Dans ses mains
partie IX
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« André ? Tu es là, André ? »
La gouvernante l’avait dit timidement, en ouvrant la porte de la chambre de son petit-fils. Le déjeuner était passé depuis peu. Elle le trouva étendu sur son lit, les mains croisées sur l’oreiller derrière la nuque, un genou replié. Il avait le regard perdu au loin par la fenêtre, dans cette position.
Il se leva pour s’asseoir, lorsqu’il la vit, d’un air surpris : Marie ne venait jamais le chercher dans sa chambre. « Dis-moi –répondit-il, qu’est-ce qui s’est passé, Grand-mère ? »
La femme s’approcha doucement, sans rien dire. Elle s’assit sur le lit avec un soupir. Puis le regarda : « Comment va mon petit-fils préféré ? »
« Bien, pourquoi me le demandes-tu ? »
« Tu sais, cela fait longtemps que nous n’avons pas parlé un peu… »
André la scruta d’une manière interrogative : « Eh bien… nous n’avons pas l’habitude d’avoir de longues conversations… »
« C’est vrai, mais il n’y en a pas le besoin, d’habitude… »
André croisa une jambe d’un geste masculin et porta une main au visage, le coude posé sur le genou. Il posa sa joue sur les jointures de ses doigts. « Et cette fois par contre il y en a besoin ? »
La gouvernante soupira de nouveau : « J’ai bien peur que oui... »
Il s’inquiéta vraiment, alors. « Qu’est-ce qui s’est passé ? », demanda-t-il, sérieux.
« Voilà, je suis venue ici parce que je dois te dire une chose. Une chose qui concerne toi et Oscar ».
« Moi et Oscar ? »
« J’ai parlé avec le général, André : il m’a appelé dans son bureau ».
Le jeune homme pâlit, en cherchant à contrôler sa propre réaction. Il resta immobile, lèvres closes, les yeux très attentifs : « Et pourquoi ? »
« Il m’a dit des choses et… je dois te les rapporter, André ».
« Donc rapporte-les moi… »
« Voilà… il m’a ordonné de garder la plus grande discrétion, mais… »
« Mais ? »
« Tu sais comme il est fait, c’est un homme de peu de mots… »
« Grand-mère, au fait ! »
« Oui, oui, excuse-moi… c’est que je ne sais comme dire cette chose, André ».
« Dis-la comme elle est… »
« Bien sûr… bien sûr. Voilà, André, il ne voit pas d’un bon œil ta proximité avec Oscar. Cela ne lui plaît pas la familiarité que vous avez ».
André se sentit manquer de souffle : « Dans quel sens ? »
« Et bien, il ne l’a pas dit expressément, mais… il dit que vous passez ensemble trop de temps ».
« Trop de temps ? Mais c’est lui qui m’a confié la charge de la protéger ! »
« Je le sais, tu es son ordonnance… »
« Justement, et alors ? »
La vieille femme soupira avec un peu d’anxiété, et se passa une main sur le front : « Il ne l’a pas dit dans des termes clairs, mais il me l’a fait comprendre. En définitive, Oscar est une femme, tu es un homme… il ne veut pas que vous soyez trop proches. Je crois qu’il craint que… entre vous… »
André avait des sueurs froides : « Il pense que moi et Oscar avons une liaison ? »
« Non non, pour l’amour de Dieu ! S’il le pensait il ne m’aurait pas envoyée te le dire. Non… il veut seulement conjurer toute vague possibilité qu’il arrive quelque chose… Il a dit qu’Oscar est une jeune fille très belle, et qu’elle mène une vie très libre… »
« Et il s’en aperçoit maintenant ? Et depuis quand a-t-il remarqué que sa fille est une femme ? C’est lui qui l’a forcée à vivre comme un homme, à chercher à la convaincre qu’elle était un homme ! Maintenant tout à coup il se rend compte qu’elle est une fille ? »
« Oui, je le sais, je le sais, André… tu as raison. Mais je pense que le général change, qu’il se sent un peu coupable… Je crois qu’il a compris que ce n’est pas juste de contraindre Oscar à mener la vie qu’elle mène. Ou du moins que c’est plutôt risqué… Et qu’il veut faire quelque chose pour empêcher… des ennuis ».
« Et quoi, précisément ? »
« Voilà, avant tout il veut t’écarter de son service… »
André se mit debout brusquement, en serrant les poings, et fixa la gouvernante avec des yeux de feu. Mais il ne dit rien : il attendait qu’elle finisse.
« Mais ne t’inquiète pas, André ! Il ne veut pas te renvoyer du palais Jarjayes, il t’affectera à d’autres fonctions : seulement, pas avec Oscar. Et puis… »
« Et puis… »
« Et puis il y a une autre question. Il veut que tu te maries ».
« Quoi ?! »
« Oui… il dit que ce n’est pas normal qu’un homme de ton âge n’aie pas une compagne… bref, que… tu es un homme jeune, André, et qu’il est naturel qu’à ton âge… »
« En somme il veut s’assurer que j’ai quelqu’un avec qui me soulager ! »
« Pratiquement… oui… C’est comme ça. Il pense qu’ainsi sera évité le risque que… »
« Que je me soulage avec sa fille… »
« Oui. Il n’a pas dit cela, il ne le dirait jamais, mais les choses sont ainsi. Il pense aussi qu’Oscar est très fragile, à cause des conditions dans lesquelles elle vit, et qu’elle pourrait tomber… »
« Dans les griffes d’un immonde séducteur ».
