Dans ses mains

partie XII

 

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            Sombre. Et froid. Rien autour. Oscar. Oscar, où es-tu mon amour... Elle est trop forte cette douleur dans le corps… Elle brûle. Elle brûle et je me sens épuisé, épuisé.

            Où es-tu, que fais-tu en ce moment… Je dois venir là, tu es en train de m’attendre… J’ai allumé le feu dans la cheminée pour toi : depuis quand m’attends-tu mon amour ? Pourquoi est-ce que je ne réussis pas à me lever et à te rejoindre ?

            Il fait sombre, ce pavé de pierre est froid. Qu’est-ce qu’ils t’ont fait, Oscar ? Qu’est-ce qu’ils m’ont fait ? Je perds du sang, j’ai une main sur le flanc et elle est trempée… un liquide, chaud… qui coule à terre sans s’arrêter. Je n’ai même plus la force de bouger les doigts, de respirer.

 

            Je suis en train de te perdre, Oscar, je le sens que je te perds. Je suis en train de me perdre, je ne sais plus où je suis, ce qui s’est passé. Combien étaient-ils… je dois rester éveillé… je dois me rappeler… Oui, deux, ils étaient seulement deux. Mais un avait un pistolet… oui, c’est vrai… un pistolet… Il a tiré, je suis tombé à terre. Oscar, heureusement tu n’étais pas là, mon amour.

            Qui étaient-ils, pourquoi m’ont-ils attaqué dans cette ruelle noire qui puait les ordures et la pourriture. Ils ne m’ont pas demandé d’argent, que voulaient-ils... quoi... J’avais l’épée… je l’ai dégainée et je l’ai utilisée… Je l’ai utilisée pour tuer, parce qu’ils voulaient me tuer… Peut-être l’ont-ils fait, peut-être que je suis en train de mourir maintenant. Je suis en train de mourir… je mourrai ici, au milieu de cette pourriture ?

            Oscar, mon Oscar… tes mains légères sur moi, sur mes épaules… tes lèvres sur mon visage… je me suis perdue en toi… toute la vie est en toi Oscar… aide-moi Oscar, je t’en prie, Oscar…

 

 

*******

 

 

« Je suis désolé, il n’y a pas grand-chose à faire… »

« Que voulez-vous dire, docteur ? »

« La blessure est grave, il a perdu beaucoup de sang. Et puis ce sont ses conditions générales qui me préoccupent : il a des lésions partout ».

« Il va mourir ? »

« Je crains que oui : je n’ai jamais vu un homme survivre, dans cet état. Il a une constitution robuste, mais… »

 

            Le soldat secoua la tête, une grimace amère sur les lèvres. Il s’approcha du lit, et regarda cet homme agonisant qu’il avait porté dans sa maison. Il était pâle, les lèvres violacées, respirait avec peine. Il ne savait pourquoi il avait décidé de le porter à sa maison : c’était la première fois qu’il faisait une chose de ce genre, et pourtant des moribonds il en avait vus, et des blessés aussi, en patrouillant dans les rues de Paris. Mais en cet homme qui était en train de mourir il y avait quelque chose de différent.

            Peut-être était-ce parce qu’il lui avait sauvé la vie, en arrivant dans cette rue un instant avant que son agresseur lui donnât le coup de grâce. Ils étaient deux et ils avaient fui aussitôt qu’ils avaient vu son uniforme. Et lui était seul, et il n’était même pas de service : il venait de le finir et ce soir-là il rentrait à la maison, à cheval.

            Du bruit, des cris, venaient de cette ruelle. Une rixe, avait-il pensé, et il allait poursuivre sa route, mais soudain il avait entendu un coup de feu. Alors il avait tourné le cheval immédiatement, et était arrivé là en quelques secondes. Il y avait un homme à terre qui râlait, avec du sang partout, et sur lui deux individus enveloppés dans des manteaux sombres, le visage dissimulé par de larges chapeaux. L’un d’eux tenait l’épée au-dessus du blessé, sur le point de le tuer sans pitié. « Arrêtez ! » avait-il hurlé. Ces derniers s’étaient enfuis sans combattre, en se couvrant leurs visages de leurs mains.

            Peut-être était-ce parce qu’il lui avait sauvé la vie, qu’à présent il ne pouvait pas le laisser mourir ainsi. Il avait ôté la veste de son uniforme et  avait bandé au mieux sa blessure en mettant en lambeaux sa chemise. Puis il l’avait chargé avec attention sur le cheval et il l’avait porté dans l’endroit le plus proche où pouvoir le soigner : sa maison. Il avait appelé le médecin qui habitait dans la rue d’en face.

 

            Mais maintenant cet homme était là, et il ne survivrait pas : le docteur Fouquart se trompait rarement sur ces choses. Plus d’une fois il l’avait vu soigner des blessés, et à quelques occasions lui aussi avait eu recours à sa science. C’était un médecin du peuple, mais il connaissait son fait : et quand il lui avait vu ce regard cela avait toujours été mauvais signe.

 

            « Qui est-ce ? » -l’entendit-il lui demander derrière son dos, alors qu’il fixait le visage de cet homme.

« Je ne sais pas –répondit-il-, je ne l’ai jamais vu auparavant. Je l’ai trouvé dans la rue ainsi ».

