pôle de Socio-économie Solidaire de l'Alliance pour un Monde Responsable, Pluriel et Solidaire (PSES/ AMRPS). Le matériel que nous avons utilisé pour élaborer cette synthèse a été produit au cours :
- du forum électronique qui a eu lieu entre février et avril 2001 sur le site http://money.socioeco.org, un des plus actifs du PSES, avec la participation de plus de 80 personnes;
- de la rencontre de synthèse du Chantier Monnaie Sociale, qui a eu lieu entre le 18 et le 20 avril 2001, à Santiago du Chili, avec un groupe de 35 participants du chantier et des invités spéciaux de différents pays et régions;
- de la rencontre finale d'échange et de synthèse des quinze chantiers du PSES, qui a eu lieu à Findhorn (RU) entre le 9 et le 16 juin dernier, au cours de laquelle le chantier Monnaie Sociale a travaillé plus spécialement avec les animateurs/invités des chantiers Travail, Emploi et Activité Economique, Femme et Economie, Finances Solidaires, Commerce Equitable, Consommation Éthique et Politiques Économiques. Par ailleurs, sont apparues aussi des affinités particulières avec les idées et propositions des chantiers Economie Solidaire et Développement Durable; cette synthèse évitera donc de reproduire les aspects que les lecteurs pourront retrouver dans d'autres synthèses.

S'il est vrai que cette synthèse est une production collective, dans la mesure où elle est le résultat des différentes étapes du chantier, il n'en est pas moins vrai que sa rédaction obéit à une responsabilité individuelle. Cette brèche inévitable sera réduite dans la mesure où ce texte provoquera des réactions chez les participants et que ceux-ci nous enverront leurs commentaires, soit en terme de concepts, soit de propositions.




Pour rendre plus facile sa lecture aux participants du PSES, cette synthèse se développera selon le plan suivant:

1. Constats et diagnostic
2. Visions et nouveau paradigme
3. Initiatives et innovations
4. Propositions
5. Stratégies et Acteurs
6. Bibliographie

1. Constats et diagnostic

Le thème des monnaies complémentaires est pratiquement absent des discussions relatives aux modèles alternatifs, aussi bien dans le domaine de l'économie que de l'organisation sociale et politique. On a souvent entendu des doutes (par ailleurs fondés) concernant l'avenir à moyen terme de ces initiatives: changer un peu pour que rien ne change? Ou avancer dans la construction d'un nouveau contrat social?

D'autre part, il est largement reconnu que l'une des expressions les plus manifestes de la crise sociale sur le plan économique se présente sous la forme d'une déviation vers les circuits financiers d'importantes masses d'argent, qui sortent ainsi et de manière définitive du circuit de la production. Le circuit financier possède, en effet, sur ce dernier des avantages certains en termes de "reproduction" de l'argent. Tous les obstacles aux réponses possibles à la crise se heurtent à la rareté de l'argent: que ce soit le coût de la dette extérieure ou la restructuration du marché du travail, le déclin de la consommation interne qui devient source de violence et d'inégalité ou de destruction de l'environnement, causée par l'impossibilité de discipliner le comportement des producteurs et des consommateurs, spécialement de ceux qui vivent dans l'abondance, sous n'importe quelle latitude du Premier Monde.

Dans les années '30, suite à la crise, des expériences similaires avaient surgi dans différents endroits, mais c'est surtout au cours des vingt dernières années qui se sont multipliées les expériences d'échange non monétaire. Parmi celles-ci, l'on peut trouver les LETS, créés au Canada par Michael Linton à partir de 1982, la monnaie locale d' Ithaca, dans l'état de New York, conçue et diffusée par Paul Glover dans plusieurs centaines de localités aux Etats-Unis et les "tianguis" Tlaloc, au Mexique, développés depuis 1996 par l' infatigable Luis Lopezllera à l'intérieur de PDP (Promoción del Desarrollo Popular). En Argentine, le premier Club de Troc (qui plus tard se transformera en Réseau Global de Troc - Red Global de Trueque) fut créé en 1995 par un groupe de 23 personnes; 6 ans plus tard, il comprend plus de 800.000 membres dispersés dans presque toutes les provinces du pays. Ce modèle, qui possède une puissante capacité de reproduction, se caractérise par un solide composant décentralisateur (principe d'autonomie de ses unités dénommées "clubs" ou "nodos") et l'utilisation d'une monnaie complémentaire propre, dite "monnaie sociale" lorsqu'elle est soumise à des mécanismes d'émission, distribution et contrôle sociaux, dans des conditions de transparence et d'égalité distributive. Cela signifie que le "troc" a évolué de sa forme primitive vers des échanges multiples, qui se réalisent par l'intermédiaire d'un support matériel contrôlé par les usagers eux-mêmes. Le nom technique de cette forme d'échange est aujourd'hui multitroc avec utilisation de monnaie sociale; celle-ci a tellement interpellé l'actuel Ministre de l'Economie, qu'il a décidé de la considérer en tant que transition vers l'économie formelle, et ce après avoir été acceptée par une vingtaine de municipalités pionnières en la matière.


A l'heure actuelle cette modalité commence à être reproduite dans 11 pays d'Amérique Latine et a inspiré de nombreuses initiatives sous d'autres latitudes, telles que l'Espagne, le Japon et la Thaïlande. Bien qu'il soit difficile de donner des chiffres précis, on estime à plusieurs millions les personnes qui connaissent et pratiquent actuellement les différents types d'expériences " d'échange compensé ", avec ou sans monnaie sociale ou encore avec des systèmes mixtes.