« Oui ».
« C’est-à-dire moi ».
« C’est-à-dire toi, qui –même si tu es son ordonnance – es très intime avec elle, depuis toujours ».
André allait et venait dans la chambre, hors de lui. « Bien sûr, tout à coup il s’aperçoit, après presque trente ans, avoir fait une chose monstrueuse ! Et il prétend tout arranger d’un jour à l’autre ! C’est tout à fait lui, tout à fait lui… Et dis-moi, il ne pense pas que les gens ont des sentiments qui ne peuvent pas être piétinés selon son bon plaisir ? Comment lui vient-il à l’esprit de décider que je dois me marier pour qu’ainsi il soit plus tranquille ? Cela ne lui suffit pas de jouer à la marionnette avec sa fille ? Maintenant il veut faire la même chose avec tout le reste du monde ? Et ne pense-t-il pas qu’Oscar a sa propre sensibilité, et que ce n’est pas juste de l’écraser encore ? Pour la énième fois ? Je ne parle pas de moi, il est clair que de moi il se fiche, mais de sa fille il ne se préoccupe pas du tout ? Du mal qu’il lui fait ? »
« Oui… je crois qu’il a à l’esprit quelque chose pour Oscar aussi ».
André s’arrêta tout à coup : « Et quoi… »
« Voilà, je pense qu’il veut la pousser à abandonner l’uniforme, et... et la donner en mariage à quelqu’un. Tu sais qu’elle ne peut pas refuser, André. Je pense qu’il veut lui trouver un mari parmi la noblesse. Quant à toi, il m’a dit que si tu n’acceptes pas ses conditions tu devras partir de cette maison ».
A présent elle avait vraiment tout dit. Elle leva les yeux timidement, pour regarder son petit-fils. Elle le vit pétrifié. Elle attendit qu’il réponde quelque chose, mais le jeune homme resta silencieux. Il resta silencieux pendant de longues minutes.
« Bien sûr… », l’entendit-elle dire ensuite à voix très basse, à la poursuite d’une pensée.
« Bien sûr… comme cela il nous a casés tous les deux et s’est mis en paix avec sa conscience… Il ne lui importe rien d’Oscar, vraiment rien. Il pense seulement à la bonne réputation de sa maison, et est prêt à écraser n’importe qui, pour cela ». Puis elle le vit lever le visage, et la fixer avec une soudaine détermination dans le regard. Ses yeux lui firent peur.
« Bien – l’entendit-elle dire, pendant qu’il lui tournait le dos -. Ceci rend tout plus facile. Beaucoup plus facile. »
*******
Oscar avait été bouleversée par la nouvelle, et elle ne réussissait pas à en prendre son parti. Lorsque André lui avait rapporté le contenu de la conversation avec sa grand-mère, elle avait dû s’asseoir parce que la tête avait commencé à lui tourner tout à coup. A elle son père n’avait rien dit : il s’était seulement installé de nouveau au palais Jarjayes, et toutes les fois où elle mettait le pied en dehors de sa chambre elle le trouvait devant elle. Même cette explication avec André avait dû se passer à Versailles, pendant une pause dans le service, parce qu’à la maison il était absolument impossible de se retrouver seul à seul, désormais.
Elle avait le cœur rempli de colère et de peur à la fois. Elle connaissait bien la volonté de fer du général et savait que, quand il décidait une chose, il exigeait qu’elle soit réalisée immédiatement, sans se préoccuper du tout d’éventuels objections. Cet aspect du caractère de son père l’avait dominée pendant des années, avant qu’elle ne devienne consciente d’elle-même grâce à sa relation avec André. Elle en était épouvantée même à présent, bien qu’elle soit plus déterminée que jamais à résister.
Donc ils voulaient l’éloigner d’André. Et le marier. Et la marier elle aussi. A de parfaits inconnus, peut-être, pourvu que ce soient des personnes de mêmes conditions sociales.
Penser à elle-même dans les bras d’un homme qui ne serait pas André lui donnait une sensation de nausée insupportable. Et lui avec une autre femme, ensuite, était une image qu’elle ne parvenait même pas à se représenter, tellement elle lui faisait mal.
Il avait dû avoir recours à tout son amour et toute sa douceur, André, pour réussir à la calmer : il l’avait fait entrer en cachette dans une chambre sombre, dans un couloir dérobé du palais, pour pouvoir tout lui raconter loin des témoins. Il l’avait enlacée et embrassée, lorsqu’elle avait commencé à pleurer sans pouvoir se retenir, il l’avait serrée fort en lui disant de ne pas avoir peur, qu’il la protégerait, que personne ne pourrait les séparer. Et puis, lorsqu’elle s’était jetée sur lui et avait commencé à le déshabiller désespérément, dans cette même chambre, et l’avait embrassé sur la bouche sans se soucier de rien, et avait pressé son corps contre son corps pour lui faire l’amour là, tout de suite, passionnée et égarée comme si elle avait peur qu’on l’empêche de le toucher encore, comme si le faire là, tout de suite, sur le plancher, pouvait réaffirmer de toutes leurs forces qu’ils s’appartenaient ; lorsqu’elle l’entraîna à terre et était montée sur lui en luttant contre ses résistances, ses exhortations à la prudence, et l’avait enflammé de ses baisers et s’était unie à son corps dans une frénésie angoissée, en pleurant entre les gémissements, alors André avait cédé complètement, et l’avait tenue serrée pendant qu’elle se mouvait fiévreusement sur lui, et avait uni à ces soupirs ses propres soupirs, à ces larmes ses propres larmes, jusqu’à ce que l’effroi qu’elle avait dans son âme fonde sur ses membres abandonnés au plaisir. Cela faisait tant de jours qu’ils ne faisaient plus l’amour, et dans cette chambre sombre d’un couloir obscur de Versailles il l’avait aimée de nouveau, en faisant mille caresses sur son visage pendant que, sur elle, maintenant, il tenait entre ses bras son corps pour la cacher au monde.