Il se tourna vers Fouquart, et lui vit une expression perplexe dans les yeux : « Les rues de cette cité sont pleines d’hommes poignardés et d’ivrognes –l’entendit-il dire-, mais tu n’en as jamais amené un chez toi, Alain ».

« C’est vrai, mais celui-ci ne semble pas comme les autres. Je ne sais pas, il n’a pas l’air d’un gueux sorti d’une rixe ».

« Mmm… tu as raison… ce sera quelqu’un qui s’est fait volé, alors ».

« Déjà », murmura-t-il. Dommage qu’il avait encore tout l’argent avec lui, pensa-t-il sans le dire. Et beaucoup même.

De nouveau il s’approcha du lit, et s’agenouilla pour regarder le blessé. Il semblait immobile, mais de temps à autre ses mains se contractaient en un spasme, serrant le drap de manière presque imperceptible.

« Il aura une famille à avertir -dit le docteur-. Peut-être quelqu’un qui se fait du souci pour lui ».

« Probablement, mais je n’ai aucune idée de comment la trouver, maintenant ».

Demain je verrai comment faire, se promit-il.

En admettant que demain il soit encore vivant.

« Nous allons rester ici le veiller toute la nuit » -murmura encore le docteur-. S’il existe quelque espoir qu’il soit sauf, c’est un espoir qui se joue cette nuit ».

Le soldat se retourna surpris pour regarder le médecin, ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais celui-ci leva une main dans l’air pour l’arrêter, et secoua la tête : « Tu ne dois pas me payer pour cela, Alain –dit-il-. Je suis médecin. Et si tu peux secourir un inconnu et le porter dans ta maison, dans ton lit, je pourrai bien m’arrêter quelques instants à son chevet. Au moins, ce malheureux mourra comme un homme, non comme un animal au milieu de la rue ».

 

 

*******

 

 

            Oscar, ne m’abandonne pas, Oscar. « Oscar… »

Je suis en train de mourir, mon amour… reste avec moi. Où sont tes mains, tes yeux.

« Oscar… »

Où es-tu…

Je ne veux pas mourir sans te voir… sans que tu me tiennes serré dans tes bras, que tu baignes mon visage de tes larmes… aide-moi… aide-moi à mourir mon amour.

« Oscar, Oscar… »

 

 

*******

 

 

            L’aube commençait à répandre sa lumière dans la chambre, et dans la clarté de cette lumière l’homme dans le lit paraissait encore plus pâle. Il était toujours sans connaissance. Cela faisait trois jours qu’il était ainsi, sans connaissance. Vivant et au seuil de la mort. Depuis trois jours.

            Il n’allait pas mieux : le docteur revenait chaque jour lui changer les bandages, le veiller, mais chaque fois il s’en allait en secouant la tête, sans donner d’espoir. Il ne pouvait pas guérir, il ne serait pas guéri. Mais il ne mourait pas.

            Il l’observait. Il observait les traits agréables de son visage, l’expression détendue que les traits prenaient à certains moments, la douleur qui se tordait sur ces mêmes traits tout à coup. Et la pâleur du visage affûté par la souffrance, creusé par les cernes, les mains fortes et pourtant fines même dans ces mouvements inattendus et convulsifs qui lui faisaient serrer le drap quand un spasme plus violent le secouait, et lui faisait mordre les lèvres dans une plainte déchirante mais sans trace de vulgarité, même dans l’agonie. Et cette voix douloureuse, chaude, ce nom qu’il répétait depuis des jours, seulement ce nom : « Oscar… »

 

            Qui es-tu, pensait-il, qui es-tu…

 

            « Je n’ai jamais vu quelqu’un survivre de cette manière –avait dit le docteur-. Il vit seulement parce que c’est sa volonté qui le fait résister : cet homme a quelque chose en lui d’extraordinairement fort qui le garde attaché à la vie, seulement cela. Il n’y a pas d’autre raison. Cet homme est vivant parce qu’il ne veut pas mourir ».

 

            Il était retourné au corps de garde, le jour précédent. Et ils avaient  reçu un ordre étrange, venant de ses supérieurs. Il disait de signaler immédiatement la présence d’un quelconque blessé par arme à feu trouvé à Paris. Sans spécifier autre chose, mais sur un ton si péremptoire qu’il en était insolite même dans une caserne. Il y avait même eu un officier supérieur qui était venu chez eux en inspection, dans les chambres, et avait répété clairement la chose à tous : tout blessé ou mort par arme à feu qui aurait été trouvé. Il semblait chercher, ensuite, un soldat particulier parmi eux, cet officier : un soldat qui aurait vu. Comme s’il savait.

            Il avait tressailli, à entendre ce discours. Mais il n’avait rien dit.

Il ne savait pas pourquoi, mais il y avait un ton menaçant et hostile dans ces ordres, quelque chose qui tranchait avec l’aspect de l’homme qu’il avait porté à sa maison. Ce n’était pas un homme qui méritait d’être cherché avec tant de rage, et quelque chose lui disait qu’ils lui auraient donné une fin brutale s’ils l’avaient trouvé.