S'il est possible de neutraliser l'aspect "rareté" de l'argent, il convient dès lors de se demander:
Jusqu'où peuvent évoluer ces systèmes? Sont-ils une simple adaptation à la crise? Ou contiennent-il le germe d'une transformation sociale plus profonde? Comment mettre en commun les avantages et les limites de chacune de ces initiatives? Au-delà de ce qui existe déjà, serait-il possible d'élaborer de nouvelles propositions?

L'exposé central du texte de lancement du chantier ("Monnaie sociale: permanence opportune ou rupture de paradigme?") contenait un rappel relatif à la responsabilité des acteurs sociaux sur ce terrain aussi novateur que polémique. En effet, les expériences très variées --aussi bien passées que présentes --n'ont pas été suffisamment étudiées ni ne possèdent un développement suffisant pour être évaluées en tant qu'outils pour la construction d'une alternative au modèle dominant. D'autre part, d'après nos observations au cours des quinze mois de préparation et de développement du chantier Monnaie Sociale, la rencontre de Santiago et la rencontre de Findhorn, cet aspect de responsabilité des acteurs, reste polémique, tant dans le domaine de la production d'expériences novatrices (factibles du point de vue de la disponibilité des ressources et politiquement viables), que dans celui de la création de nouveaux concepts et catégories théoriques. À notre avis, nous n'avons pas (encore?) réussi à mettre en place de consensus importants autour de l'importance de la monnaie sociale, non seulement nécessaire mais indispensable, en tant que levier pour l'élaboration de ce nouveau paradigme économique, qu'on appellerait Socio-économie Solidaire. Apparemment, pour la plupart des participants des chantiers du PSES, la monnaie sociale ne serait qu'une contribution mineure, entre tant d'autres, une manœuvre palliative, voire quelque "bizarrerie" ou "technocratisme" monétaire, capable d'alléger quelque peu la lutte contre le chômage ou la pauvreté.

C'est donc pour cela que nous voulons attirer l'attention sur les idées présentées dans le texte de lancement et dans le texte de référence de B. Lietaer sur "L'avenir de l'argent", partagées amplement avec les animateurs/invités des chantiers Travail, Femme et Economie, Finances Solidaires, Commerce Equitable, Consommation Ethique et Politiques Economiques, à Findhorn:

Il n'est pas possible de construire une nouvelle économie à partir du paradigme dominant. Un nouveau paradigme s'avère absolument nécessaire. C'est de celui-ci seulement que pourront émerger une nouvelle théorie économique et une nouvelle théorie monétaire, bases fondamentales de la Socio-économie Solidaire qui à son tour rendra possible la construction d'un monde responsable, pluriel et solidaire: sans faim, sans chômage, préservé pour les générations présentes et futures.

Notre position est très claire: loin d'être un remède de dernier recours, la monnaie sociale est un outil, c'est le levier capable de mettre en branle le développement du nouveau paradigme, d'une façon graduelle et durable: en effet, la monnaie sociale facilite l'adhésion immédiate des personnes (mues simplement par un intérêt légitime pour leurs projets personnels et familiaux); elle est facteur de transformation de ces mêmes personnes grâce à des actions pratiques agréables, où la coopération remplace tout naturellement la concurrence; cette solidarité à son tour se transmet à des organisations et institutions qui n'ont pas la possibilité de s'insérer dans l'économie formelle (hôpitaux, écoles, etc.); elle favorise la production de synergies avec d'autres formes et réseaux d'économie solidaire ; elle permet de construire de nouveaux rapports à l'intérieur de la société civile, mais aussi entre l'Etat et la société civile ou encore entre celle-ci et les entreprises ouvertes à la notion de responsabilité sociale. Bien plus, elle s'avère être un outil "souple" et plaisant, dans la mesure où son développement contribue à l'empowerment" graduel des bases la société civile, et produit des résultats significatifs à court terme, ce qui accentue encore la durabilité des processus impliqués. Elle possède donc des propriétés importantes pour un processus d'accumulation politique à long terme, tel que nous le recherchons dans l'espace de discussion et la construction de l'Alliance pour un Monde Responsable, Pluriel et Solidaire.

2 - Visions et nouveau paradigme

Ce qui est commun aux quinze groupes thématiques du PSES est le défi de la construction de l'UTOPIE POSSIBLE qui constitue l'objectif même de l'Alliance. Malgré le degré de complexité de la crise actuelle, si nous parcourons du regard l'Histoire récente, il y a des bonnes raisons pour y trouver des signes positifs. En moins de vingt ans, nous sommes obligés de reconnaître qu'au Sud se sont produites d'intéressantes ruptures d'avec l'ordre institutionnel :

- depuis 1974, des expériences de microcrédit lancées au Bangladesh et pratiquement dans toutes les régions de la planète ont pu démontrer que les pauvres SONT des sujets de crédit et font honneur à leur parole, et même, plus que les riches, si l'on analyse les résultats suivant la logique capitaliste ;

- depuis 1988, la ville de Porto Alegre (et plusieurs dizaines d'autres rien qu'au Brésil) ont entamé un processus de Budget Participatif, où la société civile organisée montre qu'elle est CAPABLE de prendre en charge l'allocation des fonds publics, en co-gestion avec l'État ;

- depuis 1995, en Argentine, les expériences d'organisation de l'économie informelle avec un haut degré d'autogestion démontrent que la société civile peut s'organiser pour créer un NOUVEAU MARCHÉ SANS ARGENT, capable de multiplier par deux, et parfois par cinq ou dix, le revenu moyen des familles affectées par le chômage et le sous-emploi.

