• L'HUMANISATION DE LA MAISON DE RETRAITE DE SAVERNE
  • Nous n'allons pas nous plaindre et nous lamenter sur la maison existante. D'autres l'ont fait, et notre travail et ailleurs. Car malgré tout, il y a des barres plus stupides encore.
  • Faire le silence,

    puis:

    ILLUMINER UN INSTANT LE SILENCE

    par,

    le "Vieux Poème ", d’Octavio PAZ dans Liberté sur Parole.

    Avec une escorte de souvenirs obstinés, je monte à grandes enjambées l'escalier de la musique. En haut, sur les crêtes de cristal, la lumière se dépouille de sa robe. A l'entrée, deux jets d'eau se dressent, et me saluent, inclinent leur panache bavard, puis s'éteignent en un murmure d'assentiment. Faste hypocrite. A l'intérieur, dans des chambres ornées de portraits, une personne que je connais poursuit une réussite commencée en 1870 - une personne qui m'a oublié écrit une lettre à un ami qui n'est pas encore né. Portes, sourires, pas secrets, chuchotements, couloirs où va le sang au son de tambours endeuillés.

    Dans la dernière salle, au fond, la lueur de la lampe à l'huile. Lueur qui disserte, moralise, discute avec soi-même. Elle me dit qu'il ne viendra personne, que j'étouffe l'attente - il est l'heure de tout rayer, et de dormir. En vain je feuillette ma vie. Mon visage s'arrache à mon visage et tombe en moi, silencieusement, comme un fruit blet. Pas un son, pas un cri.

    Et soudain, indécise à la lumière, l'antique tour, celle qui se dresse svelte entre hier et demain, deux abîmes. Je connais, je reconnais l'escalier, les marches usées, la nausée, le vertige - là j'ai pleuré, ici

    j'ai chanté. Voici les pierres avec lesquelles je t'édifiais, tour de paroles ardentes et confuses, monceau de lettres éboulées.

    Non. Reste si tu veux, pour ruminer qui fut toi. Je pars retrouver celui que je commence à être, mon descendant et mon aïeul, mon père et mon fils, mon semblable dissemblable. L'homme commence où il meurt. Je vais à ma naissance.

    * NOTE AU LECTEUR:

    Ce qui suit n’est pas une explication de notre projet -

    mais une introduction permettant de comprendre notre démarche et une invitation à vivre le projet.

    La poésie est la transmutation du monde en parole. ( HOLDERLIN )

    Notre projet dit quels sont nos choix pour répondre au programme. Ici

    nous dirons ce qui est à leur origine pour l'humanisation, c" est à dire dans le sens de "Progrès Humain".

    LE PROGRÈS HUMAIN,

    La retraite et partant la maison de retraite sont des manifestation

    importantes de la notion actuelle de progrès social.

    Les faits symptomatiques, l’élévation récente de la gériatrie au rang

    d'une branche importante de la médecine, la gérontologie, l'octroi

    de retraites aux vieux à un âge de plus en plus abaissé, le déplacement du point d'équilibre de la population dans les pays à taux

    de natalité bas, vers les groupes d'âge plus élevé, découlent de progrès sanitaire, biologique, économique, voire technologique, sociologique et politique.

    Mais actuellement aussi, toute réflexion sur le progrès engendre rapidement un grand embarras. Car ces progrès ne sont pas nécessairement des progrès spécifiquement humains.

    Grace à ces progrès les vieux sont devenus un groupe socialement

    important, et son importance va s'accentuant, pour lequel les problèmes

    du progrès humain en ce qui concerne le bonheur, le bien et la créativité sont particulièrement difficiles.

    En ce qui nous concerne en tant qu'architecte, nous savons que l'espace construit agit fortement sur ceux qui y habitent, s'y délassent et y travaillent.

    Pour la réalisation du programme d'humanisation de la maison de

    retraite de Saverne, nous visons particulièrement à concilier l'individu

    avec lui-même, avec ses semblables, avec la société dans son ensemble et avec l'esprit immanent et transcendant à l'intérieur duquel la nature a son être.

    LE CONTENU IMMÉDIAT: ( LE FONCTIONNALISME )

    Le bâtiment existant est inerte. Construire une nouvelle partie aussi

    rigide, même plus hygiénique, voire plus belle, sera un progrès en

    soi: sanitaire ou esthétique. Mais cela ne fera pas que la maison

    de retraite fonctionnera d’un point de vue humain.