Ils étaient demeurés longtemps seuls là-dedans, sans se soucier de tous ceux qui les auraient cherchés, parce que la chose la plus importante de toutes, à cet instant, était qu’ils soient ensemble, rien que eux deux.
*******
Il fut difficile de le décider, mais à la fin ils convinrent tous les deux qu’il fallait jouer le jeu et remettre de quelque temps le départ. A ce moment, avec l’attention du général pour contrôler n’importe quel mouvement imprévu, il y avait le risque concret que leur fuite soit découverte trop tôt, et échoue. Ils cherchèrent à être prudents, même si cela allait contre tous les sentiments de leur cœur.
La conversation qu’ils eurent pour arriver à cette détermination fut peut-être l’ultime occasion où ils pourraient parler longtemps, avant qu’ils ne commencent une période d’éloignement quotidien et douloureux.
Ce fut encore à Versailles, dans l’écurie du Palais, pleine d’allers et venues de personnes et pour cela aussi sûre que si elle était vide.
« Nous leur donnerons ce qu’ils veulent », avait dit André. Il se lavait les mains, après avoir installé le cheval, et elle l’écoutait appuyée à une colonne, les bras croisés sur la poitrine et les yeux fixés sur le sol, tristes.
« Et c’est-à-dire ? », avait-elle demandé sans lever le regard.
« Oscar… tu dois être forte… ce sera seulement pour peu de temps, ensuite nous serons ensemble. Nous devons faire en sorte que tout se calme, parce que si nous nous opposons avec colère nous obtiendrons l’effet inverse. Nous devons attendre, et nous préparer à un sacrifice ».
Elle n’avait pas le courage de se l’entendre dire, et pourtant elle lui demanda : « Quel sacrifice ? »
« Nous devons faire comme il le dit, pour le moment : Oscar, je dois abandonner ton service ».
« André… »
« Courage mon amour, ce sera pour peu de temps ».
A elle étaient venues les larmes, et elle avait dit à voix basse, en larmes : « Et comment je fais… l’air me manque à la seule pensée… André… »
Entendre son nom prononcer ainsi, comme une supplique, un appel à l’aide, lui fit venir le désir de l’enlacer là, au milieu de tous ces gens. Il s’approcha en silence, le visage très proche du sien. Les mots effleurèrent sa joue, pendant qu’il était en face d’elle sans la regarder, les bras immobiles et retenus : « Je t’aime », lui dit-il.
« André… comment je ferai sans toi… comment ? »
« Ce sera seulement pour peu de temps, mon amour. Nous partirons et personne ne nous trouvera plus ».
« Mais je ne te verrai plus tous les jours… »
« Non, je te le promets, Oscar : nous nous verrons toujours. Peut-être pour peu de minutes, mais nous nous verrons. Cela ne durera pas longtemps ».
« Mais si mon père veut que tu te maries… »
« Oh, sur ceci c’est moi qui ai plus voix au chapitre, tu ne crois pas ? Je prendrai mon temps. Tu verras, déjà le fait que nous nous séparions le tranquillisera tout de suite. Il ne pense pas vraiment qu’il y a quelque chose entre nous : c’est une chose inconcevable pour un homme comme ton père. Il veut seulement se débarrasser l’esprit de n’importe quel doute, et s’il ne nous voit plus ensemble cela lui passera ».
« Et s’il veut me marier ? André, s’il veut me marier je n’ai pas le droit de m’y opposer… ». Elle avait serré les poings, en le disant. « Mais je mourrai, plutôt que de me marier de force… »
Sur son visage lui passa un regard très sérieux. Mais ensuite il sourit avec tendresse : « Cela n’arrivera jamais, mon amour. Ne pense pas que je permettrai une chose de ce genre… Tu ne dois pas te faire du souci : avant qu’il ait le temps d’organiser un quelconque mariage nous serons déjà loin ».
Puis lui était venu encore le désir de l’embrasser, mais il ne pouvait pas. Il ne pouvait même pas lui prendre la main, la caresser. Il la fixa avec une intensité douloureuse.
« Je penserai à toi tout le temps », dit-il.
Le soir même, au palais Jarjayes, le général envoya appeler André. Il l’attendait près d’une fenêtre de son bureau, en fumant la pipe. Il tournait le dos à la porte lorsqu’il l’entendit frapper, et ne se tourna pas après lui avoir dit d’entrer.