Dans le domaine de la production d'innovations, il ne faudrait pas oublier qu'au Sud, des Présidents des Républiques ont été obligés de quitter leurs postes, poussés par des mécanismes institutionnels - sans coups d'État - et que certains ont été condamnés et envoyés en prison. Considérant l'Histoire du siècle passé, voilà un résultat qui n'est pas anodin pour nos relativement jeunes démocraties, en général si dépendantes des volontés dictées par le Nord, c'est-à-dire, par le Marché.

D'autre part, si nous considérons les expériences antérieures - microcrédit, budget participatif et réseaux de troc - il est facile de vérifier qu'elles traversent toutes trois le cœur même du système financier :

* le microcrédit "rend" aux exclus (avec de l'argent formel) la capacité de construire une citoyenneté économique et politique ;

* le budget participatif "crée" une citoyenneté politique pour ceux qui se méfient du système politique traditionnel, tout en abordant la gestion des fonds publics;

* les réseaux de troc "ré-inventent" le Marché, de l'intérieur du système, mais à contre-courant : depuis la solidarité et l'autogestion, tout comme aux premiers jours, et en absence d'argent formel.

Dans tous les cas, le mariage entre argent et pouvoir, entre inclusion et exclusion du marché formel et du pouvoir de décision, apparaît très clairement. Cependant, en aucun cas, on ne peut parler de brusques changements de direction ou de bénévolat épique. Il s'agit bien plus de processus hétérogènes, graduels et singuliers: le microcrédit et les réseaux de troc sont des initiatives de la société civile et le budget participatif a été, quant à lui, une " interprétation " de la volonté populaire par un gouvernement progressiste, rare exemple de triomphe d'un parti politique dans un contexte plutôt défavorable à cette institution.

Dans le cas des réseaux de troc, pour qu'on puisse les considérer comme des innovations pacifiques et possibles à l'intérieur même du système, il serait utile de comprendre dans quelle mesure les monnaies complémentaires étaient déjà présentes dans l'économie formelle et dans l'imaginaire social. Nous vous rappelons donc que le texte de référence de Jérôme Blanc (" Monnaies parallèles : théories et évaluation du phénomène ") relève de multiples formes de monnaies complémentaires à la monnaie nationale, comme, par exemple, les tickets restaurant, les bons de transport, les coupons d'escompte, les monnaies " provinciales ", etc. Il relève ainsi 465 exemples dans 136 pays, et ce seulement pour la période étudiée, 1988-1996. Son analyse des trois fonctions de la monnaie - unité de compte, moyen de payement et réserve de valeur - nous mène, par un chemin très facile et compréhensible pour la plupart des gens, à l'argument essentiel: c'est cette troisième propriété qui déstabilise le système financier et "raréfie" l'argent. En même temps, il permet d'imaginer un système complémentaire de monnaies locales ou sociales, dépourvu des effets de concentration de la richesse de la monnaie formelle.

En ce qui concerne l'approche d'un nouveau paradigme, les idées de Bernard Lietaer présentes dans l'autre texte de référence du lancement du forum ("Beyond Greed and Scarcity: the future of money "), vont dans le sens du nécessaire abandon du paradigme " normal ", de manière à pouvoir imaginer (d'abord, et à créer ensuite…) une nouvelle économie, porteuse de nouvelles relations sociales, en admettant que notre intention est bien de partager les richesses et construire un monde pluriel, juste et solidaire. Selon Lietaer, à cause de son ancrage initial dans la notion de la rareté des ressources à administrer, c'est l'économie elle-même qui empêche de distribuer la richesse : comment pourrait-il en être autrement si elle a été pensée pour la " administrer des ressources toujours plus rares pour satisfaire des besoins toujours plus nombreux "… ? Il y a donc là impossibilité, quelque soit la théorie économique à laquelle on fasse référence.

Et ce n'est pas tout, " à moins de mesures drastiques qui bouleversent radicalement le comportement des institutions financières ", " nous avons une chance sur deux d'assister à un effondrement total de l'économie mondiale dans les cinq à dix prochaines années, et ce en raison d'une crise sans précédents du dollar américain ".

Complètement d'accord avec A. Toynbee, Lietaer estime que " deux ont été les causes de la chute de vingt et une civilisations du passé : une concentration extrême de la richesse et un manque de flexibilité face aux changements de conditions survenus. A la base, le système monétaire utilisé ".

Il n'est pas non plus difficile de reconnaître que les caractéristiques de l'actuel système monétaire sont:

- "Une émission complètement basée sur une monnaie " fiat ", créée à base de rien, si ce n'est la volonté et le pouvoir de la créer
- Tout l'argent en circulation peut être prêté
- Tout argent est porteur d'intérêt
- L'argent est un instrument de l'Etat-nation. "

" Des telles caractéristiques mènent inévitablement à :

- une pénurie chronique d'argent qui conduit à la banqueroute et à la pauvreté ;
- promouvoir une compétitivité permanente;
- alimenter le besoin de croissance permanente;
- la concentration de la richesse en très peu de mains."