Il n’avait rien dit. Et du reste cela n’avait pas été difficile de cacher la chose : il y avait tant de blessés de cette manière, à Paris, et les soldats avaient fait assez de rapports, après avoir reçu cette disposition. Il était chaque fois venu quelqu’un pour voir, pour contrôler, et il s’en était allé tout de suite après. Non, ils cherchaient quelqu’un en particulier. Une personne précise. L’homme qui était dans sa maison.

            « Mais qui es-tu –répéta-t-il en le regardant- qui es-tu… Qu’est-ce que tu as fait pour te faire rechercher ainsi ? »

 

            Il ne ressemblait pas du tout à un criminel. Des criminels il en avait vu, de tous types. Mais celui-ci n’en avait vraiment pas l’aspect. Il avait dans les traits et dans les gestes quelque chose qui le faisait penser à une haute éducation… peut-être un noble… Mais non, il n’était pas un noble : il n’avait pas la silhouette maniérée d’un aristocrate, cette manière d’être qu’ils avaient collés à leur peau quel que soit le moment, ceux de cette race, et qu’il avait vu tant de fois, et qu’il haïssait... Et puis avec ces mains... C’étaient les mains d’un homme qui travaillait, qui portaient les signes d’une activité physique, même si elles n’étaient pas grossières, disgracieuses, du tout.

Il avait une épée auprès de lui, lorsqu’il l’avait trouvé. Une épée ensanglantée, signe qu’il avait blessé ses agresseurs, qu’il s’était défendu. Une grande belle épée : il était allé la reprendre, peu après, et à présent il l’observait, assis devant ce lit :  un objet fin, précis, de haute facture… pas les coupe-choux qu’on leur donnait à eux. Une arme de professionnels, dont il fallait en outre savoir se servir : légère, une lame parfaite, calibrée.

Non, plus il le regardait, plus il y pensait, plus la chose lui paraissait étrange. Cet homme avait certainement des secrets, mais il n’était pas un criminel ordinaire.

 

 

*******

 

 

            « Alain, viens, j’ai préparé quelque chose à manger ».

Il se retourna. La voix douce, le visage de sa sœur Diane détendirent son visage  dans un sourire, le ramenant à la réalité. C’était sa sœur cadette, et ils vivaient ensemble, tout seuls dans cette maison, depuis que leur mère était morte. Peu de temps auparavant.

            « Merci Diane, j’arrive tout de suite ».

La jeune fille s’approcha, lui posa une main sur l’épaule. « Comment va-t-il ? », demanda-t-elle.

« Toujours pareil –répondit-il-. Ni mieux ni pire. Mais le docteur n’a pas laissé trop d’espoir ».

La jeune fille soupira, s’approcha du blessé et de la main lui caressa le front : « Dommage –dit-elle-, il est si beau, et triste… »

« Triste ? » Il la fixa stupéfait : « Qu’est-ce qui te fait dire qu’il est triste ? »

Mais il était stupéfait de lui-même, plus que d’elle : l’intuition de Diane avait été très semblable à la sienne.

« Je ne sais pas, Alain… mais… il semble une personne bonne, qui a souffert… je ne sais pas pourquoi je le dis ».

Il soupira, et il sourit : « A présent se poser ces questions est inutile –murmura-t-il- : nous ne savons pas qui il est. Mais je t’en prie, Diane, tu ne dois dire à personne qu’il est ici, à personne ».

« Oui, je le sais. Ne t’inquiète pas. Alors je t’attends à la cuisine ».

« Et… Diane… »

« Dis-moi », répondit-elle en se retournant, parce qu’elle était presque sortie de la chambre.

« Ecoute, nous ne savons pas qui il est… je ne veux pas que tu viennes ici trop souvent… Il pourrait être aussi une personne dangereuse, Diane, même s’il n’en a pas l’air… Je ne sais pas si j’ai bien fait de le porter dans notre maison… »

La jeune fille revint en arrière, alors, et sourit avec tristesse : « Dangereux ? Et quel danger peut-il y avoir dans un homme allongé dans un lit dans ces conditions ? Sois tranquille, Alain, il ne peut pas être comme tu dis… »

Elle se tourna pour regarder le blessé, et lui caressa une joue, en s’approchant de lui avec un ton mélancolique, doux. Sa voix tendre et féminine lui effleura le visage : « Il est si beau… »

Ce fut alors que, tout à coup, ce qui arriva la fit tressaillir, les laissant elle et son frère, hébétés, surpris, à se regarder sans savoir que faire. « Mon amour –avait dit en délirant cet homme-, et avec une force dont son visage souffrant portait les traces il lui avait pris la main, l’avait serré dans une impulsion fébrile et toutefois délicate-. Mon amour… tu es là… tu es venue, mon amour… »

 

 

*******

 

                                                                                                                     

            Il pleuvait.

Un matin blême, sans joie, qui glissait devant cette fenêtre. Une fenêtre inconnue, d’une maison qui n’était pas la sienne.

Elle était enveloppée dans une robe de chambre luxueuse et chaude. La cheminée avait déjà été allumée dans la chambre : il était entré un valet qui y avait veillé, avec la femme de chambre pour le petit déjeuner.

Il y avait un billet, sur le plateau : « J’espère que vous allez mieux, si cela ne vous dérange pas j’aurai le plaisir de vous rendre visite dans votre chambre, plus tard ».