    La poésie exige de nommer l'innommable. Nous voyons à la place de

    la Maison de Retraite bien plus un centre pour les vieux, qui soit

    un lieu de vie, au ralenti certes, mais certainement pas un lieu de

    retirement de la vie sociale, voire pire encore un repoussoir pour

    individus improductifs. L'opération d'humanisation réalisera un véritable

    GERONCENTER. Le mot semblerait barbare s'il n'existaient déjà la

    gériatrie et la gérontologie.

    L'ENTROPIE: ( ET LA NEGUENTROPIE )

    Considérant le système bâtiment-utilisateur, l'énergie (le potentialité)

    de fonctionnement ( pneuma-psycho-physique ) incluse dans le bâtiment à une époque donnée se transfert spontanément vers l'utilisateur évoluant selon les modes des temps. Ainsi la maison de retraite fonctionnait à une certaine époque mais plus actuellement. Le système bâtiment utilisateur subit une augmentation entropique le faisant tendre, puis

    atteindre le désordre.

    Pour éviter le chaos, il est nécessaire de réintroduire de l’énergie dans le système en agissant soit sur le bâtiment soit sur l'utilisateur.

    Ainsi humaniser la maison de retraite signifie: introduire dans le bâtiment de nouvelles potentialités de fonctionnement, que l'on peut considérer comme facteurs néguentropiques. Il s'agit de trouver quels sont ces facteurs de néguentropie.

    LA TRADITION: ( LA CRITIQUE )

    Nous partons de la tradition moderne. Celle qui efface les oppositions

    entre l'ancien et le contemporain, comme entre le distant et le proche.

    L 'acide qui dissous, ces oppositions est la critique. Le ( Son ) principe

    est la négation de tous les principes - le changement perpétuel. Elle

    débouche sur un amour passionnel de la manifestation la plus immédiate du changement: le Maintenant.

    Le nouveau n'est pas exactement le moderne, sauf s'il est porteur de cette double charge explosive: " être négation du passé et affirmation d'un ordre différent ".

    Ainsi l'ancien le plus ancien peut, accéder également à la modernité.

    Il suffit qu'il se présente comme négation de la tradition et qu'il

    en propose une autre. Paré des mêmes pouvoirs polémiques que le nouveau, le très ancien n'est pas un passé: c'est un commencement. La passion contradictoire Ie ressuscite, l'anime et en fait notre contemporain.

    Ainsi les châteaux environnant Saverne: Haut-Barr, Géroldseck, Ochsenstein, Greiffenstein, se présentent à nous comme d'incisives négations de la tradition de construire banalement dans l'abstrait, ou dans l’immédiateté apparente. Ils sont le commencement de la construction dans la nature, de la construction avec le paysage, de la construction du génie du lieu.

    LA PERSUASION: ( L'ARCHITECTURE SPECTACULAIRE)

  • ( LA WELTANSCHAUNG)
  • ..... Le temps s'immobilise.....Infiniment brisé.

  • Jacques BREL - Les Marquises

    .

  • La matière première de l'espace de la maison de retraite est de nature

    temporelle, ici plus qu'ailleurs, dans d'autres domaines artistiques -

    poésie - musique - romans, le temps doit être spatialisé, l'espace

    temporalisé.

    Le fragment de ce perpétuel écoulement du temps doit être doté des

    qualités de l'espace, savoir: la symétrie, l'équilibre et l'ordre, ainsi

    que la multidimensionalité et la faculté de permettre librement le

    mouvement dans toutes les directions.

    Nous concevons le temps comme flux perpétuel, une marche perpétuelle vers le futur. Si alors " LES PORTES DU FUTUR " sont fermées, le temps s'arrête. Et cette idée est insupportable et intolérable, car elle recèle une double abomination: elle offense notre sensibilité morale en bafouant nos espoirs dans la perfectibilité de l'homme, elle offense notre raison en ruinant nos croyances touchant l'évolution et le progrès humain.

    Les anciens redoutaient le futur et répétaient de vaines formules pour le conjurer. - nous nous donnerions la vie pour voir sa face rayonnante -

    une face que jamais nous ne verrons.