Cela explique aussi pourquoi " les deux cents plus grandes entreprises à niveau mondial, qui contrôlent 28% de la production mondiale, n'utilisent que 0,3% de la force de travail pour le faire. Cela ne serait pas possible sans un système monétaire qui le permette. "

Selon Lietaer (...) "l'architecture du système monétaire est à la fois la cause et la solution possible des problèmes communautaires. Le dollar américain s'est transformé en monnaie de référence au niveau global et cette formule a déjà démontré ses fâcheuses conséquences pour certains pays asiatiques, la Turquie, la Russie, le Mexique, le Brésil et l'Argentine. Des crises multiples de ce type- inconnues jusqu'à alors-mettent en évidence des déplacements systémiques dans le système monétaire actuel. "

Malgré tout cela, il existe suffisamment "de nouvelles expériences monétaires, encore isolées, -- telles les différentes formes de monnaies locales --, qui méritent l'attention des gouvernements et des organisations de la société civile, dans la mesure où elles offrent des possibilités réalistes de correction graduelle des excès et déséquilibres du système actuel, sans faire appel à des processus de rupture que les systèmes politiques tolèrent généralement assez mal.






Le texte de lancement "Monnaie sociale : permanence opportune ou rupture de paradigme ?" invite à la réflexion sur l'expérience argentine du Réseau Global de Troc dans toute sa complexité, non seulement en raison de la connaissance directe que nous en avons, mais surtout parce qu'elle a transformé son développement de quantitatif à qualitatif, parce qu'elle a :

- mis en marche, depuis le départ, un mécanisme très fort de décentralisation et de transfert de pouvoir à ses membres ("empowerment "), en particulier aux groupes de "nouveaux pauvres ", sans commune mesure avec des événements passés, occasionnant l'apparition de noyaux organisateurs, engendrés par le caractère permanent des activités économiques de survie.

- commencé à construire de nouveaux rapports entre la société civile, l'État et le Marché, surtout dans le secteur des coopératives et des petites et moyennes entreprises, isolées ou regroupées en structures collectives ;

- abouti à un mécanisme de duplication assez simple, qui permet de créer des unités appelées " Nodos " ou " Clubs ", jouissant de beaucoup d'autonomie, loin des formes obsolètes de rapports politiques de clientélisme (parfois sous des couverts d'"aide sociale") et trouver de nouvelles formes de co-gestion des politiques publiques ;

- contribué à la reconstruction du tissu social, et ce bien plus qu'aucune autre stratégie durable, grâce à l'important degré d'autonomie des personnes vis-à-vis des institutions, tout en trouvant un moyen de bâtir de nouveaux réseaux de protection sociale, pour faire face au retrait de l'Etat providence.

Même si bien souvent on a critiqué le développement chaotique des près de mille nodos qui conforment la Red Global de Trueque en Argentine, nous ne pouvons nous empêcher de constater ses résultats : plus d'un million de personnes dans 18 provinces, seulement en Argentine, pratiquent cette forme d'échange qui améliore sensiblement leurs conditions de vie. Dans tous les cas, si nous regardons de plus près les différentes formes assumées par ce phénomène, et suivant en cela Singer (1999), nous pouvons distinguer deux modèles d'organisation à l'intérieur des Réseaux de Troc, d'une part, le modèle "économique" (ou entrepreneurial) qui met l'accent sur la croissance et la rentabilité des systèmes, pratique la concentration en peu de mains de la richesse et du pouvoir de décision, et appuie une monnaie "globale", voire unique; et d'autre part le modèle "social" axé sur la solidarité, la coopération et le développement de la citoyenneté à moyen terme, qui utilise les monnaies sociales locales et reste centré sur le social plutôt que sur l'économique. Il n'est pas moins vrai que, dans la pratique, les deux modèles se trouvent souvent combinés, grâce à la présence simultanée de membres de différents systèmes dans la plupart des rencontres, surtout dans les grandes villes. Bien plus, la plupart du temps, les membres des clubs ignorent à quelle forme de gestion se souscrit leur club d'origine.

Si l'on s'interroge à présent à propos de la résistance à incorporer la monnaie sociale comme stratégie dans la construction de la Socio-économie Solidaire, que l'on retrouve tout aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des groupes du PSES, voilà quelques questions destinées à réfléchir sur ce phénomène, élaborées par le groupe qui a travaillé à Findhorn:

1. Que voit-on quand on " voit " les chiffres des Réseaux de Troc en Argentine ? Des processus de "réinvention du marché " ? Ou des processus de " réinvention du capitalisme" ?

2. ¿Quelle différence y-a-t-il dans chaque cas ? Quelles en sont les conséquences ?

3. Eu effets des politiques de lutte contre le chômage, santé, santé mentale, prévention de la violence, quelle est la différence entre l'une et l'autre vision ?

4. Les " billets " utilisés dans les Réseaux de Troc constituent-ils un "argent de deuxième classe " ? Comment s'exprime cette interprétation ?

5. Les " billets " utilisés dans les Réseaux de Troc constituent-ils un instrument de libération face à la rareté de l'argent formel ? Ou remplissent-ils l'argent (rare) su système formel?

6. A quel paradigme appartient l'une et l'autre définition ? Quelles en sont les conséquences pour les projets de Socio-économie Solidaire ?

7. Si le crédit est nécessaire pour promouvoir l'insertion des microentreprises dans le marché formel, ne serait-ce pas correct de penser que plus nombreux seront les réussites, plus il y aura de concurrence sur le marché ? Et plus il y aura d'exclus ceux qui se disputeront les quelques clients égarés ?

8. Est-il possible d'avoir des "clients " sans argent ? Est-ce souhaitable ? Pourquoi ?

9. Pourquoi jusqu'à présent les programmes de réactivation économique mettent-ils l'accent plutôt sur l'optimisation de la production que sur la commercialisation ? Pourquoi insister sur la compétitivité pour atteindre des clients qui possèdent " de l'argent rare" plutôt que de créer des " clients sans argent " ? De quoi dépend cette option ?