Les lèvres prirent un pli amer, d’une amertume qui ne parvint pas à teindre d’une couleur quelconque le vide de son regard. Cela faisait une semaine qu’elle était là, comme un automate, sans vie.

A la maison de Fersen.

 

Comment elle y était arrivée elle ne le savait même pas bien, tant elle était bouleversée ce jour-là. Elle se souvenait seulement s’être écroulée sur le plancher de la chambre dans l’auberge et avoir pleuré pendant beaucoup de temps. D’avoir tenu cette lettre à la main et de l’avoir lue et relue tant de fois au point de croire qu’elle l’userait avec ses yeux. Et puis de l’avoir roulé en boule et jeté dans un coin. Et d’être retournée la prendre, repentie, de l’avoir rouverte et lue encore une fois.

Elle se souvenait qu’elle n’arrivait pas à croire aux lignes tracées sur cette feuille, même si l’écriture était celle d’André et que dans ces mots il y avait des choses que lui seul pouvait savoir. Elle était sortie, avec cette lettre à la main, et avait erré à pied, désespérée, à travers les rues de la ville.

Puis elle se souvenait avoir senti la pluie sur elle. Pas tout de suite : seulement longtemps après que cela avait commencé. Et elle avait continué à marcher en tremblant de froid, les vêtements trempés.

Le reste le lui avait raconté Fersen le jour suivant.

 

Il l’avait trouvée évanouie à terre, alors qu’il rentrait d’une soirée à l’Opéra, en carrosse. Il s’était arrêté parce que cette silhouette gracile, ces cheveux blonds épars au milieu de la boue l’avaient fait tressaillir, penser à elle. Et c’était elle, en effet.

Il l’avait soulevée, prise entre ses bras, en criant son nom, pour la faire revenir à elle :

 

 pour la faire revenir à elle brasu de la boueivant.

77777777777777777777777777777777777777777777777777777777777777777777777777 « Oscar… qu’est-ce qui vous est arrivé… Oscar ! »

Elle avait ouvert les yeux alors ::lle avait ouvert les yeux alors777777777777777777777777777777777777777777777777777777777777777777777777777777777777777777777777 « Fersen, c’est vous… » avait-elle dit dans un gémissement, épuisée.

Il l’avait portée dans le carrosse, l’avait enveloppé dans son manteau : « Qu’est-ce qui vous est arrivé, Oscar, quoi… Qui vous a réduite ainsi ? »

Mais elle n’avait pas répondu.

Seulement plus tard, quand à la maison du comte il l’avait faite aider par les femmes de chambre et porter dans une des chambres d’amis, alors qu’à son chevet il l’assistait en veillant son délire, lorsqu’il lui avait dit qu’il appellerait son père, qu’il avertirait quelqu’un, elle était revenue pour un instant à elle, en suppliant  « Non ! » avec tout le désespoir qu’il y avait dans son corps. « Non, pas mon père, non… »

« Votre mère, alors – avait-il dit-. Je la ferai appeler de Versailles, pour qu’elle vienne ici… »

« Ma mère ? avait presque hurlé Oscar en pleurant, avec un sarcasme déchiré dans la voix. « Ma mère ? Quelle mère ? Je n’ai pas de mère, je n’en ai jamais eu… »

Il y avait une telle prostration, une telle douleur dans ses paroles, que Fersen, même s’il était conscient qu’elle délirait, l’avait écoutée. Il n’avait appelé personne, et l’avait gardée là, dans sa maison.

 

               Cela faisait des jours qu’il l’accueillait sans rien dire. Elle avait eu la fièvre, mais ensuite elle s’était reprise, et, revenue à elle, l’avait prié de garder le secret. Qu’elle ne pouvait pas lui expliquer, qu’elle n’arrivait pas à le faire… mais que personne ne la chercherait, du moins pour un temps. Elle lui avait dit de ne pas s’inquiéter, lui avait demandé de la laisser rester là encore, de ne le dire à personne.

Elle avait passé chaque journée seule, dans cette chambre, devant la fenêtre à regarder le ciel.

Une fois le comte avait même frappé pour venir lui parler, et comme elle ne répondait pas il était entré. Il l’avait vue pleurer sur le fauteuil, en silence, avec le visage dans les mains.

 

               « Oscar… vous permettez que j’entre ? »

Elle leva la tête, comme touchée. Elle le fixa avec un regard douloureux. « Entrez, je vous en prie », répondit-elle à voix très basse.

Fersen franchit le seuil, alors, et ferma la porte de la chambre. A la voir ainsi, dans cette robe de chambre longue et féminine, les cheveux blonds qui brillaient en encadrant un visage triste, doux, il lui sembla presque avoir devant lui une personne différente du fier colonel de la Garde Royale qu’il avait connu. Une femme, une femme très belle et fragile était devant lui. Une femme qui avait le cœur brisé.

Il en fut certain tout à coup, sans l’ombre d’un doute.

Il s’approcha en hésitant, lui demanda comment elle allait. Puis comme elle ne répondait pas, il s’agenouilla devant elle, lui prit une main. « Oscar, je vous en prie, je suis tellement inquiet pour vous – dit-il-. Je voudrais faire quelque chose pour vous aider, je vous en conjure… dites-moi quoi ».

