DEUXIÈME PARTIE : LE TEXTE DE LA SEPTANTE ET SES PROBLÈMES
CHAPITRE IV : LE TEXTE DE LA SEPTANTE
Sur le plan de la critique textuelle et, plus encore, de l'histoire du
texte, l'étude de la Bible grecque pose des problèmes qu'on ne rencontre pas pour
d'autres oeuvres de l'Antiquité. Rien ne garantit que tous nos témoins
proviennent d'un archétype. Depuis les travaux de P. A. de Lagarde, on
s'accorde - sauf exceptions -sur l'existence d'une « proto-LXX », c'est-à-dire
d'un original unique, dont dériveraient tous nos manuscrits. Cependant, la
complexité des données manuscrites en rend la reconstitution délicate.
Il est certain que la LXX, une fois composée, a subi des remaniements. Ainsi,
l'histoire du texte grec n'est pas seulement faite d'altérations naturelles
mais aussi d'interventions volontaires. Cet «arbre» produit des rameaux, mais
on pratique également sur lui des greffes. Dès avant l'ère chrétienne et
surtout après celle-ci, des lettrés juifs remanient le texte de la vieille LXX
pour le conformer à celui de l'hébreu. On les désignera sous le nom de
«réviseurs» (les mieux connus sont Aquila, Symmaque et Théodotion). Quand elle
passe en des mains chrétiennes, la LXX manifeste une diversité de formes. Aux
iiie et ive siècles, les chrétiens s'efforcent de mettre de l'ordre dans cette
confusion textuelle et retiennent, pour chaque livre, les exemplaires qu'ils
estiment authentiques. Ce faisant, ils contribuent aussi au remaniement du
texte. On parlera, à leur propos, de « recensions » (les plus importantes sont
celles d'Origène et de Lucien).
Une telle «création continuée » rend difficile l'identification de la vieille
LXX, également nommée «Vieux Grec» par la critique contemporaine. Sur le plan
textuel, les éléments secondaires ne sont pourtant pas des scories qui
masqueraient l'essentiel. Ils témoignent de l'activité exégétique à l'oeuvre
dans la communauté où la LXX s'est d'abord transmise : « Il se peut que la
critique textuelle de la Bible grecque ait plus de services à rendre à
l'histoire de l'exégèse rabbinique qu'à attendre de celle-ci » (D. Barthélemy,
« Prise de position », Études, p. 268).
Éditions modernes de la LXX. A. RAHLFS, Septuaginta, id est Vetus
Testamentuni Graece iuxta LXX interpretes, Stuttgart, 1935, 2 t. (rééd. en 1
vol.).
A. E. BROOKE, N. McLEAN et (à partir des derniers livres historiques) H. St J.
THACKERAY, The Old Testament in Greek according to the Text ot"Codex
Vaticanus Supplementedfrom Other Uncial Manuscripts, with a Critical Apparatus
Containing the Variants of the Chief Ancient Authorities for the Text of the
Septuagint, Cambridge, 1906-1940, 9 vol. parus : Gn, Ex-Lv, Nb-Dt,
Jos-Jg-Rt, 1-2 R, 3-4 R, 1-2 Par, 1-2 Esd, Est-JdtTb. La collection est
définitivement interrompue.
Septuaginta. Vetus Testamentum Graecum Aactoritate Academiae Scientiarum
Göttingensis editum, Göttingen, 1931- , 20 vol. parus ; Gn (1974, J. W.
WEVERS, collab. U. QUAST), Lv (1986, J. W. WEVERS, collab. U. QUAST), Nb (1982,
J. W. WEVERS, collab. U. QUAST), Dt (1977, J. W. WEVERS, collab. U. QUAST), 1
Esd (1974, R. HANHART), Est (1966, R. HANHART), Jdt (1979, R. HANHART), Tb
(1983, R. HANHART), 1 M (1936, 19672 W. KAPPLER), 2 M (1959, 19762,
W. KAPPLER, R. HANHART), 3 M (1960, 19802, R. HANHART), Ps et Odes
(1931, 19793, A. RAHLFS), Jb (1982, J. ZIEGLER), Sg (1962, 19802,
J. ZIEGLER), Si (1965, 19802, J. ZIEGLER), XII (1943, 19672,
J. ZIEGLER), Is (1939, 19672, J. ZIEGLER), Jr-Ba-Lm-Lettre de
Jérémie (1957, 19762, J. ZIEGLER), Ez (1952, J. ZIEGLER, 19772,
J. ZIEGLER, suppl. D. FRANKEL), Suz-Dn-Bel (1954, J ZIEGLER). A paraître Ex
(1989, J.W. WEVERS, collab. U. QUAST), 2 Esd (1990, R. HANHART).
Ainsi cinq livres de la LXX ne sont édités ni dans la collection de Cambridge
ni, pour l'instant, dans celle de Göttingen : 4 Maccabées, Cantique des
cantiques, Ecclésiaste, Proverbes, Psaumes de Salomon.
Les données textuelles doivent être réparties en deux groupes : les témoins directs et indirects. Les premiers sont les manuscrits grecs de la LXX. Les seconds comprennent les traductions de celle-ci (les « versions filles ») ainsi que ses citations par les auteurs anciens.
Par commodité, on les répartit en trois catégories : les papyrus, les
manuscrits en onciale, les manuscrits en minuscule. Une telle énumération
correspond - mais approximativement - à une succession chronologique. Elle
s'étend depuis le w siècle avant notre ère jusqu'à la Renaissance. Les témoins
les plus importants sont édités. C'est le cas de tous les papyrus - avec un retard
parfois considérable par rapport à la date de leur découverte -, de la plupart
des manuscrits en onciale et de certains manuscrits en minuscule.
Depuis le xviiie siècle, les éditeurs de la LXX ont utilisé différents systèmes
de notation. Si les manuscrits en onciale ont toujours été désignés par des
majuscules latines, en revanche l'édition anglaise recourt aux minuscules
latines pour les manuscrits en minuscule (de a à z, puis a2, b2,
c2, d2, e2, f2), tandis que celle
de Göttingen les affecte de numéros. Les papyrus sont aussi désignés par des
numéros. A. Rahlfs (Verzeichnis, p. 335-337) et S. Jellicoe (The
Septuagint, p. 360-361) proposent des tables de correspondance entre
les deux systèmes.
Traditionnellement précédée de « R » (=Rahlfs), la numérotation adoptée par
l'édition de Göttingen obéit aux principes suivants :
- de 1 à 311 : manuscrits en minuscule
collationnés par R. Holmes et J. Parsons (voir infra, p. 194-195) ; pour
éviter les confusions A. Rahlfs a conservé leur cote ;
- de 312 à 799 : manuscrits en minuscule portant sur d'autres livres que le Psautier
;
- numéros 800 et suivants : papyrus et quelques fragments de manuscrits en
onciale ;
- numéros 900 et suivants : autres papyrus et autres fragments de
codices antérieurs au viiie siècle ;
- à partir de 1001 : manuscrits du Psautier ;
- à partir de 2001 : témoins les plus anciens du Psautier.
De la sorte, on distingue facilement les manuscrits du Psautier de ceux des autres livres, les témoins les plus anciens (les séries 800- , 900-, 2001- ) des manuscrits récents.
2. Les papyrus et les rouleaux de cuir
Ils proviennent de Palestine et surtout d'Égypte. Les plus anciens sont les suivants :
- le P. Rylands gr. 458 (= R 957) est très
lacunaire ; il donne environ 20 versets de Deutéronome 23-28. Il date de la
première moitié du iie siècle avant notre ère. Ce témoin
- le plus ancien que nous possédions - a été « écrit à peine un siècle après la
date à laquelle on commença, à Alexandrie, la version de la Septante » (J. van
Haelst, p. 45).
- le P. Fouad, Inv. 266 offre des fragments du Pentateuque (extraits de Gn 7 et
38 = R 942, de Dt 11 et 31-33 = R 847 et de Dt 17-33 = R 848). R 942 et R 848
datent des années 50 avant notre ère ; R 847 est légèrement postérieur.
- Les fragments de Qumrân sont antérieurs à l'ère chrétienne, sauf peut-être le
dernier. Q désigne Qumrân. Le chiffre initial indique le numéro de la grotte,
l'abréviation qui suit désigne le livre biblique. Lorsque le fragment est
identifié à un texte de la LXX, sa cote porte la mention « LXX ». Ainsi, 4QLXX
Ex = LXX, mais 4Q Ex = hébreu. On reproduit ci-dessous les abréviations
adoptées par les éditeurs des Discoveries in the Judaean Desert
(Oxford).
- 4QLXX Deut = R 819 (Dt 11, 4), iie siècle avant notre ère ;
- 4QLXX LeVa = R 801 (Lv 26, 2-16), fin du iie siècle avant notre ère (C. H.
Roberts cité par P. Kahle, The Cairo Geniza, Oxford, 19591, p. 223), 1er
siècle de notre ère (P. W. Skehan) ;
- 7QILXX Ex = R 805 (Ex 28, 4-7), environ 100 avant notre ère ; ce texte
s'écarte de la LXX et manifeste une révision selon l'hébreu (J. W. Wevers,
«Septuaginta Forschungen... », p. 47) ;
- 7Q2 = R 804 (Lettre de Jérémie 6, 43-44), même date ; texte proche de la
forme lucianique (J. W. Wevers, « Septuaginta Forschungen... », p. 62) ;
- 4QLXX Levb = R 802 (Lv 2-5, lacunaire), 1er siècle
avant notre ère ;
- 4QLXX Num = R 803 (Nb 3, 30-4,14, lacunaire). Même date. Sur le remaniement
éventuellement présent de ce texte, voir p. 157.
- 8HevXIIgr. (grotte de Nahal Hever) = R 943 (fragments des XII), 50 avant-50
après notre ère ; texte révisé selon l'hébreu (révision kaigé, voir infra,
p. 159 sq.).
Il existe de nombreux autres fragments découverts à Qumrân (surtout pour les
livres des Règnes, d'Isaïe et de Jérémie). Depuis leur découverte en 1947 ils
ne sont toujours pas intégralement publiés.
Les autres papyrus sont plus tardifs mais, à partir du iie siècle après notre ère, plus complets. On signalera par exemple :
- P. Oxyr. 3522 (Jb 42, 11-12), 1er
siècle après notre ère, pas encore numéroté à Göttingen ; « Premier témoin de
la plus ancienne forme, courte, de la traduction grecque de Job » (P.
-M. Bogaert, « Les études... », p. 177) ;
- P. Bodmer 24 = R 2110 (Ps 17-118 avec trois lacunes mineures), deuxième
moitié du iie siècle (C. H. Roberts cité par D. Barthélemy) ou iiie-ive siècle
selon ses éditeurs ;
- P. Chester Beatty VI = R 963 (Nb et Dt lacunaires), iie ou début du
iiie siècle ; « Le plus ancien manuscrit biblique d'une certaine
ampleur» (J. van Haelst, p. 42).
Le P. Chester Beatty IV ( = R 96 1) contient seulement quelques versets de
la Genèse. Or, on le considère comme à peine antérieur au Vaticanus. Ainsi, les
plus anciens manuscrits en onciale offrent parfois un texte complet, contemporain
de papyrus très lacunaires.
Bibliographie. K. ALAND, Repertorium der griechischen
christlichen Papyri. I Biblische Papyri. AT, NT, Varia, Apokryphen, Berlin,
New York, 1976. - Z. ALY, L. KOENEN, Three Rolls of the Early Septuagint,
Genesis and Deuteronomy. A Photographic Edition, PTA 27, Bonn, 1980. - D.
BARTHÉLEMY, «Le Psautier grec et le Papyrus Bodmer XXIV », 1969, Études, p.
174-178. - J. O'CALLAGHAN, «Lista de los papiros de los LXX », Bi 56,
1975, p. 74-93. - A. PIETERSMA, Chester Beatty Biblical Papyri IV and V, Toronto,
Sarasota, 1977. - P. W. SKEHAN, «The Qumran Manuscripts and Textual Criticism »,
Volume du Congrès de Strasbourg, 1956, VTSuppl. 4, Leyde, 1957, p. 148-160.
- E. C. ULRICH, « The Greek Manuscripts of the Pentateuch from Qumrân, Including
Newly-Identified Fragments of Deuteronomy (4QLXX Deut) », Studies Wevers, p.
71-82. - J. VAN HAELST, Catalogue des papyrus littéraires juifs et
chrétiens, Paris, 1976.
Les plus anciens sont copiés au ive siècle, les plus récents au xe siècle.
Le codex Vaticanus (= B), du ive siècle, contient un texte
presque complet de la LXX et du NT. Pour la première les lacunes sont les
suivantes : Genèse 1-46, 28, quelques versets de 2 Règnes, Psaumes 105-137. Le
codex ne contenait pas 1-4 Maccabées. B fournit un texte d'une grande qualité.
Les corruptions et l'influence des recensions y sont rares : B offre
généralement un texte préhexaplaire (voir infra p. 167). Cependant, en
Deutéronome, Paralipomènes, 2 Esdras, il contient un texte de moindre
valeur. Dans les Juges et souvent dans les Règnes, B est touché
par la révision kaigé, en Isaïe par la recension origénienne.
Pour Daniel, il présente la version de Théodotion et non la LXX.
En Job il atteste les ajouts empruntés à Théodotion. Le manuscrit semble
provenir d'Alexandrie : l'ordre des livres correspond à la liste d'Athanase
(voir p. 322).
Le codex Sinaiticus (= S, auparavant x), du ive siècle, fut découvert au
monastère Sainte-Catherine du Sinaï et édité au milieu du xixe siècle par A. F.
C. von Tischendorf. Complet pour le NT, il contient un texte lacunaire de VAT.
En particulier le Pentateuque n'est presque pas conservé. Quelques folios en
ont été retrouvés en 1975 dans une cache du monastère Sainte-Catherine.
Actuellement, ils ne sont encore que partiellement édités. S présente un texte
généralement apparenté à celui de B, sauf en Tobit où il atteste une
forme très distincte. S est souvent recensé. Son orthographe est peu soignée.
Ce codex aurait été corrigé d'après un manuscrit lui-même corrigé par Pamphile
sur le propre exemplaire d'Origène (colophons de 2 Esdras et d'Esther).
En dépit de cela, S a depuis sa découverte perdu de son importance. Une origine
alexandrine parait vraisemblable.
Le codex Alexandrinus (= A), copié au ve siècle, est moins lacunaire que
les deux précédents. Seuls manquent certains versets de la Genèse, deux
chapitres de 1 Règnes et les Psaumes 99-129. L'Alexandrinus contient
les 4 livres des Maccabées. On a défini A comme un témoin de la
recension hésychienne ou origénienne. En fait, son texte est éclectique : il
est fortement marqué par la recension origénienne dans les premiers livres
prophétiques. Dans les Psaumes et Job il atteste la recension
lucianique (voir infra p. 168). Il présente dans la Genèse un
texte de mauvaise qualité mais conserve ailleurs une forme souvent très
ancienne. Cela apparaît mieux depuis qu'on a constaté les accords
caractéristiques entre A et le P. Rylands gr. 458. A contient de
nombreuses additions ainsi que des harmonisations. Le codex a sans doute été
composé à Alexandrie, mais il intègre des données textuelles propres à la
Palestine et à la Syrie.
Le codex Colberto-Sarravianus (=G), copié au iv-ve siècle, contient un
texte lacunaire de l'octateuque (Ruth fait défaut). Seul avec le
manuscrit en minuscule Chisianus R VII 45 (= R 88), G conserve en grec
de nombreux signes critiques. Néanmoins, ils sont souvent placés de façon
fautive. Ainsi, cent cinquante ans environ après l'édition critique d'Origène
(voir infra p. 165), les témoins de celle-ci manifestent déjà des
erreurs dans la disposition des astérisques et des obèles.
Le codex Coislinianus (= M), copié au vie siècle, contient un Octateuque
lacunaire (le Dt est complet). Son intérêt réside en particulier dans ses notes
marginales (leçons des réviseurs juifs et signes critiques de la recension
origénienne).
Le codex Marchalianus (= Q), copié en Égypte au vie siècle, présente un
texte intégral des Grands et des Petits Prophètes. Son importance
est triple. D'abord, malgré quelques influences secondaires, Q offre selon les
livres des formes textuelles distinctes mais relativement pures. Ainsi, le
codex est pour Isaïe le meilleur témoin de la LXX ancienne. En Ézéchiel
il atteste fidèlement la recension origénienne. Ensuite Q contient dans sa
marge des variantes anonymes. Elles correspondent très régulièrement à la
recension lucianique. Q contribue à en établir le texte. Enfin Q signale
fréquemment dans sa marge les leçons des réviseurs juifs ainsi que de nombreux
signes critiques empruntés à la recension origénienne. A plusieurs égards, Q se
présente donc comme un témoin de première valeur.
On conserve une trentaine de manuscrits en onciale de la LXX. On a signalé les
trois plus anciens ainsi que les trois autres qui offrent le plus de
renseignements sur le remaniement du texte dans l'Antiquité. Pour les
manuscrits en onciale (mais aussi en minuscule), le catalogue de A. Rahlfs,
quoique édité en 1914, demeure un instrument de travail irremplaçable.
Bibliographie. S. JELLICOE, The Septuagint, p. 175-215.
- F. G. KENYON, The Texi of the Greek Bible, Londres, 19753.
- B. M. METZGER, Manuscripts. - H. J. M. MILNE, T. C. SKEAT, Scribes
and Correctors of the Codex Sinaiticus, Londres, 1938. - A. RAHLFS, Verzeichnis,
passim. - H. B. SWETE, Introduction, p. 122-148.
4. Les manuscrits en minuscule
On en possède environ 1600, copiés entre le ixe et le xvie siècle. Leur intérêt, très inégal, tient à deux éléments. D'abord, même copiés à date tardive, ils conservent parfois des éléments textuels très anciens. Il en est ainsi de b,o,c2,e2, (= R 19+ 108, 82, 127, 93) pour les Règnes, de R 319 (daté de 1021) pour Tobit : seul avec le Sinaiticus, ce dernier manuscrit présente en grec la forme textuelle ancienne, alors que des témoins bien plus anciens attestent la forme secondaire. Ensuite, les manuscrits en minuscule sont souvent dotés de gloses marginales. Elles constituent une précieuse source d'informations sur les révisions juives. Pour la Genèse un manuscrit du xve siècle, le Scorialensis Y II 5 (= R 376), est souvent seul à restituer des fragments de leur texte.
Entre le iie et le xe siècle de notre ère, la LXX a été traduite en
diverses langues, orientales et occidentales (entre autres en copte, syriaque,
arménien, géorgien, éthiopien, arabe, latin, gothique et vieux slave). Sur
l'histoire de ces traductions, on se reportera aux pages 330-334. « Comme
certaines de ces versions ont été traduites de la LXX à une époque antérieure à
nos grands manuscrits les plus anciens, leur témoignage possède a priori une
grande valeur » (J. W. Wevers, « Die Methode », Das Göttinger, p. 14).
Parfois transmises dans des communautés qui ignoraient le grec, elles peuvent
présenter un texte « conservateur». Ainsi, elles fournissent latéralement un
témoignage précieux sur l'original grec. Pourtant, la prudence s'impose : les
manuscrits de ces versions sont tardifs ; en outre, plusieurs de ces
traductions ont elles-mêmes une histoire textuelle complexe ; enfin, on ignore
parfois avec quelle fidélité la LXX a été traduite.
La Peshitta. Cette version syriaque particulièrement ancienne a été
directement traduite de l'hébreu. Néanmoins, pour les livres deutérocanoniques,
elle repose sur la LXX.
Bibliographie. M. J. MULDER, « The Use of the Peshirta in Textual
Criticism », La Septuaginta, p. 37-53.
La Syro-Hexaplaire. En 616/617 Paul de Tella traduisit en syriaque
l'édition de la LXX établie par Origène. Du fait de sa littéralité, cette
version est de première importance pour la connaissance du texte origénien.
Comme celui-ci a été mal transmis en grec, la version syriaque fournit le
meilleur appui pour le restituer. La SyroHexaplaire conserve en général les
signes critiques utilisés par Origène. A la différence des manuscrits grecs,
elle les atteste - sauf exceptions - à leur place légitime. Dans sa marge, elle
contient en syriaque - mais souvent aussi en grec - de nombreuses leçons des
réviseurs juifs. On conserve partiellement cette traduction dans un manuscrit du
viiie siècle édité par A. M. Ceriani.
Bibliographie. W. BAARS, New Syro-Hexaplaric Texts,
Edited, Commented upon and Compared with the Septuagint, Leyde, 1968. -
A. M. CERIANI, Codex syrohexaplaris Ambrosianus photographiée editus.
Monumenta Sacra et Profana, VII, Milan, 1874. - C. T. FRITSCH, «The
Treatment of the Hexaplaric Signs in the Syro-Hexaplar of Proverbs», JBL
72, 1953, p. 169-181 (S. JELLICOE, Studies, p. 356-368). - R. G. JENKINS,
«The Syriac Versions of Isaiah», La Septuaginta, p. 199-212. - A.
VÖÖBuS, The Pentaieuch in the Version of the Syro-Hexapla. A
Facsimile-Edition of a Midyat Ms Discovered in 1964, CSCO 369, Louvain,
1975 ; The Book of Isaiah in the Version Of the Syro-Hexapla. A
Facsimile-Edition of Ms St Mark 1 in Jerusalem with an Introduction, CSCO 449,
Louvain, 1983.
Les versions coptes. Leur caractère n'est ni clair ni constant. La
version bohaïrique introduit des « plus » facilitant la compréhension (J.
Ziegler, Daniel Gö, p. 38). Au lieu de traduire, elle transcrit souvent
en copte un synonyme grec, plus courant que le terme présent dans la LXX (J.
Ziegler, Sapientia Gö, p. 27). La version saïdique semble
s'adresser à un public peu cultivé (W. C. Till, cité par J. Ziegler, ibid., p.
26). Pourtant, elle transcrit souvent des termes grecs (J. Ziegler, Job Gö,
p. 44). La traduction du Pentateuque en bohaïrique est assez littérale (M.
K. H. Peters).
Le modèle grec des traductions coptes n'est pas homogène : pour Job la
version saïdique reflète un texte bref que seuls attestent le P. Oxyr. 3522
ainsi que des citations latines. La version bohaïrique et, plus encore, la
version saïdique s'apparentent souvent aux textes des grands onciaux. Cependant
elles reposent parfois sur un modèle grec révisé : pour les XII les versions saïdique
et achmimique traduisent un texte de type kaigé (D. Barthélemy, Devanciers,
p. 228-238).
Bibliographie. M. K. H. PETERS, «The Use of Coptic for
Textual Criticism of the Septuagint», La Septuaginta, p. 55-66.
La version éthiopienne est importante car « elle se fonde sur un texte
antérieur ou extérieur à la recension hexaplaire » (J. W. Wevers, Genesis Gö,
p. 44). L'éthiopien atteste parfois le texte original de la LXX (J.
Ziegler, Sirach Gö, p. 32). Pourtant, le traducteur rend très
librement son modèle. L'utilisation de cette version comme témoin du grec
appelle donc la prudence. L'éthiopien ne peut être distinctement identifié à un
type textuel de la LXX (J. Ziegler, Ezechiel Gö, p. 18-19) sauf dans les
livres historiques où il s'apparente au groupe du Vaticanus (R. Hanhart,
I Esdras Gô, p. 19).
La version arménienne traduit assez librement, parfois «presso pede» (H.
Herkenne, cité par J. Ziegler, Sirach Gö, p. 37). Pour le Pentateuque,
J. W. Wevers ne retient pas ses leçons isolées. En Dt elle atteste, selon C.
Cox, un original de type byzantin, fortement marqué par la recension
hexaplaire. Il en va de même pour la plupart des livres, sauf certains Prophètes
où le modèle est lucianique (J. Ziegler, Dodekapropheton Gö, p. 8
1).
Bibliographie. S. P. COWE, «The Armenian Version of
Ruth and its Textual Affinities », La Septuaginta, p. 183-197 - C.