10. Est-il raisonnable de penser que des millions de microentreprises et "microentrepreneurs" - euphémisme avec lequel on nomme actuellement les "chômeurs chroniques de la globalisation" - réussiront jamais ? Ou bien chaque réussite rend-elle encore moins possible l'insertion du voisin qui tente d'acaparer le peu de clients de ce "marché dont l' argent est de plus en plus rare" ?

De quoi dépend chacune de ces "visions"? Quelles théories, quelles idéologies, quelles valeurs se cachent derrière chacune d'elles? Quelles sont les conséquences de chacune de ces options ?

Dans les efforts pour trouver des réponses qui compensent les ajustements structurels réalisés par les gouvernements des pays pauvres pour payer leur dette extérieure, au cours des dernières décennies, ce fait remarquablement évident a été systématiquement oublié : la pénurie d'argent n'est contre-attaquée qu'en effectuant encore plus d'ajustements qui affectent les secteurs sociaux, qui eux n'ont pas contribué à la génération de la dette. Elle provoque du chômage mais ni les gouvernements, ni les organismes internationaux, ni même les organisations de l'économie solidaire n'ont jamais osé penser la création d'argent comme solution. La réponse à l'ajustement structurel est toujours l'ajustement de la production, du crédit, de la commercialisation. Est-ce donc parce que le système exige que l'argent soit rare ? En effet, plus il l'est, mieux se porte le système, il faut le reconnaître. Ou changer le regard.

Que se passerait-il si au lieu de produire des ajustements dans le système productif, on stimulait plutôt la création de clients tout en créant les conditions pour que les biens et services capables d'être produits à l'intérieur d'une communauté fussent … produits ? Comme au tout début, il y a de cela bien longtemps, avant la création d'une monnaie à intérêt positif? C'est d'ailleurs la démarche que réalisent, depuis toujours, les grandes entreprises du capitalisme et depuis quelques années les différents systèmes d'échange non monétaire à l'intérieur du marché formel. C'est la réponse à l'ajustement structurel des réseaux de troc en Argentine depuis le 1er Mai 1995.

L'évidence est-elle donc trop évidente pour être perçue ? Ou est-ce un effet de l'inertie de nos schémas de pensée - action - création ?

Nous nous sommes souvent demandés pourquoi sommes-nous parvenus à avoir assez de créativité pour imaginer le microcrédit mais pas à réinventer l'argent lui-même ? Pourquoi est-il plus facile de croire que les petites et moyennes entreprises font faillite en raison de l'incompétence de leur " gestionnaires " plutôt que par manque de clients ? Quelles raisons nous empêchent de penser un marché (au moins complémentaire) défini par l'équation besoins de consommation x capacité de production au lieu du marché défini par la rareté de l'argent en circulation ?

Pourquoi est-il plus facile (même si moins viable) de penser à l'annulation de la dette extérieure qu'à la création d'un instrument très simple qui donne la possibilité de ré-inventer le marché ?

Pourquoi est-il plus facile de développer la panacée MICRO (des microcrédits pour de microentreprises) que de chercher des solutions directes au manque d'argent ?

Quelle sorte de fondamentalisme plaintif - théorique, idéologique, politique ou autre - anime notre inertie à chercher des alternatives dans de nouveaux espaces de possibilités?

Une dernière observation pour rendre plus facile la lecture de ce qui suit: au nom du groupe formé à Findhorn et des participants du chantier Monnaie Sociale, qui sont presque tous des participants actifs de systèmes d'échange non monétaire divers, nous tenons à souligner que nous croyons au caractère nécessaire et essentiel de la monnaie sociale dans la construction du nouveau paradigme d'abondance durable, proposé par la Socio-économie Solidaire.

L'innovation que l'on peut observer dans les expériences réussies, dans le sens où elles possèdent une importante capacité de reproduction, selon B. Lietaer et d'autres auteurs, serait une manifestation du paradigme de l'abondance. Tel serait le cas de l'expérience argentine. Ce fait expliquerait aussi l'enthousiasme des participants actifs du système, même s'ils n'ont pas vraiment besoin d'augmenter leurs revenus. Par contre, les "théoriciens " et les "observateurs" du phénomène ont plutôt tendance à le voir plutôt comme porteur d'un argent de seconde classe que comme expérience de rupture. Excès ou manque d'implication ? Excès ou manque de responsabilité envers l'avenir ?

Toutefois, si on a pu constater, grâce au forum électronique, l'existence d'une grande variété d'expériences, les référents importants (Michael Linton, Paul Glover, Edgar Cahn, Tom Greco et Bernard Lietaer, entre autres) ont aussi révélé que la plupart de celles-ci ne se connaissent pas bien entre elles, en même temps que la présence de problèmes similaires au moment de dépasser les premiers résultats. Plus qu'une fertilisation croisée entre systèmes d'échanges, on a pu assister à la "défense" des positions établies.

Cela nous a amené à penser, encore une fois, au phénomène de l'"inertie", tant au niveau de l'expérience que du paradigme en place, dans laquelle se retrouvent souvent enfermés les innovateurs sociaux, empêchant ainsi le développement des synergies entre leurs "trouvailles" respectives. Explication raisonnable aussi quant à la résistance à ne pas "percevoir" la monnaie sociale comme autre chose qu'un "argent de pauvres ", un argent rare comme celui des riches... mais pour les pauvres.