Elle ne répondit pas, de nouveau, et ôta délicatement cette main de la sienne. Elle le regarda dans les yeux et Fersen vit qu’ils étaient brillants de larmes, tandis qu’elle secouait la tête lentement. Il la vit porter la main à son front, l’incliner, et les larmes silencieuses qui descendaient sur les joues, sans s’arrêter, sans qu’elle les contînt.

Il ne l’avait jamais vue dans cet état. Il n’avait jamais vu personne pleurer d’une manière aussi à nu et malheureuse. Il sentit une vague de peine et de tendresse lui envahir le cœur. Et de crainte, et de respect, et du désir de faire quelque chose pour elle, qui la ferait aller mieux. Il aimait vraiment beaucoup cette femme si différente des autres, qu’il avait connu portant un uniforme, et par qui il avait été attiré, ensuite, mais trop tard, peut-être, pour qu’il puisse se passer quelque chose entre eux. Ce qu’il éprouvait à présent… il ne le savait pas. Seulement, il s’en rendait compte, c’était une affection pleine d’altruisme : une chose qu’il n’avait jamais éprouvée auparavant, qu’il ne lui arrivait pas souvent d’éprouver. Mais Oscar était une personne particulière, très particulière. « Vous faites jaillir mes meilleurs côtés » : ne lui avait-il pas dit cela, une fois ?

 

« Ecoutez, Oscar. Je ne sais pas ce qui vous est arrivé et je ne veux pas violer votre intimité. Vous pouvez rester ici le temps que vous voulez, et si vous me le demandez je ne dirai rien à personne, je vous l’assure. Vous n’avez pas à me dire ce qui vous est arrivé, mais permettez-moi de faire quelque chose pour vous, je vous en supplie. Si vous ne voulez pas que j’appelle votre famille, Oscar… bien, je ne le ferai pas…  Mais peut-être je peux appeler… je sais que vous lui êtes très attachée, qu’il vous est dévoué… peut-être, Oscar, je peux faire appeler votre André... »

Elle releva la tête, alors, en le fixant avec le visage parcouru de larmes : « Mon André… », dit-elle, et ces larmes descendirent encore plus abondamment de ses yeux. Elle pleurait devant lui sans aucun contrôle, sans chercher à dissimuler cette douleur. Elle n’avait jamais fait une chose pareille, jamais.

« Votre André… Oscar… oui… je peux le faire chercher, si vous voulez. Je peux… »

Elle eut alors un rire moqueur, soudain, totalement en contradiction avec l’aspect fragile, bouleversé, de son visage : « Le faire chercher ? Oh, oui, essayez –dit-elle-. Je veux vraiment voir si vous arriverez à le trouver ! »

« Oscar qu’est-ce qui vous arrive… quoi ? »

Elle le laissa reprendre sa main dans la sienne, alors, et de ce déclic elle s’effondra de nouveau dans un abattement faible, tout aussi contraire et soudain. Elle le regarda dans les yeux avec une intensité qu’elle n’avait jamais utilisée, et avait un iris que les larmes rendaient bleu et profond comme la mer.

 

« André m’a laissée –dit-elle en lui fixant le visage, sans cacher à son visage plein de stupeur la véritable signification de la phrase qu’elle prononçait-. Il m’a laissée, pour toujours ».

 

 

*******

 

 

               Elle n'avait rien dit d'autre, cependant. Et du reste cela était même trop : Fersen avait compris, avait très bien compris. Il l'avait imaginé depuis longtemps, en effet, c'était seulement qu'il n'avait pas cru jusqu'alors à cette fantaisie : c'était une chose  trop éloignée de l’usage, trop difficile à prendre au sérieux. Parce que ce qu'il y avait entre le colonel de la Garde et son ordonnance, ce qu'il avait deviné ce jour-là à la maison d'Oscar, cette relation qu'elle lui avait presque jetée au visage, dans un moment si insolite et particulier, n'était pas une simple relation amoureuse comme on en voyait beaucoup à cette époque, même entre des personnes de rangs sociaux différentes : une relation fondée uniquement sur un érotisme sans conséquence, sur la satisfaction d'un plaisir momentané et secret.

               Non, il y avait quelque chose de plus, dans cette relation. De beaucoup, beaucoup plus.

 

               C'était pour cela qu'il s'était retiré à l’écart et avait regardé Oscar de loin et n'avait soufflé mot de la chose à personne. Il ne s'était plus présenté auprès d'elle, pour continuer cette cour qu'il avait commencée un peu par curiosité, un peu  par insatisfaction de sa vie, et qui -il s'en était rendu compte, au contraire- aurait pu  l’impliquer beaucoup plus qu'il ne l'avait pensé au début. Pour cela : parce qu'il avait observé Oscar et André à distance, depuis ce jour, et avait vu ce qui réellement se passait entre eux.

Ce sentiment avait un nom précis, et ce nom était l'amour.

Il l'avait imaginé, oui. Mais il n'avait pas voulu y penser sérieusement, alors.

C'était un secret auquel il n'avait pas le droit de prendre part.

Justement lui, qui avait un secret en tout analogue, au fond.

Justement lui, parce qu'il la comprenait si bien.

 

Et ce fut parce qu'il n'avait pas voulu la prendre au sérieux que cette révélation, qui ne le prit pas au dépourvu, parvint même à le surprendre. Il le surprit le regard limpide et sincère qu'Oscar avait eu en la disant. Une femme comme cette femme, pensa-t-il à ce moment, peut vraiment donner un sens à chacun des jours de la vie.