Cox, The Armenian Translation Of Deuteronomy, Chico, Californie, 1981 ;
«The Use of the Armenian Version for the Textual Criticism of the Septuagint», La
Septuaginta, p. 25-35.
La version géorgienne. Elle fournit un témoignage très indirect. Elle
n'est pas traduite du grec mais de l'arménien. Elle manifeste seulement
l'empreinte de la LXX. Les éditeurs de Göttingen n'ont pas recours à cette
version.
Les versions arabes. Bon nombre d'entre elles doivent être écartées car
elles sont traduites de l'hébreu ou du copte. Toutefois, il existe pour le
Pentateuque une version arabe qui rend librement le grec avec une tendance à
l'abrègement (J. W. Wevers, Genesis Gö, p. 45). La traduction arabe est
littérale pour les Prophètes (J. Ziegler, Daniel Gö, p. 42) et
les livres sapientiaux (J. Ziegler, Sapientia Gö, p. 31). Le substrat
grec de la version arabe est apparenté à l'Alexandrinus ou à son modèle,
encore préservé des influences hexaplaires (J. Ziegler, Ezechiel Gö, p.
20).
La vieille latine. Les recherches récentes ne cessent de confirmer son
importance.
Intérêt lié à l'ancienneté : la traduction latine est attestée en Afrique
avant 250. Cyprien, qui s'en inspire, en fournit de nombreuses citations. Son A
Quirinus (248-249), encore nommé Testimonia, est une anthologie,
tirée d'une Bible latine presque complète. Cyprien y cite 480 versets de la
vieille latine. Nos manuscrits de cette version sont souvent bien postérieurs,
mais « il arrive que des livres entiers aient traversé les siècles sans
remaniement radical, conservant un texte proche de Cyprien » (J. Gribomont, p.
49). On désigne par R la plus vieille recension africaine. Les recensions
européennes sont postérieures. En Italie coexistent deux tendances opposées :
l'une consiste à modifier le texte d'après le grec - c'est le cas d'Ambroise -,
l'autre à le conserver intact. Malgré sa parfaite connaissance des travaux
d'Origène, Rufin est soucieux de ne pas altérer le texte latin dont les
croyants italiens sont familiers. Cependant, une diversité textuelle apparaît
vite en Italie : la version africaine est contaminée par ses recensions
européennes. Les spécialistes du Vetus Latina-Institut de Beuron sont convaincus
que les recensions européennes et la Bible africaine dérivent de la même
version primitive. Quant aux éditeurs de Göttigen, ils distinguent des « types
textuels » de la Vetus Latina plutôt que des Veteres Latinae indépendantes
les unes des autres. Les manuscrits les plus importants sont les suivants : le
codex Lyon B. Mun. 403 offre le texte des sept premiers livres. Copié
dans la région lyonnaise vers la fin du vit siècle, le manuscrit représente
notre meilleure source pour cet ensemble de livres. Le Palimpseste de
Wurzbourg (vie siècle), les Manuscrits de Constance (ve siècle) et de
Saint-Gall (ixe siècle), conservent, de façon fragmentaire, les Grands et
les Petits Prophètes. La Vulgate de Jérôme n'élimine donc pas entièrement
la tradition textuelle de la vieille latine.
Intérêt lié au modèle grec de la traduction latine : ce modèle
s'apparente à nos meilleurs témoins de la LXX (J. Ziegler, Dodekapropheton Gö,
p. 16 ; Daniel Gö, p. 46). Pour de nombreux livres, la vieille latine
repose sur un texte « lucianique », en fait très ancien (voir p. 170). «Il est
difficile de dire si ces leçons viennent de Syrie ou si elles représentent un
texte commun au 1er siècle» (J. Gribomont, p. 44). Les exemples suivants
illustrent la valeur, sur le plan textuel, de la vieille latine :
- Pour Job elle atteste presque seule la
forme brève originale. « Les versions et les citations latines constituent plus
qu'une confirmation dans l'élaboration d'une histoire du texte grec de Job»
(P.-M. Bogaert, compte rendu de J. Ziegler, Job Gö, R ThL 14, 1983, p.
111).
- Elle restitue seule la disposition originale du Siracide, contre toute la
tradition directe et indirecte, touchée par la même erreur (J. Ziegler, Sirach
Gö, p. 27). Sur cette interversion, voir infra p. 179.
- Pour Esther elle est seule à proposer un type de texte perdu en grec.
- Dans certains livres la vieille latine présente des ajouts qui peuvent
remonter à un état du texte grec aujourd'hui disparu (J. Ziegler, Sirach Gö,
p. 27, Sapientia Gö, p. 24).
- La vieille latine manifeste de fréquents accords avec les fragments hébreux
ou grecs trouvés à Qumrân ; cela confirme l'ancienneté de son modèle grec.
Néanmoins, le texte latin a subi des recensions et présente une histoire textuelle
complexe. Le Vetus Latina-Institut de Beuron travaille à une édition critique
de cette version. Outre les Épîtres du NT, il a déjà publié 2 volumes de l'AT :
la Genèse (éd. B. Fischer, 1951) et la Sagesse de Salomon (éd. W.
Thiele, 1985). Isaïe parait par fascicules (éd. R. Gryson). Judith,
Esther et le Siracide suivront. Grâce aux travaux menés à Beuron et
à Louvain-la-Neuve, on voit combien « la vieille latine est un appoint précieux
dans la reconstitution de l'histoire des Septante» (P.-M. Bogaert).
Bibliographie. A. V. BILLEN, The Old Latin Texts of
the Heptateuch, Cambridge, 1927. - P. -M. BOGAERT, « Le témoignage de la
Vetus Latina dans l'étude de la tradition des Septante. Ézéchiel et Daniel dans
le papyrus 967 », Bi 59, 1978, p. 384-395. - J. CARMIGNAC, «Les
devanciers de S. Jérôme. Une traduction latine de la recension kaigé dans
le second Livre des Chroniques», Mélanges Barthélemy, p. 31-50. -B.
FISCHER, Verzeichnis der Sigel fùr Handschriften und Kirchenschrifisteller, Fribourgen-Brisgau,
19632 (réédition élargie par H. J. Frede, cité à la p. 141). - J.
GRIBOMONT, «Les plus anciennes traductions latines de la Bible», J. FONTAINE,
C. PIETRI, Le Monde latin antique et la Bible, Paris, 1985, p. 43-65. -
J. CI. HAELEWYCK, «Le texte dit -lucianique- d'Esther, Son étendue et sa
cohérence», Le Muséon 98, 1985, p. 5-44. - J. TREBOLLE, «Textos "kaige"
en la Velus Latina de Reyes (2 Re 10, 25-28) », RB 89,
1982, p. 198-209. - E. C. ULRICH, « Characteristics and Limitations of the Old
Latin Translation of the Septuagint», La Septuaginta, p. 67-80 ; «The
Old Latin Translation of the LXX and the Hebrew Scrolis from Qumran », E.
Tov (éd.), Actes 1980, p. 121-165.
Les versions gothique et vieux slave sont peu utilisées par les éditeurs
modernes ; elles reflètent généralement un modèle de type lucianique. Dans
certains cas, le substrat de la traduction gothique semble s'apparenter au
texte de l'Alexandrinus.
L'ancienneté de certains commentaires rend précieuses les citations qu'ils contiennent.
Mais ces sources indirectes présentent des inconvénients. Les textes sont
conservés dans des manuscrits souvent très postérieurs à leur composition :
écrites au iie siècle, les oeuvres de Justin sont attestées par un unique
manuscrit du xive siècle. En outre les copistes ont fréquemment corrigé les
citations bibliques incluses dans ces textes d'après la Bible en usage à leur
époque. Ce phénomène de récriture aboutit parfois à ceci : le lemme
scripturaire initial ne correspond plus au texte cité dans le développement et
l'argumentation devient dès lors énigmatique. Par ailleurs la frontière est
floue entre une citation et une allusion bibliques ; l'édition de Göttingen
rejette souvent, comme simple allusion, ce que celle de Cambridge donne pour une
citation. Enfin les Pères citent fréquemment de mémoire ou avec un scrupule
inégal : le même verset d'Ézéchiel (18, 23) est mentionné à huit
reprises par Clément d'Alexandrie sous une forme chaque fois différente (0.
Stählin, Clemens Alexandrinus und die Septuaginta, Nuremberg, 1901, p.
9, 69). On trouve chez Justin (Dialogue 31, 2-7) une longue citation de Daniel
7, 9-28 ; celle-ci s'accorde tantôt avec la LXX, tantôt avec la révision de
Théodotion. Il est tentant de voir dans ce texte l'échantillon d'une forme
chronologiquement intermédiaire ; or, dans cette citation, Justin mentionne Daniel
7, 13 d'après Théodotion (le Fils de l'Homme vient «au milieu des nuées », metà
ton nephelon) ; en revanche, en trois autres lieux, il adopte une autre
préposition, epanô, plus proche de la LXX, epi ton nephelon, «sur
les nuées» (cf. J. Ziegler, ad loc.).
En fait, Origène et Eusèbe citent avec précision et fournissent des données
solides. Au contraire, Jean Chrysostome et Théodoret recourent plus librement à
l'Écriture et l'adaptent à leur contexte. Pour le Psautier, les
citations patristiques sont, selon A. Rahlfs, «médiocres et incertaines» (Septuaginta-Studien,
II, p. 210). Un tel jugement paraît trop négatif. En effet les citations
patristiques permettent de localiser les types textuels de la LXX. Ainsi, le
témoignage des Pères antiochiens contribue à établir la forme
lucianique/antiochienne de la LXX. Grâce aux citations de Tertullien et de
Cyprien, on note l'empreinte de cette forme sur le texte occidental et africain
de la LXX, que ces écrivains latins y aient eu accès directement ou par le
truchement de la vieille latine. Le témoignage des Pères latins possède une
importance considérable dans la reconstitution de l'histoire du texte. Cyprien,
Priscillien, Lucifer de Cagliari ainsi que le Liber de divinis Scripturis fournissent
des éléments particulièrement précieux. Cette importance se confirme depuis
qu'on dispose des instruments critiques fournis par le Vetus Latina-Institut de
Beuron (en particulier la Verzeichnis des citateurs latins). Pour les
citations de Philon d'Alexandrie et de Flavius Josèphe, on se reportera aux p.
272 et 270.
Bibliographie. Voir les références données au chapitre
viii, p. 293. En outre : F. C. BURKITT, The Old Latin and the hala, Cambridge,
1896. - H. J. FREDE, Kirchenschrifsteller. Verzeichnis und Sigel, Fribourg-en-Brisgau,
1981 ; Aktualisierungsheft, 1984. - P. PRIGENT, Justin et l'Ancien
Testament, Paris, 1964. - J. W. WEVERS, «Die griechischen
Väter-Zitate », LXX Genesis, Göttingen, 1974, p. 29-30.
3. Les chaînes exégétiques grecques
Ces compilations d'extraits patristiques apparaissent, pour les plus
anciennes, au début du vie siècle (voir infra p. 303). L'immense majorité
d'entre elles attestent le texte byzantin de l'Écriture, abâtardi et normalisé.
Certaines chaînes, d'origine palestinienne, offrent un texte influencé par la
recension origénienne. Souvent les citations scripturaires, présentes dans les
extraits patristiques, n'ont pas été retouchées par les caténistes. Elles
contiennent, dans certains cas, des leçons précieuses. Les chaînes fournissent
également de nombreux renseignements sur les révisions juives.
Bibliographie. G. DORIVAL, Les Chaînes exégétiques
grecques sur les Psaumes. Contribution à l'étude d'une forme littéraire, t.
1, Louvain, 1986. - M. GEERARD, « Catenae», CPG 4, 1980, p. 185-259. -
G. KARO, H. LIETZMANN, «Catenarum graecarum catalogus », Nachrichten von der
königl. Gesellschaft der Wissenschaften zu Göttingen, phil.-hist. KI.,
1902, p. 1-66, 299-350, 559-620. - E. LINDL, Die Octateuchkatene des Procop
von Gaza und die Septuagintaforschung, Munich, 1902. - G. MERCATI, Alla
ricerca dei nomi degli «altri» traduttori nelle Omilie sui Salmi di San
Giovanni Crisostomo e variazioni su alcune catene del Salterio, ST
158, Rome, 1952. - F. PETIT, Catenae graecae in Genesim et in Exodum. I.
Catena sinaitica, Louvain, 1977.
II. LE REMANIEMENT DU TEXTE DANS L'ANTIQUITÉ : LES RÉVISIONS JUIVES
Les travaux consacrés à la LXX recourent au terme de « recension » à propos
d'Aquila, de Symmaque et de Théodotion aussi bien que d'Origène, de Lucien et
d'Hésychius. En fait, l'activité des premiers n'est pas comparable à celle des
seconds. Aussi parlera-t-on dans un cas de « révisions juives », dans l'autre
de « recensions chrétiennes ».
Au-delà de leur diversité, il existe une relative continuité entre les
révisions juives, au point qu'on doit probablement parler de « sur-révisions
». La LXX elle-même est une oeuvre juive, mais dès le début de notre ère
les Juifs ont maintes fois retravaillé une forme du texte. Celle-ci s'est ainsi
progressivement éloignée de l'original, auquel les réviseurs ne semblent plus
avoir recours. Il se crée de la sorte un dédoublement de la transmission : il y
a la LXX, telle que le christianisme naissant l'a trouvée et adoptée ; elle se
reproduit relativement correctement, à quelques gloses près. Cette adoption
suscite probablement, de la part des Juifs, un mouvement de repli : ils se réapproprient
la traduction en reprenant à leur compte une forme textuelle déjà révisée sur
l'hébreu avant même la polémique antichrétienne (texte de type kaigé,
voir infra p. 159) et en la retravaillant profondément. Malgré
l'imprécision désespérante pour l'historien des textes, le qualificatif de
hebraikà antigrapha («exemplaires hébreux») possède une grande pertinence.
Origène y a recours pour définir les textes grecs de la Bible utilisés par les
Juifs (Homélies sur les Nombres 18, 3, Lettre à Africanus, passim).
Il arrive fréquemment que les sources anciennes (gloses marginales des
manuscrits, citations patristiques) attribuent une même leçon à plusieurs
réviseurs. La critique moderne se défie légitimement de désignations telles que
hoi -y' (« les trois », i. e. réviseurs) ou hoi loipoi (« les
autres »). Sans doute s'agit-il souvent d'erreurs d'attribution, mais leur
nombre intrigue. E. Tov en a fourni une interprétation judicieuse : Aquila et
Symmaque remanient généralement un texte déjà révisé par le groupe kaigé-Théodotion
; quand ils n'y apportent pas de changement, la même leçon devient commune aux
trois. Cela n'implique pas, de leur part, une même initiative de traduction
mais un substrat textuel commun.
En prison à Rome, rabbi Akiba écrit à son disciple rabbi Siméon bar Yohai : «
Quand tu instruis ton fils, fais-le en te servant d'un texte corrigé » (TB
Pesahim Il 2a). Même s'il fait allusion à un texte hébreu, la remarque prouve
que les maîtres tannaïtes, si influents sui les réviseurs de la LXX, étaient
attentifs aux différences entre les états textuels de l'Écriture.
Bibliographie. M. GREENBERG, « The Stabilization of the Text
of the Hebrew Bible Reviewed in the Light of the Biblical Materials from the
Judaean Desert », JAOS 76, 1956, p. 157-167. - E. Tov, « The State
of the Question : Problems and Proposed Solutions », R. KRAFT (éd.), Actes
1972, p. 3-15.
Païen, originaire du Pont-Euxin, il vécut sous le règne d'Hadrien (117-138).
Les sources anciennes, juives et chrétiennes, s'accordent sur cette datation
assez vague et ajoutent parfois qu'Aquila était, directement ou par alliance,
parent de l'empereur. Il se convertit probablement d'abord au christianisme,
qu'il abandonna ensuite pour le judaïsme : le Talmud le définit comme un ger,
c'est-à-dire un prosélyte. Il apprit l'hébreu et se dota d'une culture
juive auprès des maîtres tannaïtes, en particulier rabbi Akiba (mort en 135)
dont il dépend manifestement (A. E. Silverstone, p. 36). Sa révision daterait,
selon Épiphane, des années 128-129. Peut-être doit-on situer son achèvement un
peu plus tard, ainsi que le suggère l'ampleur de la tâche et de ses préalables.
Faut-il identifier Aquila à Onkelos, considéré traditionnellement comme
l'auteur d'un Targum du Pentateuque ? Le débat est ancien et complexe. M.
Friedmann, A. E. Silverstone, D. Barthélemy et E. Schürer rév. (p. 496)
répondent par l'affirmative : la différence entre les noms tient à la
prononciation ; les deux oeuvres manifestent en commun des caractères
spécifiques et des partis pris identiques. L. J. Rabinowitz a émis un avis
opposé.
Bibliographie. D. BARTHÉLEMY, Devanciers, p. 152-153. -
M. FRIEDMANN, Onkelos und Akylas, Vienne, 1896. - L. I. RABINOWITZ,
« Onkelos and Aquila ». Encyclopaedia Judaica, Jérusalem, 1971, t.
XII, col. 1405-1406. - A. E. SILVERSTONE, Aquila and Onkelos, Manchester,
1931 (sur les allusions rabbiniques à Aquila, voir p. 23-37).
On ne conserve de la traduction d'Aquila que des fragments très restreints :
- un papyrus découvert dans le Fayoum contient Genèse
1, 1-5 selon la LXX et Aquila (P. Amherst 3, = R 912) ;
- quelques fragments des Hexaples. La troisième colonne de cette oeuvre
perdue reproduisait la version d'Aquila (voir infra p. 163). Le
palimpseste Ambrosianus O 39 sup. édité par G. Mercati restitue
141 versets des Psaumes : c'est le plus long texte d'Aquila que nous
possédions. Le Barberinianus gr. 549 contient aussi quelques bribes des Hexaples,
ainsi que l'Ambrosianus B 106 sup. Enfin des fragments des Hexaples
ont été découverts à la Genizah du Caire : 32 versets des Règnes, les
Psaumes 22, 90-102 (très lacunaires), quelques expressions de Proverbes
17-19 ;
- divers manuscrits contiennent, dans leurs marges, des lectures aquiléennes,
héritées des Hexaples. On a déjà cité les principaux (p. 134). A.
Schenker a porté son attention sur d'autres manuscrits moins connus qui
attestent des lectures hexaplaires. En fait, ce sont les manuscrits de la
Syro-Hexaplaire (voir p. 136) qui contiennent, dans leur marge, le plus
d'éléments sur la révision d'Aquila comme sur celles de Symmaque et de
Théodotion ;
- les Pères grecs (en particulier Eusèbe de Césarée et Théodoret de Cyr) et les
chaînes exégétiques conservent de nombreuses citations des trois réviseurs ;
- dans ses Commentaires, Jérôme cite fréquemment les réviseurs juifs et
constitue une source importante d'informations ;
- selon certains, Aquila aurait, au début de son activité littéraire, traduit
(et non révisé) la LXX de l'Ecclésiaste. Pour : H. B. Swete (Introduction,
p. 316) et H. St J. Thackeray (Grammar, p. 13) qui se reportent au
jugement de A. H. McNeile ; plus récemment D. Barthélemy (Devanciers, p. 32-33).
Contre : K. Hyvärinen, Die Uebersetzung von Aquila, Uppsala, 1977, p.
88-107.
Bibliographie. Fragments. F. C. BURKITT, Fragments
of the Books of the Kings according to the Translation of Aquila, Cambridge,
1897. - G. DORIVAL, «L'apport des chaînes exégétiques grecques à une réédition
des Hexaples d'Origène », RHT 4, 1974, p. 45-74. - F. FIELD,
Hexaplorum, t. 1, p. xvi-xxvii. - B. P. GRENFELL, A. S. HUNT, The
Amherst Papyri I, Londres, 1900-1901. - N. R. M. DE LANGE, «Some New
Fragments of Aquila on Malachi and Job ?», VT 30, 1980, p. 291-294. - L.
LÜTKEMANN, A. RAHLFS, Hexaplatische Randnoten zu Isaias 1-16 aus einer
Sinai-Handschrift herausgegeben, MSU 6, Berlin, 1915. - A.
H. McNEILE, An Introduction to Ecclesiastes with Notes and Appendices, Cambridge,
1904. - G. MERCATI, Psalterii Hexapli Reliquiae I. Codex rescriptus
Bybliothecae Ambrosianae O 39 Supp. phototypice expressus et transcriptus, Rome,
1958. - A. MÖHLE, «Ein neuer Fund zahlreicher Stücke aus den
Jesajaübersetzungen des Akylas, Symmachos und Theodotions, Probe eines neuen
"Field" », ZATW 11, 1934, p. 176-183. - H. P.
ROGER, «Vier Aquila-Glossen in einern hebräischen Proverbien-Fragment aus der
Kairo Geniza », ZNTW 50, 1959, p. 275-277. - C. TAYLOR, Hebrew-Greek
Cairo Gmizah Palimpsests, Cambridge, 1900.
Index. J. REIDER, N. TURNER, An Index to Aquila, VTSuppl. 12,
Leyde, 1966. Ouvrage critiqué par R. HANHART, Theologische Revue 64,
1968, p. 391-394 et E. TOV, « Some Corrections to Reider-Turner's Index to
Aquila », Textus 8, 1973, p. 164-174. Sur l'usage par N. Turner des rétroversions
en grec et les incertitudes qui en découlent, S. JELLICOE, «Aquila and his
Version», JQR 59, 1968-1969, p. 326-332.
Aquila ne révisa pas le Vieux Grec des XII mais une révision juive de
ce dernier (D. BARTHÉLEMY, Devanciers, p. 247-252). Sans doute ce
jugement vaut-il aussi pour les Règnes (E. Tov). Enfin, pour l'Exode,
Aquila se fonde sur un texte apparenté à Théodotion, non à la LXX (K. G.
O'Connell).
La révision d'Aquila s'écarte considérablement de la LXX, au point qu'on doit
plutôt la désigner comme une nouvelle version (S. Jellicoe, « Aquila and
his Version », p. 326). Elle manifeste un souci de littéralisme poussé
jusqu'au décalque. Cela se marque par :
- la stabilité quasi absolue des équivalents entre l'hébreu et le grec : tout
terme hébreu est rendu en grec ; tout mot grec traduit le même terme hébreu. La
traduction respecte «le principe d'une concordance» (K. Hyvärinen, p. 111).
Toutefois I. SoisalonSoininen a émis des réserves sur la constance des
équivalents ;
- le souci étymologique : les mots hébreux apparentés - ou supposés tels - sont
traduits par des termes issus d'une même racine grecque, même lorsqu'ils sont
inusités (exemples dans la remarquable étude de J. Reider, Prolegomena,
p. 20-22).
« La contrepartie de cette extrême littéralité est évidemment l'absence de
toute prétention littéraire» (G. Dorival, « Versions anciennes», p. 1307).
Faut-il pour autant parler, comme H. St J. Thackeray (Grammar, p. 9),
d'une «version barbare» ? En réalité les innovations lexicales d'Aquila
s'inscrivent le plus souvent dans l'évolution de la langue grecque (K.
Hyvärinen, p. 112). Surtout il faut prendre en compte le projet d'Aquila qui
consiste à fournir en grec une base sur laquelle pourrait se fonder l'exégèse
des rabbins de son temps. Celle-ci inspire les bizarreries aquiléennes, en
particulier la plus connue -. la traduction de la particule d'accusatif, `et
par la préposition sùn suivie de l'accusatif, au lieu du datif ; ce
solécisme répond à une exégèse des particules hébraïques, enseignée par rabbi
Akiba. Toutefois G. Vermès et L. Grabbe ont mis en doute cette dépendance
d'Aquila envers l'exégèse rabbinique, en particulier celle de rabbi Akiba.
Sur le plan lexical, Aquila s'inspire volontiers d'Homère. Cette influence a
été repérée par F. Field (Hexaplorum, 1, p. XXIII). J. Ziegler a
fourni une nouvelle série d'exemples tirés de Job.
