La veillée aux espoirs

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            Le reflet des flammes rougeoyantes jouait avec les sillons du visage de grand-mère. Indifférente à l'épais manteau blanc qui recouvrait le paysage visible de la fenêtre, elle avait roulé les manches de sa robe au-dessus de ses coudes pour se sentir à l'aise. L'ultime cuillère de meringue posée sur son gâteau, elle soupira d'un air satisfait, l'enfourna, et se posta derrière la fenêtre.

 

            « Il y avait de l'orage ce soir-là. Le tonnerre grondait et les éclairs zébraient le ciel en le déchirant de part en part. Un étrange temps pour une nuit de Noël. Une étrange venue au monde pour une sainte veillée de la nativité. Tant de beauté et de tourments pour une étrange vie...

Je me souviens de tout.

De ce soir où mes préparatifs de la veillée furent interrompus par un cri de douleur dans l'escalier. De mon coeur qui a manqué un battement alors que je comprenais ce qui était en train de se passer. De mes ordres lancés en hâte aux domestiques, du médecin arrivant empressé.

De la mère souffrant avec courage en attendant avec patience l'arrivée de son enfant. Du père faisant les cent pas dans son bureau. Du regard tendre de la mère sur son enfant, malgré le pli angoissé de ses lèvres. De l'espoir déçu dans les yeux du père, de son geste de rage, de sa colère, de ces imprécations furieuses...

Je me souviens de tout.

Il y avait de la neige ce soir-là. L'atmosphère était cotonneuse et les flocons tombaient doucement du ciel en glissant des nuages ronds. Un temps serein pour une nuit de Noël, une sereine venue au monde pour une sainte veillée de la nativité. Tant de beauté et de douceur pour une paix retrouvée…

Je me souviens de tout.

De ce soir où mes préparatifs de la veillée furent interrompus par un cri de douleur dans l'escalier. De mon coeur qui a manqué un battement alors que je comprenais ce qui était en train de se passer. De mes ordres lancés en hâte aux domestiques, du médecin arrivant empressé.

De la mère souffrant avec courage en attendant avec patience l'arrivée de son enfant. Du père lui serrant la main avec force et amour. Du regard tendre de la mère sur son enfant, malgré le sourire surpris de ses lèvres. De l'espoir comblé dans les yeux du père, de ses gestes hésitants et pleins de douceur, de ses larmes de joie, de ses mots d'amour.

Je me souviens de tout. »

 

            Une bonne odeur se répandait dans la cuisine. Grand-mère essuya une larme, quitta la fenêtre et sortit le gâteau au chocolat recouvert de meringue dorée. Elle le posa sur une assiette au liseré d’or et l'emporta vers la salle à manger.

 

            « Gâteau ! Gâteau ! Grand-mère ! »

« Doucement Rose, il ne faut pas manger trop vite ! »

« Oh, elle a de qui tenir ! »

 

Coupant le gâteau, Grand-mère regarda sa famille réunie. Sa petite Rose de deux ans et demi, debout sur la chaise sans égard pour sa robe bleue, le long ruban essayant vainement de retenir ces boucles blondes, ondulant sur son dos, ses grands yeux verts obstinément fixés sur le gâteau afin de veiller à l'équité des parts tranchées. Oscar, resplendissante dans la robe blanche qu'elle portait pour l'occasion, la tête appuyée sur l’épaule d’André, qui l'entourait de son bras, son œil d’obsidienne débordant de tendresse. Amusés par la gourmandise de leur fille, leurs regards se croisèrent et leur sourire s'évanouit en un baiser.

La mort avait failli les emporter maintes fois, mais ni les balles, ni la maladie, ni leur opposition à la Terreur n'avait réussi à les séparer. Retirés dans la campagne normande après avoir échappé à la guillotine, ils goûtaient à leur bonheur, voyant en Rose leur plus belle victoire et la justification de leurs souffrances.

 

            À la lumière des reflets rougeoyants des flammes, feu chaleureux loin des fureurs de l’histoire, la pleine conscience de la réalité empirique de leur chance s'imposait à eux : ils avaient survécu. Ensemble, encore et toujours.

 

 

 

«  Et parce que l'Amour combat

non seulement dans sa brûlante agriculture

mais dans la bouche d'hommes et de femmes,

je finirai par me retrouver sur la route

de ceux qui entre ma poitrine et ton parfum

voudront glisser leurs plantes ténébreuses

Ils ne te diront, mon amour,

à mon sujet de pires choses

que ce que je t'ai déjà dit.

Je vivais parmi les prairies

quand nous nous sommes rencontrés

et je n'attendais pas l'amour mais je guettais

la rose et je fondis sur elle.

Que peuvent-ils dire de plus ?

Je me suis ni bon ni méchant, je suis un homme

et ils ajouteront alors à ma vie le danger,

tu le connais,

avec ta passion tu l’as partagé.

Bon, ce danger

est danger d'amour, et d'amour total

pour toute la vie,

pour toutes les vies,

et si cet amour nous entraîne

à la mort ou dans les prisons,

tes grands yeux, je le sais,

comme il le font sous mes baisers,

se fermeront avec orgueil,

ô mon amour, un double orgueil,

avec ton orgueil et le mien.

Pourtant, avant cela, vers mon oreille

Ils voudront essayer de miner cette tour

Du tendre et dur amour qui nous unit

Et ils diront : « cette fille

que tu chéris

n'est pas une femme pour toi,

pourquoi l'aimes-tu ? Il me semble

que tu pourrais en trouver une plus jolie,

plus sérieuse, plus réfléchie,

ah ! Vraiment autre, comprends-nous, as-tu vu comme elle est frivole,

et sa tête, regarde,

et sa façon de s'habiller,

et patati et patata... »

Mais moi dans ces lignes je dis :

C’est ainsi que je t'aime, amour,

amour, c'est ainsi que je t'aime,

telle que tu t'habilles, telle

que tu relèves tes cheveux,

avec cette manière aussi

que prend ta bouche pour sourire :

légère comme une eau de source

fluant parmi ces pierres pures,

c'est ainsi que je t'aime, aimée.

Je ne demande pas au pain une leçon

 mais qu'il ne manque

à aucune de mes journées.

J’ignore tout de la lumière, je ne sais

d'où elle vient, où elle va,

je veux seulement qu’elle éclaire ;

je ne presse jamais la nuit

de s'expliquer,

je l'attends, elle m'environne.

Et c'est ce que tu es, toi : pain,

lumière et ombre.

Tu es arrivée à ma vie,

avec ce que tu apportais,

toute

de lumière, de pain, d'ombre, je t'attendais,

ce n'est pas autrement que j'ai besoin de toi

et c'est bien ainsi que je t'aime.

Que ceux qui voudront écouter demain

ce que je ne leur dirai pas, lisent ceci

et fassent marche arrière : il est trop tôt

pour discuter.

Demain seulement nous leur donnerons

une feuille de l'arbre de notre amour, une feuille

qui tombera sur terre

comme née de nos lèvres,

comme un baiser qui tombe

de nos invincibles hauteurs

afin qu'ils puissent voir le feu et la tendresse

d'un amour véritable. »

 

Pablo Neruda, Les vers du capitaine, Ode et germination VI.

 

pubblicazione sul sito Little Corner del maggio 2006

 

mail to: lady_rose_grandier@yahoo.fr

 

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