Il l'aimait beaucoup, c'était l'unique chose dont il était sûr.

Un sentiment insolite, déjà, pour un homme avec ses habitudes... Et peut-être... oui... peut-être... c'était quelque chose de plus qu'il éprouvait pour elle. Quelque chose d'irrésolu, dans son coeur, qui aurait pu jaillir, si les circonstances l'avaient  déterminé.

Mais ce n'était certes pas la question la plus importante, en cet instant, devant elle blessée, anéantie de douleur. Devant une amie. Oui, une amie, avant tout.

 

Que s'était-il passé ?  Que pouvait bien avoir fait André, qui lui avait toujours paru la personne la plus loyale et fiable, qui pour Oscar aurait sans l'ombre d'un doute donné même sa vie ? Peut-être vraiment ce fait, par le passé, l'avait conduit à le piquer avec de méchantes allusions, à exploiter sa position de noble pour le provoquer. D'une manière grossière, même, parce qu'il avait senti, compris, que seul cet homme, dans la profondeur de ses sentiments pour Oscar, pouvait réellement devenir un rival pour lui.

Cet homme aimait Oscar, il en avait été certain dès la première fois qu'il l'avait vu, des années auparavant. Il l'aimait d'un amour qui allait au-delà de toute chose, qui se riait des questions de rang et de différences sociales, qui s'imposait au respect de tous par sa propre grandeur, pour sa force  explosive.

Cet homme l'aimait, et l'aimerait pour toujours : cela était si clair. Comment était-ce possible qu'il lui fasse cela, à présent ? Qu'il l'ait laissée, la transformant en une créature vulnérable, très fragile, incapable de cacher ses larmes de cette manière ?

 

C’était un doute qu'il n'arrivait vraiment pas à éclaircir.

 

Toutefois il ne demanda rien d'autre, et avec elle n'insista pas : si elle voulait vraiment lui en parler, elle le ferait lorsque son coeur le lui permettrait.

 

Oscar décida de partir, après quelques jours, et retourna à la maison de son père.

 

*******

 

 

               Rentrer au Palais Jarjayes, franchir cette grille, fut peut-être l'épreuve la plus dure qu'elle dut affronter. Elle avait pensé, en l'abandonnant, qu'elle ne le reverrait jamais plus, et avec lui tous ceux qui étaient dans la maison.

Au contraire, à présent elle était de nouveau là, après quelques petits jours. Toute seule. Elle ne savait même pas pourquoi elle l'avait fait, pourquoi elle avait décidé de revenir dans ce lieu, qui n'était plus rien pour elle, qui pouvait seulement augmenter sa souffrance avec le souvenir.

               Mais elle ne savait pas dans quel autre endroit aller. C'était seulement cela.

 

               Elle entra dans la maison accueillie comme toujours par les domestiques, qu'elle ne vit même pas en se laissant prendre des mains les bagages, en confiant le cheval aux palefreniers. C'était le jour où elle aurait dû rentrer de mission avec son régiment et à tous il parut que tout était parfaitement normal.

               Son père, au contraire, en la revoyant, laissa transparaître une joie évidente, à peine retenue par l'effort pour garder son calme : un comportement qui la surprit. Mais elle était trop peinée et épuisée pour en demander la raison, tout comme le jour du départ elle était trop préoccupée par la réussite du plan pour remarquer son étrange chagrin. Elle accueillit son salut avec une résignation polie et se retira immédiatement dans sa chambre, sans même descendre pour le dîner.

 

Le général avait été heureux, en la voyant arriver ce jour-là, parce que vraiment il ne savait pas où elle était. Le jour où André était parti il l'avait fait suivre, et cela avait été ainsi que les hommes à la solde de madame de Surgis avaient pu lui tendre un guet-apens. Il n'avait pas agi directement, mais avait été complice de cette action, sans l'ombre d'un doute. Et malgré le malaise qu’il avait éprouvé en accomplissant un projet aussi vil et mesquin, il l’avait mené à terme lui-même : cela était une chose avec laquelle il devrait vivre pour toujours, il le savait.

               Il l’avait fait pour sa fille, seulement pour elle. Il se le répétait continuellement.

               Mais Oscar avait disparu ce soir-là, avant que quelqu’un puisse arriver vraiment à la retrouver. Et lui, qui savait bien qu’elle n’était pas en mission comme elle l’avait dit, avait passé des journées dans une angoisse infinie. Il avait accusé madame de Surgis d’en être responsable, et avait interrogé personnellement, en menaçant de mort, les deux hommes à son service, un de ceux-ci était gravement blessé. Mais personne ne savait où était Oscar, bien que tous jurassent qu’elle n’avait absolument pas été touchée. Il avait craint qu’elle fût morte, tuée par l’un deux, ou enfuie par désespoir. Ou que ces deux-là lui eussent menti, et que peut-être elle se fût échappée avec André. Parce qu’André avait disparu, évanoui lui aussi sans laisser de trace. Il était bien étrange qu’un homme au bord de la mort pût se cacher ainsi. Ils pouvaient avoir menti tous les deux. C’étaient des tueurs à gages, il l’avait compris au premier regard, la lie de la société. Jarjayes avait lancé un regard plein de réprobation et de colère à madame de Surgis. Elle les avait payés, et en leur faisant porter à boire les avait éliminés avec du poison.