Enfin la version d'Aquila manifeste peut-être des traits de polémique
antichrétienne : tendance à remplacer christés par eleiménos (voir
infra p. 283). On trouve chez F. Field (Hexaplorum, 1, p. xix-xx)
la liste des traductions contestées par les Pères, mais l'auteur exprime un
jugement très nuancé sur l'« antichristianisme » d'Aquila.
Bibliographie. D. BARTHÉLEMY, Devanciers, p. 2-33.
- L. L. GRABBE, «Aquila's Translation and Rabbinic Exegesis», JJS 33,
1982, p. 527-536. - K. HYVÄRINEN, Die Uebersetzung von Aquila, Uppsala,
1977. - K. G. O'CONNELL, The Theodotionic Revision of the Book of Exodus,
HSM 3, Cambridge, Massachusetts, 1972. - J. REIDER, Prolegomena to a
Greek-Hebrew and Hebrew-Greek Index to Aquila, Philadelphie, 1916 (extraits
dans S. JELLICOE, Studies, p. 301-335). - G. VERMÈS, compte rendu des Devanciers
dAquila, JSS 11, 1966. p. 263. - I. SOISALON-SOININEN, « Einige Merkinale
der Uebersetzungsweise von Aquila», Festschrift Ziegler, p. 177-184. -J.
ZIEGLER, Beiträge zum griechischen Iob, MSU 18, Göttingen, 1985, p.
110-112.
4. La réception de la version d'Aquila
Elle semble avoir été très positive dans les milieux rabbiniques. Citant le Psautier,
le Talmud de Jérusalem dit d'Aquila : « Tu es beau» (yapyapîta), jeu de
mots sur Japhet, l'ancêtre des Grecs (Megilla I, 71c). Les
traductions même d'Aquila sont fréquemment mentionnées dans le Talmud (voir J.
Reider, « Aquila's Readings in Talmud and Midrash », Prolegomena,
p. 151-155). Sa révision fournissait aux Juifs une « version autorisée »
: elle reflétait le Canon hébreu fixé depuis peu à Jamnia ; elle se plaçait
sous l'égide de maîtres prestigieux et incontestés.
L'usage de cette révision en milieu juif est attesté par des indices de deux
ordres. On mentionnera d'abord les fragments retrouvés dans la Genizah du Caire
et dans le Fayoum. Ensuite, au vie siècle, Justinien autorise qu'on lise dans
les synagogues la version d'Aquila - Novelle 146 (voir p. 124). Il
semble que, perçue par les Juifs des premiers siècles comme la Bible juive par
opposition à la LXX devenue celle des chrétiens, la version d'Aquila ait connu
une diffusion importante. On peut supposer qu'en milieu juif elle supplanta la
LXX.
Au sujet d'Aquila, les écrivains chrétiens émettent un jugement complexe :
Origène et Jérôme critiquent la servilité du réviseur envers l'hébreu ; sur
l'appréciation portée par Eusèbe d'Émèse, voir p. 290. Cependant, ces mêmes
auteurs apprécient son exactitude scrupuleuse. Comme le note J. Reider, toute
la critique ultérieure balancera entre ces deux jugements (Prolegomena,
p. 18).
Les sources anciennes nous fournissent des données contradictoires. Selon Épiphane,
il aurait vécu sous « Severus » (l'empereur Sévère, 193-211). En fait, il faut
lire « Verus », nom de Marc-Aurèle avant qu'il devienne empereur, et placer
l'activité de ce traducteur en 161-180 (J. Gwynn, G. Mercati) ou même en
161-168 (H. J. Schoeps). Cette datation haute se heurte à une objection : ni
Irénée (mort vers 200) ni Origène dans sa Lettre à Africanus (de date
incertaine) ne parlent de Symmaque ; en revanche, ils mentionnent clairement
Aquila et Théodotion. Mais on sait par Eusèbe (Histoire ecclésiastique VI, 17)
qu'Origène a eu en main la traduction de Symmaque : ce serait vers 235 selon
l'opinion majoritaire, dès 216 d'après G. Zahn. Cependant, la critique interne
suggère pour l'oeuvre de Symmaque une datation bien plus haute. Depuis longtemps,
on a noté la convergence entre les lectures de Symmaque et certaines citations
néotestamentaires (E. Hatch, Essays in Biblical Greek, Oxford, 1889, p.
25-26). En outre, Symmaque, par ses options de traduction, s'apparente à
l'auteur de la Sagesse de Salomon (J. Fichtner). Pour J. Ziegler,
Symmaque appartient à la même école que le traducteur du Siracide. Or,
on a vu que cette traduction était largement antérieure à l'ère chrétienne
(voir supra p. 97). Dès lors deux solutions doivent être envisagées : 1.
il aurait existé un «proto-Symmaque », thèse qu'écarte J. Ziegler mais sans
fournir véritablement d'explication. 2. Symmaque aurait travaillé sur un texte
déjà révisé. D. Barthélemy l'a établi pour les XII (Devanciers, p. 261-265).
Sans doute le cas de ce livre n'est-il pas isolé. Dans ces conditions, il
devient difficile de distinguer le réviseur «Symmaque » du texte révisé qui lui
servit de substrat. Peut-être cela explique-t-il que Jérôme parle, pour
certains livres, d'une «double version » de Symmaque, affirmation rejetée par
F. Field et par J. R. Busto-Saiz.
Depuis Eusèbe, les auteurs anciens présentent Symmaque comme un ébionite. Il ne
serait donc pas juif mais tenant d'une hérésie chrétienne. La critique s'est le
plus souvent ralliée à cette thèse. Ainsi E. Schürer écarte-t-il Symmaque de
son histoire du peuple juif, alors qu'il y inclut Aquila et Théodotion (parti
maintenu par E. Schürer rév., p. 493). L'oeuvre de Symmaque aurait constitué
FAT des ébionites (H. J. Schoeps). D. Barthélemy a réfuté cette conception :
Symmaque est vraisemblablement un Samaritain converti au judaïsme. Il manifeste
l'influence de rabbi Méir, ainsi que l'avait avancé au siècle dernier A.
Geiger.
Bibliographie. D. BARTHÉLEMY, « Qui est Symmaque ?» (1974), Études,
p. 307-321. - J. R. BUSTO-SAIZ, La Traducción de Símaco en el libro de
los Salmos, Madrid, 1978, p. 311-320. - J. FICHTNER, «Der A.T.-Text der Sapientia
Salomonis », ZATW 57, 1939, p. 155-192. - A. GEIGER,
«Symmachus, der Uebersetzer der Bibel », Jüdische Zeitschrift
für Wissenschaft und Leben I, Breslau, 1862, p. 39-64. -J. GWYNN,
« Symmachus», DCB IV, col. 748. - G. MERCATI, L'età di Simmaco
l'interprete e S. Epifanio, ossia se Simmaco tradusse in greco la Bibbia sotto
M. Aurelio il filosofo, Modène, 1892 (= ST 76, Vatican, 1937, p. 20-92). -
H. J. SCHOEPS, «Ebio nitiches bei Symmachus», Coniectanea Neotestamentica 6,
Uppsala, 1942 ; Theologie und Geschichte des judenchristentums, Tübingen,
1949, p. 350-380. - G. ZAHN, «Herkunft und Lehrrichtung des Bibelübersetzers
Symniachus», Neue Kirchliche Zeitschrift, 34, 1923, p. 197-209. - J.
ZIEGLER, « Zum Wortschatz des griechischen Sirach », 1958, Sylloge, p.
450-463.
La révision de Symmaque a presque entièrement disparu en tradition
directe. Pourtant, vers la fin du xvie siècle, on conservait, semble-t-il, un
texte intégral de son Psautier et différentes parties des autres livres
(N. Fernàndez Marcos, Introducción, p. 110). C. Wessely a découvert en
1910 deux parchemins des iii-ive siècles qui contiennent dix versets des Psaumes
attribués par erreur à Aquila. Quelques manuscrits attesteraient, pour Habacuc
3, une traduction émanant de l'école de Symmaque. Pour le reste, notre
connaissance de Symmaque provient des mêmes sources que celles d'Aquila.
Bibliographie. Outre les références déjà signalées à propos
d'Aquila, on consultera : J. R. BUSTO-SAIZ, op. cit., p. 25-31. -
N. FERNÀNDEZ MARCOS, «El Texto Barberini de Habacuc III reconsiderado», Sefarad
36, 1976, p. 3-36. - C. WESSELY, « Un nouveau fragment de la version
grecque du Vieux Testament par Aquila» (en fait Symmaque), Mélanges É.
Châtelain, Paris, 1910, p. 224-229.
Les exégètes chrétiens ont vanté la qualité littéraire de cette
version. Ils ont opposé à la « verborurn kakozelia » d'Aquila,
c'est-à-dire à son littéralisme servile, le souci d'intelligibilité que
manifeste Symmaque (Jérôme, Commentaire sur Amos, 258, de même
Théodore de Mopsueste, Commentaire sur les Psaumes, R. Devreesse [éd.],
ST 93, Vatican, 1939, p. 176, 186). De fait, la version de
Symmaque est la plus claire de toutes. Le réviseur élimine certaines
expressions que la LXX avait décalquées de l'hébreu et les remplace par des
tournures plus idiomatiques (exemples chez E. Hatch, Essays in
Biblical Greek, p. 27 et surtout J. R. Busto-Saiz, op. cit., 1ère
part., passim). A l'inverse d'Aquila, Symmaque se plaît à varier la traduction
d'une même expression hébraïque, « pour ne pas heurter un lecteur grec qui
ignorerait l'hébreu » (B. de Montfaucon cité par F. Field, Hexaplorum,
I, p. xxxi, et J. R. Busto-Saiz, op. cit., p. 279). Le lexique de ce
réviseur manifeste des ressemblances avec « celui d'écrivains scientifiques et
surtout de médecins du ii- siècle de notre ère » (J. R. Busto-Saiz, p. 281, avec
de nombreux exemples). Cette conclusion corrobore celle de D. Barthélemy (« Qui
est Symmaque ?», p. 319).
Symmaque retraduit parfois directement l'hébreu, auquel il donne à l'occasion
des sens araméens (L. J. Liebreich). Il manifeste clairement une connaissance
de l'exégèse rabbinique. Il transcrit le tétragramme en caractères
paléo-hébreux à la façon d'Aquila (d'où l'erreur d'attribution commise par C.
Wessely, voir supra). Il utilise comme substrats des textes grecs
révisés (outre D. Barthélemy pour les XII, J. R. Busto-Saiz l'a établi à propos
du Psautier, p. 293-306). Ces éléments convergent pour déterminer comme
rabbinique le milieu de ce réviseur et confirmer son appartenance au judaïsme.
On ne sait presque rien de l'usage juif de cette révision. En milieu chrétien,
on notera que la révision de Symmaque a, plus que toute autre, influencé Jérôme
dans sa rédaction de la Vulgate (J. Ziegler).
Bibliographie. L. J. LIEBREICH, «Notes on the Greek Version of
Symmachus », JBL 63, 1944, p. 397-403. -- H. J. SCHOEPS, «Symmachus
und der Midrasch», Bi 29, 1947, p. 31-51. - J. ZIEGLER, « Die jüngeren
griechischen Uebersetzungen als Vorlagen der Vulgata in den prophetischen
Schriften», 1943-1944, Sylloge, p. 139-228.
A son sujet les données des auteurs chrétiens sont «hésitantes, souvent
contradictoires» (D. Barthélemy, Devanciers, p. 147).
D'après Épiphane sur lequel se sont appuyés la plupart des commentateurs
ultérieurs, il serait originaire du Pont. Il se serait, lui aussi, converti au
judaïsme après avoir adhéré un temps à la doctrine de Marcion (Des poids et
des mesures, 17). La notice d'Épiphane a inspiré l'idée que Théodotion
était postérieur à Aquila. Or, sur le plan chronologique, Épiphane fournit des
renseignements peu cohérents. Sans doute faut-il accorder plus de crédit au
témoignage d'Irénée : Théodotion serait un converti natif d'Éphèse. Il aurait
vécu avant Aquila. Irénée mentionne « Théodotion l'Éphésien [ ... ]
ainsi qu'Aquila le Pontique» (Contre les hérésies, III, 21, 1). Sans
avoir valeur de preuve, la formulation suggère une antériorité de Théodotion
par rapport à Aquila. La disposition des colonnes hexaplaires aurait accrédité
la thèse inverse. En effet, Origène place l'oeuvre d'Aquila avant celle de
Théodotion (voir infra p. 163).
Une datation haute de Théodotion se recommande pour trois raisons. D'abord dans
des textes antérieurs d'un siècle ou plus au «Théodotion» traditionnellement
situé à la fin du iie siècle, on trouve des lectures propres à Théodotion ou
teintées de Théodotion : « L'Apocalypse elle-même suppose connue la traduction
de Théodotion dont l'influence est même supérieure à celle de la Septante » (P.
Grelot). Cet auteur ainsi que A. Schmitt synthétisent utilement les travaux que
A. Bludau, J. A. Montgomery et R. H. Charles ont consacrés à ces recoupements
textuels. Le dossier comporte essentiellement des citations et allusions tirées
de Daniel : pour ce livre on conserve en totalité la version attribuée à
Théodotion. Par ailleurs, une expression d'Isaïe (25, 8) se trouve également
citée dans la première Épître aux Corinthiens (15, 54) sous une
forme qui ne correspond qu'au texte de Théodotion. La leçon revient bien à
Théodotion - selon J. Ziegler (Isaias Gö, ad loc.) qui s'oppose,
sur ce point, à A. Rahlfs. On possède donc pour notre réviseur un terminus ante
quem : 57 apr. J.-C. (voir D. Barthélemy, Devanciers, p. 148).
En second lieu quelques textes tardifs de la LXX elle-même semblent dépendre de
la révision théodotionique qui leur aurait servi de modèle. J. Gwynn, suivi par
H. B. Swete et E. Schürer, éclaire certains passages de Baruch par des
emprunts à Daniel- Théodotion. Reprenant une thèse ancienne, C. C.
Torrey attribue à Théodotion la traduction - non la révision - des Paralipomènes
et de 2 Esdras. Chacune de ces assertions a suscité des critiques :
on peut citer celles de L. C. Allen pour ces deux derniers livres ainsi
que celles de E. Tov pour Baruch. Quoi qu'il en soit de ces cas précis,
un constat demeure : la traduction des derniers livres de la LXX et la révision
de Théodotion semblent étroitement imbriquées.
Enfin, D. Barthélemy a identifié en 1963 une révision très ancienne de la LXX.
Il a appelé « groupe kaigé» l'ensemble des textes touchés par cette
révision (voir infra p. 159). Origène consacre la sixième colonne de ses
Hexaples à la révision de Théodotion. Or, quand la sixième colonne
contient authentiquement le texte de Théodotion, celui-ci présente une parenté
indéniable avec le groupe kaigé, au point qu'on parle de « recension kaigé
Théodotion ». Dès lors, l'oeuvre attribuée à Théodotion doit être
datée, comme le groupe kaigé, des années 30-50 de notre ère. Elle
serait, comme la révision kaigé, issue de Palestine. S. Jellicoe et K.
Koch ont proposé d'autres origines (Asie Mineure ou Syrie).
2. Le problème du proto-Théodotion
Un des premiers, E. Schürer en a défini les termes : «Ou bien Théodotion est
plus ancien que les Apôtres, ou bien il y a eu un Théodotion avant Théodotion,
c'est-à-dire une révision des LXX effectuée dans un sens analogue à celui que Théodotion
a poussé plus loin dans la suite » (Geschichte des jüdischen Volkes
im Zeitalter Jesu Christi, III, 1909, réimpr. Hildesheim, 1969, p.
442). Jusqu'à la découverte de D. Barthélemy, la seconde hypothèse semblait la
bonne : comme Théodotion se contente de corriger un texte déjà existant, les
lectures «théodotioniques » attestées par le NT doivent être attribuées, non au
réviseur, mais à son substrat (E. Bickerman, « Some Notes... », p. 173 ; voir
aussi F. G. Kenyon et P. Kahle bien résumés par K. G. O'Connell, p. 1-4).
Maintenant qu'on sait que Théodotion est solidement attaché à la révision kaigé,
la première hypothèse paraît préférable : Théodotion et le proto-Théodotion
ne font qu'un. Avec Théodotion, nous avons affaire à la plus ancienne révision
non anonyme, antérieure de près d'un siècle à celle d'Aquila (D. Barthélemy, Devanciers,
p. 148 ; E. Tov, « Bibelübersetzungen », p. 177). Cette opinion n'est pas
admise par tous. Le faible nombre de leçons nettement théodotioniques dans le
NT s'accorde mal, selon certains, avec cette représentation (E. Schürer rév.,
p. 502).
Théodotion pourrait être identifié à Jonathan ben 'Uzziel, disciple de
Hillel, qui passe à tort pour être l'auteur du Targum des Prophètes (Devanciers,
p. 148-157).
Bibliographie. L. C. ALLEN, The Greek Chronicles, I,
Leyde, 1974, p. 6-17, 137-141. - J. GWYNN, « Theodotion», DCB, 1887,
t. IV, col. 970-979. - P. GRELOT, «Les versions grecques de Daniel», Bi
47, 1966, p. 381-402. - S. JELLICOE, «Some Reflections on the kaige Recension»,
VT 23, 1973, p. 15-24. - K. KOCH, « Die Herkunft der
Proto-Theodotion-Uebersetzung des Danielsbuches », VT 23, 1973, p.
362-365. - K. G. O'CONNELL, The Theodotionic Revision of the Book of
Exodus, Cambridge, Massachusetts, 1972. - A. RAHLFS, «Ueber
Theodotion-Lesarten im Neuen Testament und Aquila-Lesarten bei Justin », ZNTW
20, 1921, p. 182-199. - A. SCHMITT, Stammt der sogenannte « Th»-Text bei
Daniel wirklich von Theodotion ?, MSU 9, Göttingen, 1966. - C. C.
TORREY, Ezra Studies, New York, 19702. -E. TOV, « The
Relation between the Version of Baruch and Daniel », Armenian and Biblical
Studies, M. E. STONE (éd.), Jérusalem, 1976, p. 27-34.
Sans doute la thèse de D. Barthélemy suscite-t-elle des réserves parce qu'on
ne s'accorde pas sur les fragments qu'on peut attribuer à la révision de
Théodotion. Celle-ci portait vraisemblablement sur toute la LXX, mais nous n'en
conservons que des bribes, dont certaines sont inauthentiques. Notre connaissance
dérive de trois sources.
a. Pour Daniel, nous gardons le texte intégral de Théodotion. Dès la fin
du iiie siècle, cette version a évincé celle de la LXX qui disparut
presque de la tradition manuscrite (J. Ziegler, Daniel, p. 22-23). Même
un manuscrit du ive siècle comme le Vaticanus contient, non la LXX de Daniel,
mais sa révision par Théodotion. Cela s'explique sans doute par les erreurs
de la LXX dans le passage essentiel relatif aux « semaines d'années ». Grâce à
cette substitution, nous possédons - semble-t-il - un texte continu de
Théodotion.
b. Origène s'est servi de la révision théodotionique pour combler les lacunes
de la LXX par rapport à l'hébreu. Ces ajouts étaient signalés par des signes
critiques. Ceux-ci se sont plus ou moins bien transmis. Pour les livres de l'Exode,
de Jérémie et de Job, on peut repérer dans la LXX des ajouts
assez longs empruntés à Théodotion : 6 % de la totalité pour l'Exode, 20
% pour Jérémie.
c. Comme pour Aquila et Symmaque, on conserve de façon indirecte le texte
hexaplaire de Théodotion : la marge de certains manuscrits, les commentateurs
et les chaines exégétiques fournissent une série de données.
En fait, chacune de ces sources peut être suspectée.
a. Déjà dans son édition de Daniel, Ziegler emploie le sigle Th' avec
des guillemets et remarque : «Probablement notre texte (Dan-Th') n'a absolument
rien à voir avec Théodotion » (p. 29). Son élève A. Schmitt a développé cette
thèse : dans sa révision de Daniel, «Théodotion» ne comble pas les
lacunes, pas plus qu'il ne supprime les ajouts du grec par rapport à l'hébreu,
en particulier les longues additions deutérocanoniques (Prière d'Azarias,
Cantique des trois jeunes gens, Suzanne, Bel). Le vocabulaire et la syntaxe
de Daniel-Th ne ressemblent pas à ce que nous savons par ailleurs de
Théodotion. La révision des parties deutérocanoniques oriente plutôt vers
Symmaque. J. R. Busto-Saiz a critiqué cette attribution. Récusant globalement
l'argumentation de A. Schmitt, D. Barthélemy a insisté sur les convergences
stylistiques entre le Théodotion de Daniel et celui des autres livres.
Quitte à faire un choix, D. Barthélemy propose d'identifier le «véritable »
Théodotion au réviseur de Daniel : Origène cite explicitement cette
forme textuelle en l'attribuant à Théodotion. Il faut éprouver l'authenticité
des autres fragments attribués à Théodotion en évaluant leur parenté avec la
révision théodotionique de Daniel.
b1. Les ajouts pourvus d'un astérisque posent des problèmes délicats. Dans son Commentaire
sur Matthieu 15, 14, Origène déclare avoir suppléé les lacunes de la LXX «
en se servant des autres éditions ». Rien n'exclut des emprunts à Aquila ;
ainsi s'expliqueraient les différences stylistiques que présentent les ajouts
(I. Soisalon-Soininen). L'attribution de tous les ajouts à Théodotion
résulterait d'une généralisation illégitime, à partir - sans doute - du cas de Daniel.
b2. Le sigle « Th » atteste que le passage doté d'un astérisque ou la lecture
marginale proviennent de la sixième colonne. La tradition, entièrement
tributaire des Hexaples, a identifié « Théodotion » et « sixième colonne
». En fait, rien n'assure que, parce qu'il procède de la sixième colonne, un
texte soit de Théodotion. Pour le dire autrement, l'homogénéité de la sixième
colonne suscite des réserves et nécessite, pour chaque livre, un examen.
Ainsi sait-on aujourd'hui que, dans la section Py des Règnes (voir p.
175), la sixième colonne contient le texte de la LXX ancienne et la cinquième
celui de la révision kaigé (D. Barthélemy, Devanciers, p.
136-139). Pour les XII, la sixième colonne reproduit une « recension tardive et
éclectique » et la révision kaigé-Théodotion se trouve dans la septième
colonne des Hexaples (ibid., p. 260). Même situation pour le Psautier
(G. Mercati, H. J. Venetz). Pour les Juges, la sixième colonne ne
contient pas un texte de type kaigé-Théodotion : elle manifeste une
révision hébraïsante que W. R. Bodine propose d'attribuer au « Théodotion
traditionnel du iie siècle ». En revanche, dans le cas de l'Exode, la
sixième colonne contient un texte authentiquement théodotionique (K. G.
O'Connell).
c. Les glossateurs de certains manuscrits ont interprété l'abréviation «Th »
comme signifiant Théodoret. Aussi ont-ils parfois complété ou corrigé des
lectures théodotioniques en s'appuyant sur le texte biblique de Théodoret (D.
Barthélemy, Devanciers, p. 135).
Faut-il partager le pessimisme exprimé en 1963 par S. Jellicoe : «Aussi
paradoxal que cela paraisse, on en sait aujourd'hui moins que jamais sur
Théodotion» (The Septuagint, p. 94) ? Oui, puisque les études récentes
invitent à se défier du «monolithisme» de la sixième colonne. Non, dans la
mesure où, fondée sur la critique interne, l'analyse aboutit à des résultats
plus sûrs que les renseignements tirés des notices anciennes, toujours sujettes
à caution. Ainsi, par « Théodotion » il faut entendre « le ou les auteurs des
formes textuelles [qui] ont un air de famille présentant d'ordinaire les
caractéristiques du groupe kaigé» (D. Barthélemy, «Notes... », Études,
p. 300).
Bibliographie. W. R. BODINE, The Greek Text of Judges.