La rencontre thématique de Santiago du Chili nous a montré qu'il était nécessaire et urgent de rapprocher les différentes expériences entre elles, ainsi que d'ouvrir la monnaie sociale au monde associatif et aux constructeurs d'utopie dispersés dans les quinze chantiers du PSES. Nous avons éprouvé la possibilité de mieux nous connaître, en même temps que la nécessité d'entrer en relation, de nous intégrer, de nous compléter pour utiliser au mieux les avantages de chacune des formes spécifiques et les adapter à chaque contexte particulier. Le contact avec les participants étrangers qui eurent l'opportunité de connaître l'expérience en Argentine, dans toute sa complexité et ses contradictions, n'a fait que confirmer la possibilité de concevoir un processus autogéré depuis la base. Elle a aussi mis en évidence les défauts existants, qui démontrent d'ailleurs très clairement le besoin d'un type particulier d'adhésion à cette initiative: la monnaie sociale n'est pas suffisante en soi pour dépasser le paradigme de la rareté sous toutes ces formes. D'après l'observation de nombreuses pratiques d'économie solidaire qui ont réussi, les réseaux de troc pourraient dépasser le stade d'évolution actuel, s'ils incorporaient les autres étapes du processus économique, au-delà de l'utilisation de la monnaie sociale: cela veut dire rendre solidaire aussi l'étape de la production et celle de la consommation. La production doit dépasser le déséquilibre propre à l'individualisme néolibéral et s'orienter vers des formes de production collective, définies dans chaque cas; la consommation doit trouver une voie éthique de manière à protéger l'environnement pour les générations présentes et futures. Les finances solidaires pourront, enfin, contribuer à rapprocher des sources de financement, tout en combinant dans l'avenir des formes de financement solidaire, en monnaie formelle et en monnaie sociale.

C'est donc lors de la rencontre de Findhorn que nous avons travaillé pendant trois jours pour approfondir les conclusions de chaque chantier et aboutir à un petit nombre de percées transformatrices, et ce pour chaque groupe intégré par différents chantiers. Ces formulations paraîtront peut-être trop générales, mais nous avons pensé qu'elles pourraient être inspiratrices dans différents espaces géographiques et socio-politiques. Notre groupe de travail a été intégré par les animateurs/invités spéciaux de l'Argentine, du Canada, du Sénégal, du Brésil, du Chili, de l'Inde et des Philippines, et des chantiers : Monnaie Sociale, Femme et Economie, Travail, Emploi et Activité Economique, Finances Solidaires, Commerce Equitable, Consommation Ethique et Politiques Economiques. Ce qui suit est la synthèse des percées qui ont obtenu le consensus pour travailler à partir de chaque contexte local vers un modèle global de Socio-économie Solidaire.



FEMME, NOUVELLE MONNAIE, NOUVELLE ÉCONOMIE


1. Le néolibéralisme peut être supplanté par la construction d'un nouveau paradigme qui établit des liens entre femme et économie, de manière à construire l'abondance durable et mettre un terme à la rareté.

2. Des systèmes d'échanges comme les banques de temps, le crédit mutuel, les monnaies communautaires et les différents types de monnaies sociales constituent la nouvelle monnaie qui peut créer les conditions pour mettre en pratique ce nouveau paradigme.

3. Une politique économique éthique et respectueuse de l'environnement, des finances solidaires, le commerce équitable et la consommation éthique peuvent être reconçues/reformulées de manière à établir de nouvelles relations entre l'Etat, le marché et la société civile.

Ces percées ont été produites avec un haut degré de consensus à l'intérieur du "groupe intégré" par les sept chantiers nommés antérieurement. La notion "Femme ", présente dans le titre, assimile l'idée du "féminin" à un style de gestion durable de l'abondance, caractéristique des civilisations primitives ("matristiques" plutôt que matriarcales) et réprimée lors de l'acquisition des stratégies de concentration des richesses (Lietaer, 2001). D'autre part, si l'on peut reconnaître la nature rare de la monnaie officielle et la nécessité d'inclure des formes complémentaires, même dans le système formel, il est raisonnable de comprendre que la monnaie sociale soit une stratégie privilégiée étant donnée sa façon particulière d'être implantée: flexible, graduelle et "génératrice de pouvoir". Par conséquent, on peut dire que la mosaïque d'expériences présentes à Findhorn a pu suggérer une façon d'allier la monnaie sociale à d'autres formes d'économie solidaire, telles qu'elles apparaissaient dans les propositions des chantiers Femme et Economie, Commerce Equitable, Consommation Ethique et Finances Solidaires et contribuer ainsi à la construction de nouveaux rapports sociaux entre la société civile, l'Etat et le marché ouvert à l'économie solidaire.

Etant donné notre expérience à l'intérieur de l'Alliance, nous pouvons considérer que nous sommes déjà nombreux à croire que nous nous trouvons au seuil d'une catastrophe constructive. En effet, de nombreuses manifestations indiqueraient la possibilité d'associer - pour la première fois dans l'histoire de l'humanité - la technologie disponible pour la production d'aliments et de connaissances, au monde digital et à nos ressources matérielles finies. Et ce, de manière à parvenir à une qualité de vie digne pour tous les habitants de l'ensemble de nos sociétés. Pour ce faire, il nous faut, peut-être, rester plus ouverts à nous écouter l'un l'autre et nous laisser imprégner par les idées qui se sont incarnées en pratiques sociales aux quatre coins de notre petite et unique planète bleue!