« Vous m’avez fait appeler ? »
Jarjayes ne répondit pas et aspira une bouffée en silence. Cet homme n’était qu’un ordonnance : c’était bien qu’il s’en souvienne.
« Je serai bref, André – dit-il enfin d’une manière sèche et sévère -. Tu vas abandonner le service d’Oscar à partir de demain, comme ta grand-mère te l’a annoncé ».
Il ne reçut pas de réponse, et fut forcé de se tourner pour observer sa réaction : André était immobile au milieu de la pièce, les bras le long du corps, et ne disait rien. Mais il le regardait dans les yeux.
« Alors ? Tu n’as rien à dire ? »
« Non, monsieur », répondit André sans baisser le regard.
« Bien, donc c’est décidé », répéta le général. Il avait l’air comme si, au ton dur de sa voix, il attendait – il espérait – une rébellion. Mais André ne bougeait pas, et continuait à le fixer. Il prononça seulement les mots : « Comme vous le désirez », sur un ton qui aurait pu être défini de n’importe quelle manière, excepté comme approprié au contenu de la phrase.
De nouveau tomba le silence. Le général se sentit embarrassé : le comportement d’André était irréprochable, mais son mutisme résonnait comme un défi.
Alors il alla vers lui, jusqu’à arriver en face de lui : « Tu t’occuperas à temps plein de l’écurie », dit-il avec hauteur en le regardant dans les yeux. Mais pour le faire il dut lever la tête de bas en haut.
Alors il lui tourna encore le dos, et revint à la fenêtre. Il laissa passer quelques minutes, en fixant au-dehors.
« Et pour l’autre question –ajouta-t-il enfin sans se tourner, avec une sévérité dont la voix trahissait tout l’effort -, je souhaite que bientôt tu prennes femme ».
De nouveau il garda délibérément le dos tourné, parce que l’idée de rencontrer encore le regard d’André le mettait mal à l’aise. Mais cet homme qui pour Oscar était comme un frère se taisait, et ce silence créé par son mutisme le rendait incertain et furieux. « Et bien – demanda-t-il alors en se retournant brusquement, en dominant à grand-peine sa colère -, que penses-tu faire ? Tu te marieras ? »
Pendant quelques secondes il ne reçut pas de réponse. Puis la phrase qui arriva d’André le frappa comme un coup de fouet, même si son énonciation ne donnait pas le moyen d’expliquer pourquoi :
« Bien sûr, monsieur. J’en avais justement moi-même l’intention ».
*******
Comme le général avait voulu, ils s’étaient séparés. Sans bruit, sans qu’Oscar consulte son père pour avoir des explications. Jarjayes s’était préparé à une demande d’éclaircissement et s’étonna un peu de ne pas en recevoir de sa fille, qui se contenta, au contraire, des laconiques motifs qu’il lui donna un matin, en passant dans sa chambre avant de sortir : à l’écurie il fallait une personne de plus et il y avait affecté André. Mais puisqu’il ne se passait rien, il ne fit pas le premier pas et pensa que la situation n’était pas aussi préoccupante qu’il l’avait craint : il se dit qu’Oscar probablement n’avait pas donné grand poids à la chose et que la présence d’André à son côté lui était somme toute indifférente. Conviction qui se renforça, ensuite, du fait que privée du sien, elle ne demanda pas d’autre ordonnance : elle se faisait assister par les serviteurs de la maison quand elle rentrait le soir, et à Versailles de ceux du Palais. Elle ne semblait pas sentir du tout le manque d’un écuyer.
La savoir seule, d’autre part, à présent, l’inquiétait pourtant, après que la situation ait été normalisée. Avec André pour veiller sur elle il était certainement plus tranquille, sentiment contradictoire qu’il ne parvenait pas à expliquer et que pour cela il décida d’ignorer. Il préféra ne pas toucher à cette corde sensible, et ne mettre personne d’autre à ses côtés, pour le moment, aussi parce que les plans qu’il avait pour Oscar résoudraient la situation d’elle-même.
Il s’était passé des semaines et tout se passait normalement. Le général retrouva toute sa tranquillité et se réjouit en son for intérieur d’avoir eu des craintes plus qu’infondées, se renforçant dans la conviction avec laquelle il les avait repoussées.
Pour obtenir ce résultat Oscar et André payèrent un prix très élevé.
Ils perdirent toute occasion d’être ensemble, toute possibilité de se voir et de se parler. Personne ne le leur défendait expressément mais, pour se rencontrer, désormais, ils auraient dû sortir du rythme habituel de leurs journées séparées, retrancher des espaces destinés seulement à cela sans la couverture d’un quelconque prétexte : et cela se serait remarqué, surtout dans un moment pareil.
Ils durent complètement renoncer à se rencontrer et éviter avec le plus grand soin la possibilité de créer des soupçons.
Cependant André trouvait toujours le moyen, comme il avait promis, de la voir chaque jour. Parfois c’était seulement quelques instants, un échange de regards, quand elle ramenait son cheval à l’écurie, le soir et – pendant que quelqu’un se le voyait confié – elle cherchait du regard ses yeux, les trouvant, dans une présence muette qui ne la laissait jamais seule : parce qu’André l’attendait toujours, et il n’arrêtait pas de travailler tant qu’elle n’était pas rentrée. Quelquefois c’était quelques minutes, s’il y avait peu de personnes, et ils réussissaient à se rapprocher au point d’être proches. Non que les autres les observaient délibérément pour les surveiller : mais cet éloignement d’André s’était remarqué, et avait déchaîné mille suppositions dont ils devaient se garder plus que jamais. Ainsi il était nécessaire de conserver un comportement tranquille, de feindre la sérénité. Ils ne se disaient rien. Ces instants étaient remplis de souffrance, mais il lui souriait, et pendant un instant le poids s’envolait de son cœur.