Recensional Developments, Chico, Californie, 1980. - J. R. BUSTO-SAIZ, «El
Texto teodotiénico de Daniel y la traducción de Simaco », Sejàrad 40,
1980, p. 41-55. - G. MERCATI, Psalterii Hexapli Reliquiae, 1, Vatican,
1958, p. xix. - A. SCHMITT, op. cit., p.153. -I. SOISALON-SOININEN, Der
Charakter der asterisierten Zusàtze in der Septuaginta, Helsinki, 1959. -
H. J. VENETZ, Die Quinta des Psalteriums. Ein Beitrag zur Septuaginta und
Hexaplaforschung, Hildesheim, 1974.
Selon les exégètes anciens, la révision de Théodotion apporte à la LXX des modifications
de détail sans en altérer la nature. Jérôme et Épiphane insistent sur les «
convergences» des deux textes (H. B. Swete, Introduction, p. 43). La
critique moderne a peu modifié cette appréciation : Théodotion est l'auteur
d'une révision « légère », comme le montre en Daniel « l'ampleur du
capital textuel commun à "Théodotion" et à la "Septante" »
(D. Barthélemy, « Notes... », Études, p. 300). En second lieu, la
révision est hébraïsante. Cela apparait nettement en Daniel 4-6
où Théodotion corrige la LXX qui ne dépendait sans doute pas d'une forme
massorétique (P. Grelot). P.-M. Bogaert note pourtant que la révision
théodotionique de Daniel, telle que l'atteste le Vaticanus, est
moins fidèle au TM que celle des autres livres. En fait, on ne connaît le
Théodotion des autres livres que lorsqu'il s'écarte de la LXX. Au contraire, on
conserve tout son texte de Daniel. Les données sont trop hétérogènes
pour se prêter à la comparaison. Pour l'Exode, la base hébraïque de
Théodotion est «presque identique» au TM (K. G. O'Connell). Toutefois cette
hébraïsation est partielle. Théodotion ne supprime par certaines
excroissances de la LXX par rapport à l'hébreu, à la différence d'Aquila et de
Symmaque : il maintient à la fin de Job la vingtaine de stiques absente du TM ;
il conserve les passages apocryphes de Daniel auxquels il apporte
diverses retouches (A. Bludau, H. Engel, J. Schüpphaus). Théodotion ne
manifeste pas le souci aquiléen d'équivalence rigoureuse avec l'hébreu. A ce
titre aussi, sa révision apparaît légère et non systématique.
Enfin Théodotion translittère parfois en grec des termes hébreux au lieu
de les traduire. Cette tendance constitue la caractéristique la plus nette de
sa révision. F. Field (Hexaplorum, I, p. XL-XLI) mentionne 110 exemples
de translittération ; E. Tov n'en retient que 64. Comment interpréter ces
non-traductions ? Selon E. Tov, elles tiennent à l'incompréhension du terme.
Mais comment imaginer que le réviseur ignore le sens de 'el (« dieu») en
Malachie 2, 11 ? La plupart de ces mots renvoient à des realia hébraïques
qui ne possèdent pas vraiment d'équivalents en grec (voir infra, p. 261-262).
Mieux vaut donc considérer les translittérations comme un désaveu par
Théodotion du choix des LXX ; ainsi, quand la LXX traduit terapirn, les
«statuettes domestiques» par kenotáphia, Théodotion et le groupe kaigé
le translittèrent. Il se pourrait que Théodotion se montre plus cohérent
dans ses refus de traduire que dans ses initiatives de traduction. La
translittération n'est ni un «défaut » (H. B. Swete), ni un signe
d'incompréhension (E. Tov) : elle manifeste une exigence caractéristique de ce
réviseur (F. Field).
Bibliographie. A. BLUDAU, Die alexandrinische Uebersetzung des
Buches Daniel und ihr Verhâltnis zum massoretischen Text,
Fribourg-en-Brisgau, 1897.- P.-M. BOGAERT, « Relecture et refonte
historicisante du livre de Daniel attestées par la première version grecque
(Papyrus 967)», Études ACFEB, p. 197-224. - H. ENGEL, Die Suzanna
Erzählung. Einleitung, Uebersetzung und Kommentar zum Septuaginta-Text und zur
Theodotion-Bearbeitung, Fribourg, Göttingen, 1985. - P. GRELOT, «La Septante
de Daniel IV et son substrat sémitique», RB 81, 1974, p. 5-23 ;
« Le chapitre v de Daniel dans la Septante», Semitica 24, 1974, p.
45-66. - J. SCHOPPHAUS, « Das Verhältnis von LXX- und Theodotion-Text in
den apokryphen Zusätzen zum Danielbuch», ZATW 83, 1971, p. 49-72. - E.
TOV, «Transliterations of Hebrew Words in the Greek Versions of the Old
Testament. A further Characteristic of the kaige-Th Revision ? », Textus
8, 1973, p. 78-92.
Les travaux de la critique moderne ont décelé dans les manuscrits de la LXX les traces de diverses révisions dont ne parle aucun des commentateurs anciens.
1. Révisions partielles : les papyrus juifs
Du fait de leur antiquité, on croyait les papyrus de la LXX plus
authentiques que les témoins ultérieurs. Or, certains présentent, semble-t-il,
des leçons secondaires, résultats d'une hébraïsation du Vieux Grec. En fait, il
convient d'être prudent : il est parfois difficile d'assigner à un papyrus une
origine juive ou chrétienne. Il existe des signes distinctifs (traitement du
tétragramme, recours à des abréviations), mais ils ne sont pas infaillibles (C.
H. Roberts, Manuscript, Society and Belief in Early Christian Egypt, Londres,
1979, p. 74-78). Par ailleurs, s'il présente un texte conforme à l'hébreu, un
papyrus n'est pas pour autant « hébraïsé ». Il peut avoir seul conservé la
leçon originale, perdue dans le reste de la tradition manuscrite. Selon P. W.
Skehan, le P. 4QLXX Num (= R 803) a été révisé sur l'hébreu. En fait, il
manifeste - J. W. Wevers l'a montré - des retouches littéraires et non
hébraïsantes. D'après A. Vaccari, le P. Rylands gr. 458 du w siècle
avant notre ère apporterait à la LXX des corrections qui concordent avec la
recension lucianique. L'édition critique une fois établie, ce papyrus se révèle
un témoin de la vieille LXX (J. W. Wevers, «The Use of the Versions for Text
Criticism : the Septuagint », La Septuaginta, p. 20). Toutefois,
une révision hébraïsante peut être repérée dans les témoins suivants : 7Q 1 LXX
Ex ( = R 805), le P. Chester Beatty IX R 967) pour Ézéchiel, le
P. Antinoopolis 8 pour les Proverbes R 928).
P. Katz et J. W. Wevers fournissent deux synthèses précieuses sur ces révisions
et les travaux critiques qui leur sont consacrés. Ce dernier écrivait en 1968 à
propos de 7Q1LXX Ex : « Le fragment est désespérément court ; pourtant, il
augmente les preuves en faveur du fait suivant : déjà à une époque ancienne -
100 avant notre ère -, le texte de la LXX a été retravaillé d'après le substrat
hébreu » («Septuaginta Forschungen... », p. 47). Sans doute cette appréciation
vaut-elle pour nombre d'autres papyrus. Ceux-ci manifestent deux types de
corrections hébraïsantes. D'abord des interventions ponctuelles : pendant
plus de trois siècles, le texte de la LXX a été copié par des scribes juifs ;
le premier papyrus chrétien - le P. Yale 1 (= R 814) sur la Genèse
-, date de la fin du 1er siècle de notre ère. Ces scribes
étaient, en général, plus familiers de l'original hébreu que du texte grec
qu'ils copiaient. Aussi leur arrivait-il de corriger inconsciemment le second
d'après le premier. Ainsi s'explique le caractère irrégulier de ces corrections
involontaires (J. W. Wevers, « Die Methode », Das Göttinger, p. 17).
Mais il existe également dans les papyrus des modifications plus profondes ;
elles répondent au souci de rendre le Vieux Grec plus conforme au texte
hébreu proto-massorétique. L'entreprise du groupe kaigé s'inscrit donc
dans un faisceau d'initiatives hébraïsantes. On se gardera de leur assigner un
principe et une origine unifiés. Il s'agit plutôt de divers mouvements de
réaction : « De telles modifications sporadiques correspondaient à la tentative
des Juifs, en lutte avec le christianisme naissant, de sauver la LXX pour leur
propre compte vers 70 de notre ère. On dut bientôt recourir à des moyens plus
radicaux : les révisions d'Aquila et de Symmaque» (P. Katz). L'auteur résume
bien ici l'évolution des révisions juives mais les fait commencer à une date
trop tardive : le phénomène semble antérieur et, à l'origine, extérieur à la
polémique antichrétienne.
En somme, la critique interne fait apparaître une activité de révision plus
ancienne, diverse et complexe que la compilation origénienne ne le laisse
supposer. La fixation d'un Canon juif à la fin du 1er siècle de notre
ère relance et radicalise un mouvement presque aussi ancien que la transmission
même du texte.
Bibliographie. D. W. GOODING, Recensions of the
Septuagint Pentakwh, Londres, 1955. - P. KATZ, «Frühe hebraisierende
Rezensionen der Septuaginta», ZATW 69, 1957, p. 77-84. - A. PIETERSMA,
«Septuaginta Research ... », p. 301-302. - P. W. SKEHAN, «4QLXX Num : A
Pre-Christian Reworking of the Septuagint», HTR 70, 1970, p. 39-50. - A.
VACCARI, «Fragmentum biblicum saeculi II ante Christum », Bi 17,
1936, p. 501-504. - J. W. WEVERS, «Septuaginta Fomhungen », Theologische
Rundschau 22, 1954, p. 85-138 ; «Septuaginta Forschungen...,,, p.
18-76 ; «An Early Revision of the Septuagint of Numbers », Eretz Israel,
H. M. Orlinsky Volume 16, 1982, p. 235-239. - J. ZIEGLER, «Die Bedeutung
des Chester Beatty-Scheide 967 für die Textüberlieferung des
Ezechiel-Septuaginta», 1945-1948, Sylloge, p. 321-339. - G. ZUNTZ,
«Der Antinoe Papyrus der Proverbia und das Prophetologion», ZATW 68,
1956, p. 124-184.
Sa révision serait hébraïsante. Elle aurait été effectuée en Palestine au IIe - Ier siècle avant notre ère (voir p. 169). L'existence de cette révision a été contestée (voir p. 170, 186).
3. La révision du groupe «kaigé»
En 1952 un parchemin de cuir fut découvert dans le désert de Juda. D.
Barthélemy y identifia une révision particulièrement ancienne des XII. Il
établit que cette révision s'inscrivait dans un cadre plus large et s'étendait
à d'autres livres de la LXX. Parmi les initiatives des réviseurs figure le remplacement
de kai par kaige pour traduire la particule hébraïque gam, «
aussi ». Ainsi s'explique le qualificatif de « groupe kaigé » employé par
D. Barthélemy pour désigner cette entreprise. L'auteur a publié les fragments
des XII, trouvés dans le désert de Juda (Devanciers, p. 170-178).
D'autres fragments du même parchemin ont été ultérieurement édités par B.
Lifshitz. Une édition diplomatique paraîtra prochainement dans la collection
des Discoveries in the Judaean Desert.
Antérieure à Aquila et à Symmaque, la révision kaigé est étroitement
liée à Théodotion. On les distingue ici par souci de clarté. La révision kaigé
répond à «un vaste effort de reprise en main de la Bible grecque qui s'est
opéré au 1er siècle de notre ère sous l'égide du rabbinat palestinien
» (Devanciers, p. 267). Peut-on préciser la datation ? On hésite sur
celle du fragment découvert en 1952 : vers 50 selon D. Barthélemy ; entre 50
av. et 50 apr. J.-C. selon d'autres (références bibliographiques chez K. G.
O'Connell, op. cit. supra p. 153, p. 3, n. 8).
À propos du groupe kaigé, on ne peut parier d'une «oeuvre» mais de
textes plus ou moins retouchés par lui. La révision affecte les parties
suivantes de la LXX : environ un tiers des Règnes (sections bêta-gamma
et gamma-delta, voir p. 175), la révision Théodotion de Daniel, les
ajouts Théodotion à Job et ceux (souvent anonymes) à Jérémie, la
sixième colonne des Hexaples quand elle présente véritablement le texte
de Théodotion, la Quinta du Psautier, la révision des XII. En outre, les
Lamentations et vraisemblablement le Cantique des cantiques ainsi
que Ruth auraient été traduits - et non révisés -par le groupe kaigé.
Enfin, une partie du Psautier, d'Ézéchiel et de 2 Paralipomènes manifeste
des marques de cette révision. Ces livres constituent, selon D. Barthélemy, une
« extension du groupe kaigé» (Devanciers, p. 47).
Le groupe kaigé se caractérise comme une révision hébraïsante qui
rectifie le Vieux Grec selon un texte hébreu de type protomassorétique (D.
Barthélemy, « Les problèmes textuels... », Études, p. 240 ; K. G.
O'Connell, op. cit., p. 163). En outre l'exégèse rabbinique - et
en particulier celle du rabbi Ishmael ben Elisha -détermine certaines
initiatives des réviseurs : outre l'emploi de kaigé, D. Barthélemy
mentionne une dizaine de traductions caractéristiques, inspirées par l'école de
rabbi Ishmael (Devanciers, p. 48-80). Leur adoption produit
parfois des formulations très rudes (ainsi l'emploi de egô eimi directement
suivi d'un verbe à un mode personnel). Selon E. Tov, l'influence exercée par le
rabbinisme sur la révision kaigé est moins forte que ne le dit D.
Barthélemy. En 1972 ce dernier a lui-même réduit la liste des
traductions typiques du groupe kaigé (« Les problèmes textuels... », Études,
p. 268-269). Plusieurs auteurs ont défini, de manière plus ou moins
convaincante, d'autres critères de cette révision (références bibliographiques
chez P.-M. Bogaert, « Les études... », p. 181, et chez E. Tov, «
Bibelübersetzungen », p. 177). Autre caractéristique : les réviseurs manifestent
un certain souci de régularité dans le choix des équivalents entre l'hébreu et
le grec. Ceux-ci sont souvent empruntés à la LXX du Psautier (D.
Barthélemy, « Les problèmes textuels... », Études, p. 269). Sur le plan
de ces équivalents, la révision ne manifeste pas encore la cohérence d'un
Aquila. D. Barthélemy conclut que le groupe kaigé produit une recension
« légère, [...] tâtonnante et pleine d'illogismes », tout comme le fait
Théodotion, le seul membre non anonyme du groupe (« Redécouverte... », 1953,
Études, p. 49).
En milieu juif le retentissement de cette entreprise paraît avoir été
considérable. Adoptant le texte de ses adversaires juifs, Justin cite les XII
sous leur forme révisée, non d'après la LXX, La notoriété de cette révision
amène sans doute Origène à la consigner dans la Quinta des Hexaples. Enfin,
la traduction copte des XII se fonde sur un substrat kaigé et non sur la
LXX (Devanciers, p. 228-238). En Palestine, la révision connaît aussi
une circulation dans les milieux chrétiens et Origène la substitue parfois à la
LXX ancienne : pour certaines sections des Règnes, il place la révision kaigé
dans la cinquième colonne (= LXX) de ses Hexaples (voir infra
p. 163).
Bibliographie. D. BARTHÉLEMY, Devanciers ; «Les problèmes
textuels de 2 Sam 11, 2 - 1 Rois 2, 11 reconsidérés à la lumière de certaines
critiques des "Devanciers d'Aquila" » 1972, Études, p.
218-254 ; «Prise de position», Études, p. 255-288 (notamment p.
267-270). - W. R. BODINE, op. cit., p. 155. - B. LIFSHITZ, «The Greek
Documents from the Cave of Horror», Israel Exploratory Journal 12, 1962,
p. 201-207. - K. G. O'CONNELL, op. cit., p. 147. - J. D. SHENKEL, op.
cit., p. 177.
Dans ses Hexaples Origène cite d'autres révisions. Cependant, on en conserve peu de témoignages. Il est délicat de déterminer s'il s'agit de révisions continues. Sur ces révisions, voir p. 163.
La marge du Barberinianus gr. 549 (= R 86) atteste,
en Jérémie, certaines leçons attribuées à Josippos. On en possède
quelques autres en Josué, Règnes et Psaumes. Ce réviseur aurait
vécu en Syrie au ve siècle (B. Kipper). Ces gloses marginales appartiennent
peut-être, non à une révision de la LXX, mais à un commentaire biblique. Le
texte attribué à Josippos manifeste nettement l'influence de la Vulgate latine.
R. Devreesse a proposé d'identifier la prétendue révision de Josippos à l'ékdosis
ton hebraion connue par Cyrille d'Alexandrie.
Bibliographie. R. DEVREESSE, Introduction à l'étude des
manuscrits grecs, Paris, 1954, p. 130. - B. KIPPER, «Josipo tradutor grego
quase desconhecido», Revista di Cultura Biblica 5, 1961, p. 298-307,
387-395, 446-456.
La mention de cette révision renvoie à deux réalités distinctes : une
traduction grecque tantôt du Pentateuque samaritain, tantôt d'une version
araméenne de ce dernier. Dans aucun des deux cas on n'a véritablement affaire à
une révision de la LXX. Selon E. Tov, le Samariticon est la traduction d'une
révision samaritaine de la LXX.
Bibliographie. P. GLAUE, A. RAHLFS, Fragmente einer
griechischen Uebersetzung des samaritanischen Pentateuchs, MSU 1. 2,
Göttingen, 1911. p. 167-200. - E. TOV, «Pap. Giessen 13, 19, 22, 26 : A
Revision of the LXX ? », RB 78, 1971, p. 355-383.
III. LES RECENSIONS CHRÉTIENNES
Les réviseurs juifs modifièrent le Vieux Grec pour en supprimer les inexactitudes ou pour l'adapter à l'évolution du texte hébreu. A ce double titre, ils enrichirent et infléchirent la tradition textuelle. Le projet des recenseurs chrétiens fut tout autre : face à la diversité des données manuscrites, ils cherchèrent à établir un bon texte. A la différence des réviseurs, ils ne créèrent rien mais firent des choix. Leur entreprise s'apparente à celle des éditeurs alexandrins qui établirent le texte d'Homère ou des Tragiques. Devenue Bible de l'Église, la LXX connut, selon Jérôme (préface aux livres des Chroniques), trois recensions : celle d'Origène en Palestine, celle de Lucien en Asie Mineure, celle d'Hésychius en Égypte. Toute la recherche a été influencée par cette assertion et s'est attachée à repérer dans la tradition textuelle une telle « trifaria varietas ».
A. Les «Hexaples» et la recension d'Origène
Il convient de distinguer soigneusement ces deux travaux et de noter d'emblée l'importance sans égale exercée par la recension origénienne sur l'histoire du texte grec de la Bible.
Ce travail monumental occupe Origène pendant près de trente ans (215-245). «
Il est permis de lui attribuer cette oeuvre à la manière dont on attribue à un
général la fortification d'une ville» (D. BarthéIemy, « Origène et le texte de
l'Ancien Testament », 1972, Études, p. 203-217). En effet Origène
coordonne l'ouvrage collectif de tachygraphes et de copistes, et se réserve
sans doute un rôle de supervision. Un seul homme n'aurait pu rédiger un ouvrage
équivalant à un volume de plus de 6500 pages du format de celles du Vaticanus
(ibid., p. 211).
Comment se présentaient les Hexaples ? Cette Bible était une synopse de
six colonnes (d'où son nom d'« Hexaples »). Elle comprenait de gauche à
droite : le texte hébreu en caractères hébraïques, sa transcription en
caractères grecs, la révision grecque d'Aquila, celle de Symmaque, l'édition de
la LXX, la révision de Théodotion. Pour les Psaumes, il y avait deux
colonnes supplémentaires comprenant deux autres révisions grecques : la Quinta
et la Sexta. Il existe aussi une Quinta pour divers autres livres. Chaque ligne
horizontale ne comprenait que quelques mots, parfois un seul.
Cette oeuvre pose des problèmes considérables : on n'en conserve presque aucun
fragment et Origène se montre avare de commentaires sur ses Hexaples (il n'emploie
jamais le terme).
a. La première colonne, selon P. Nautin, constitue une vue de l'esprit.
Malgré son absence dans les fragments conservés, on en admet généralement
l'existence et l'on suppose qu'elle provient -ainsi que la seconde colonne -
d'une synopse juive, ou bien antérieure, ou bien effectuée par des Juifs
familiers de l'hébreu et du grec, auxquels Origène eut recours (P. Jay).
b. La deuxième colonne : cette transcription intégrale a suscité à juste
titre des études et des interprétations nombreuses ; elle permettait aux
chrétiens d'apprendre l'hébreu (H. M. Orlinsky) ; elle en facilitait la lecture
grâce à la vocalisation absente de l'hébreu (J. A. Emerton). Considérons plutôt
que, dans ce gigantesque dossier, Origène ne voulait pas se priver d'un accès à
la lettre hébraïque : « C'est bien la parole de Dieu qu'Origène cherche à
déchiffrer dans la Bible des Juifs comme en celle de l'Église » (D. Barthélemy,
« Origène et le texte de l'Ancien Testament », Études, p. 215). Pour la
prononciation ancienne de l'hébreu, cette transcription présente un intérêt
considérable.
c. La cinquième colonne contenait-elle le texte courant de la LXX (G.
Mercati, op. cit. à la p. 145, t. 1, p. xxxiv sq., P. Kahle, D.
Barthélemy) ou la recension origénienne, à savoir un texte de la LXX rendu
conforme à l'hébreu et doté de signes critiques (F. Field, Hexaplorum, 1, p.
LI-LII ; S. P. Brock ; I. Soisalon-Soininen) ? La forme de la LXX
présente dans les fragments du Caire et de Milan incline en faveur de la
première hypothèse (voir p. 165 sq.).
d. La Quinta : elle constituait la septième colonne des Hexaples et
la cinquième traduction grecque (d'où son nom). C'est une édition anonyme de la
LXX qu'Origène dit avoir trouvée près d'Actium. La marge du Barberinianus
gr. 549 (= R 86) attribue à la Quinta des leçons qui proviennent, en fait,
de l'«édition selon les Hébreux », traduction grecque largement inspirée par la
Vulgate et les Commentaires de Jérôme (D. Barthélemy, « Quinta ou
version selon les Hébreux ? », 1960, Études, p. 54-65). A-t-il existé
une Quinta pour tous les livres ? Non sans doute pour le Pentateuque. Pour les Règnes,
Job et le Cantique des cantiques, les Hexaples contenaient
probablement une cinquième traduction. Le fait est attesté, dans le cas des Psaumes,
par le palimpseste Ambrosianus O 39 sup. édité par G. Mercati. La
Quinta présente parfois un texte de type kaigé. Pour les XII, elle
contient un texte qu'on doit identifier à celui des fragments découverts dans
le désert de Juda (= R 543 ; voir D. Barthélemy, Devanciers, p. 213-227).
Dans le cas du Psautier, la Quinta témoigne également de la révision
kaigé (H. J. Venetz, voir supra p. 155).
e. La Sexta : cette sixième version, anonyme comme la précédente, fut
découverte dans une jarre près de Jéricho. Origène l'a introduite dans ses Hexaples
sous forme d'une deuxième colonne supplémentaire. D'après Eusèbe de
Césarée, il n'existait une Sexta que pour le Psautier. Jérôme mentionne
son existence pour les Petits Prophètes. Pour l'Exode, les Règnes,
le Cantique et Job on conserve, dans certains manuscrits, des
leçons marginales tirées de la Sexta (F. Field, Hexaplorum, I, P. XLV).
Jérôme considère la Sexta comme une oeuvre juive. Cependant, à une occasion, il
lui suppose une origine chrétienne : en Habacuc 3, 13, la Sexta
mentionne dans son texte « Jésus-Christ ». En fait, elle possède probablement
une origine juive et ce dernier lieu ne constitue pas une réelle objection (F.