3 - Initiatives et innovations

Les principales initiatives présentes à Findhorn et porteuses du germe de la nouvelle économie ont montré que dans la construction du nouveau paradigme économique:

- il est nécessaire et possible de couper les liens forcés entre travail et activité productive, entre salaire et reconnaissance sociale, entre bénévolat et travail sans rémunération ;
- il est nécessaire et possible de rendre visible le travail de la femme, en même temps qu'essayer d'aboutir à l'égalité de conditions entre femmes et hommes ;
- il est nécessaire et possible de réorienter le travail associé à l'argent et à la production qui sort de la communauté vers un travail et une production dirigés vers les membres de cette communauté;
- il est nécessaire et possible de réorienter la production d'une région à son propre développement ;
- il est nécessaire et possible de transformer les valeurs de rareté d'organisation/rapports interpersonnels en abondance des liens et des échanges;
- il est nécessaire et possible de reconnaître le rôle de la femme comme un rôle central dans la maison et dans la communauté ;
- il est nécessaire et possible de transformer la circulation de l'argent rare, ajusté à la survie, en argent abondant, suffisant et de gestion publique et transparente ;
- il est nécessaire et possible de remplacer les systèmes de contrôle sophistiqués par des systèmes de contrôle simples opérés par des gens simples.

Les innovations les plus importantes détectées dans les différents chantiers du PSES, qui sont en cours de perfectionnement et qui ont démontré une raisonnable capacité de transfert à d'autres contextes, ont été :

- Les expériences de monnaie sociale, systèmes LETS et les banques du temps,
- Les initiatives de finances solidaires : le microcrédit comme pratique paradigmatique;
- Le budget participatif : des expériences de diffusion de cas, discussion, préparation de processus ; projets préparatoires ;
- Les expériences de co-gestion en politiques publiques (Réseaux PPGA ; réseaux de planification participative et gestion associée) ;
- Les projets de visibilisation et reconnaissance de la participation de la femme ;
- Les projets d'éducation permanente pour le développement durable ;
- Les expériences de recherche de nouvelles formes de production collective, éthique et durable ;
- Le rapprochement d'expériences de Commerce Equitable à d'autres initiatives de l'économie solidaire;
- L'intégration de stratégies de Consommation Ethique à différentes formes de monnaie sociale, production collective, éthique et responsable et de finances solidaires ;
- L'articulation avec des réseaux existants et des mouvements sociaux qui impliquent les secteurs moins favorisés.











4 - Propositions

Celles-ci ont été divisées en deux grands groupes d'importance similaire: celles destinées à diffuser et à approfondir les activités en cours (propositions 1 à 9) et celles dirigées à discuter et à mettre en marche de nouveaux projets (10 - 13). Dans les deux cas il s'agit -explicitement- de ne pas tomber dans la situation délicate d'une "pensée unique" ou de la "meilleure alternative", comme le font certaines expériences réussies, mais à chercher l'inspiration dans les expériences locales, qui possèdent un "savoir" des pratiques, acquis par les acteurs eux-mêmes et qui constitue la condition même de la croissance et la durabilité de celles-ci.
1. Identifier et diffuser les différents types d'expériences d'échanges non-monétaires vers d'autres formes d'économie solidaire et l'ensemble de la société, comparant des indicateurs spécifiques pour chaque cas de figure: troc, troc avec monnaie sociale, crédits mutuels, banques de temps. Souligner les forces et les faiblesses de chaque modèle, caractériser les différents contextes d'application.
2. Etudier en profondeur les modèles d'utilisation de monnaie sociale, de manière à comprendre la logique de leur évolution, leurs limites et possibilités pour avancer vers la construction d'une économie solidaire qui utilise les atouts de cet instrument, sans tomber dans la tentation de la centralisation prématurée. Cultiver le local global : promouvoir des expériences locales, orientées à développer les ressources locales, l'"empowerment" des individus et des jeunes organisations qui, à moyen terme, contribuent à la durabilité des processus; cultiver les rapports des situations locales avec les situations globales, présentes et passées, pour mieux comprendre le processus de globalisation.
3. Créer à partir du PSES une instance d'observation permanente pour suivre la bonne marche des systèmes. Construire une communication en réseau entre les différentes expériences existantes, en particulier en Amérique Latine, de façon à utiliser leurs avantages et éviter les disfonctionnements observés dans les premiers modèles.
4. Mettre en marche un système de formation continue au sein des systèmes locaux, de manière à maintenir ouverte une ligne de diffusion entre les différentes expériences, aussi bien à l'intérieur de chaque initiative que dans l'établissement de nouvelles alliances stratégiques.
5. Intégrer la production collective, la commercialisation juste (avec de la monnaie sociale) et la consommation éthique aux programmes de formation. Renouveler les façons de résoudre la tension existant entre le "désir individuel", insatisfait par manque de consommation, et la "pulsion" pour la construction d'un modèle social transformateur: tendre à cultiver simultanément les capacités d'entreprendre, d'être solidaire et d'être responsable du bien commun (capacité politique).
6. Rendre visible et valoriser le rôle de la femme dans les activités des différentes formes d'économie solidaire, dans la construction de réseaux sociaux, de la maison à la communauté.
7. Remettre en question le bénévolat et l'inscrire dans la nouvelle conception d'une économie solidaire d'abondance, dans laquelle la création de monnaie sociale en suffisance serait possible et la rémunération juste pour toutes sortes d'activités. Lancer des initiatives qui tendent à trouver une solution au phénomène chronique de la "rotation pour cause d'épuisement" du volontariat.
8. Intégrer des formes "micro" d'économie solidaire à des formes "meso" de réseaux pré-existants. Identifier des expériences locales et construire des processus graduels de mises en marche de solutions novatrices, de manière à les rendre propres à chaque communauté et durable dans le temps.
9. Utiliser les sites web existants et les listes de courrier pour réaliser le suivi des projets d'intérêt commun: www.redlases.org.ar, rgses@yahoo.egroups.com, http://money.socioeco.org, www.redesolidaria.org.br, www.economiasolidaria.net entre autres. Eviter les travaux en double et la dispersion des moyens. Organiser des rencontres et débats virtuels, avec de dates limites et publication des résultats plus importants.
10. Elaborer un projet de formation où se fasse la transmission d'expériences d'intérêt pour la construction de la SES. Élaborer des matériels pour le Programme d'Alphabétisation Economique, des fiches pour débutants et formateurs, des vidéos, des carnets d'exercices, des manuels recueillant les expériences novatrices et capables d'être transférées. Inclure de nouveaux thèmes de synthèse et synergie: " Le pouvoir du consommateur "; " Avantages de la production collective et durable " ; " Commerce Equitable local et Sud-Sud "; " Capital Social: indicateurs et formes de construction dans notre communauté " ; "Enquête-diagnostic: social, organisationnel, financier et culturel. Fiches de Socio-économie solidaire: clubs et réseaux de troc, LETs, SELS, Banques du Temps.
11. Utiliser le Développement Local comme espace d'insertion de la Socio-économie Solidaire. Identifier des expériences, faire des bilans d'intérêt pour la SES, évaluer les limites et possibilités. Suivi de projets : les réseaux de Développement Local Intégré et Durable.
12. Définir des projets d'échange académique entre universités pour installer dans l'agenda public et celui des gouvernements les thèmes de l'économie solidaire et les innovations en matière monétaire. Appuyer internationalement les gestions entre gouvernements de promotion d'expériences d'économie solidaire, utiles au développement local.
13. Approfondir la proposition d'une "Multinationale Civile" - système hybride de monnaie sociale et de monnaie officielle. Formuler des stratégies qui rendent viable l'utilisation du pouvoir du consommateur et l'argent du système pour renforcer l'économie solidaire. Créer un réseau serré de flux internes autour des trois étapes du processus économique : production - commercialisation - consommation. Créer des alliances stratégiques avec des secteurs productifs. Construire des exemples-démonstrations ("show cases") avec des études rigoureuses de leurs particularités historiques et culturelles, leurs réussites et surtout leurs difficultés respectives.