Et puis, quelquefois, ils réussissaient même à parler. Cela arrivait quand c’était André qui s’occupait de son cheval. Le matin Oscar descendait exprès avant qu’il puisse être prêt, et, pendant qu’il achevait de le préparer pour pouvoir le lui remettre, elle était auprès de lui. Devant le peu de serviteurs présents ils échangeaient de brèves phrases au contenu insignifiant, frémissant au son de leurs voix entremêlées. Cela aurait été encore plus étrange, du reste, qu’ils ne se parlent plus : ainsi même ces très brèves conversations paraissaient plus que normales, et par la suite eux deux purent en profiter en se disant doucement ce que vraiment ils ressentaient. Cependant il y avait tant de choses qu’ils auraient voulu dire, en un temps si court qu’aucun des deux ne parvenait à se consoler, et ils se séparaient pleins d’une brûlante déception.
Ce fut pour cela qu’ils commencèrent à s’écrire, et à échanger en cachette des lettres dans lesquelles ils déversaient tout leur amour frustré. Ils s’écrivaient chaque jour, et chaque jour détruisaient les feuilles sur lesquelles ils avaient frémi, ligne après ligne. Ils se donnaient du courage, dans ces messages. Ils se disaient qu’ils s’aimaient. Ils parlaient de la fuite de tout qui bientôt les réunirait.
Il avait été nécessaire de modifier les plans, et André avait envoyé une lettre à son cousin pour l’informer qu’il reportait le départ. Mais les eaux s’apaisaient, et bientôt ils en profiteraient. Oscar devait partir en mission avec son régiment sous peu. André resterait à la maison, et après quelques jours il prendrait une période de congé en disant à sa grand-mère qu’il allait dans un village non loin, où il y avait une jeune fille avec qui il avait l’intention de se fiancer. Mais il se rendrait à Paris, en prenant un logement dans une auberge : Oscar le rejoindrait là, parce qu’elle aurait abandonné le campement alléguant comme prétexte un soudain message reçu de la maison qui exigeait sa présence pour une question urgente : elle était un des officiers supérieurs et pouvait s’absenter sans plus de justifications. De Paris, après s’être retrouvés, ils partiraient pour la Bretagne.
La chose la plus difficile, pour tous les deux, était de devoir feindre la tranquillité. De manière crédible.
André avait changé complètement ses journées : il mangeait dans la cuisine avec les autres, travaillait dans la maison sans plus accompagner Oscar au dehors. Il n’avait plus à manier l’épée et le pistolet, comme quand il l’assistait dans ses entraînements.
Cela lui pesait, en outre, que le reste de la domesticité du Palais Jarjayes le regarde avec suspicion : il n’y avait personne, homme ou femme, avec qui il s’était lié. En partie cela était dû à une sorte de timidité que son visage inspirait, chose dont il s’aperçut vraiment ces jours-là ; et en partie par l’envie que beaucoup lui portaient, et pour la complaisance qui résultait, à présent, du constat qu’il avait perdu ses privilèges, qu’il était redevenu un domestique parmi d’autres. C’était mesquin et très triste, en outre : André songea que la différence de classe sociale dans leur monde existait parce qu’il existait des hommes qui pensaient en serviteurs, chose qui ne lui était jamais venu à l’esprit de faire, en étant avec Oscar. Et que seule l’existence de serviteurs rendait vraiment possible qu’il existât des maîtres.
Oscar avait été forte, et avait trouvé dans sa longue habitude d’attitude impassible les ressources pour avoir l’air tranquille. A celui qui l’aurait bien observée elle aurait paru être revenue des années en arrière ; à sa première jeunesse, même, qui de sa vie avait été la période la plus dure : celle durant laquelle aux changements de son corps et de son âme elle avait réagi en affichant une froideur glaciale. Durant laquelle aux troubles qui l’empêchaient de dormir, qui la forçaient à s’interroger sur sa propre identité sans lui donner la possibilité de trouver une vraie réponse, elle avait répondu, alors, simplement en les ignorant. En faisant semblant qu’ils n’existent pas, en construisant autour d’elle une cuirasse de rigueur et de détachement impénétrable : qu’elle avait payée très cher, jour après jour, larme après larme, renoncement après renoncement, jusqu’à l’ultime renoncement, celui d’avoir des rêves.
Cela avait été terrible pour elle.
Et maintenant, par une singulière convergence entre la nécessité de feindre et le souvenir de ce qui un temps avait été, elle avait l’air d’avoir la même expression d’alors. C’était, en réalité, un changement radical et considérable, qui aurait dû inquiéter, non tranquilliser celui qui l’observait.
Mais heureusement seul André le voyait, et lui en connaissait la raison.
*******
Une nuit froide, et un lit trop grand.
Il était très tard, mais Oscar ne pouvait pas trouver le sommeil. Elle se retournait entre les draps, en cherchant à réprimer son anxiété.