Field, Hexaplorum, I, P. XLV). Notre connaissance de la Sexta est très
limitée. Aussi ne peut-on véritablement la caractériser.
f. La Septima : cette colonne semble une invention de Jérôme qui la mentionne
pour Job, les Psaumes, les Lamentations et le Cantique
des cantiques. On ne possède ni fragment ni citation de cette colonne
hexaplaire.
g. Le problème des Tétraples : cette synopse de quatre colonnes (Aquila,
LXX, Symmaque, Théodotion) aurait été composée par Origène avant les Hexaples
(P. Nautin) ou après leur rédaction (opinion majoritaire, voir S. Jellicoe,
The Septuagint, p. 113-114). Ils en seraient une édition simplifiée. Le
premier, H. M. Orlinsky a mis en doute leur existence. Selon D. Barthélemy, les
commentateurs anciens auraient compris à tort le terme technique « tétrasse »,
(Bible) « en quatre volumes », au sens de (Bible) « à quatre colonnes ».
L'intérêt des exégètes chrétiens se concentrait sur les 4 dernières
colonnes car elles étaient rédigées en grec. Dans son ouvrage, Des poids et
des mesures, 19, Épiphane les aurait, de façon erronée, présentées comme un
ouvrage d'Origène, distinct des Hexapies (D. Barthélemy, « Origène et le
texte de l'Ancien Testament », Études, p. 211-214).
Pourquoi Origène a-t-il composé les Hexaples ? Il s'en explique
de deux façons différentes. Tout d'abord, il a réuni les versions « juives »
pour mieux affronter les controverses avec les Juifs et y préparer les
chrétiens : la perspective est nettement polémique (Lettre à
Africanus, 9). Ailleurs, sa démarche est scientifique : altéré,
le texte authentique demande à être restauré : « Il s'est produit une
différence considérable entre les copies, soit par manque d'attention de
certains copistes, soit par la présomption absurde de certains autres pour
corriger ce qui est écrit, soit encore parce qu'en corrigeant ils ont ajouté ou
retranché à leur guise » (Commentaire sur Matthieu, 15, 14, trad.
P. Nautin, op. cit. à la p. 168, p. 348). Envisagés de la seconde
façon, les Hexaples constitueraient le « dossier préparatoire » de la
recension origénienne.
Pour la composer, Origène utilise les meilleurs exemplaires (antigrapha),
mais surtout il indique les différences entre le grec et l'hébreu par des
signes critiques empruntés aux philologues alexandrins : il marque d'un obèle
les «plus » de la LXX par rapport au TM ; il comble les « moins » par des
emprunts à la sixième colonne et les signale par un astérisque (Commentaire
sur Matthieu, 15, 14 ; ce texte capital décrit, selon nous, la
composition de la recension origénienne, non le texte de la cinquième colonne
des Hexaples). Outre cette équivalence quantitative, Origène
modifie l'ordre des mots pour le rendre conforme à celui de l'hébreu.
Enfin il hébraïse la transcription des noms propres. Les travaux
critiques ont établi ces deux derniers points (J. W. Wevers, Text History of
the Greek Genesis, Göttingen, 1974, p. 59-61 pour l'ordre des mots ;
Text History of the Greek Numbers, Göttingen, 1982, p. 61 pour
l'hébraïsation des noms propres). Origène ne mentionne que le premier.
Malgré lui, Origène a contribué à rendre le texte de la LXX profondément éclectique
:
a. Avant Jérôme, Origène se fait, à sa façon, le tenant de l'hebraïca
veritas : quand plusieurs manuscrits de la LXX divergent, il a
tendance à retenir comme authentique la leçon qui concorde avec celle des
réviseurs. Très probablement le manuscrit auquel il se fie a subi lui-même une
révision hébraïsante. Ce faisant, Origène «laisse se perdre la vieille leçon
difficile ou étrange qui avait motivé la retouche des recenseurs» (D.
Barthélemy, Études, p. 208).
b. Les signes critiques avaient pour but de distinguer le Vieux Grec de ses
révisions ultérieures. Cependant, au cours des siècles, ces signes furent mai
reproduits. Pour Daniel on le remarque désormais, si l'on compare le Chisianus
R VII 45 (= R 88) et le P. Chester Beatty IX (= R 967),
récemment édité. L'un constitue la recension origénienne de ce livre (il fut
longtemps notre seul témoin grec), l'autre le même texte mais antérieur à la
recension d'Origène. Or, le P. 967 ne présente pas exactement « en plein » les
passages obélisés par R 88 ni « en creux » les lieux marqués d'astérisques :
huit siècles de transmission ont faussé la position des signes.
c. Ceux-ci ont progressivement cessé d'être reproduits par les scribes qui n'en
comprenaient souvent plus le sens : si Origène reprenait les signes des
philologues alexandrins, il en modifiait la signification et ouvrait la voie à des
malentendus. La disparition de signes critiques aboutit à confondre les couches
textuelles qu'Origène s'efforçait précisément de distinguer.
Comment s'est effectuée la diffusion de la recension origénienne ? Elle
n'a sans doute pas, ou peu, été copiée directement, car peu de manuscrits
l'attestent de façon continue. Les scribes ont corrigé, avec un soin inégal,
leurs exemplaires de la LXX à partir de cette recension ou de manuscrits
eux-mêmes corrigés (S. P. Brock, « Bibelübersetzungen», p. 166). Des leçons
tirées de cette recension se sont introduites dans presque tous les manuscrits
de la LXX (E. Tov, « Bibelübersetzungen», p. 181).
Cette recension, pourtant si remarquable, a donc eu des conséquences très
néfastes sur le plan textuel. D'abord Origène a parfois pris pour une forme
«LXX» ce qui ne l'était pas. Ensuite le Vieux Grec et ses révisions se sont
progressivement confondus en un texte éclectique. Enfin, du fait de sa
notoriété, cette recension a contaminé - à des degrés divers - le reste de la tradition
manuscrite.
Quels sont les témoins les plus marqués par la recension origénienne et ceux
les mieux préservés de son influence ? En somme, comment peut-on défaire
l'écheveau textuel créé par la recension origénienne ?
3. La diffusion des «Hexaples» et de la recension origénienne
Conservés dans la bibliothèque de Césarée de Palestine jusqu'à sa
destruction par les Arabes en 640, les Hexaples furent sans doute
copiés. On en conserve deux témoins très fragmentaires où manque la
première colonne (= le texte hébreu). Ce sont les palimpsestes du Caire et de
Milan, édités par C. Taylor (1900, voir supra, p. 145) et G. Mercati
(1958, voir supra, p. 145). Dans les deux cas la colonne LXX ne comporte
ni astérisque ni obèle et présente un texte «vulgaire» qui n'a rien de
typiquement «origénien». C'est la preuve que la recension origénienne est une
oeuvre distincte des Hexapies. Ces derniers constituaient un instrument
trop considérable pour se prêter à une vaste diffusion.
La recension origénienne est surtout attestée par un témoin indirect : la Syro-Hexaplaire
(voir p. 136). Cette traduction, très littérale, donne une image fidèle de
la recension origénienne et reproduit ses signes critiques avec plus de soin
que les manuscrits grecs. La traduction arménienne de la LXX se fonde également
en partie sur un texte de type origénien. Presque tous les manuscrits grecs
sont touchés par la recension origénienne, mais inégalement et d'une façon qui
varie d'un livre biblique à un autre. Les témoins grecs les plus marqués par
cette recension sont les suivants : les manuscrits en onciale Q (texte et
marge), G, M, V, A, les manuscrits en minuscule c (= R 376), x (= R 426), 86,
88. Dans le livre d'Isaïe, le Vaticanus représente d'ordinaire la recension
origénienne (J. Ziegler, Isaias Gö, p. 40). Pour certains livres, ainsi 1-2
Par, il est difficile d'identifier les témoins de la recension origénienne.
Sont étrangers à l'influence origénienne, du fait de leur ancienneté, presque
tous les papyrus. Sauf exceptions, les manuscrits en onciale résistent assez
bien a cette influence. C'est le cas, en particulier, du Vaticanus qui présente
presque toujours un état textuel préhexaplaire. Malgré leur date tardive,
certains témoins « lucianiques» conservent un texte de forme ancienne et non
origénienne.
Bibliographie. S. P. BROCK, «Origen's Aim as a
Textual Critic of the Old Testament», Studia Patristica 10, Berlin, 1970,
p. 215-218 (- S. JELLICOE, Studies, p. 343-346). - M. CALOZ, Étude
sur la Septante origénienne du Psautier, Fribourg, Göttingen, 1978. - C.
Cox, Hexaplaric Material Preserved in the Armenian Version, SCS 21,
Atlanta, Géorgie, 1986. - G. DORIVAL, art. cité supra p. 145. - J. A.
EMERTON , « The Purpose of the Second Column of the Hexapla», JTS 7,
1956, p. 79-87 (= S. JELLICOE, Studies, p. 347-355) ; «Were Greek
Transliterations of the Hebrew O.T. used by Jews before the Time of Origen
? », JTS 21, 1970, p. 17-31 ; «A Further Consideration of the
Purpose of the Second Column of the Hexapla», JTS 22, 1971, p. 15-28. -
P. JAY, L'exégèse de saint Jérôme d'après son Commentaire sur Isaïe, Paris,
1985. - G. JENSSEN, Studies in Hebrew Historical Linguistics based on
Origens Secunda, Louvain, 1982. - B. JOHNSON, Die hexaplarische
Rezension des 1 Samuelbuches der Septuaginta, Lund, 1963. - P. KAHLE, «The
Greek Bible Manuscripts Used by Origen», JBL 79, 1960, p. 111-118. - G.
MERCATI, «D'alcuni frammenti esaplari sulla Va e VIa edizione greca della
Bibbia», ST 5, 1901, p. 28-46 ; «Il problema della colonna II dell' Esaplo »,
Bi 28, 1947, p. 1-30 et 173-215 (= Opere minori 6, ST 296, Vatican,
1984, p. 223-293). - P. NAUTIN, Origène. Sa vie et son oeuvre, Paris,
1977, p. 303-361. - H. M. ORLINSKY, «The Columnar Order of the Hexapla »,
JQR 27, 1936-1937, p. 137-149 (= S. JELLICOE, Studies, p. 369-381) ;
« Origen's Tetrapla. A Scholarly Fiction ?», 1952 (= S. JELLICOE, Studies,
p. 382-391). - A. SCHENKER, Hexaplarische Psalmenbruchstücke. Die
hexaplarischen Psalmenfragmente der Handschriften Vaticanus graecus 752 und
Canonicianus graecus 62, OBO 8, Fribourg, Göttingen, 1975 ; Psalmen
in den Hexapla. Erste kritische und vollständige Ausgabe der hexaplarische
Fragmente auf dern Rande der Handschrift Ottobonianus graecus 398 zu den
Ps 24-32, Vatican, 1982.
Lucien d'Antioche vécut entre 250 et 312, date de son martyre. Il semble qu'il ait influencé Arius et les sectateurs de l'arianisme. Les témoignages anciens présentent de Lucien une image confuse et parfois critique : dans sa Préface aux quatre évangiles, Jérôme parle assez sévèrement des manuscrits associés au nom de Lucien (sur les notices anciennes consacrées à Lucien, voir B. M. Metzger, cité à la p. 171, p. 3-7).
Pour repérer cette recension, on s'est fondé sur deux critères :
- la parenté formelle des manuscrits avec le
texte scripturaire cité par les Pères antiochiens, en particulier Jean
Chrysostome et Théodoret (A. M. Ceriani) ;
- la mention dans la marge des manuscrits des lettres kai ou, dans la
Syro-Hexaplaire, de la lettre lomad, abréviations de kai ho loukianés
(F. Field).
Le premier, P. A. de Lagarde a reconstruit la recension lucianique et en a proposé une édition qui comportait la moitié de l'AT. Néanmoins, l'établissement de cette recension pose de grosses difficultés. D'abord A. Rahlfs a montré que P. A. de Lagarde avait pris pour lucianiques des manuscrits qui ne l'étaient qu'en partie. De ce fait son édition reflète mal la recension lucianique. Le caractère lucianique de chaque manuscrit doit être éprouvé, livre par livre. Ensuite A. Rahlfs a établi que Théodoret présente un texte lucianique mais avec de notables exceptions dans les livres historiques (Septuaginta-Studien, I). Enfin l'abréviation X est ambiguë : selon certains, elle signifie kai hoi loipoi, « les autres traducteurs », c'est-à-dire les réviseurs juifs (H. Dörrie, D. Barthélemy) ; d'après d'autres, elle désigne véritablement Lucien (G. Mercati). J. Ziegler a mis en évidence l'ambiguïté du signe : le codex Barberinianus gr. 549 contient, dans les XII, 55 fois l'abréviation ; dans 22 cas, elle signifie «Lucien » ; dans 23 cas, elle désigne «les autres » (réviseurs).
En dépit de ces incertitudes, le travail des éditeurs modernes permet les
conclusions suivantes :
a. Pour le Pentateuque, on ne peut déceler l'existence d'une recension
lucianique (J. W. Wevers, Text History of the Greek Genesis, p.
175, Text History of the Greek Deuteronomy, p. 30).
b. P. A. de Lagarde puis A. Rahlfs ont déterminé les témoins lucianiques pour
les livres historiques (B. M. Metzger, p. 10-12).
c. Cette recension apparaît plus nettement dans les livres prophétiques.
Cependant, les données textuelles résistent à toute schématisation. Ainsi, pour
Isaïe, la famille lucianique comporte un groupe principal, puis trois
sous-groupes, plus un certain nombre de «manuscrits lucianisés». Jean
Chrysostome et Théodoret ne s'associent régulièrement à aucun de ces groupes.
Parfois, ils attestent seuls la leçon lucianique (J. Ziegler, Isaias Gö,
p. 73-82).
d. Pour 1 Esdras et Maccabées, la recension lucianique est assez
bien identifiée (ainsi dans les éditions de R. Hanhart). En revanche, elle
l'est moins nettement pour les Écrits (sauf le Siracide) : les citations
des Antiochiens offrent quantitativement moins de repères. Par ailleurs, quand
ces livres bibliques ne possédaient plus de substrat hébreu, Origène ne les
recensa pas. Or, Lucien s'inspire d'Origène et les emprunts qu'il fait au
matériel hexaplaire permettent souvent d'identifier sa propre recension.
Parfois difficile à détecter dans les manuscrits, la recension lucianique
pose une véritable énigme : elle atteste tantôt un texte postérieur à la
recension origénienne et influencé par elle, tantôt un état textuel
particulièrement ancien. On le remarque de quatre façons : dans les Règnes, la
recension lucianique repose sur un substrat hébreu proto-massorétique, dont
Qumrân fournit désormais des attestations. Ensuite, A. Mez a le premier noté
que la Bible utilisée par Flavius Josèphe reproduisait fidèlement le texte de
la recension lucianique, non celui du Vaticanus. « Le texte de Josèphe,
précise H. St J. Thackeray, présente uniformément un texte lucianique de 1
Samuel à 1 Maccabées » (Josephus, The Man and the Historian, New
York, 1929, p. 85). Or, Flavius Josèphe écrit ses Antiquités vers 93-94,
soit deux siècles avant l'oeuvre de Lucien. Troisième indication : Justin
Martyr et certains papyrus anciens de la LXX présentent des lectures
lucianiques. Enfin, la Vetus Latina atteste nettement une LXX
«Iucianique». Sur tous ces points, B. M. Metzger, p. 31-35, donne un excellent
état de la question.
Il a donc existé, au plus tard au 1er siècle de notre ère, un texte
proto-lucianique que recensa ultérieurement le personnage que la tradition
identifie à «Lucien ».
3. Points de vue actuels sur la recension lucianique
Ils sont au nombre de quatre :
a. Les accords entre les témoins lucianiques et Flavius Josèphe sont limités
et la couche ancienne de la recension lucianique très réduite (A. Rahlfs).
b. Il n'existe pas de recension lucianique. On doit parler de « texte
antiochien ». Il atteste tantôt la LXX ancienne, tantôt celle-ci remaniée à partir
des Hexaples (D. Barthélemy, voir infra p. 185).
c. Le Vieux Grec a d'abord été recensé d'après un texte de type palestinien (la
recension proto-lucianique qui en résulte date du ier siècle avant notre ère).
Vers 320, Lucien recensa le texte protolucianique en fonction du texte
massorétique (F. M. Cross).
d. Il existe deux couches grecques dans tous les livres et, en particulier,
dans les Règnes : la forme proto-lucianique témoigne du Vieux Grec ou
d'un état textuel particulièrement ancien. Lucien recensa celle-ci plusieurs
siècles plus tard (E. Tov). Une telle thèse se situe entre celles de D.
Barthélemy et de F. M. Cross.
Tout d'abord, Lucien (ou l'auteur de cette recension) comble les lacunes
du grec par rapport au TM. Il recourt tantôt à la recension origénienne,
tantôt aux révisions juives auxquelles il semble avoir directement accès. Il
manifeste une certaine prédilection pour Symmaque (J. Ziegler, Dodekapropheton
Gö, p. 84, Ezechiel Gö, p. 52). Restent les cas où Lucien parait
avoir lui-même corrigé le grec sur l'hébreu. Sur ce point, J. Ziegler a marqué son
scepticisme et écrit en 1957 : « Lucien n'a vraisemblablement jamais examiné le
texte hébraïque » (Ieremias Gö, p. 86). La mauvaise place de certains ajouts
corrobore l'idée que Lucien possédait une connaissance précaire de l'hébreu. En
second lieu, la recension lucianique présente une grande abondance de doublets
: la leçon hébraïsante ne remplace pas celle de la vieille LXX mais est
insérée à côté d'elle (J. Ziegler, Isaias Gö, p. 86, Dodekapropheton
Gö, p. 85-86). En troisième lieu, Lucien apporte des modifications
explicatives : il emploie des noms propres au lieu de pronoms ; il remplace
divers termes par des synonymes. Plus généralement, ses initiatives sont d'ordre
stylistique et grammatical. Parmi elles, on remarque un bon nombre de
corrections atticisantes (J. Ziegler, Ieremias Gö, p. 91-92). En dépit
des corrections hébraïsantes - souvent hors de propos --, « les lois de la
stylistique grecque avaient pour Lucien une bien plus grande importance et ont
commandé la plus grande partie de ses interventions» (D. Barthélemy, Études,
p. 245). La recension lucianique s'apparente à la forme antiochienne
du NT : « Il n'est pas une caractéristique célèbre du NT antiochien qui ne
puisse trouver son illustration dans PAT lucianique » (J. H. Hart, The Text
of Acts, Cambridge, 1926, p. 283).
Bibliographie. D. BARTHÉLEMY, «La "recension
lucianique" », 1972, Études, 243-254. - H. DÖRRIE, « Zur
Geschichte der LXX im Jahrhundert Konstantins », ZNTW 39, 1940, p.
57-110. - N. FERNÀNDEZ MARCOS, «Theodoret's Biblical Text in the Octateuch», BIOSCS
11, 1978, p. 27-43 ; « The Lucianic Text in the Books of Kingdorns : From
Lagarde to the Textual Pluralisrn», Studies Wevers, p. 161-174. - B.
FISCHER, « Lukian-Lesarten in der Vetus Latina der vier
Königsbücher », 1951, Beiträge zur Ceschichte der lateinischen
Bibeltexte, Fribourg-en-Brisgau, 1986, p. 9-17. -G. MERCATI, « Di alcune
testimonianze antiche salle cure bibliche di san Luciano », Bi 24, 1943,
p. 1-17 (= Opere Minori 6, ST 296, Vatican, 1984, p. 99-113). - B. M.
METZGER, «The Lucianic Recension of the Greek Bible», Chapters in the
History of New Testament Textual Criticism, Leyde, 1963, p. 1-42 (= S.
JELLICOE, Studies, p. 270-291). - A. MEZ, Die Bibel des Josephus
untersucht fur Buch V-VII der Archäologie, Bâle, 1895. - A. RAHLFS,
«Lucians Rezension der Königsbücher», 1911, Septuagirua-Studien,
p. 361-658. - E. TOV, «Lucian and Proto-Lucian. Towards a New Solution of the
Problem», RB 79, 1972, p. 101-113. - E. C. ULRICH, «The History of the
Problern», The Qumran Text of Samuel and Josephus, HSM 19, Missoula,
Montana, 1978, p. 15-38. - J. W. WEVERS, «A Lucianic Recension in Genesis ? », BIOSCS
6, 1973, p. 22-35.
Sur Hésychius les notices anciennes sont assez vagues et la fréquence du nom
rend délicate toute identification. Peut-être faut-il, avec Eusèbe, voir en
Hésychius l'évêque d'Égypte qui mourut au début du ive siècle, victime de
Dioclétien (H. B. Swete, Introduction, p. 79).
La critique a mis de plus en plus en doute l'existence de cette recension. On a
renoncé à l'identifier au texte du Vaticanus ou de l'Alexandrinus. H.
Dörrie parle d'une recension «presque légendaire» (art. cité supra p.
171, p. 106). Pour les éditeurs de Göttingen, «Ia recension d'Hésychius demeure
non identifiée» (J. W. Wevers, «The Göttinger Septuagint», BIOSCS 8,
1975, p. 22). En revanche, A. Vaccari et S. Jellicoe ont tenté de la
repérer et sont arrivés à des conclusions distinctes. Pour S. Jellicoe, la
recension d'Hésychius serait perceptible dans le Vaticanus. La valeur inégale
de son texte ainsi que l'absence d'l-4 Maccabées manifesteraient les
limites d'une recension que vint contrarier la persécution antichrétienne.
Selon A. Vaccari, la traduction arabe de Daniel-Théodotion repose sur un type
textuel alexandrin ; ce dernier fournirait des renseignements sur la recension
hésychienne. Aucune des deux hypothèses n'est véritablement convaincante.
Plutôt que de recension d'Hésychius, il vaut mieux parler tout au plus d'une
recension alexandrine, dont on trouve peut-être l'écho chez les Pères
alexandrins. Une meilleure connaissance du texte de leurs citations permettra
éventuellement de mieux définir cette recension. Actuellement, les études
précises dont on dispose aboutissent à des résultats négatifs : quand il cite le
Deutéronome, Cyrille n'atteste pas une forme textuelle qu'on puisse
identifier à la recension hésychienne.
Bibliographie. C. COX, « Cyril of Alexandria's Text for
Deuteronomy », BIOSCS 10, 1977, p. 31-5 1. - S. JELLICOE, «The Hesychian
Recension Reconsidered », JBL 82, 1963, p. 409-418. - A. VACCARI, «The
Hesychian Recension of the Septuagint», Bi 46, 1965, p. 60-66 (= S.
JELLICOE, Studies, p. 336-342).
D. Recensions anonymes de la Septante
Dans une partie de sa tradition textuelle, l'oeuvre de Philon d'Alexandrie
manifeste une révision de la LXX. Les manuscrits U et F contiennent des
citations du Pentateuque distinctes de la LXX. Selon P. Katz, ils attesteraient
une recension (désignée par la lettre R) reproduisant les caractères de la
recension R repérée par A. Rahlfs dans les Juges, Ruth et les Règnes,
ainsi que ceux de la recension C isolée par M. L. Margolis en Josué. Cette
recension proviendrait de Constantinople ou d'Asie Mineure. Selon D.
Barthélemy, le retoucheur des citations bibliques de Philon est un Juif de
l'entourage d'Origène ; il utilise la révision d'Aquila.
Bibliographie. D. BARTHÉLEMY, «Est-ce Hoshaya Rabba qui
censura le `Commentaire allégorique' ?», 1966, Études, p. 140-173. - P.
KATZ, Philo's Bible, Cambridge, 1950. - M. L. MARGOLIS, «Specimen of a
New Edition of the Greek Joshua», 1927, dans S. JELLICOE, Studies, p.
434-450. - A. RAHLFS, Septuaginta Studien, III.
IV. ÉCARTS PRINCIPAUX ENTRE LA SEPTANTE : ET LE TEXTE MASSORÉTIQUE (LIVRE PAR LIVRE)
Les divergences procédant d'une vocalisation de l'hébreu autre que celle du TM seront examinées au chapitre V. On envisagera ici les écarts qui supposent, dans l'original, un substrat différent du TM. On s'attachera aux points les plus importants :
- les abrègements et les expansions,
- les inversions dans l'ordre des chapitres, parfois des versets, - les cas où
la LXX atteste deux traditions textuelles distinctes.