    Le présent fixe de l’éternité est la plénitude de la perfection dans le ciel de DANTE, mais pour nous hommes de 1983 c'est une véritable condamnation, car il nous accule à un état qui s'il n'est pas la mort, n'est n’est pas non plus la vie. Dans ce sens la maison de retraite serait un royaume d’emmurés vivants, prisonniers de parois de minutes figées.

    Ainsi nous désirons un univers ouvert, fondamentalement mouvant,

    spatialement relié par le système des rampes permettant l'évolution multidirectionnelle, participant encore en étant son hôtel, de notre voyage vers un autre ici, et un autre maintenant.

    Rien, rien n'est figé.

    Toute la diversité: infiniment unifiée.

    L'IMAGE SUPERP0SÉE: ( LA MITHOLOGIE )

    Entrevu à travers la tradition, les légendes, les histoires, l'image du château - fort est ancrée dans nos mémoires comme le sont ces châteaux dans nos sites. _

    Il n'est pas rare qu'au détour, ou à l'aboutissement d'un chemin,

    dans nos forêts de Saverne, nous tombons sur une de ces images réelles.

    Signifiant aujourd'hui le mythe du retour à la nature, autant que

    sa domination, ces images sont le commencement imaginaire d'une

    symbiose entre l'homme et la nature.

    Tout au bout du cheminement à travers l'enceinte de l'hôpital de Saverne, la maison de retraite devient l'image imaginaire de ce château, fort de la puissance de l'ancienne barre conservée comme rempart. S'accrochant et se posant sur la colline, s'ouvrant sur la forêt et ses promenades de sous-bois.

    De l'autre coté il domine la vallée et crée comme une grande porte, ou d'ailleurs la nature entre et vient se lover à l'intérieur de l'édifice.

    A l'intérieur les rampes et balcons développent les vues plongeantes

    et les effets de surplomb caractérisant le château.

    L'architecture que l'homme attend prend en compte ses nouvelles dimensions psychiques et psychologiques: le surplomb, le mouvement, l'appartenance au cosmos.

    LE CONTENU MÉDIAT: ( LA TRADUCTION D'UN PROBLÉME

  • FONDAMENTAL DE L ' ÉPOQUE )

    (LA SUBLIMATION DE LA JEUNESSE

    ET LE VIEILLISSEMENT DE L’ART )

  • L'accélération du temps ne rend pas seulement oiseuses les distinctions entre le passé révolu et l’événement présent: elle annule les différences entre vieillissement et jeunesse.

    Notre époque a exulté avec une telle frénésie la jeunesse et ses valeurs

    qu'elle a fait de ce culte, faute d’une religion, une superstition.

    Et pourtant jamais on n'a tant vieilli, ni si vite qu’aujourd’hui:

    Nos collections d’œuvres d'art, nos anthologies poétiques, nos bibliothèques, nos villes regorgent de styles, mouvements, tableaux, sculptures, romans, poèmes, bâtiments, prématurément vieillis.

    Et pourtant le temps ne passe pas plus rapidement qu'autrefois. Mais à notre époque il s'y passe plus de choses et toutes presque en même temps, non l'une après l’autre mais simultanément.

    L’accélération du temps, ou de l’histoire est fusion: tous les temps et tous les espaces convergent en un ici et maintenant.

    Le bâtiment devient point de convergence. Convergence de l’artificiel et du naturel, de l’ancien et du contemporain, de l’ouvert et du fermé, du plan horizontal et de la colline. De fait il est point de convergence entre ses utilisateurs internes. Il ne dépend que d’une autre volonté (politique) qu’il le devienne entre ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors.

    L’IMAGE IMPOSSIBLE

    D’après la configuration topographique et la typologie de l’existant la solution uniquement fonctionnelle aurait été d'entailler profondément la montagne. Mais l’introduction du bâtiment dans la terre ne prête pas au sujet.

    La Maison de Retraite voulu comme centre de vie pour les personnes agrée s’accommoderait elle avec l’image de la nécropole?

    L'intention même du programme, savoir: l’humanisation de la maison de retraite - refuse l'idée de "la mise en boite ", inévitablement conférée psychologiquement par la création d'un bâtiment représentatif de l'institution " Retraite ". Ce bâtiment ne doit pas représenter.