André.
Cela faisait cinq jours qu’elle n’avait pas échangé un mot avec lui, qu'elle ne réussissait à le voir que de loin, qu’elle pouvait à peine croiser son regard. Et cela faisait presque deux mois qu’ils ne s’étaient pas embrassés.
Elle avait tellement changé, leur vie, depuis ce jour où pour la première fois elle avait dû aller à Versailles sans l'avoir à son côté. Et seulement maintenant elle se rendait compte à quel point quel trésor précieux elle avait eu durant toutes ces années. Maintenant André n'était plus avec elle, il n'était pas plus son ami, le frère avec lequel elle avait grandi, en comptant toujours sur lui. Il n'était plus son homme, qui la nuit dormait à son côté, qui la réchauffait avec son corps.
Ils l'avaient renvoyé. Comme s'il était n'importe qui.
C’était la rage, outre la tristesse, qui la tenait éveillée. Quelle cruauté pouvait-il y avoir dans le coeur d'un père qui avait décidé de faire une chose pareille ? Même si elle n'avait pas aimé André comme elle l'aimait, comme le général pouvait-il penser les séparer ainsi, d'un jour à l'autre, sans s’occuper des sentiments que pendant toute une vie ils avaient nourri l'un pour l'autre ? Auprès de qui était-elle allée se réfugier, chaque fois qu'elle se sentait seule ? Avec qui avait-elle fui tout le reste dans les moments difficiles ? Qui lui avait donné la force et le soutien pour aller de l’avant ? Certainement pas son père. Cela avait été André.
Et maintenant André n’était plus là, durant ces journées toujours plus vides et absurdes. Il n'en faisait plus partie.
Quelle pitié avait un père qui faisait cela à sa fille ?
Oscar serra le drap dans ses mains : c’était seulement parce qu'André l'avait voulu qu’elle avait accepté tout cela. Seulement pour lui, qui maintenant était là, sous le même toit. Et qu'elle ne pouvait pas avoir.
Certes, il ne souffrait pas moins. Elle le voyait dans ses regards pleins d’amour et de désir, à la manière fiévreuse avec laquelle il serrait ses mains, lorsque il l'effleurait en cachette. Dans les mots d’amour qu'il ne prononçait pas, parce que cela lui faisait trop de mal de les dire ainsi, durant ces rencontres rapides et sans douceur auxquels le monde extérieur les avait forcées. Dans les baisers qu’il ne pouvait plus lui donner.
Il y avait ses lettres, oui. Celles qu’il lui écrivait toujours, qu'il lui passait en cachette, lorsqu’ils pouvaient se rapprocher. Ces lettres sur lesquelles Oscar passait des nuits entières : en souffrant, ensuite, lorsqu’elle devait les détruire pour effacer toute trace. Elles étaient toujours plus belles, d’autant plus belles qu’était forte la douleur qui les inspirait.
Mais les lettres n’étaient pas ses bras qui l'enveloppaient, elles n’étaient pas ses mains qui pouvaient la caresser. Les lettres n’étaient pas des lèvres glissant sur son visage. Elles n’étaient que feuilles de papier avec son écriture, qu’elle serrait contre elle comme si en les serrant elle pouvait retrouver le souvenir de son corps. Mais elles n’étaient pas lui.
Elle avait soif, et son lit était comme s'il était fait d'épines. Le froid de la chambre était un réconfort, par rapport à ceci. Elle se leva, en enveloppant autour de son corps une couverture. Elle se promenait en mesurant avec ses pas le plancher, de temps en temps s'asseyait sur un fauteuil.
Finalement elle sortit.
Elle descendit l'escalier et parcourut toute seule le salon sombre et désert. Pas même une bougie, parce que dehors il y avait la lune, et une lumière ténue filtrait des volets. Elle traversa la maison, et alla aux cuisines. Elle avait soif.
Elle n'allait pas souvent là, et eut du mal à s'orienter. Puis elle reconnut les lieux, trouva de l'eau. Elle but, mais elle ne voulait pas retourner sur ses pas. La braise brûlait encore dans le foyer presque éteint. Elle se mit devant, sur une chaise. Elle pensait à lui.
Ce lieu avait le pouvoir de la calmer. Et certes, qui sait ce qu’ils auraient dit, tous les autres, s'ils l'avaient vu ainsi, en chemise de nuit, devant le feu mourant de la cuisine. Mais c’était là qu’elle était le mieux. Elle pensait qu'André passait toujours par là, chaque jour. Elle se tourna vers la grande table, et chercha à deviner la place à laquelle il s'asseyait pour dîner.
Ensuite elle appuya la tête au dossier de la chaise, et s'assoupit.
Elle fit même un rêve, bref. Ils y étaient tous les deux. Elle ne rêvait jamais de lui, n'avait jamais rêvé de lui durant ces mois : pourtant chaque nuit quand elle allait dormir c’était ce qu’elle souhaitait. Pourquoi n’y arrivait-elle jamais, dans son lit ?
Là, devant cette cheminée, elle vit son visage et ses mains qui la serraient. Et ce soir sur la paille, il y avait si longtemps. Mais ce n’était plus l’écurie autour d’eux, à présent, et il y avait un champ ouvert, doré et plein de lumière. C’était l’été, et eux étaient nus au milieu des épis de blé. Ils étaient libres, et au monde il n'existait rien d’autre. Étaient-ce les champs de la Bretagne, ceux-ci ?