               Ainsi revenir sur les traces de ce qui s’était passé était encore plus difficile. C’était pour cela que le général avait fait donner cet ordre à la garde parisienne : il espérait qu’en retrouvant André il saurait quelque chose sur Oscar, retrouverait sa fille et reprendrait le contrôle d’une situation qui était devenue extrêmement grave, en échappant des mains de ceux qui l’avaient créée.

               Et, pendant qu’il faisait chercher Oscar, désespérément, en suivant les traces d’André, il se maudissait lui-même pour s’être laisser pousser à un pareil acte. Il se demanda ce qu’il en était de sa fille, il se demanda où elle était. Face à la peur qu’elle fût morte de cette manière, et par sa faute, il découvrit qu’il aurait préféré mille fois la savoir loin pour toujours, et heureuse avec un homme qu’elle aimait. Et que cela n’avait aucune importance que cet homme soit un serviteur.

 

               Mais Oscar, grâce à Dieu, était rentrée toute seule. En la voyant franchir le seuil du palais le général avait été saisi d’un bonheur et d’un soulagement indescriptibles. Avec peine il s’était retenu de courir l’embrasser, et y était parvenu uniquement parce qu’il ne pouvait absolument pas risquer de se trahir. Pendant un instant il avait été au comble de la joie, et s’était senti aimer sa fille rebelle plus que toute autre chose au monde.

               Mais ensuite il avait vu le visage d’Oscar, il avait lu dans ses yeux : et l’effroi, le désespoir calme qu’il y avait trouvé l’avaient glacé. Sa fille était rentrée à la maison avec un coeur détruit par la douleur. C’était une personne anéantie, qui avait tout perdu. Ce n’était même plus elle, et elle ne revint pas à elle dans les jours qui suivirent.

 

               “Elle souffrira un peu”, avait dit madame de Surgis.

 

 

*******

 

 

               Le temps passait, jour après jour, et Oscar reprit le service à sa place. Elle se levait le matin à l’aube et endossait l’uniforme, sortait à cheval et allait à Versailles. A la maison elle rentrait très tard, parfois elle ne rentrait pas tout de suite en restant à la cour. Et de toute façon, quand elle résidait au palais Jarjayes, sa présence était silencieuse et distante, et mettait mal à l’aise tous ceux qui la rencontraient.

Le colonel Oscar François de Jarjayes avait toujours été une personne d’une extrême réserve, et la chose n’aurait pas dû étonner. Au contraire elle étonnait, parce que depuis qu’elle était rentrée elle ne semblait plus la même. Le pli dur qu’auparavant son expression prenait dans les moments où son devoir requérait une plus grande détermination –cet aspect résolu qui alors était une part fascinante et fugace de sa beauté riche en nuances- à présent était devenu l’aspect habituel de son visage, et ne l’abandonnait jamais. Il était très rare qu’elle parlât en présence d’autrui, et elle le faisait seulement par nécessité liée à son devoir. Alors, oui, elle retrouvait sa voix sévère, forte, donnait des ordres avec une fermeté qui inspirait une vraie crainte même à ceux qui étaient habitués à l’entendre. Et dans les exercices, au combat, elle avait acquis une audace nouvelle qui faisait peur. Oscar avait toujours été courageuse, ils le savaient tous, mais sa hardiesse avait revêtu désormais un caractère implacable, d’une témérité presque inhumaine. Elle était héroïque, mais l’était au point de ne pas hésiter à risquer sa vie toutes les fois où s’en présentait l’occasion, en défiant la limite de ses ressources, de la chance. Elle ne demandait pas la même chose aux soldats, cela non : mais elle se battait comme si ne lui importaient pas les conséquences, comme si elle n’avait rien à perdre, absolument rien.

Elle devint encore plus célèbre pour sa valeur, et encore plus seule.

 

               Les jours, les semaines suivantes n’améliorèrent pas mais aggravèrent les choses. Sa silhouette élégante et forte prenait des traits fins et presque ascétiques dans l’expression du visage, dans les mouvements du corps. De la lumière qui resplendissait dans ses yeux depuis toujours, et qui dans les derniers temps s’était faite si brillante et vivante, désormais il n’en restait aucune trace sur son visage. Elle était comme éteinte, privée de son âme. Elle n’avait même plus l’air d’une femme : elle avait comme perdu la richesse intérieure qui la rendait si belle, si féminine bien que depuis toujours elle eût occupé une fonction d’homme. Peut-être était-ce cela qu’ils avaient toujours voulu d’elle, se dit-elle un jour dans sa chambre en s’observant dans le miroir et en constatant avec amertume son propre changement : c’était cela qu’ils lui avaient demandé, désormais elle le comprenait. Ce que personne n’avait jamais réussi à lui prendre, malgré tout, à présent c’était elle qui l’avait éliminé d’elle-même. Je suis devenue laide, se dit-elle sans pleurer, et peut-être fut-ce la première pensée de femme qu’elle eut après tant de temps : mais elle se rendit compte qu’elle le disait avec une certaine complaisance.