La fin de l'Exode (chap. 35-40). La version grecque de ce livre
présente un net contraste. Les institutions cultuelles sont décrites deux fois
dans l'Exode. Or, la première fois (chap. 25-31), la LXX concorde assez
exactement avec le TM. En revanche, dans la seconde formulation, les deux
textes diffèrent considérablement : certains éléments présents dans le TM sont
absents de la LXX (Ex 35, 8 ; 37, 25-28 ; 40, 6, 8, 11). Le chapitre 36,
8-34 offre en grec une forme abrégée. En outre les détails ne sont pas exposés
dans le même ordre. Cela vaut surtout pour les habits du grand prêtre (TM 39 =
LXX 36, TM 39 fin = LXX 39 début). Seuls des témoins marqués par la
recension origénienne attestent l'ordre du TM (FI, G, quelques
manuscrits en minuscule, la SyroHexaplaire et deux versions filles, cf. A. E.
Brooke-N. McLean, « Appendix to Exodus », t. 1, 2, p. 295-304). On
trouvera des détails sur les correspondances entre le grec et l'hébreu chez H.
B. Swete (Introduction, p. 231-232, 234-236) et dans la BHS 2 (sur Ex 36, 8).
L'hypothèse d'un substrat distinct du TM semble écartée : les différences
doivent être mises au compte du traducteur (A. H. Finn). Selon D. W. Gooding,
les cinq derniers chapitres ne sont pas l'oeuvre d'un deuxième traducteur
(contrairement à une thèse souvent avancée). Le même traducteur, déjà négligent
à l'égard des détails techniques de la première description, multiplie dans la
seconde les libertés envers l'hébreu ; à cet égard il fait songer au traducteur
de Job. Le traducteur de l'Exode a suivi l'ordre des chapitres attesté
par le TM. Un éditeur ultérieur - mais antérieur à Origène - a pris la liberté
de les réagencer d'une façon qui lui semblait logique.
Bibliographie. A. H. FINN, « The Tabernacle Chapters
», JTS 16, 1914-1915, p. 449-482. - D. W. GOODING, The Account
of the Tabernacle, Cambridge, 1959.
Deutéronome
Début du Shema (6, 4). Cette pièce liturgique majeure est précédée,
dans la LXX, par un verset emprunté à Dt 4, 45. Ce dernier sert d'introduction
au Décalogue. Le papyrus hébreu Nash (du iie siècle avant notre
ère) atteste un semblable rapprochement. A un stade ancien de la liturgie, on
lisait probablement le Décalogue avant le Shema (1. Elbogen, Der jüdische Gottesdienst
in seiner geschichtlichen Entwicklung, Hildesheim, l9624,
p. 24).
Fin du Cantique de Moïse (32, 43). La LXX présente six stiques de plus
que le TM, en partie attestés dans un texte hébreu de Qumrân. Il s'agit sans
doute de doublets et, dans un cas, d'une allusion au Ps 96, 7. La recension
origénienne ne corrige pas le textus receptus d'après l'hébreu.
Bibliographie. P.-M. BOGAERT, «Les trois rédactions
conservées et la forme originale de l'envoi du Cantique de Moïse (Dt 32, 43) »,
N. LOHFINK (éd.), Deuteronomium, Louvain, 1985, p. 329-340.
Josué
Doubles textes. A. Rahlfs édite séparément le Vaticanus et
l'Alexandrinus aux chapitres 15, 21-62 et 18, 22-19, 45 (description du
territoire de Juda, de Benjamin, de Siméon). L'Alexandrinus atteste une
hébraïsation des noms propres, absente du Vaticanus.
« Plus » et « moins ». Au chapitre 20, les v. 4-6, présents dans
le TM, ne le sont pas dans la LXX. Ils concernent l'institution de
villes-refuges pour les meurtriers. Sans doute la LXX se fonde-t-elle sur un
modèle plus bref que le TM. Le chapitre 21, 36-37 contient une liste de cités.
La LXX présente un « plus » par rapport au TM. En fait, les manuscrits hébreux
les plus anciens omettent ces versets, les autres non. Certains manuscrits
grecs sont ici dotés d'un obèle.
Bibliographie. A. AULD, «Joshua : The Hebrew and Greek
Texts», VTSuppl. 30, Leyde, 1979, p. 1-14. - L. J. GREENSPOON, Textual
Studies in the Book of Joshua, HSM 28, Chico, Californie, 1983. - H. M.
ORLINSKY, «The Hebrew Vorlage of the Septuagint of the Book of
Joshua », VTSuppl. 17, 1969, p. 187-195. - E. TOV, « The
Growth of the Book of Joshua in the Light of the Evidence of
the LXX Translation", Studies in Bible, S. JAPHET (éd.),
Jérusalem, 1986, p. 321-340.
La transition entre Josué et Juges. Les derniers versets de Josué sont
disposés de manière différente dans les deux textes. Plus important, le grec contient
un supplément de 15 lignes ; elles possèdent leur équivalent en divers lieux
des Juges. Probablement ces lignes formaient-elles la jointure entre Josué et
Juges. Dans la tradition massorétique, les deux premiers chapitres des Juges
auraient été ajoutés pour fournir au livre une introduction
historico-philosophique.
Bibliographie. A. ROFÉ, «The End of the Book of
Joshua according to the Septuagint», Henoch 6, 1982, p. 18-36.
Juges
A. Rahlfs édite un double texte : l'Alexandrinus dans la partie supérieure de la page, le Vaticanus dans sa partie inférieure. Le Vaticanus appartient, pour ce livre, à la révision kaigé. L'Alexandrinus reflète la recension origénienne. Il présente un texte « plein » avec certains éléments sans parallèle dans le TM. A et B ne dérivent pas de deux traductions indépendantes mais attestent deux états d'une histoire textuelle particulièrement complexe. Les deux manuscrits conservent des éléments anciens. Les meilleurs témoins du Vieux Grec sont, dans les Juges, la recension lucianique et la vieille latine (W. R. Bodine, voir p. 155).
1-2 Règnes
Dans les travaux critiques consacrés à la LXX, les livres des Règnes sont
divisés en cinq sections. A la suite de H. St J. Thackeray (« The Greek
Translators of the Four Books of Kings», JTS 8, 1907, p. 262-278), on
désigne ces sections par les lettres suivantes (en caractères grecs) : a (I R),
bb (2 R 1-9, 13), bg (2 R 10, 1-3 R 2, 11), gg (3 R 2, 12-21), gd (3 R 22-4 R).
H. St J. Thackeray faisait débuter la section bg en 2 R 11, 2. J. D. Shenkel a
montré qu'elle commençait au chapitre précédent (op. cit. à la p. 177,
p. 117-120).
Additions et omissions. Le grec présente un texte plus long que le TM.
Néanmoins, ce dernier contient également des éléments absents de la LXX. Le
grec paraît reposer sur un substrat différent du TM et apparenté à 4Q Sama.
Fin du Cantique d'Anne (1 Règnes 2). Les v. 8-9a du TM sont
absents de la LXX. L'expression plus brève qui les remplace semble une
récriture harmonisante. Au v. 10, la LXX contient 6 stiques sans équivalent
dans le TM. Ils sont empruntés - avec des écarts mineurs - à Jérémie 9,
22-23.
La version courte de l'histoire de Goliath (1 Règnes 17-18). Elle
comprend 50 versets de moins que dans le TM. Les éléments suivants sont absents
de la LXX : David devant Saül (1 Règnes 17, 55-18, 5), calculs de Saül
pour faire périr David (1 Règnes 18, 10-11, 17-19). Plus globalement, la
présentation de David n'est pas la même dans les deux textes.
Bibliographie. D. BARTHÉLEMY, D. W. GOODING, J. LUST, E. TOV, The
Story of David and Goliath. Textual and Literary Criticism, Fribourg,
Göttingen, 1986. -J. LUST, « The Story of David an Goliath in
Hebrew and in Greek», EThL 59, 1983, p. 5-25. - S. PISANO, Additions
or Omissions in the Books of Samuel. The Significant Pluses and Minuses in the
Massoretic, LXX and Qumran Texts, OBO 57, Göttingen, Fribourg, 1984. - H.
J. STOEBE, «Die Goliathperikope I Sam XVII I-XVIII 5 und die Textform der
Septuaginta », VT 6, 1956, p. 397-413.
3-4 Règnes
En dehors des données chronologiques, la LXX diffère du TM dans les
chapitres consacrés à Salomon, Jéroboam et Achab. D. W. Gooding attribue la
plupart de ces écarts aux initiatives exégétiques du traducteur. 3 Règnes 2,
35a-o et 46a-1 présentent deux résumés du règne de Salomon. Ils n'ont pas
d'équivalents dans le TM mais réunissent des versets présents dans le livre. Le
premier texte est marqué d'un obèle par la Syro-Hexaplaire, le second est omis
par celleci, l'Alexandrinus, l'Arménien et par le manuscrit Urbinas
gr. 1 (= R 247). En 3 Règnes 8, 53a le grec contient un petit
cantique de quatre stiques consacré à la dédicace du Temple. Le v. 53a, absent
du TM, reprend des éléments des v. 12-13 (omis par le Vieux Grec) mais en
propose une formulation poétique et élargie. Les derniers mots (en
biblio tes oidés) feraient allusion au sepher hayyashar de Jos 10,
13 et de 2 R 1, 18 (sur ce point, voir J. A. Montgomery, H. S. Gehman, The
Books of Kings, ICC, Édimbourg, 1951, p. 191-195). On trouve dans la LXX
deux résumés du règne de Jéhosaphat (3 Règnes 16, 28a-h et 22, 41-50).
Le TM n'atteste que le second. La Syro-Hexaplaire, l'Alexandrinus et
l'arménien omettent le premier récit, le texte lucianique le second (de même le
Vaticanus pour les 4 derniers versets). 3 Règnes 12 pose sans doute
le problème le plus délicat : la LXX contient une double narration de
l'accession de Jéroboam au royaume d'Israël. Le deuxième récit (12, 24a-z)
présente des éléments distincts et même contradictoires par rapport au premier.
J. Debus a pu en faire une rétroversion en hébreu. Il semble qu'il ait existé
deux traditions textuelles relatives au schisme entre Juda et Israël. Le TM
dépendrait de l'une d'elles, tandis que la LXX les auraient intégrées toutes
deux, à l'exception de l'Alexandrinus, de divers manuscrits en
minuscule, de la Syro-Hexaplaire et de l'Arménien qui omettent la seconde.
Le règne de Joram est résumé en 4 Règnes 1, 18a-d. Absent du TM, ce
développement est marqué d'un obèle dans la SyroHexaplaire et le manuscrit Mosquensis
gr. 31 (= R 127). Cependant, on note un « plus » très surprenant après l8d
dans les témoins marqués par l'hébreu (cf. A. E. Brooke, N. McLean, ad
loc.).
Bibliographie. J. DEBUS, «Die Sünde Jeroboams », Forschungen
zur Religion und Literatur des Alten und Neuen Testaments 93, 1967, p.
55-65. - D. W. GOODING, «The Septuagint's Rival Versions of Jeroboam's
Rise to Power», VT 17, 1967, p. 173-189 ; « Problems of Text and Midrash
in the Third Book of Reigns », Textus 7, 1969, p. 1-29 ; Relics of
Ancient Exegesis. A Study of the Miscellanies in 3 Reigns 2, Cambridge,
1976. - R. P. GORDON, «The Second Septuagint Account of Jeroboam :
History or Midrash ? », VT, Jubilée Number, Leyde, 1985, p. 368-393. -
J. D. SHENKEL, Chronology and Recensional Development in the Greek Text of
Kings, Cambridge, Massachusetts, 1968. - J. C. TREBOLLE-BARRERA,
« Jeroboàn y la Asamblea de Siguén », Estudios Biblicos 38,
1979-1980, p. 189-220. - J. W. WEVERS, , Exegetical Principles Underlying the
LXX Text of 1 Kings II : 12-XXI : 43», OTS 8, 1950, p. 300-322.
1-2 Paralipomènes
En 1 Paralipomènes 1, 11-16, le Vieux Grec, représenté par le Vaticanus,
abrège la généalogie des fils de Cham : il ne mentionne que Koush et ses
descendants mais écarte les trois autres fils de Cham et leur postérité. Un peu
plus loin, aux v. 17-23, le TM atteste deux listes des descendants de Sem. Le
Vieux Grec ne conserve que la seconde, plus brève que la précédente. En 2
Paralipomènes 35, 19a-d, 36, 2a-c, 5a-d les « plus » de la LXX reproduisent
respectivement 4 Règnes 23, 24-27, 3lb-33, 24, 1-4. 2 Esdras
Aux chapitres 21 et 22 (TM Néhémie 11 et 12), la liste des
princes et des Lévites est plus courte dans la LXX que dans le TM. La LXX
présenterait une forme textuelle plus ancienne (A. Alt, « Bemerkungen zu
einigen judäischen Ortslisten des AT », Kleine Schriften zur Geschichte des
Volkes Israel, 11, Munich, 1953, p. 289-305).
Le texte «plein» d'Esther
Il se distingue du TM par de longues additions (notées de A à F dans les
traductions modernes). A l'exception du rêve de Mardochée, Flavius Josèphe les
mentionne au livre XI de ses Antiquités. On a longtemps dénié à ces
éléments un original sémitique : Selon C. C. Torrey, ils dériveraient d'un
substrat araméen, abrége dans la forme massorétique. La critique préfère voir
dans les deux formes textuelles du grec (LXX, texte « lucianique») le reflet
d'une recension du TM, non d'un état antérieur à celui-ci (voir aussi chap. in,
p. 84).
Bibliographie. J. CI. HAELEWYCK, «Le texte dit
-lucianique- d'Esther. Son étendue et sa cohérence », Le Muséon 98,
1985, p. 5-44. - C. A. MOORE, Daniel, Esther and Jeremiah : the Additions, New
York, 1977. - C. C. TORREY, « The Older Book of Esther », HTR 37,
1944, p. 1-40. - Studies in the Book of Esther, Selected with
a Prolegomenon, by C. A. Moore, New York, 1982.
Tobit
A Rahlfs et R. Hanhart ont édité séparément ses deux formes textuelles. GI
est représentée par la quasi-totalité des manuscrits grecs, GII par
le Sinaïticus, la vieille latine et en partie - R. Hanhart l'a établi -
par un manuscrit en minuscule (voir p. 200). Révisée sur GII, GI
s'est imposée dès le ive siècle en raison de sa qualité littéraire. Il existe,
en outre, une troisième forme (GIII) moins répandue que les deux
précédentes.
Bibliographie. P. KAESELAERS, Das Buch Tobit. Studien zu
seiner Entstehung, Komposition und Theologie, Fribourg, Göttingen, 1982. -
J. D. THOMAS, « The Greek Text of Tobit», JBL 91, 1972, p.
463-471.
Le Psautier
Du Ps 9 au Ps 147, la numérotation de la LXX diffère de celle du TM. Celle
du grec est généralement inférieure d'une unité à celle de l'hébreu
massorétique. Peut-être la numérotation du grec est-elle originale : les Ps 9
et 10 (= LXX 9) constituent un seul poème en forme d'acrostiche. Plusieurs
manuscrits hébreux réunissent, comme la LXX, les Ps 114 et 115.
Dans la LXX les titres des psaumes sont plus nombreux et plus développés que
dans le TM. Ces ajouts, relativement tardifs, sont pour la plupart d'origine
juive et décrivent l'usage du Psautier dans la liturgie juive.
Bibliographie. L. DELEKAT, «Probleme der
Psamnenüberschriften », ZAW 35, 1964, p. 269-280. - A. VAN
DER KOOIJ, « On the Place of Origin of the Old Greek of Psalms », VT
33, 1, 1983, p. 67-74.
Proverbes
Dans les sections dites IV et V (chap. 24-29), les recueils sont disposés dans un ordre différent. Sans doute le traducteur a-t-il mal compris les rapports entre les cycles de Proverbes. Plus important, le grec présente des additions substantielles. Elles sont d'origine parfois païenne ou chrétienne, souvent juive (emprunts à d'autres livres de la LXX). Certains écarts viennent peut-être d'un original plus complet que le TM (H. B. Swete, Introduction, p. 255).
La forme brève de Job
Le Vieux Grec est plus court que le TM (389 stiques de moins, soit environ un
sixième). Le traducteur serait un Alexandrin féru de culture classique. Il
destinerait son oeuvre à un vaste public et éliminerait les passages qui ne se
prêtent pas à son projet. On lui attribue pourtant la longue addition finale
(42, 17 a-e).
Bibliographie. J. ZIEGLER, «Der textkritische Wert der
Septuaginta des Buches Job», Sylloge, 1934, p. 9-28.
Le Siracide
Tous les manuscrits grecs sont marqués par l'inversion des chapitres 30, 25-33, l6a et 33, 16b-36, 10, due à l'interversion de deux cahiers de 160 stiques (A. Rahlfs, Septuaginta, ad 30, 25). «La vieille version latine, devenue vulgate, puisque Jérôme n'a pas traduit ce livre, a permis de restituer sans conjecture l'ordre original et, plus récemment, les fragments hébreux de la Geniza du Caire l'ont confirmé » (P.-M. Bogaert, «Les études... » I p. 186).
Les XII
Leur ordre n'est pas identique dans la LXX et le TM. La LXX lit
successivement Os, Am, Mi, Jl, Ab, Jon, Na, Ha, So, Ag, Za, Mi. Le TM présente
l'ordre suivant : Os, Jl, Am, Ab, Jon, Mi, Na, Ha, So, Ag, Za, Mi. Quoique
lacunaire, le fragment des XII (= R 943) atteste très probablement l'ordre du
TM : Jonas précède Michée (D. Barthélemy, Devanciers, p.
170-171).
Le cantique d'Habacuc (3, 1-19) : à côté de la tradition majoritaire, cinq manuscrits
contiennent un texte différent. Seul J. Ziegler édite ce texte (Dodekapropheton
Gö, p. 273). Sur Ha 3, voir p. 100.
La forme brève de Jérémie
« Il n'y a pas beaucoup de parties de l'AT où les variantes entre le grec et
l'hébreu soient aussi étendues qu'en Jérémie » (W. R. Smith, The OT in the
Jewish Church, Londres, 19082). Grâce à 4QJérb on
sait que la version grecque, plus courte de 2700 mots que le TM, repose sur un
substrat différent de celui-ci. Outre ces données quantitatives, la LXX dispose
les oracles contre les nations à une autre place et dans un ordre différent :
les chapitres 46 à 51 du TM sont placés dans le grec à la suite de 25, 13.
Enfin, les chapitres 10 et 23 manifestent des différences importantes dans
l'agencement des éléments. Celles-ci possèdent des incidences fondamentales,
ainsi dans le TM « l'occultation du rôle de Baruch au profit de celui de
Jérémie» (P.-M. Bogaert, « De Baruch à Jérémie»). Jérémie a constitué,
ces dernières années, le cas type sur lequel la critique a élaboré les
principes d'une comparaison entre le grec et l'hébreu. Les travaux de P. -M.
Bogaert et de E. Tov ont une importance qui dépasse largement le cas de ce
livre.
Bibliographie. P.-M. BOGAERT, « De Baruch à Jérémie. Les
deux rédactions conservées du livre de Jérémie », Le Livre de Jérémie,
P.-M. BOGAERT (éd.), Louvain , 1981, p. 168-173 ; «Les mécanismes rédactionnels
en Jér 10, 1-16 (LXX et TM) et la signification des suppléments », ibid.,
p. 222-238. - E. TOV, «Some Aspects of the Textual and Literary History of the
Book of Jeremiah », ibid., p. 145-167 ; « L'incidence de la critique
textuelle sur la critique littéraire dans le livre de Jérémie », RB 79
1972, p. 188-199 ; The Septuagint Translation of Jeremiah and Baruch. A
Discussion of an Early Revision of the LXX of Jeremiah 29-52 and Baruch 1 :1-3
:8, HSM 8, Missoula, Montana, 1976 ; «The Literary History of the Book
of Jeremiah in the Light of Its Textual History », J. TIGAY (éd.), Empirical
Models for the Development of the Hebrew Bible, Philadelphie, 1985, p.
211-237.
Ézéchiel
La version grecque de ce livre diffère du TM sur des points importants. On s'en aperçoit mieux depuis la publication presque complète du P. Chester Beatty IX (= R 967) qui restitue la forme originale des derniers chapitres : comme l'avait justement conjecturé H. St J. Thackeray, les grands onciaux ont été marqués, dans la seconde partie du livre, par une révision hébraïsante (The Septuagint, p. 118-129). Les écarts principaux sont les suivants :
- Chap. 7 : le TM offre une rédaction longue, qui
constitue une « relecture circonstanciée de la rédaction courte » sur laquelle
repose la traduction grecque (P.-M. Bogaert, « Les deux rédactions »).
- L'ordre des chapitres : le P. 967 confirme la disposition présente dans un
manuscrit de la Vetus Latina : le codex de Wurzbourg (vie siècle). On
lit successivement : 36 (1-23a), 38 et 39, 37, 40-48. Sans doute une telle
disposition s'appuie-t-elle sur un hébreu différent du TM (J. Lust) et
restitue-t-elle la forme du Vieux Grec.
- « L'oracle du coeur neuf » (36, 23b-38) : il représente la différence la plus
notoire. Ce passage est absent du P. 967 et du codex latin de Wurzbourg). lis
attesteraient le Vieux Grec, composé sur un hébreu plus court que le TM. De
fait, l'ajout révèle des différences de style par rapport aux autres chapitres
(P. Katz, The Text, p. 273). Selon d'autres, la lacune de 967 et de ce
manuscrit latin appartient a un état secondaire de la tradition textuelle (V.
Spottorno).
Bibliographie. P.-M. BOGAERT, art. cité p. 140, «Les deux rédactions conservées (LXX et TM) d'Ézéchiel 7 », J. LusT (éd.), Ezekiel and his Book, Louvain, 1986, p. 21-47. - J. LUST, « The Use of Textual Witnesses for the Establishment of the Text. The Shorter and Longer Texts of Ezekiel », ibid., p. 7-20 ; « Ezechiel 36-40 in the Oldest Greek Manuscript », CBQ 43, 1981, p. 517-533. - L. J. McGREGOR, The Greek Text of Ezechiel. An Examination of Its Homogeneity, SCS 18, Atlanta, Géorgie, 1985. - M. V. SPOTTORNO, «La omisión de Ez. 36, 23b-38 y la transposición de capítulos en el papiro 967», Emerita 50, 1982, p. 93-98.
Daniel
A. Rahlfs et J. Ziegler en éditent un double texte : le Vaticanus contient
la révision de Théodotion (sur son authenticité, voir p. 153-154). Le Chisianus
R VII 45 (= R 88) atteste la LXX. Il en est le seul témoin avec la
Syro-Hexaplaire et désormais le P. 967. Lorsqu'il édita Daniel, J. Ziegler
possédait quelques fragments de ce papyrus. On en a, par la suite, retrouvé le
texte presque intégral. Le P. 967 présente les chapitres dans l'ordre suivant :
1-4 ; 7, 8, 5, 6 ; 9-12 ; Bel, puis Suzanne (l'édition de A.
Geissen possède, à cet égard, un titre trompeur). 967 restitue sans doute
l'ordre original de la LXX. L,inversion de 4-5 et 7-8 serait le fait du traducteur
et procéderait d'une intention historicisante. Le texte de Théodotion semble
une révision de la LXX. Cette dernière s'écarte sensiblement du TM. P.-M.
Bogaert énumère utilement les principales différences. Aux chapitres 4 et 5,
elles prennent une ampleur considérable. En Daniel 4, la LXX laisse de
côté de nombreux éléments narratifs mais offre un texte nettement plus long que
le TM (d'environ 20 %). On met souvent ces écarts au compte du traducteur (voir
J. A. Montgomery, p. 247-249, 267). P. Grelot suppose à ces chapitres un modèle
différent du TM ; la langue en serait l'hébreu, non l'araméen. P.-M. Bogaert a,
sur ce point, exprimé des réserves (p. 220).