Combien de temps avait duré ce rêve ? Elle se réveilla, parce que sa tête glissa sur le côté. C’était encore la nuit, et elle était enveloppée dans la couverture, sur cette chaise.
Elle entendit un bruit, soudain : une porte qui s'ouvrait dans l'autre pièce. L'entrée secondaire, qu’employaient les domestiques. Elle se leva vite, et se cacha dans la réserve des provisions, où la gouvernante gardait toutes les bonnes choses qu’elle préparait chaque jour. Cette endroit elle le connaissait bien : combien de fois avec André, enfants, ils étaient allés là voler du dessert. L'air embaumait encore le sucre et la farine, il y avait toujours eu cette odeur.
Mais elle que dirait-elle, si elle était découverte ?
Oh, au diable... devait-elle se préoccuper aussi de cela, à présent ? N'était-elle peut-être pas la maîtresse de maison ? Et alors elle chasserait mal n'importe qui la verrait : qu’être noble lui serve à quelque chose, à la fin. Même en chemise de nuit.
Mais elle préférait ne pas se faire remarquer, bien sûr... et elle eut un geste de désappointement lorsque la lumière d'une bougie éclaira vraiment la cuisine. Elle épia de la fente, en direction des pas : c’était une personne seule, avec une allure incertaine, aurait-elle dit.
Un domestique rentré tard, peut-être.
Non.
Ce n’était pas un domestique rentré tard.
C’était André.
André qui était rentré tard, et cherchait son chemin dans la cuisine. Elle l'observait de derrière. La lueur de la bougie qu’il tenait en main se réverbérait contre son corps, dessinant un halo lumineux autour de ses épaules. Mais c’était lui, c’était réellement lui. Il s’abandonna sur cette même chaise, devant l’âtre, et souffla sur la flamme, en posant le chandelier sur la pierre. Elle le regardait, et dans la pénombre vit qu'il mettait son visage entre ses mains.
"André..."
Elle le vit se tourner étonné, dans la clarté nocturne. Se lever.
"Oscar ! Oscar, c’est toi?"
"Oui André, c’est moi, oui..."
Il fit un pas vers elle, et fit tomber à terre la chaise.
"André, ne fais pas de bruit...", implora-t-elle à voix basse.
Ensuite elle se jeta entre ses bras : "André, André...". Et elle le serra en silence, en s'agrippant à lui, pendant que ses mains l'enveloppaient, en le caressant incrédule.
"Mon amour,mon amour...", lui disait-il. Il abandonnait sa tête sur son épaule, lui effleurait le cou de ses lèvres, en respirant doucement. Avec des mouvements au ralenti, comme s’il n'était pas tout à fait maître de lui.
"André, qu’est-ce que tu as..."
Il rit, mais c’était un rire tendre, plein de douceur : "Rien, Oscar, rien... Mon amour, comme tu es chaude... mais qu’est-ce que tu fais ici... comme tu es chaude, mon amour... "
"Je n’arrivais pas à dormir... André, mais qu'est-ce que tu as... tu as... tu as bu, André?"
Il rit encore, l’embrassa lentement, et se détacha d’elle en effleurant encore ses lèvres : "Oui... un peu oui... oui... "
Ensuite il l’embrassa, il l’embrassa de nouveau, et son visage avait le goût du froid et du vent, son corps avait l'odeur de la nuit. Mais ses lèvres étaient chaudes, et lui donnèrent des frissons. Elle gémit en s'abandonnant à ce baiser.
"Oscar, cela... à cela je ne sais pas résister, Oscar... tu n’aurais pas dû venir ici..."
"Pourquoi non, mon amour, pourquoi... depuis combien de temps sommes-nous séparés, André... "
"Trop longtemps... trop, Oscar... je n’y arrive plus... oh... ne m’embrasse pas ainsi..."
Mais elle n’arrêta pas, et elle le serra contre elle. Elle prit ses mains et les posa sur son sein, en ouvrant sa chemise : "Je t’en prie, caresse-moi..."
Alors ce fut lui qui gémit, en enveloppant de ses mains les lignes souples de son corps. Il perdit la tête, s'agenouilla pour l’embrasser, l’attira à lui.
"Attends, pas ici au milieu, André..."
"Si, Oscar... ici... ici..."
"Dans la pièce là... viens... cachons nous là..."
Elle le traîna dans la petite pièce, en l’embrassant, pleine de caresses.
"Prends la bougie, Oscar. Prends-là... "
"Bien... mais pourquoi... "
Elle ferma la porte, et sentit ses mains qui lui enveloppaient la taille, qui la tournaient vers sa poitrine pendant que ses lèvres la faisaient trembler de ses baisers passionnés. Il fit glisser la couverture à terre et l’y allongea. Il alluma la flamme, auprès d'eux, sur le plancher.
"Je veux te regarder, mon amour. Je veux te regarder... "
*******
Il ne s’était pas passé beaucoup de temps, au fond, depuis cette conversation à Versailles avec madame de Surgis qui lui avait créé tant d’inutiles appréhensions. Le général ferma le livre qu’il lisait, dans son bureau, et tourna le regard au-delà de la fenêtre. Au moins, cependant, cet incident lui avait donné le moyen de réfléchir sur Oscar et la vie qu’elle menait, et il avait saisi l’occasion pour résoudre cette situation une fois pour toutes.