 

               Elle ne pleurait pas, elle ne pleurait jamais, pas même toute seule. Si vraiment elle se sentait incapable de supporter le désespoir elle allait dans quelque taverne à Paris et se faisait porter une bouteille de liqueur. Elle la vidait consciencieusement, petit peu par petit peu, et s’endormait sur la table sans rien dire. Puis elle allait mal pendant des jours, mais toujours loin de la maison, loin de quiconque la connaissait.

Mais pendant le service elle était toujours parfaite, irréprochable. D’une froideur qui tenait les autres à distance, qu’il s’agisse de qui que ce soit. Elle avançait jour après jour sans se poser de questions, sans s’arrêter pour réfléchir, sans chercher aucune explication à ce qui s’était passé. Elle évitait de penser, tout simplement. Elle refusait de se souvenir. Le nom et la silhouette d’André, qui si souvent surtout au début se présentaient à son esprit, elle les chassait immédiatement, avant qu’ils ne puissent l’emporter dans un fleuve de douleur. Elle ne voulait plus pleurer, parce que les larmes ne procuraient aucun réconfort, aucune explication. L’incrédulité, la désillusion, la haine qu’elle avait éprouvées pour lui et qu’elle éprouvait encore étaient des sentiments qu’elle refusait de toutes ses forces, avec une obstination chargée de rage froide.

 

               Elle était là, elle était dans cette maison, elle fréquentait la cour, elle déjeunait avec son père. Mais c’était comme si elle n’était pas là, comme si elle n’avait jamais été là.

 

 

*******

 

 

               Ce fut dans cette période, dans cette longue période passée ainsi, en attendant qu’un jour arrivât quelque chose de différent, que grâce au temps qui passait sa fille retrouvât un sourire, une lueur de confiance, de vie, que le général se rendit compte qu’il l’avait perdue. Oscar était beaucoup plus lointaine à présent qu’elle ne l’avait jamais été, beaucoup plus distante de sa maison qu’elle aurait jamais pu l’être si elle s’était vraiment enfuie avec André sans revenir jamais plus, en lui laissant au moins le souvenir doux de l’amour qu’elle avait eu pour lui.

               Parce que sa fille l’avait aimé, un temps, malgré tout. Elle l’avait aimé, et désormais au contraire elle ne l’aimait plus. Elle n’aimait plus rien ni personne, pas même elle-même.

 

               Que pouvait-il faire pour sortir de cette situation ? Pour l’aider et s’aider lui-même à redevenir ceux qu’ils étaient auparavant, à retrouver ce rapport, qui autrefois, pour être formel, était pour le moins sincère et vivant, et qui désormais au contraire, n’existait plus parce que lui avec son acte de lâcheté l’avait anéanti ? Que pouvait-il faire pour l’aider ?

Il ne savait vraiment pas, il n’y avait pas moyen d’intervenir. Un jour il avait tenté de lui parler de laisser l’uniforme, de cesser de mener cette vie qui la mettait en danger à chaque instant. Il avait fait allusion, avec beaucoup de tact et de précaution, à la possibilité que, si elle le voulait, ils pourraient chercher pour elle une vie différente.

Il avait même pleuré, devant elle, en lui demandant pardon pour l’avoir élevé comme un garçon, et s’était offert d’y remédier, de trouver le moyen de lui faire vivre une vie de femme... un mari... si elle voulait... quelqu’un qui lui plairait, qu’elle choisirait librement...

Il s’était senti prêt, en cet instant, à lui accorder tout ce qu’elle lui demanderait : désormais il sentait qu’en aucune façon il n’aurait pu lui imposer, comme sans doute il l’aurait fait auparavant, de se marier et d’épouser quelqu’un choisi par lui.

Oscar avait levé les yeux et l’avait fixé, une pâleur presque incorporelle peinte sur le visage. Elle l’avait regardé sans le voir, en restant silencieuse un long moment. Puis elle avait dit seulement un mot : “Non”, avec une détermination si lucide et froide qu’elle le laissa atterré.

Ce n’était plus sa fille, la personne qu’il avait devant lui. Ce n’était plus quelqu’un qu’il connaissait. Elle n’était plus vivante.

 

               Il s’interrogea, se demanda mille fois ce qu’il pourrait faire pour sortir de cette douleur, quel remède donner à ce qu’il avait créé, pour la sauver de ce qui lui arrivait, et que l’on voyait si clairement, sur son visage. Il passa au crible mille solutions possibles, mille alternatives, mais aucune ne pouvait fonctionner, aucune.

Seulement une chose qu’il ne voulut jamais faire, l’unique qui aurait vraiment pu aider Oscar, lui permettre de se retrouver elle-même. L’unique, quoiqu’à ce point il fût pratiquement impossible de tout arranger, même en voulant le faire : André sans doute était mort, et elle en aurait été terriblement bouleversée. Elle aurait été bouleversée de savoir ce qui était réellement arrivé et l’aurait à juste titre haï, pour cela. Pour toujours.

               Seulement une chose qu’il ne fit jamais, et ce fut sa seconde faute : il ne voulut jamais, malgré tout, lui dire la vérité.

A suivre…

pubblicazione sul sito Little Corner dell'ottobre 2006

 

mail to: alessandra1755@yahoo.it

French translation: Lady Rose - mail to: lady_rose_grandier@yahoo.fr

 

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