    Il faut qu'il soit, nous l'avons dit, facteur de néguentropie.

    L'IMAGE POSSIBLE:

    Pour atteindre l'ETRE, l e bâtiment peut offrir des images de liberté: multidirectionalité de l’espace, dialogue et même symbiose avec la nature environnante. L'image du chàteau-fort confère la notion de sécurité aux personnes âgées . D 'autre part une notion psychologiquement intéressant pouvant jouer au niveau de l'inconscient, est que les vieux malgré un état de plus ou moins grand délabrement physique ont encore une présence bien réelle.

    Pour Saverne en particulier et vu la proximité immédiate du jardin botanique dans le col, l’image du jardin, " Midgard'n " jardin du milieu -monde des hommes de la mythologie est donnée par l'interpénétration de la nature même à l'intérieur de la maison de retraite par le système des rampes.

    Effectivement, quoique les déplacements des pensionnaires et du personnel à l'intérieur du bâtiment sont possible de plain-pied ou par appareil élévateur, l’exceptionnel ( programme B4 - notice générale - page 4 - alinéa 13.) l’exceptionnel devient dans ce projet le naturel.

    Le plan incliné, la rampe, qui d’autorisée à l’extérieur, envahit l'intérieur du bâtiment, telle une vague doucement déferlante, et irrigue entièrement la colline construite.

    L'URBANISME ( LA COMMUNICATION )

    ( LA CONVIVIALITÉ )

    Nous ne discutons pas l’opportunité de la volonté du programme: humaniser cette maison de retraite existante. On pourrait certes construire ailleurs que dans l’enceinte de l'hôpital, dans un milieu plus urbain, pour favoriser plus l’insertion des vieux dans la société. Néanmoins nous ne sommes pas étranger aux problèmes économiques, ni à ceux d'ordre moraux ou psychologiques concernant dans ce cas là le déplacement des pensionnaires actuels.

    " Mais peu de gens savent être vieux et peu de vieux se souviennent d’avoir été jeunes...

    Le monde déshumanisé ne fait qu’aggraver le drame des humbles, de mieux en mieux dissimulé par des stratagèmes d’exclusion sociale.....Il conduit à l’assistanat, au repli sur soi, à l’abandon de sa dignité et de son autonomie.....Comme on ne communique plus guère, comment y remédier.....En incitant les personnes âgées à prendre soin des enfants en bas âge.....En permettant aux hommes de se refaire des racines affectives.....

    Paul MILLIEZ

  • "Du bon usage de la vie et de la mort" chap.XXX
  • 'Nous voulons favoriser d'abord la communication à l'intérieur même'' de l'établissement, par tout le Jeu des transparences, de possibilités d’accès tant visuels que physiques, par le positionnement spatial des espaces communs en surplomb, et l'élément facteur néguentropique fort qu'est le système des rampes.

    Cela dit, nous ouvrons le bâtiment sur la communication extérieure en créant une deuxième porte vers l'arrière de l'enceinte de l'hôpital.

    Cela permet aux résidents l’accès vers la promenade de la vallée du Schlettenbach.

    Mais cette deuxième porte doit bien plus favoriser la pénétration de la population extérieure vers la maison de retraite. Un jardin avec jeux pour petits enfant y est aménagé. On peut même concevoir que la colline servira en hiver de piste de luge, ce qui favoriserait une animation réelle. Les personnes âgées se sont toujours bien entendues avec les petits enfants. Une structure de garderie serait à encourager, le bâtiment projeté le permet aisément.

    Toute circulation périphérique de véhicules motorisés est évidemment

    supprimée, car cela isole le bâtiment et ses abords immédiats, confinant

    les résidents à demeure - parceque assiégés et terrorisés. Ils deviennent méfiants du fait de l'affaiblissement des sens de la vue et de l’ouïe.

    Noua n'avons pas supprimé la rationalité conférant l'ordre, nous n'avons

    pas médicalisé, nous ajoutons au programme des éléments de fonctionnement, des facteurs d'humanisation, des éléments poétiques, nous donnons la liberté.

    Sommes nous trop généreux avec nos VIEUX ?

    Nous savons qu'il nous faut donner ce que nous aimerions recevoir.

    Indietro