Bientôt il le lui dirait. Très bientôt.
Le lieutenant de Girodel avait demandé sa main seulement un mois auparavant. Comme par un fait exprès, cela était arrivé exactement à ce moment. Oscar n’avait jamais été demandée en mariage, étant donné la voie que son père avait choisie pour elle ; et depuis longtemps du reste, elle n’avait plus l’âge auquel normalement les jeunes filles se marient.
Cependant Girodel s’était présenté et la lui avait demandée officiellement, après l’avoir eue pendant des années comme commandant : il devait être amoureux, certainement.
C’était une vraie chance, parce que le comte était un homme jeune, et très riche, même. C’était la meilleure solution que le général pouvait espérer : s’il avait dû faire autrement pour chercher un mari pour sa fille, probablement des raisons de convenance et d’accords entre familles auraient fait tomber son choix sur quelqu’un de vieux. Quelqu’un dont Oscar aurait eu beaucoup à redire, elle toujours si libre de prendre ses décisions. Au contraire cela était parfait, on n’aurait rien pu espérer de mieux. Girodel était même le fils cadet, de surcroît, et il pouvait concrètement s’attendre à ce qu’il accepte de donner un descendant à la maison des Jarjayes. Ils en avaient parlé et lui n’avait pas été contre : la chose serait définie avec précision dans le contrat de mariage, où ils établiraient chaque chose point par point. Et, si Oscar mettait au monde un fils, celui-ci serait enfin l’héritier tant espéré du général.
Jarjayes se leva de son siège et s’approcha de la fenêtre pour regarder dehors : un après-midi hivernal s’étendait sur le jardin. Il aurait dû penser avant à une solution comme celle-ci. Mais à cette époque, certainement, il était impulsif et trop furieux contre le destin pour garder son calme. Il avait décidé pour Oscar une vie militaire et un prénom masculin, sans même bien songer à ce qui arriverait. Puis le bruit né autour de cette initiative l’avait fait s’entêter dans cette attitude, et la chose avait avancé ainsi. Oscar était exceptionnelle à l’épée, et les faits lui avaient donné raison. Mais maintenant il était temps de changer : tout retournerait à sa place. Et même sa fille n’aurait pas de quoi se lamenter, vu qu’il lui trouvait un mari : n’est-ce pas peut-être ce que désire chaque femme ? En cela madame de Surgis avait raison. Girodel était un bel homme, un homme qui nourrissait pour elle des sentiments profonds : peu d’épouses pouvaient espérer quelque chose de ce genre, à une époque comme celle-ci.
Il sortit dans le couloir, réfléchissant sur ce qu’il ferait. Bientôt il le dirait à Oscar. Ce soir-même, peut-être, après le dîner. Il se dirigea vers l’étage du dessous en passant devant la porte de sa fille. Elle était entrebaîllée.
Elle n’était pas là, elle resterait dehors pour son service tout le jour. Oui, il devait le lui dire tout de suite, avant qu’elle ne parte en mission avec son régiment.
Il entra dans la chambre : elle était en ordre et lumineuse. Bien sûr, elle ne ressemblait à la chambre d’une femme : ce n’était que sobre rigueur en toute chose. Ceci Oscar l’avait pris de lui.
Tout était disposé selon une organisation précise : les cartes sur le bureau, les livres. L’uniforme, sur le portemanteau devant le lit. Et dans l’armoire. Jarjayes l’ouvrit. Il sourit : elle était pleine de vestes militaires et de chemises masculines. Oscar n’avait dans toute sa garde-robe pas une seule robe. Il passa la main sur ces vestes, en parcourant celles-ci de ses doigts, songeur, en écoutant le froufrou des franges sur les épaulettes. Rouge, azure, blanche…. Il y en avait de tous les genres : pour le service quotidien, pour les soirées de gala, l’uniforme de cérémonie….
Bientôt là-dedans il y aurait une robe de mariée.
Oui, ceci était juste. Peut-être Oscar en serait même heureuse : peut-être était-ce ce qu’elle avait toujours voulu, sans jamais oser le demander. Peut-être même qu’elle pourrait oublier ce qu’il lui avait fait. Qu’elle l’aimerait.
Il bougea pour sortir, et en fermant l’armoire tira involontairement avec la main une de ces vestes, en la faisant tomber du portemanteau. Il la vit glisser à terre, dans un bruissement.
Il se pencha pour la ramasser, alors, pour la remettre à sa place. C’était une belle veste, recouverte de broderies. Il la souleva et, pendant qu’il la soulevait, d’une de ses poches quelque chose tomba sur le sol. Il la prit entre ses doigts : c’était une feuille de papier pliée en quatre, avec une écriture serrée sur les deux côtés. Il y posa un regard distrait au début. Puis un mot… deux…
Il tressaillit.
L’uniforme d’Oscar lui tomba des mains pendant qu’il regardait cette feuille.
Son visage pâlit, frappé de stupeur, il l’ouvrit.
C’était une lettre.
A suivre…
pubblicazione sul sito Little Corner del gennaio 2006
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French translation: Lady Rose - mail to: lady_rose_grandier@yahoo.fr