Bibliographie. P. -M. BOGAERT, « Relecture et refonte
historicisante dans le livre de Daniel attestées par la première version
grecque (Papyrus 967) », Études ACFEB, p. 197-224. - A. GEISSEN, Der
Septuagintatext des Buches Daniel. Kap. 5-12, zusammen mit Suzanna, Bel et
Draco, sowie Esther Kap. 1. 1a-2. 15 nach dem Kölner Teil des Papyrus 967, PTA 5,
Bonn, 1968. -- P. GRELOT, «La Septante de Daniel IV et son substrat
sémitique », RB 81, 1974, p. 5-23 ; «Le chapitre V de Daniel dans
la Septante», Semitica 24, 1974, p. 45-66. - W. HAMM, Der
Septuagintatext des Buches Daniel nach dem Kölner Teil des Papyrus 967 Kap.
1-2, PTA 10, Bonn, 1969 ; Kap. 3-4, PTA 21, Bonn, 1977. - J. A.
MONTGOMERY, The Book of Daniel, ICC, Édimbourg, 1926.
V. LES THÉORIES DE L'HISTOIRE DU TEXTE
Pour rendre compte de l'histoire du texte, les critiques ont proposé les conceptions suivantes (on mentionne ici les plus importantes). En fait, elles présentent deux alternatives : l'une entre P. A. de Lagarde et P. Kahle, l'autre - bien plus récente - entre D. Barthélemy et F. M. Cross.
A. La proto-Septante (P. A. de Lagarde)
En 1863, le savant allemand P. A. de Lagarde émit le premier l'idée que tous
les manuscrits de la LXX dérivaient d'un archétype unique : la proto-Septante.
Il fallait selon lui identifier les trois recensions évoquées par Jérôme
(celles d'Origène, de Lucien et d'Hésychius) et reconstituer la proto-Septante
dont elles dérivent. P. A. de Lagarde entreprit lui-même de restituer la
recension lucianique (1883). Son édition prête à la critique, mais sa
perspective globale s'est progressivement imposée : M. L. Margolis l'a développée
pour le livre de Josué et, depuis cinquante ans, la thèse de P. A. de Lagarde
sous-tend l'entreprise de Göttingen. Sans doute a-t-elle, depuis un siècle,
perdu de sa « raideur » et gagné en « élasticité » (W. Bauer cité par R.
Hanhart, « Die Methode », Das Göttinger, p. 8). Ainsi on cesse
aujourd'hui d'identifier l'archétype de tous nos manuscrits à la proto-Septante
elle-même : « Des nuages de mystère s'interposeront toujours entre notre
`oldest available Greek' et `the Old Greek'» (D. Barthélemy, « Prise de
position... », Études, p. 273).
Bibliographie. P. A. DF LAGARDE. Anmerkungen zur
grieschichen Uebersetzung der Proverbien, Leipzig, 1863 ; Librorum
Veteris Testamenti canonicorum pars prior Graece, Göttigen, 1883. - M. L.
MARGOLIS, The Book of Joshua in Greek, Paris, 1931-1938.
B. Pluralité des traductions grecques (P. Kahle)
Selon ce savant, la LXX aurait connu une histoire assez semblable à celle
des Targums, les traductions araméennes de la Bible (voir supra p. 53). Ceux-ci
constituèrent d'abord des traductions orales et furent rédigés à la suite d'un
long processus d'harmonisation. De la même façon, il aurait existé, pour chaque
livre de la Bible grecque, des traductions différentes, parmi lesquelles le
christianisme aurait retenu un «texte standard». L'auteur étaie sa thèse de
trois manières. Tout d'abord le paragraphe 30 de la Lettre d'Aristée
fait, selon lui, allusion à une révision vers 100 avant notre ère de
traductions déjà existantes. Ensuite les divergences textuelles entre la LXX et
ses citations dans le NT et chez les Pères s'expliqueraient par cette pluralité
de traductions. A la suite de P. Kahle, A. Sperber a étudié cette « Bible des
Apôtres », différente de la LXX. Les livres mêmes de la LXX, où l'on conserve
un double texte (Juges, Judith, Tobit), manifestent cette pluralité
originelle. Celle-ci explique qu'on trouve des lectures de Théodotion ou de
Lucien bien avant leur existence «historique» : le réviseur - ou le recenseur -
s'est fondé sur un texte déjà distinct de la LXX. Enfin, les papyrus
particulièrement anciens de la Bible grecque manifesteraient des divergences
nettes à l'égard de la LXX (The Cairo Geniza, Oxford, 19592,
p. 222-226).
La thèse de P. Kahle se heurte à plusieurs objections :
- La comparaison avec les Targums est une «
pétition de principe» (P. Katz, «Das Problem des Urtextes der Septuaginta», TZ,
1949, p. 1-24). Voir aussi p. 53.
- P. Kahle sollicite abusivement le § 30 de la Lettre d'Aristée (voir p.
51).
- Il demeure assez vague sur cette « version standard » établie par les
chrétiens (S. Jellicoe, The Septuagint, p. 61).
- Les citations de l'AT grec dans le NT et chez les Pères constituent un indice
difficile à manier : il faut tenir compte des citations de mémoire, des
adaptations délibérées à des contextes prophétiques.
- - Lorsqu'on conserve deux traditions textuelles d'un même livre, on n'a pas
affaire à deux traductions indépendantes mais à un remaniement littéraire. Tel
est le cas des Juges, de Tobit et d'Habacuc 3.
- Les papyrus très anciens qui diffèrent du texte des grands onciaux témoignent
de révisions du Vieux Grec, ainsi que l'a clairement établi D. Barthélemy pour
les XII (Devanciers). Au lieu de corroborer la thèse de P. Kahle, les
découvertes de révisions anciennes de la LXX la réfutent et confirment la
théorie de P. A. de Lagarde (J. Wevers, F. M. Cross ; voir aussi p. 53).
Ainsi, malgré son importance, la thèse de P. Kahle est aujourd'hui
sérieusement contestée. Selon R. Hanhart, elle est « non seulement faible mais
invraisemblable ».
Bibliographie. F. M. CROSS, «The History of the Biblical
Text in the Light of Discoveries in the Judaean Desert », HTR 57, 1964,
p. 283. - R. HANHART, « Zuni gegenwärtigen Stand... », p. 6. - P. KAHLE,
« Untersuchungen zur Geschichte des Pentateuchtextes», 1915, Opera
Minora, Leyde, 1956, p. 3-37 ; The Cairo Geniza, Oxford, 19591, p.
209-264. - I. SOISALON-SOININEN, Die Textformen der Septuaginta Uebersetzung
des Richterbuches, Helsinki, 1951. - A. SPERBER, «New Testament and Septuagint»,
JBL 59, 1940, p. 193-213. - J. W. WEVERS, «Proto-Septuagint
Studies », 1954, dans S. JELLICOE, Studies, p. 138-157.
C. Unicité initiale, diversité ultérieure : la synthèse de E. Bickerman
L'analyse doit intégrer la théorie de P. A. de Lagarde et celle de P. Kahle,
et non les opposer. Il a existé d'abord une traduction de chaque livre. Elle ne
s'est pas longtemps maintenue intacte : durant la période préchrétienne et au 1er
siècle de notre ère, les scribes apportèrent au texte original des corrections
hébraïsantes ou stylistiques. A cette époque, il ne dut pas exister deux
rouleaux identiques du même livre. E. Bickerman schématise en quatre étapes
l'histoire du texte : 1. une traduction unique ; 2. une diversité textuelle
produite par les interventions des scribes ; 3. une relative stabilité
textuelle aux iie et iiie siècles de notre ère ; 4. l'apparition de formes
mixtes, marquées par des contaminations origéniennes ou lucianiques.
Bibliographie. E. BICKERMAN, «Sorne Notes... ».
D. Le texte antiochien, témoin de la Septante ancienne (D. Barthélemy)
Dans sa polémique avec le Juif Tryphon, Justin mentionne l'existence de deux
textes grecs de l'AT : celui des Juifs diverge de la LXX utilisée par les
chrétiens («voici les paroles proférées par la bouche de David, comme du moins
vous les traduisez... Or, dans la version des Septante, il est dit... », Dialogue,
124 ; voir aussi 137). Les Juifs, dit-il, ont altéré le texte de la LXX en
raison de leur polémique avec les chrétiens («ils vont jusqu'à prétendre donner
eux-mêmes leur propre interprétation de l'Écriture », Dialogue, 71).
Justin cite divers exemples à l'appui de son affirmation. Or, ceux-ci
correspondent régulièrement au texte des XII trouvé en 1952 près de la mer
Morte. Selon D. Barthélemy, les leçons de cet «AT juif » appartiennent à une
tradition palestinienne de type kaigé dont fait partie le texte révisé
des XII. On doit donc distinguer deux cercles de diffusion textuelle : l'un
christiano-antiochien, l'autre judéo-palestinien. Les deux formes dérivent du
Vieux Grec, mais la seconde a subi différentes révisions hébraïsantes. A l'abri
de celles-ci, la première a conservé relativement intact le texte primitif. Sur
le plan de l'histoire textuelle la LXX présente ici un paradoxe : la Nouvelle
Alliance a hérité du Vieux Grec (corrigé sur certains points) ; l'Ancienne
Alliance en revendique une forme récente.
Face au prestige de la recension origénienne en Palestine et bien au-delà, les
évêques de Syrie et d'Asie Mineure ressentent comme un « complexe d'infériorité
». Aussi entreprend-on d'« authentifier » le texte antiochien en le plaçant
sous un patronage prestigieux, celui de Lucien, le célèbre martyr d'Antioche.
Le texte antiochien est ainsi baptisé « recension lucianique». A cette
occasion, au début du ive siècle, il subit des modifications dues au double
mouvement d'imitation et d'opposition à l'égard d'Origène : d'abord, on
enrichit les manuscrits bibliques par des leçons hexaplaires plus ou moins bien
insérées ; on les enjolive de signes critiques souvent dénués de sens. Ensuite
on apporte au texte des corrections stylistiques qui en rendent la lecture plus
aisée. Sans doute le phénomène avait-il déjà commencé au iie siècle dans une
capitale culturelle comme Antioche. La recension lucianique est donc un mythe
: on doit parler de «texte antiochien », non de «recension lucianique ». Si
l'on écarte les corrections stylistiques et les ajouts tirés des Hexaples, le
texte antiochien présente la LXX ancienne « plus ou moins abâtardie et
corrompue ». L'originalité de ce texte tient aux «importants éléments de la
Septante ancienne qu'il nous a seul conservés » (Devanciers, p. 127).
Une telle représentation possède une force considérable. En effet elle rend
compte du caractère composite des témoins lucianiques : ils présentent tantôt
des traits anciens, tantôt des emprunts au matériel origénien. De plus, elle
résout le problème du «proto-Lucien ». Rien d'étonnant à ce que Flavius
Josèphe, la vieille latine et des témoins antérieurs à Lucien attestent des
leçons « lucianiques », puisque celles-ci reflètent la LXX ancienne.
Les réserves émises par R. A. Kraft et S. P. Brock ne paraissent pas remettre
en cause la perspective introduite par D. Barthélemy.
Bibliographie. D. BARTHÉLEMY, Devanciers ; «Les
problèmes textuels de 2 Sam. 11, 2-1 Rois 2, 11 reconsidérés à la lumière de
certaines critiques des "Devanciers d'Aquda" », 1972, Études,
p. 218-254. - S. P. BROCK, « Lucian Redivivus : Some Reflections on
Barthélemy's Les Devanciers d'Aquila », 1968, TU 103, p.
176-181. - R. A. KRAFT, «Compte rendu des Devanciers d'Aquila », Gnomon
37, 1965, p. 474-483.
E. La théorie des textes locaux (F. M. Cross et l'école de Harvard)
On en exposera ici les grandes lignes. Pour plus de détails, voir infra p. 190. La perspective de F. M. Cross obéit à un principe excellent : pour comprendre l'histoire du texte grec, on doit prendre en compte celle du texte hébreu. La Bible - qu'elle soit rédigée en hébreu ou en grec - présente des types textuels distincts ; cela apparait plus clairement depuis qu'on connaît les manuscrits trouvés à Qumrân. L'auteur considère que seul un isolement géographique permet d'expliquer la conservation, à travers plusieurs siècles, de ces différents types textuels. Par ailleurs, il est sensible aux accords typiques entre certains textes hébreux trouvés à Qumrân et divers manuscrits de la LXX. Or, ces derniers appartiennent à la recension « lucianique» et sont à ce titre tenus pour tardifs. Il faut donc considérer que ces manuscrits grecs ont conservé quasiment intacte une forme textuelle très ancienne ou « proto-lucianique ». F. M. Cross reconstitue ainsi l'histoire du texte grec :
- Le Vieux Grec a été traduit, pour la plupart
des livres, à Alexandrie.
- Il y a eu en grec une révision proto-lucianique aux iie et 1er
siècles avant notre ère. Elle est attestée par les manuscrits dits
«proto-lucianiques» ainsi que par des citations bibliques de Flavius Josèphe et
souvent par la Vetus Latina. Cette révision visait à rendre le Vieux
Grec conforme au texte hébreu palestinien dont Qumrân fournit des échantillons.
- La LXX a été révisée au 1er siècle de notre ère (révision kaigé)
selon un texte proto-massorétique et au iie siècle par Aquila et Symmaque
selon la Bible officielle fixée à Jamnia.
- Au ive siècle Lucien d'Antioche a révisé à son tour la LXX. Selon F. M. Cross
les mêmes manuscrits lucianiques comportent parfois deux strates : l'une -
proto-lucianique - correspond à la plus ancienne révision de la LXX, elle est
antérieure d'un demimillénaire à l'autre, réalisée par Lucien. Il existe donc
trois formes textuelles, possédant une origine géographique distincte :
Alexandrie, la Palestine, la Babylonie.
La théorie se fonde essentiellement sur une interprétation des données
documentaires découvertes à Qumrân ainsi que sur le témoignage de Flavius
Josèphe. L'opposition très profonde entre D. Barthélemy et F. M. Cross tient à
une conception différente du texte lucianique, ce « problème le plus difficile
dans les travaux modernes sur la LXX» (J. Wevers, «Proto-Septuagint Studies», 1964,
dans S. Jellicoe, Studies, p. 138-154). L'enjeu du débat est
le suivant : ce que D. Barthélemy considère comme la forme la plus ancienne de
la LXX est envisagé par F. M. Cross comme sa première et/ou dernière révision
(voir infra p. 190).
Bibliographie. F. M. CROSS, «The Oldest Manuscripts from
Qumran», 1955 (en particulier le § 5) ; « The History of the Biblical Text
in the Light of Discoveries in judaean Desert », 1964 ; « The Contribution
of the Qumrân Discoveries to the Study of the Biblical Text», 1966 ; « The
Evolution of a Theory of Local Texts », 1972, articles repris dans F. M.
CROSS, S. TALMON, Qumran and the History of the Biblical Text, Cambridge,
Massachusetts, Londres, 1975. - E. C. ULRICH, The Qumran Text of
Samuel and Joserhus, HSM 19, Missoula, Montana, 1978 ; « 4Q Samc
: A Fragmentarv Manuscript of 2 Samuel 14-15 from the Scribe of the
Serek hay-yahad (1QsS) », BASOR 235, 1979, p. 1-25.
VI. L'INCIDENCE DES DÉCOUVERTES DE QUMRAN SUR LA CRITIQUE TEXTUELLE DE LA BIBLE GRECQUE
A. La critique du texte grec avant les découvertes du Qumrân
On rappellera d'abord les étapes de la fixation du texte hébreu. Pendant
toute une période prolifèrent des textes consonantiques variés (à l'origine,
l'hébreu ne notait pas les voyelles ; le Talmud, les textes médiévaux et
l'hébreu moderne ne sont jamais vocalisés). Une de ces formes consonantiques
prend une valeur normative vers la fin du 1er siècle de notre ère :
c'est le texte proto-massorétique. Durant quelques siècles, des vocalisations
et des ponctuations diverses coexistent. Une «tradition » (massora) établit
progressivement voyelles et ponctuation. Elle atteint une valeur normative vers
la fin du ixe siècle : c'est le texte massorétique.
Avant les découvertes de Qumrân, seuls le Pentateuque samaritain et la LXX
attestaient - quoique de façon indirecte - un état plus ancien que le texte
proto-massorétique. Aussi accordait-on une très grande importance à leurs
divergences avec le TM. Le Pentateuque samaritain contient environ 6000
variantes par rapport à celui-ci. Cependant, une fois écartées les adaptations
grammaticales et théologiques, rares sont les lieux où il peut rivaliser avec
le TM. Il en va tout autrement pour la traduction grecque : de tous les témoins
de l'AT - même plus tardifs -, « la LXX contient le plus grand nombre de
variantes significatives» (E. Tov, Text Critical Use, p. 278). A
propos des évaluations portées sur ces variantes, D. Barthélemy parle de façon
expressive d'une «oscillation pendulaire » : les écarts étaient tantôt mis au
compte du substrat hébreu, tantôt à celui des traducteurs. «Alors que
Wellhausen tirait de la LXX de Samuel un grand nombre de variantes
hébraïques qu'il jugeait le plus souvent préférable au TM, H. S. Nyberg... trouvait
la LXX (d'Osée) pleine de fausses interprétations, mais reposant sur une
Vorlage consonantique très proche du TM » (Études, p. 343). Avant les
découvertes de Qumrân, on attribuait généralement les divergences entre les
deux textes à l'interprétation des LXX.
B. Qumrân et le texte de la Septante
La découverte des fragments grecs et surtout hébreux ou araméens trouvés
dans le désert de Juda a provoqué trois bouleversements :
1. Ils manifestent une profusion de variantes hébraïques. «Le monolithisme apparent
du TM avait soudain explosé » (D. Barthélemy, Études, p. 344). On décèle
à Qumrân des états textuels nettement différents du texte proto-massorétique.
2. Certains fragments corroborent la forme LXX contre celle du TM. Ainsi 4Q Sama,b,c
attestent un texte long, proche de la LXX et distinct de la forme brève
présente dans le TM. 4Q Jérb atteste la forme brève de la LXX qui
s'oppose au texte long du TM. Désormais, on doit renoncer à la thèse d'une
liberté de traduction adoptée par les LXX (targumismes) ou la formuler de façon
plus fine (voir infra, chap. V). Qumrân donne raison à J. Wellhausen
contre H. S. Nyberg et confirme l'importance de la LXX pour la reconstitution
d'un état ancien de l'hébreu. En outre, la bibliothèque des Esséniens contient
des fragments sémitiques de la plupart des deutérocanoniques (voir supra, chap.
II). Ils ne forment pas, dans la Bible grecque, des additions « apocryphes». A
cet égard, on dira en paraphrasant A. Dupont-Sommer que « la LXX a dit vrai».
3. « Depuis 1950, il est enfin possible d'étudier l'histoire ancienne du
texte de la Bible hébraïque à partir de témoins conservés et pas seulement à
partir des versions » (P. -M. Bogaert, «Les études... », p. 179). En
somme, la perspective se renverse : le grec cesse de n'être qu'un auxiliaire à
la connaissance de l'hébreu. Désormais, l'hébreu permet parfois de mieux
comprendre l'oeuvre des traducteurs et des réviseurs de la LXX.
Pourtant un « panqumrânisme » ne doit pas remplacer le « massorétocentrisme »
qui a longtemps dominé la critique biblique. Qumrân fait apparaître des alliances
entre l'hébreu et le grec, non une identité : 4Q Exa (Ex
1, 1-6) atteste une leçon distincte de la LXX et du TM, 6 accords avec la LXX
contre le TM, 1 accord avec le TM contre la LXX. A l'exception de 4Q Jérb,
remarquablement proche de la LXX, les autres fragments manifestent, à son
égard, des convergences mais aussi des divergences. Même 4Q Sama ,
en dépit de la fréquence de ses accords avec la LXX et de contacts parfois
typiques, ne présente pas la même forme textuelle que le grec (E. Tov). La
critique apporte aujourd'hui des réserves à l'affirmation de F. M. Cross, selon
qui 4Q Sama offre un texte pratiquement analogue au substrat de la
LXX. A cet égard, les textes de Qumrân entretiennent avec le grec une relation
comparable à celle du Pentateuque samaritain : ce dernier s'accorde souvent
avec la LXX contre le TM ; on compte 1300 convergences, mais elles ne sont pas
toutes également significatives. En outre, elles ne doivent pas masquer les écarts
entre les deux textes.
En définitive, les découvertes de Qumrân ont résolu une énigme : on sait
maintenant que le grec, lorsqu'il s'écarte du TM, n'invente pas. Néanmoins,
elles n'ont pas livré le type textuel exact sur lequel repose la traduction grecque.
Avec Qumrân, la question du substrat hébreu de la LXX ne disparaît pas : elle
rebondit.
Bibliographie. D. BARTHÉLEMY, «Histoire du texte hébraïque
de l'Ancien Testament», Études, p. 341-364. - J. A. FITZMYER, The
Dead Sea Scrolls Major Publications and Tool for Study, Missoula, Montana,
1975-1977. - E. TOV, « Hebrew Scrolls from Qumran», Text-Critical Use,
p. 261-266 ; « A Modern Textual Outlook Based on the Qumran Scrolls », HUCA
75, 1982, p. 429-448. - J. WELLHAUSEN, Der Text der Bücher Samuelis, Göttingen,
1871.
C. Le polymorphisme scripturaire de Qumrân. Réserves à l'égard de la théorie de F. M. Cross
Le désastre de 70 entraîne une unification du texte hébreu. Celleci répond,
de la part d'une communauté exsangue et dispersée, à un réflexe de conservation.
Déjà attestée dans les manuscrits les plus soignés de Qumrân, ainsi 1Q Isb,
une forme textuelle, choisie comme standard, prend alors une valeur
normative.
L'attitude à l'égard de l'Écriture est tout autre avant l'issue fatale de la
guerre contre Rome. Lorsqu'il révise la LXX, Théodotion ne s'estime pas tenu de
supprimer les ajouts à Daniel. Pourtant, il n'en possédait probablement
plus l'original. Qumrân confirme cette impression de souplesse littéraire : la
même bibliothèque - celle des Esséniens - réunit des exemplaires différents -
brefs et longs - de Samuel et de Jérémie. « On n'avait pas plus
de motifs d'éliminer l'une des deux rédactions diverses en lesquelles on lisait
les oracles de Jérémie que les premières générations chrétiennes ne se sentaient
poussées à éliminer trois des quatre rédactions de l'Évangile de Jésus-Christ »
(D. Barthélemy, Études, p. 348).
Face à cet éclectisme, la théorie de F. M. Cross paraîît inappropriée. Selon
l'auteur, la même région ne peut abriter durablement des types textuels divers.
Pourtant, Qumrân prouve le contraire : 4Q Jéra et 4Q Jérc
(texte long de type proto-massorétique) voisinent avec 4Q Jérb
(texte bref très proche du substrat de la LXX). Il semble arbitraire de
résoudre la difficulté en supposant que 4Q Jérb - ou son archétype -
a été copié en Égypte (F. M. Cross, « The Evolution », cité supra p.
187, p - 309). En fait, la théorie de l'auteur procède d'une généralisation,
indue, à tous les livres de la situation propre au Pentateuque. Pour celui-ci,
les fragments hébreux trouvés à Qumrân présentent des expansions par rapport au
TM (« plus » explicatifs, parallèles synoptiques, harmonisations). Cette forme
s'apparente à celle du Pentateuque samaritain, aux citations du Pentateuque
dans les Chroniques et le NT, en somme à des textes d'origine
palestinienne. F. M. Cross distingue, pour le Pentateuque, trois états textuels
: 1. Le substrat hébreu de la LXX : malgré des points communs avec le texte
palestinien, il s'en distingue nettement. Le Pentateuque a été traduit à
Alexandrie ; il repose donc sur un texte hébreu de type égyptien. 2. Une
forme palestinienne. 3. La forme brève du TM. La Babylonie a
constitué un «conservatoire textuel » qui explique la stabilité du futur TM.