5 - Stratégies et acteurs

À partir des expériences analysées ci-dessus, nous croyons nécessaire de définir deux stratégies complémentaires pour la construction de la SES :
- celles de diffusion des expériences novatrices à haut potentiel de multiplication, à partir des critères locaux et particuliers de chaque contexte, qui ont été largement développés au cours du processus du PSES, et
- celles de promotion de nouvelles articulations, orientées à augmenter la variété et la qualité des initiatives, pour rendre l'entreprise de l'Alliance digne de la construction de la nouvelle économie de l'abondance.
C'est dans ce sens qui s'adresseront sûrement les efforts de tous les groupes du PSES et ceux de l'Alliance.
En ce qui concerne la participation des différents acteurs sociaux, le protagonisme des organisations de la société civile dans le développement de nombreuses initiatives novatrices, est apparu clairement jusqu'ici.
Il est aussi nécessaire de reconnaître l'effort et les bons résultats d'articulations (encore faibles) avec des organisations du secteur public, surtout au niveau des villes. Dans ce sens, l'expérience du budget participatif, au-delà de l'exemple du Brésil, commence à montrer dans quelle mesure la relation État/société civile - naturellement tendue - est possible, complexe et fertile. Il y a là sans doute un grand travail à faire de rapprochement des initiatives d'économie solidaire et des institutions du secteur public, avant d'arriver à des processus de co-gestion des politiques publiques. Les Réseaux de Planification Participative et Gestion Associée (Réseaux PPGA), développés dans plusieurs pays d'Amérique Latine, représentent des initiatives à croissance lente qui rendent durable des processus qu'on peut incorporer par la suite à des projets plus ambitieux, comme le budget participatif ou des Réseaux d'Economie Solidaire.
Le grand absent des initiatives de la Socio-économie Solidaire reste toujours l'entreprise : même celles qui se sont ouvertes à la notion de responsabilité sociale, continuent à jouer un rôle minime et, en quelque sorte, traditionnel. C'est aussi dans ce sens que s'oriente le Programme d'Alphabétisation Économique, cité dans le texte de lancement du forum électronique, qui s'oriente vers une nouvelle interprétation des capacités d'initiative, d'être solidaire et d'être responsable du bien commun, pour dépasser l'antagonisme entre l'État et la société civile et celui entre la société civile et le Marché. Le temps est sans doute venu de penser plutôt à des complémentarités et à rendre l'unité perdue aux hommes et aux femmes d'aujourd'hui et de demain en harmonie avec le reste de la planète..
Nous espérons avoir contribuer à la socialisation des discussions qui ont eu lieu depuis un an et qui continueront à l'extérieur et à l'intérieur du PSES. Nous attendons vos commentaires, critiques et contributions.

Le temps nous est compté, celui pour construire ce monde que nous souhaitons légué à nous enfants. Discutons, bien sûr, nos idées, nos différences, nos inerties, mais surtout n'oublions pas l'engagement que nous avons vis-à-vis de la construction de ce monde que nous voulons rendre responsable, pluriel et solidaire.

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