Or, d'après l'auteur, Samuel atteste également une tripartition
textuelle : 1. Le Vieux Grec fut traduit sur un texte hébreu égyptien,
aujourd'hui perdu. Ce dernier a été exporté de Palestine vers l'Asie aux vie-ve
siècles avant notre ère. En grec, on ne retrouve cette forme ancienne que dans
3 des 5 sections des Règnes (a, bb, gg, voir p. 175). 2. Ce type textuel
a été révisé en Palestine au iie ou au 1er siècle avant notre ère en
fonction d'un texte hébreu de forme palestinienne. C'est la recension
proto-lucianique, première révision grecque de la LXX. Les témoins en sont les
manuscrits b,o,c2,e2, Flavius Josèphe et la Vetus
Latina pour le grec, 4Q Sama,b,c pour l'hébreu. 3. Lucien
entreprit une seconde révision, fondée sur le TM.
Pour le Pentateuque, la LXX attestait une des trois formes textuelles de
l'hébreu. Avec Samuel, la situation change : si l'on exclut la révision kaigé,
il existe trois formes du grec ; elles reflètent les trois états textuels
de l'hébreu.
Le souci de parallélisme avec le Pentateuque introduit une rationalité à
laquelle résistent les données textuelles de Samuel. On mentionnera les
objections formulées à F. M. Cross par D. Barthélemy : 1. L'origine égyptienne
de la traduction grecque de 1 et 2 Règnes n'est pas assurée.
Supposons-la admise ; la pratique de l'hébreu à Alexandrie vers le iie siècle
avant notre ère n'est plus suffisante pour envisager une tradition évolutive du
texte hébraïque : le texte hébreu égyptien de Samuel est une « fausse fenêtre
». 2. La révision proto lucianique s'appuie sur des accords très ténus entre
les fragments de Qumrân et les manuscrits b,o,c2,e2. Il
est inquiétant de fonder une théorie si vaste sur des points d'appui aussi
limités. En outre, les données utilisées par F. M. Cross peuvent être
interprétées de façon diamétralement opposée : dans les cas où le Vaticanus («Vieux
Grec») s'oppose à b,o,c2,e2, («révision protolucianique
»), le premier reflète le TM (F. M. Cross, « History of the Biblical Text»,
cité supra p. 187, p. 188-190). Le Vaticanus a pu lui-même subir
une révision hébraïsante ; dès lors, b,o,c2,e2
témoigneraient du Vieux Grec (S. P. Brock, D. Barthélemy). Pour ce dernier
auteur, la recension proto-lucianique constitue une seconde « fausse fenêtre».
Qumrân présente le texte de la Bible hébraïque et grecque sous une forme
bigarrée. On ne peut réduire la complexité de son témoignage - pour Samuel ainsi
que pour les autres livres - en l'identifiant au substrat de la recension
proto-lucianique. « Le postulat de Cross est une petitio principii qui
apparaît tout à la fois trop simple et trop compliquée» (R. Hanhart, «Zum
gegenwârtigen Stand... », p. 10).
Bibliographie. D. BARTHÉLEMY, « Notes critiques sur
quelques points d'histoire du texte», Études, p. 289-297 ; «Histoire
du texte hébraïque de l'Ancien Testament « , Études, p. 344-347. -
F. M. CROSS, voir p. 187.
D. Le caractère innovateur du Vieux Grec en 1-2 Règnes
Dans la majorité des cas énumérés ci-dessus, les critiques ont estimé que la
LXX reflétait un état du texte hébreu plus ancien que le TM. Pour reprendre un
des exemples cruciaux, J. G. Janzen opte pour l'antériorité du modèle hébreu de
Jérémie, tel que l'atteste la LXX. En fait, R. W. Klein a montré combien
l'analyse devait être nuancée : en Ex 1, 1-6, nous possédons désormais, outre
la LXX et le TM, un fragment de Qumrân (4Q Exa). Or, dans 3
des 6 cas étudiés par l'auteur, l'interprétation des données est délicate et
toute conclusion subjective (Textual Criticism, p. 13-15). A plus
forte raison semble-t-il impossible de se livrer à des généralisations. Comme
l'a écrit D. Barthélemy, « lui [F. M. Cross] et certains autres critiques du
texte sont trop naturellement portés à se fier, en cas de divergence, aux
textes de Qumrân ou bien à la Vorlage de la "Septante", plutôt qu'au
TM» («Notes... », Études, p. 295).
Ainsi, dans le cas de 1-2 Règnes, le grec offre indéniablement au
lecteur une forme textuelle plus satisfaisante que le TM : le premier
est coulant et présente une narration cohérente ; le second heurte par sa
rudesse et l'on est enclin à y diagnostiquer un état fortement mutilé. En fait,
la critique est plus sensible aux défauts du TM parce qu'elle étudie moins la
LXX pour elle-même. « Si la LXX a meilleure réputation, c'est parce qu'elle a
été rarement l'objet d'une étude aussi critique que celle qui a porté sur le TM
» (D. Barthélemy, « La qualité du TM », p. 6). Un examen approfondi de Samuel
hébreu et grec prouve que, «1. à haute époque la ligne archétypale de
l'ensemble de la tradition textuelle de Samuel a subi un certain nombre de
graves corruptions textuelles de la part de scribes peu soigneux. 2. La branche
textuelle proto-massorétique a subi ensuite des mutilations accidentelles ; [
... ] elle a subi en outre les retouches de scribes théologiquement
innovateurs, mais elle a été transmise par des scribes littérairement
conservateurs. 3. Les branches textuelles non massorétiques [LXX, Qumrân]
ont moins connu de mutilations [ ... ] et de retouches théologiques, mais elles
ont été transmises par des scribes littérairement innovateurs» («
Notes... », Études, p. 296). Or, pour l'historien des textes, il est
plus aisé de déceler les retouches théologiques que littéraires. La qualité du
texte grec tient, en réalité, à ce retravail littéraire, inspiré par un souci
de cohérence interne et externe et par un effort de clarification (D.
Barthélemy, « La qualité du TM », p. 11 - 13). Dans ces conditions, privilégier
la forme de la LXX par rapport à celle du TM équivaut à préférer les «
voies larges» d'une critique facilitante (ibid., p. 44). A la
suite d'une enquête exhaustive, S. Pisano confirme le caractère secondaire des
« bonnes » lectures de la LXX.
Il ne s'agit pas de se livrer, à propos de la LXX, à une autre généralisation,
négative celle-là. Elle serait aussi impropre que la précédente. La traduction
grecque demeure, du fait de son ancienneté, un témoin privilégié de l'hébreu.
Cependant, ce témoin est innovateur : la LXX a le défaut textuel de sa qualité
littéraire.
Bibliographie. D. BARTHÉLEMY, « La qualité du Texte
Massorétique de Samuel», E. TOV (éd.), Actes 1980, p. 1-44. - J. G.
JANZEN, Studies in the Text of Jeremiah, HSM 6, Cambridge,
Massachusetts, 1973. - S. PISANO, Additions or Omissions in the Books of
Samuel. The Significant Pluses and Minuses in the Massoretic, LXX and Qumran
Texis, OBO 57, Fribourg, Göttingen, 1984.
VII. LES ÉDITIONS DE LA SEPTANTE
Les entreprises de Cambridge et de Göttingen s'inscrivent dans une histoire des éditions de la LXX. On en rappellera les principaux jalons.
La polyglotte dite Complutensis paraît à partir de 1514 à Alcala
(Espagne), l'édition dite Aldine en 1518 à Venise. Enfin, le pape Sixte Quint
fait publier à Rome en 1587 l'édition dite Sixtine. L'Aldine et la Sixtine ne
comportent que le texte grec.
L'édition Sixtine revêt une importance considérable. Elle répond au souci de
fournir un bon texte de la LXX, permettant d'étudier l'oeuvre exégétique des
Pères grecs et latins. Elle consacre le Vaticanus (B) comme le meilleur
témoin du texte grec. Une telle option se maintiendra, auprès des éditeurs,
jusqu'à l'époque contemporaine et ne sera alors que partiellement remise en
cause.
Toutefois, en certains lieux, la Sixtine préfère à B la leçon d'autres
manuscrits : malgré l'« hégémonie» de B, la Sixtine instaure déjà - quoique discrètement
- un texte critique. En outre l'édition contient, en des notes substantielles,
des variantes de manuscrits, des leçons des « jeunes versions » ou des «
vieilles latines ». Les éditeurs ultérieurs eurent souvent des difficultés à
retrouver les sources manuscrites de ces indications : trois siècles plus tard,
F. Field justifie parfois, dans son apparat, telle leçon d'Aquila ou de
Symmaque en se référant au témoignage de P. Morin, l'un des principaux
collaborateurs de l'édition Sixtine. Enfin, pendant près de trois siècles, la
Sixtine a fourni, à quelques modifications près, le textus receptus de
la LXX. Elle constitue donc un repère essentiel.
Parmi les nombreuses éditions, on mentionnera les deux plus importantes.
Celle de R. Holmes et J. Parsons d'abord. Le texte imprimé demeure celui
de l'édition Sixtine, mais 300 manuscrits et la plupart des versions filles
sont pris en compte dans l'apparat critique. Malgré l'inégalité des collations,
cette ceuvre ouvrait résolument la voie à des éditions de la LXX non plus «
pratiques » mais critiques. En second lieu, celle de H. B. Swete. Elle
reproduit le texte du Vaticanus. Ses lacunes sont comblées grâce au
témoignage d'un des grands onciaux. L'apparat critique fournit le témoignage de
ces derniers. De plus, dans des notices, l'éditeur porte des jugements très
précieux sur les divers manuscrits.
Du xvie au xixe siècle, toutes les éditions, dotées ou non d'un apparat
critique, présentent un caractère commun : elles dépendent de ces premières
«éditions » que sont les grands onciaux.
Bibliographie. T. H. DARLOW, H. F. MOULE, Historical
Catalogue of the Printed Editions of the Holy Scripiure in the Library of the
British and Foreign Bible Society, New York, 1963 2 (Vol. II, 1, pour les
polyglottes, 11, 2, pour les éditions de la LXX) : ouvrage de référence. - R.
HOLMES, J. PARSONS, Vetus Testamentum Graecum cum variis 1ectionibus,
Oxford, 1798-1827, 5 vol. - A. RAHLFS, «Die Abhängigkeit der
sixtinischen LXX Ausgabe von der aldinischen », ZAW 33, 1913, p. 30-46.
- H. B. SWETE, The Old Testament in Greek according to the Septuagint, Cambridge,
1887-1894, 3 vol.
B. Les éditions de Cambridge et de Göttingen
(Pour le détail des ouvrages parus dans ces deux collections, voir p. 130.)
La LXX de Cambridge en propose une édition diplomatique, celle de
Göttingen une édition critique. Dans le premier cas, le texte édité
correspond, sauf exceptions, à celui du Vaticanus. Dans le second, il ne
s'identifie à aucun manuscrit en particulier mais se fonde sur la totalité des
témoins disponibles. Par une analyse textuelle et linguistique, l'éditeur
regroupe ceux-ci en familles. Leur comparaison doit permettre de déceler les
éléments secondaires, présents dans les divers manuscrits et de reconstituer un
texte qu'on suppose le plus proche possible de l'original. Les premiers, les
éditeurs de Göttingen ont véritablement entrepris de fournir un texte critique
de la LXX. Pour le Nouveau Testament, une telle mutation s'était opérée environ
un siècle plus tôt, sous l'impulsion de K. Lachmann et de A. F. C. von
Tischendorf : le nombre des manuscrits du NT imposait d'en harmoniser le
témoignage et de construire un texte critique.
Bibliographie. R. HANHART, «Die Geschichte», Das
Göttinger, p. 5-12. -P. KATZ, « Septuagintal Studies in the
Mid-Century. Their Links with the Past and their Present Tendencies» (1956),
rééd. dans S. JELLICOE, Studies, p. 21-53. -P. WALTERS
(anciennement KATZ), «On Brooke-McLean's Treatment of the Late Correctors in
the Leading Manuscripts», The Text, p. 275-277. - J. W. WEVERS, Text
History ofthe Greek Genesis, MSU 11, Göttingen, 1974, p. 186 et
sq. ; «Die Methode», Das Göttinger, p. 12-19.
D'une édition à l'autre, ils diffèrent autant que le texte imprimé lui-même.
Ces divergences peuvent être réunies sous trois rubriques.
Une présentation plus ou moins synthétique. Dans l'apparat principal de
l'édition anglaise, tous les témoins qui attestent une variante sont
mentionnés. En revanche, les éditeurs de Göttingen s'efforcent de constituer
des groupes de manuscrits. Ainsi, telle variante sera affectée de la mention «
O ». Elle désigne un ensemble de manuscrits - parfois numériquement important -
qui dérivent de la recension origénienne. Ces groupes peuvent englober des
manuscrits grecs et des versions filles. Par exemple, dans le Psautier, A. Rahlfs
désigne la forme textuelle de Basse-Égypte par le sigle B'', soit deux
manuscrits grecs (le Vaticanus et le Sinaiticus) et la traduction
copte bohaïrique. Le témoignage des citateurs grecs participe à la
détermination d'un groupe. On aboutit, par exemple, aux rapprochements textuels
suivants : « L, Chr., Tht », c'està-dire la recension de Lucien d'Antioche à
laquelle se joignent les témoignages de Jean Chrysostome et de Théodoret ; «A,
Cyr », soit le texte alexandrin, représenté par A et ses alliés, et corroboré
par Cyrille d'Alexandrie.
De plus, les éditeurs de Göttingen cherchent à introduire de la clarté jusque
dans les zones troubles des textes « mixtes » ; on trouve ainsi des
présentations de ce type : « 230'' » (ce sigle désigne une leçon commune aux
manuscrits 230, 233 et 541, J. Ziegler, Daniel Gö, p. 47) ou 58' (soit
la leçon de 58 et de 340, R. Hanhart, Esdrae Liber 1 Gö, p. 3 1).
En définitive, l'apparat de Cambridge fournit les données « à l'état brut»,
celui de Göttingen selon l'« ordre des raisons», fruit d'un travail immense
mené par l'éditeur sur toute l'histoire du texte.
Quels sont les avantages et les inconvénients de ces deux méthodes ? L'apparat
de Cambridge laisse, en quelque sorte, plus de liberté au lecteur : les données
sont fournies de façon explicite et non organisées selon une théorie du texte,
toujours susceptible de subjectivisme. En outre, lorsqu'on se préoccupe d'un
témoin particulier, on saisit dans chaque cas sa leçon rapidement.
L'apparat de Göttingen se lit plus facilement : les éléments sont présentés de
façon synthétique. Aussi souvent que possible, le témoignage d'un manuscrit est
donné, non sous le sigle de ce dernier mais d'après la recension à laquelle il
appartient : l'histoire du texte se réconcilie ici avec sa géographie. La
contrepartie de cette disposition est qu'un témoin particulier apparaît parfois
mal sous une désignation abstraite (ainsi des sous-groupes que, par souci d'exhaustivité,
les éditeurs les plus récents doivent multiplier). Dans d'autres cas, des
formulations globales du type « Lpauc » ou « verssplur»
interdisent l'étude systématique du témoignage de tel manuscrit ou de telle
version fille.
L'usage des manuscrits en minuscule. L'édition allemande se livre à des
collations bien plus nombreuses : 95 pour la Genèse (Genesis Gö, p.
13-21) ; 30 pour l'édition anglaise, auxquelles s'ajoutent -il est vrai -
d'autres témoignages occasionnels (« Prefatory. Note to Genesis », p. VI). Les
éditeurs de Göttingen signalent dans leurs introductions les manuscrits qu'ils
n'ont pas jugé utile de collationner. Ils ouvrent ainsi la voie à une
éventuelle poursuite du travail critique.
Les leçons des réviseurs. Pour les leçons d'Aquila, de Symmaque et de
Théodotion, les éditeurs de Cambridge se fondent sur les éléments fournis par
R. Holmes-J. Parsons et par F. Field. En revanche, les éditeurs de Göttingen,
dans un deuxième apparat critique, élargissent sensiblement notre connaissance
de ces révisions : reposant sur des collations nouvelles, les données sont plus
nombreuses. De plus l'édition allemande réduit le nombre des leçons attribuées
- généralement par erreur - aux « trois ». Elle établit avec une relative sûreté
l'origine de chaque leçon. Sur ce point l'édition de Göttingen améliore
l'oeuvre de F. Field, base de la concordance de E. Hatch-H. A. Redpath, ainsi
que de l'édition de Cambridge.
Comme l'a écrit S. Jellicoe, les deux éditions sont « complémentaires plutôt
qu'exclusives » (The Septuagint, p. 23). A cet égard, on
déplorera l'interruption définitive de l'entreprise anglaise. Toutefois, quand
elle est possible, la comparaison des collections ne laisse pas de doute sur
leur valeur respective : dans son édition d'Esther, de Judith et de Tobit,
R. Hanhart reprend - et amende - les collations du dernier volume de Cambridge.
Mais surtout il établit avec sûreté le texte ainsi que ses strates
recensionnelles. Aussi doit-on espérer que la collection de Göttingen reprenne
également selon ses principes les textes historiques publiés par A. E. Brooke,
N. McLean et H. St J. Thackeray.
C. Principes de l'édition de Göttingen et tendances actuelles des éditeurs
Lorsqu'on découvrit les papyrus qui forment aujourd'hui la collection
Chester Beatty, les spécialistes se demandèrent s'ils confirmaient l'Alexandrinus
contre le Vaticanus ou le contraire. On se représentait ces
manuscrits en onciale comme des blocs - O. Procksch parle de « colonnes » -,
dont l'un seulement pouvait être authentique. On trouve chez A. Allgeier,
l'éditeur de ces papyrus, l'illustration de cette conception erronée. En fait,
le P. Chester Beatty VI (= R 963) prouve l'existence, déjà au w siècle,
du « bon » texte de B pour les Nombres et d'A pour le Deutéronome. Loin
de donner globalement raison à un témoin contre un autre, la découverte des
papyrus modifie notre représentation des grands onciaux. Elle montre qu'aucun
d'entre eux n'est épargné par l'éclectisme et que tous ces manuscrits
contiennent, en telle ou telle de leurs parties, un texte de qualité. « La
valeur de 963 pour le texte des Nombres revient moins à en confirmer une
forme textuelle qu'à permettre son établissement » (J. W. Wevers, Text
History of the Greek Numbers, Göttingen, 1982, p. 93). En définitive, le
témoignage des papyrus aboutit à requérir des onciaux un « supplément
d'information».
Or, ces derniers nous sont parvenus en nombre limité. La plupart de ceux que
nous conservons sont antérieurs au vu, siècle. En revanche, à partir du ix-xe
siècle, nous disposons de très nombreux manuscrits en minuscule. Il existe, à
ce stade de la tradition, un « trou » de trois siècles. Ces manuscrits en
minuscule dérivent d'archétypes en onciale aujourd'hui perdus. Regroupés en
familles, ils peuvent attester indirectement ces archétypes et fournir des
leçons parfois aussi précieuses que celles des onciaux. Selon un paradoxe qui
n'est qu'apparent, la découverte de papyrus datant du début de notre ère a
attiré l'attention sur des témoins postérieurs d'un millénaire ou plus.
L'analyse des manuscrits en minuscule, regroupés en familles, permet de placer
les onciaux « en situation » et d'évaluer ainsi la valeur de leur témoignage
respectif. Pour le livre des Nombres, outre la recension origénienne et
le groupe des chaînes exégétiques, J. W. Wevers repère huit groupes de
manuscrits en minuscule. Il montre leurs «affinités » relatives envers les
formes de A ou de B. L'antagonisme des deux onciaux fait place à un faisceau de
données où dominent, selon les cas, la leçon d'A, celle de B ou éventuellement
une troisième (J. W. Wevers, Text History of the Greek Numbers, p. 80,
85). Les manuscrits en minuscule font sortir les onciaux de leur « isolement
textuel ».
Bibliographie. A. ALLCHER, Die Chester Beatty Papyri zum
Pentateuch, Paderborn, 1938, p. 1-18. - O. PROCKSCH, compte rendu de
l'édition courante d'A. Rahlfs, ZATW 13, 1936, p. 87. - P. WALTERS, The
Text, p. 265-269.
Tendances actuelles. R. Holmes et J. Parsons s'étaient livrés à une
immense collation des manuscrits en minuscule, mais ils n'en avaient pas
exploité le témoignage (ce n'était pas leur projet). L'originalité des éditeurs
de Göttingen tient à l'importance qu'ils accordent à ces témoins. Celle-ci va
croissante. Dans les premiers volumes parus - ainsi les Psaumes et Isaïe
-, A. Rahlfs et J. Ziegler prenaient surtout en compte les manuscrits en
minuscule qui permettaient d'établir les grandes recensions. Au contraire, les
éditeurs actuels cherchent moins à reconstituer la trifaria varietas (voir
p. 162) qu'à ordonner la diversité des données.
Dans ses éditions des Prophètes, J. Ziegler avait tendance à supposer
des regroupements textuels relativement stables. Son édition de Daniel est
fortement influencée par celles des Grands Prophètes. Or, le cas de ce
livre est très particulier et J. Ziegler y tient peut-être le Vaticanus dans
une estime excessive. J. W. Wevers et R. Hanhart considèrent que chaque livre
de la LXX présente, sur le plan textuel, une situation spécifique. L'accent est
mis sur les habitudes du traducteur, tant sur le plan des équivalents entre le
grec et l'hébreu que sur celui de la langue : fréquence de l'attraction du
pronom relatif dans le Deutéronome, relative rareté du phénomène dans
les Nombres, emploi de la particule dé dans le premier, tendance à la
parataxe dans le second (J. W. Wevers, Text History of the Greek Numbers,
p. 94-95). Les habitudes stylistiques de chaque traducteur sont
aujourd'hui des facteurs déterminants pour la critique du texte (R. Hanhart,
«Zum gegenwärtigen Stand... », p. 15).
En ce qui concerne la tradition indirecte, les versions coptes mais surtout la
vieille latine sont l'objet d'une attention particulière. Pourtant, on doit
noter avec quelle prudence R. Hanhart utilise leur témoignage : en Tobit, la
vieille latine fournit un témoignage essentiel de la forme ancienne (GLI),
attestée en grec seulement par le Sinaïticus et partiellement par le Vatopedinus
513 (= R 319). L'éditeur n'utilise pas la vieille latine pour reconstituer
le texte de Gil mais uniquement pour purger le Sinaiticus de ses fautes.
Quant à la vieille latine, le lecteur doit « repérer les perles dans la litière
de l'apparat » (P. -M. Bogaert, Compte rendu de R. Hanhart, Tobit Gö, RThL
16, 1985, p. 464-465).
La série des Mitteilungen des Septuaginta-Unternehmens (Göttingen).
L'introduction des volumes de Göttingen fournit une description concise des
regroupements textuels et présente les seules données nécessaires à
l'intelligence de l'apparat. Dans un ouvrage distinct, l'éditeur justifie ses options
et propose le détail de son argumentation. Avec la série des MSU la collection
de Göttingen offre, au sens plein du terme, une édition critique. On ne cite
ici que les ouvrages de cette série consacrés à l'édition critique de la LXX :
J. ZIEGLER, Beiträge zur Ieremias-Septuaginta, MSU 6, 1958. - R.
HANHART, Zum Text des 2. und 3. Makkabäerbuches, MSU 7, 1961. - J. W.
WEVERs, Text History of the Greek Genesis, MSU 11, 1974. - R. HANHART, Text
und Textgeschichte des 1 Esrabuches, MSU 12, 1974. - J. W. WEVERS, Text
History of the Greek Deuteronomy, MSU 13, 1978. - R. HANHART, Text und
Textgeschichie des Buches Judith, MSU 14, 1979. - J. W. WEVERS, Text
History of the Greek Numbers, MSU 16, 1982. - R. HANHART, Text und
Textgeschichte des Buches Tobit, MSU 17, 1984. -J. ZIEGLER, Beiträge zum
griechischen Iob, MSU 18, 1985. - J. W. WEVERS, Text History of the
Greek Leviticus, MSU 19, 1987.
Bibliographie. R. HANHART, «Zum gegenwärtigen Stand... »,
p. 3-18. - J. W. WEVERS, « The Göttinger Septuagint », BIOSCS 8, 1975,
p. 19-23.